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Des NOTES de LECTURE
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¯¯¯¯¯ avril 2014 ¯¯¯¯¯¯
« Notes » réalisées par Henry Colombani – ancien délégué national à la FCSF, membre de
« Mémoires Vives Centres sociaux » - au simple titre d’un retraité, bénévole
associatif qui, souhaitant approfondir ses lectures, propose de les partager avec
ceux qu’elles intéresseraient. Elles sont donc subjectives, selon les intérêts du
moment et les choix de l’auteur, et n’engagent aucune institution. En espérant
qu’elles inciteront à lire, à nourrir le travail et les réflexions des acteurs bénévoles
et professionnels, dans l’accord comme dans le débat contradictoire ! Les
ouvrages retenus sont répertoriés et classés à la FCSF.
Site : http://www.centres-sociaux.fr/ - rubrique : « Ressources / Notes de lecture »
. Franck FREGOSI1, « L’islam dans la la laïcité », Pluriel, Arthème Fayard, 2011, 497 p.
[10 euros]
Et Raphaël LIOGIER, Le Mythe de l’islamisation. Essai sur une obsession collective, Seuil,
2012. EP/LIO
Périodiquement, sont relancés des débats sur les modalités concrètes de mise en œuvre de la laïcité
dans la vie ordinaire. Les centres sociaux, inscrits dans les lieux de vie quotidienne plus sensibles,
lieux à la fois d’une recherche permanente du vivre ensemble et simultanément davantage
stigmatisés, interpellent et sont interpellés : quelles sont les « bonnes pratiques » respectueuses des
dimensions fondamentales de la laïcité : liberté de conscience, liberté de culte, non hégémonique du
religieux sur les consciences ? La laïcité introduite par la loi de 1905 en France consacre la liberté de
conscience et la liberté de culte et garantit l’autonomie de la chose publique vis-à-vis des religions ou
de toute doctrine philosophique. La publication en poche « Pluriel » du désormais classique « Penser
l’islam dans la laïcité » de Franck FREGOSI, est l’occasion de traiter le sujet selon ses dimensions
essentielles. Une bibliographie complémentaire pourra aider chacun à mettre à jour ses
connaissances pour construire ses propres convictions.
*****
La focalisation, somme toute récente, de ces débats sur le sujet désormais désigné comme
« les musulmans », ou « l’islam », est avancée la question sous la forme : « L’islam est-il
compatible avec la laïcité » – c’est-à-dire « avec la République » ? Déjà, il faut pointer
sous la formule un raccourci : est-ce de « la » laïcité, dont il s’agit ou de « notre »
laïcité ? Une fois de plus, fonctionne ici la dichotomie binaire du modèle de penser entre
« Nous » et « Eux »2 !
Car de quoi parle-t-on exactement ? Cela exige un approfondissement de cette laïcité « à
la française », d’une part, et, surtout, d’une compréhension de ce que sont « les
1 Directeur de recherches au CNRS (Strasbourg) et enseignant à l’IEP d’Aix-en-Provence, Franck
Frégosi est spécialiste des questions d’organisation du culte musulman dans l’espace européen.
Cet ouvrage est paru en première édition chez Fayard en 2008 sous le titre Penser l’Islam dans la
laïcité.
2 Selon le tire du livre de Joël ROMAN, Eux et nous, Hachette Littératures, collection Tapage, 2006.
1
musulmans ». L’approche de l’islam comme fait religieux, parmi l’ensemble des diverses
religions qui ont façonné les héritages culturels et/ou civilisationnels en deçà des
convictions par les quelles chacun peut ou non adhérer… - est nécessaire. On notera le
« fait religieux » au sens un Régis DEBRAY demandait naguère dans un rapport
remarqué, à la demande du ministre de l’Education Jack Lang, que l’on se préoccupe de
L’Enseignement du fait religieux dans l’école laïque3. Cette approche constitue la
meilleure des préventions contre toutes les « phobies » vis-à-vis des religions, et permet
de placer le travail d’élucidation de celles-ci à son véritable niveau : non pas un rejet a
priori, sans argumentaire, qui souvent ne repose pas sur un approfondissement doctrinal et
conceptuel mais sur une posture qui vise - sous le religieux des cibles d’un autre ordre :
moral, politique, rites et attitudes culturels pratiques…
En effet, le contexte actuel pousse à en « rajouter » : il suscite des approches
conflictuelles, voire polémiques, entre les différentes positions de la laïcité qui ont
tendance à focaliser les débats sur des points pratiques devenus visibles et donc d'autant
plus sensibles, sans forcément prendre le temps d'aborder les questions de fond (par
exemple : le port du foulard par les femmes musulmanes, s’entrechoquent des
argumentaires des différentes positions féministes différentialistes ou universalistes,
mais également celles des femmes féministes musulmanes, etc.). Plus gravement, on ne
peut nier le constat d'une certaine instrumentalisation du principe républicain de la
laïcité. Cette dérive oriente les débats et les focalise notamment sur les questions des
pratiques de l'islam en France. Cela entraîne une stigmatisation globalisante de cette
religion et plus généralement des musulmans, comme lorsque l’on porte des jugements de
valeur en assimilant des postures intégristes ou fondamentalistes à l'ensemble de la
religion concernée, en occultant que ces radicalismes se trouvent historiquement dans
toute religion.
