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I
NTRODUCTION
Au cours d’un apprentissage, on demande à l’étudiant d’acquérir des savoirs, une assise
théorique solide. Une grande part des étudiants commence leurs études d’ostéopathie en étant
eux-mêmes modelés par des représentations du corps mécaniste, imprégnés d’une philosophie
déterministe héritée de Descartes. Au moment où il apprend à développer sa finesse
palpatoire, l’étudiant ostéopathe cherche à savoir si ce qu’il perçoit correspond à ce qu’il
devrait percevoir : il est ainsi tiraillé entre les savoirs qu’on lui a enseigné, et le réel de la
palpation d’un corps vivant, qui ne correspond pas à la représentation idéale que l’on en fait
sur les planches anatomiques. Ainsi, Alain Cassourra, médecin reconverti en ostéopathe, nous
parle ainsi de son apprentissage : « Que penser ? Vrai ou faux? Bluff ou pas? Je décide de me
focaliser sur l’aspect pratique, d’affiner mon toucher, de le confronter à la clinique, et nous
verrons bien
1
. » Pendant mes propres études, j’ai constamment fait l’expérience de ce doute.
Comment ne pas douter lorsqu’un enseignant présente sa manière de pratiquer comme
la seule pratique véritable de l’ostéopathie, alors que chaque ostéopathe pratique
différemment ? Pendant les études, il faut donc accepter d’apprivoiser ce doute, pour
justement éviter le blocage des sensations. J’ai finalement compris que les études
d’ostéopathie sont en fait un apprentissage du doute: au fur et à mesure du temps, on y est
confronté, on s’adapte, et l’étendue du doute augmente. La phrase d’Henri Poincaré prend
alors du sens : « Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes
qui, l’une et l’autre, nous dispensent de réfléchir
2
. »
Lorsque l’on parle de doute à un ostéopathe, quel que soit son nombre d’années de
pratique, il voit tout de suite de quoi on parle, même si probablement chaque ostéopathe
l’expérimente d’une manière différente. Le doute entre en résonance avec des expériences
vécues : légitimité face à la médecine académique, efficacité, pertinence des techniques,
erreurs de palpation, capacité personnelle à faire ce métier. On assiste même parfois dans une
carrière d’ostéopathe à un changement de représentations du corps : certains remettent en
cause leur vision mécaniste du corps lorsqu’ils en expérimentent les limites, pour se
rapprocher d’une pratique biodynamique, plus emprunte d’une certaine spiritualité
3
.
Dans notre société prônant la performance, la réussite, la compétition, il est surprenant
voire anticonformiste d’avouer avoir un doute, qui est vu comme un aveu de faiblesse. Il peut
1
A. Cassourra, L’énergie, l’émotion, la pensée, au bout des doigts. Au-delà de l’ostéopathie, Paris : Odile Jacob,
2010.
2
H. Poincaré, La Science et l'Hypothèse, Paris : Flammarion, 1902, p. 2.
3
Entretiens menés par e-mail auprès d’un panel d’ostéopathes aux expériences diverses, dans le cadre d’une
enquête informelle préliminaire à la rédaction de ce mémoire.