Le doute en ostéopathie - Université Catholique de Lyon

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Université Catholique de Lyon
Centre Interdisciplinaire d’Éthique
Diplôme Universitaire de philosophie de l’ostéopathie
Le doute en ostéopathie
Année universitaire 2015-2016
Présenté par Caroline Bouin
Dirigé par Laurent Denizeau
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SOMMAIRE
Remerciements .................................................................................................................. 3
Introduction ................................................................................................................... 4
1/ Ce qui fait objet de savoir ......................................................................................... 6
Qu’est-ce que le doute ? ............................................................................................ 6
La place du doute dans le modèle objectiviste.......................................................... 7
De l’objet au savoir ................................................................................................... 8
2/ L’objet versus le sujet ? .......................................................................................... 12
L’universel de l’anatomie, le particulier du patient ................................................ 12
Savoir et croyance ................................................................................................... 13
Peut-on parler de savoir intuitif ? ........................................................................... 15
3/ Le doute comme voie de connaissance ? ................................................................ 17
Le corps humain comme problème ou comme mystère ?....................................... 17
Du doute inhibant au doute créatif .......................................................................... 18
Le doute comme écoute .......................................................................................... 20
Conclusion .................................................................................................................. 22
Bibliographie .................................................................................................................. 24
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REMERCIEMENTS
Je tiens avant tout à remercier toute l’équipe du centre interdisciplinaire d’éthique de
l’université catholique de Lyon qui offre aux ostéopathes une formation passionnante et de
grande qualité. Merci notamment à Jean-Marie Gueullette qui a eu l’audace de mener à bien
ce projet de diplôme universitaire de philosophie de l’ostéopathie.
Je remercie mon directeur de mémoire Laurent Denizeau qui a su m’accompagner dans
mes recherches avec finesse et bienveillance.
Je remercie mon entourage qui me permet jour après jour de continuer à douter avec
confiance. Je remercie notamment Benjamin, Michèle et Garance qui m’ont redonné l’énergie
dont j’avais besoin pour m’extraire des périodes de doute inhibant.
Merci aux ostéopathes qui ont participé au D.U cette année, ces rencontres furent
déterminantes pour moi.
Merci à mes références ostéopathiques Stéphane, Léonore, Ildiko, et à mon grand-père
d’adoption Alain.
Merci enfin à ceux qui s’offusqueront de ne pas être mentionnés.
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I
NTRODUCTION
Au cours d’un apprentissage, on demande à l’étudiant d’acquérir des savoirs, une assise
théorique solide. Une grande part des étudiants commence leurs études d’ostéopathie en étant
eux-mêmes modelés par des représentations du corps mécaniste, imprégnés d’une philosophie
déterministe héritée de Descartes. Au moment il apprend à développer sa finesse
palpatoire, l’étudiant ostéopathe cherche à savoir si ce qu’il perçoit correspond à ce qu’il
devrait percevoir : il est ainsi tiraillé entre les savoirs qu’on lui a enseigné, et le réel de la
palpation d’un corps vivant, qui ne correspond pas à la représentation idéale que l’on en fait
sur les planches anatomiques. Ainsi, Alain Cassourra, médecin reconverti en ostéopathe, nous
parle ainsi de son apprentissage : « Que penser ? Vrai ou faux? Bluff ou pas? Je décide de me
focaliser sur l’aspect pratique, d’affiner mon toucher, de le confronter à la clinique, et nous
verrons bien
1
. » Pendant mes propres études, j’ai constamment fait l’expérience de ce doute.