De quel islam parle-t-on, quels sont les courants historiques et contemporains - qui le
composent, quels fondamentaux, comment s’est-il adapté dans les différentes cultures au
milieu desquelles il s’est historiquement implanté ? Comment les musulmans considèrent-
ils eux-mêmes la laïcité ? On notera, par exemple combien il est éclairant de réfléchir sur
ce que représente la diversité des sources de l’autorité : cf. le chapitre sur « La dispersion
de l’autorité religieuse en islam » entre imam, conférencier et jurisconsulte. [Chap. VI, p.
167] .
Autant de questions pour l’instruction desquelles l’ouvrage de Franck FREGOSI apporte non
seulement des informations essentielles, mais contribue, par la méthode et les outils de
lecture qu’il propose, à opérer un véritable changement de regard, au-delà des passions
fussent-elles idéologiques ou convictionnelles… voire rationnelles !
En premier lieu, il importe de bien prendre la mesure de l’intégralité de la thèse de Franz
FRIGOSI :
« La laïcité se révèle une donnée incontournable, à la fois juridiquement, politiquement
et symboliquement à la quelle l’islam est tenu de s’adapter… » Et suit une affirmation
réflexion des plus fécondes, à notre avis : « En ce sens, l’enjeu majeur est moins de
rechercher à tout prix à penser la laïcité dans l’islam que de penser l’islam dans la
laïcité. » En ce sens « l’objectif de cet ouvrage vise précisément à démontrer que par-
delà les tensions réelles entre islam et l’idée de laïcité, dans le contexte français, on
assiste à un début d’accommodement. Le processus est engagé… [Introduction, p. 11]
3 Préface de Jack Lang, Editions Odile Jacob, 2002
2
La République n’a pas à s’ingérer dans la doctrine et les cultes, car « la laïcité demeure
un acquis politique que nul ne conteste dès lors qu’elle conjugue la neutralité religieuse
de l’Etat avec le libre exercice des cultes et l’autonomie des institutions publiques
comme des institutions religieuses. [Conclusion, p. 458]» De cette rencontre entre les
diverses conceptions et pratiques de l ‘islam en France et la laïcité « se développe en fait
un métissage, une hybridation des deux. C’est comme si les musulmans n’en finissaient
pas de s’interroger sur le sens et les contours de leur appartenance à l’islam dans un
environnement largement sécularisé [p. 458] (…) « La laïcité se trouve en même temps
interpellée dans sa capacité à prendre en compte une nouvelle réalité confessionnelle… 4»
Nous invitons les lecteurs à se reporter à la Table des matières de l’ouvrage qui, « de
l’opposition à l’interaction », comme un véritable guide, décrit le chemin d’approche
permettant de se détacher des stéréotypes et d’approfondir ses connaissances à propos
d’une histoire religieuse, philosophique et politique aussi complexe.
Avec la section sur Les musulmans de France face à la sécularisation, l’auteur recense
les divers types de postures et positions rencontrées, décrivant une sécularisation très
contrastée : tant en ce qui concerne dans les niveaux et degrés d’observance [Chap. IV, p.
111 et suiv.] qu’à travers la pluralité des modes d’appartenance [Chap. V, p. 147 et suiv.].
D’autant que les sources et origines des courants de l’islam, cela est bien décrit en
première partie, sont elles-mêmes très diverses. Surtout, il ne faut pas oublier qu’elles ont
importé des éléments culturels et cultuels qui, eux, tiennent davantage aux faits
civilisationnels des pays concernés, que de l’origine islamique stricte5. Dans toutes les
religions, on a toujours tendance à élever au niveau de la doctrine et de la croyance ce qui
n’est qu’un donné culturel d’une époque et d’une région spécifique. Et, bien souvent, ces
éléments ajoutés, parce qu’ils sont proches des pratiques quotidiennes des gens, prennent
plus d’importance que les fondamentaux proprement dits, quand ils ne les occultent pas.
Concernant les conceptions « intégralistes » dans l’islam, Franck FREGOSI rappelle, dans
une interview, les conceptions et a-priori en présence :
« Parallèlement, il faut se montrer vigilant par rapport à l'émergence de courants
maximalistes, développant une vision intégraliste, exclusive, anachronique et sectaire de
l'islam. S'ils sont dans l'ultra-religiosité et pas forcément dans une démarche politique,
ces groupes trouvent leurs terrains de prédilection dans les zones de relégation et de
misère sociale. Pour qu'existe un sentiment d'appartenance, il faut que la République
puisse, dans la mesure du possible, prendre en compte les besoins religieux des individus.
Or, la laïcité est chez les musulmans, souvent perçue comme une sanction et comme une
prohibition. Il faut démontrer que la laïcité permet au contraire d'accueillir un certain
nombre de différences. Il existe une laïcité de reconnaissance qui peut légitimement
apporter des solutions pragmatiques aux questions qui se posent.6 »
4 qui constitue, faut-il le rappeler, la deuxième religion en France.
5 FREGOSI, évoque à propos des débats en Egypte sur l’islamisation du Droit, qu’un magistrat
rappelle que « sur les 6000 versets du Coran, seuls 700 d’entre eux traitent de prescriptions légales
relatives au culte, aux relations entre les hommes, et, parmi ces dernières, 90 sont toujours en
vigueur… » - « Il en déduit que ces quelques versets à teneur juridique ne justifient pas que l’on
considère le Coran comme un recueil de droit positif. » [p. 76-77]
6 Interview suite à la publication du livre de Gilles KEPEL, Banlieue de la République. Société,
politique et religion à Clichy-sous-Bois et Montfermeil - Avec la collaboration de Leyla Arslan et
Sarah Zouheir, la participation de Mohamed-Ali Adraoui, Dilek Yankaya et Antoine Jardin - Hors
série Connaissance, Gallimard, 2012.(Cette enquête réalisée à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil
[93] a établi un lien entre la relégation sociale ou géographique de certains quartiers, et la
valorisation de l'islam chez des populations où se mêlent Français issus de l'immigration et primo-
arrivants.) Voir :
http://religion.blog.lemonde.fr/2011/10/15/islam-et-republique-des-specialistes-reagissent-au-
rapport-kepel-1/
3
Le chapitre consacré aux Relations entre musulmans laïques et musulmans religieux :
« La querelle des deux islams » [chapitre XII, p. 381sq] incite à ne pas oublier qu’il existe en
en France, de même qu’un « judaïsme laïque », un pôle de « musulmans laïques » qui
entendent se faire reconnaître comme musulmans républicains, et souhaitent une
représentation de minorité visible. Et l’auteur d’ajouter non sans une pointe polémique,
ce qui peut être retenu comme une conclusion riche d’espoir et de confiance :
« N’en déplaise aux chantres de l’islamo-alarmisme, une majorité de musulmans,
sociologiquement parlant lorsqu’ils sont interrogés par les sondages d’opinion,
reconnaissent pouvoir parfaitement vivre leur islam dans un Etat laïque et tirer profit de
ce cadre institutionnel et juridique, sans avoir le sentiment de rompre avec leur religion
et ses préceptes cultuels. » (…) « Ils s’efforcent déjà, d’autres termes, de repenser
l’islam dans la laïcité. Ils reconnaissent par là même implicitement que la réalité de
l’islam peut épouser des contours différents et donner lieu à des expériences vécues
diverses non réductibles à un schéma unique [p. 385]
Pour ceux qui voudraient approfondir l’approche en terme de droit, car c’est souvent en
ces termes que se posent in fine les problèmes pratiques qui font conflit – et rarement sur
des grands enjeux théologico-philosophiques…- « L’islam au prisme du droit » [chapitre XIII,
p. 417sq] ouvre d’intéressantes réflexions. Elles aident à faire le point, de manière
équilibrée, sur la question de l’incompatibilité des principes normatifs de la loi islamique
et le droit étatique national ; d’autant que cette interrogation est souvent un levier
d’inquiétude quant au devenir de l’intégration progressive des musulmans.