Comment ne pas douter lorsqu’un enseignant présente sa manière de pratiquer comme
la seule pratique véritable de l’ostéopathie, alors que chaque ostéopathe pratique
différemment ? Pendant les études, il faut donc accepter d’apprivoiser ce doute, pour
justement éviter le blocage des sensations. J’ai finalement compris que les études
d’ostéopathie sont en fait un apprentissage du doute: au fur et à mesure du temps, on y est
confronté, on s’adapte, et l’étendue du doute augmente. La phrase d’Henri Poincaré prend
alors du sens : « Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes
qui, l’une et l’autre, nous dispensent de réfléchir
2
. »
Lorsque l’on parle de doute à un ostéopathe, quel que soit son nombre d’années de
pratique, il voit tout de suite de quoi on parle, même si probablement chaque ostéopathe
l’expérimente d’une manière différente. Le doute entre en résonance avec des expériences
vécues : légitimité face à la médecine académique, efficacité, pertinence des techniques,
erreurs de palpation, capacité personnelle à faire ce métier. On assiste même parfois dans une
carrière d’ostéopathe à un changement de représentations du corps : certains remettent en
cause leur vision mécaniste du corps lorsqu’ils en expérimentent les limites, pour se
rapprocher d’une pratique biodynamique, plus emprunte d’une certaine spiritualité
3
.
Dans notre société prônant la performance, la réussite, la compétition, il est surprenant
voire anticonformiste d’avouer avoir un doute, qui est vu comme un aveu de faiblesse. Il peut
1
A. Cassourra, L’énergie, l’émotion, la pensée, au bout des doigts. Au-delà de l’ostéopathie, Paris : Odile Jacob,
2010.
2
H. Poincaré, La Science et l'Hypothèse, Paris : Flammarion, 1902, p. 2.
3
Entretiens menés par e-mail auprès d’un panel d’ostéopathes aux expériences diverses, dans le cadre d’une
enquête informelle préliminaire à la rédaction de ce mémoire.
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être vécu comme limitatif et contraignant, et plonger dans une certaine solitude, en atteste le
sens communément négatif que l’on attribue au mot « douteux ». Il apparait que la mise en
lumière de ce doute soulage, car il permet de partager une souffrance et d’ainsi la diluer.
Avouer avoir un doute sur ce que l’on pensait maitriser, c’est déjà réussir à le dépasser.
Ce doute qui s’avère partagé par le monde ostéopathique nous renseigne sur l’existence
de quelque chose dont il est difficile de rendre compte, tant du point de vue de la mise en
œuvre du traitement, que sur son efficacité : l’existence d’un mystère.
C’est ainsi que j’ai pris le risque de parler de ce doute, cette suspension des facultés de
jugement, qui peut nous mener à une plus grande ouverture sur les possibilités inexplorées du
corps, ou au contraire nous pousser à adopter une pratique biomécanique épousant des
principes théoriques bien définis. Il est probable que l’aveu d’un doute dérange dans un
contexte le monde ostéopathique bataille pour trouver une légitimité dans le milieu
médical. En étudiant le doute, on prend aussi le risque de ne pas en sortir, de finir par douter
de tout, et même de plonger dans le désespoir. Descartes est lui-même parti d’un désespoir
sceptique pour y trouver le fondement d’un savoir assuré
4
. Au contraire, Hume part d’un
fondement assuré pour aboutir au naufrage
5
, même si pour ces deux sceptiques l’expérience
du doute s’avéra dans l’ensemble fondatrice.
Le savoir est traditionnellement transmis par un corpus théorique soumis à la méfiance
des sens, dans un fantasme contemporain de réduire la complexité du monde à une équation.
Plongé au cœur du vivant, l’ostéopathe est contraint de dépasser son savoir théorique et
d’accepter de croire à ce qu’il fait, même si ce qu’il fait n’est pas prouvé scientifiquement, ce
qui nécessite un changement de posture intérieure. Ainsi nous nous sommes demandé si ce
doute omniprésent est nécessaire à la démarche ostéopathique, s’il est une condition à
l’efficacité thérapeutique.
C’est pourquoi nous étudierons dans ce mémoire tout d’abord ce qui constitue un objet
de savoir dans le monde médical actuel, et quelle est la place du doute dans ce monde. Nous
étudierons par la suite les relations objet-sujet, déclinées dans le registre de l’objectif et du
subjectif, de l’extérieur et de l’intérieur, du savoir et de la croyance. Nous parlerons enfin du
mystère de l’humain qui, s’il est humblement reconnu, peut mener à une posture de doute qui
n’est plus un frein mais a une portée thérapeutique.
4
R. Descartes, Méditations métaphysiques, Paris : Flammarion, 1992 [1641].
5
D. Hume, Traité sur la nature humaine, Paris : Flammarion, 1999 [1739].
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