On ne peut donc qu’inciter vivement à lire cet ouvrage7 qui ouvre une voie originale, la
plus objective possible, très documentée tant dans l’approche historique que celle de la
sociologie et du droit. Il constitue une très bonne propédeutique qui facilitera pour ceux
qui veulent aller plus loin, l’accès à telle thématique plus spécialisée.
Raphaël LIOGIER, Le Mythe de l’islamisation. Essai sur une obsession collective, Seuil,
2012.
On ne peut que conseiller de s’intéresser – simultanément – au livre de Raphaël
LIOGIER8 qui, de manière symétrique, en quelque sorte, aide à diagnostiquer et à
déconstruire comment s’est élaborée une vision quasi paranoïaque de « l’islamisme ». Cela
a contribué, à partir du fait de difficultés évidentes et respectables de compréhension
mutuelle entre deux cultures aux différences marquées et aux histoires conflictuelles, à
extrapoler les excès et les peurs suscitées, en doctrines d’islamophobie, qui rejoignent et
nourrissent de ferments haineux les courants « populistes9 » de l’exclusion de l’autre : les
étrangers (années 30 : le cosmopolitisme…), les « juifs » (jusqu’à la Shoah..), les arabes…
sont désignés sous le nouveau qui cible celui qui est à exclure : « le musulman ». Cela a
donné le « mythe de l’islamisation » : d’habiles rhétoriciens habillent les ressentis
émotionnels et pulsionnels des « raisons » plus ou moins sociologiques : la natalité (« la
Voir également l’intégralité du débat avec F. FREGOSI lors de la sortie de « Penser l’islam dans la
laïcité » : / "Tous les paramètres sont réunis pour expliquer le regain de scepticisme vis-à-vis de
l'islam"Le Monde.fr
http://abonnes.lemonde.fr/societe/chat/2009/12/03/pourquoi-l-islam-heurte-t-il-tant-les-
societes-europeennes_1275847_3224.html
7 La Table des matières reproduite à la fin de cette note indique l’éventail des sujets abordés.
8 Le Mythe de l’islamisation. Essai sur une obsession collective, Seuil, 2012.
9 Voir du même auteur : Raphaël LIOGIER, Ce populisme qui vient. Conversations pour demain,
Textuel, octobre 2013 – et notre récente note de lecture (novembre 2013) : http://www.centres-
sociaux.fr/2013/11/20/note-de-lecture-ce-populisme-qui-vient-raphael-liogier-et-le-front-national-
entre-extremisme-populisme-et-democratie-michel-wievorka/
4
bombe démographique ») - alors que l’INED a démontré que les familles concernées
diminuent notablement le nombre e leurs enfants en s’intégrant à la vie métropolitaine…,
L’immigration de masse… alors que l’on sait que pour nombre pays de l’Union Européenne
cette immigration est utile pour l’avenir…, le mythe de la conversion de la France à
l’islam, qui relève du fantasme, dès que l’on analyse les phénomènes de sécularisation en
Occident… Cela ne doit pas occulter, par ailleurs, les résurgences de phénomènes religieux
dans toutes les cultures : de l’évangélisme américain aux divers communautés, jusqu’aux
spiritualités que les groupes s’inventent au fur à mesure de leur besoins… au sein même
des grandes familles confessionnelles historiques, ou en dehors : « New age », voire
jusqu’aux phénomène des dérives sectaires…10 La focalisation sur l’islamisation est donc
bien, à cet égard, un choix « ciblé ».
Henry Colombani
*********
ANNEXES : Table des matières de l’ouvrage de Franck FREGOSI
Eléments de bibliographie
TABLE des MATIERES
PRÉFACE À LÉDITION « PLURIEL » (2011)
IntroDUCTION (2008)
ISLAM ET LAICITE : DE L'OPPOSITION A L'INTERACTION
Chapitre I : Quelques stéréotypes à propos de l'islam et de la laïcité
Chapitre II : Visions musulmanes de la laïcite
Chapitre III : Penser l'islam dans la laïcité plutôt que la laïcité dans l'islam
LES MUSULMANS DE FRANCE FACE A LA SECULARISATION
Chapitre IV : Les niveaux d'observance des musulmans de France : une
sécularisation contrastée
Chapitre V : Pluralité des modes d'appartenance et d'identification à l'islam
Chapitre VI : La dispersion de l'autorité religieuse, l'imam, le conférencier, le
jurisconsulte
ORGANISER LE CULTE MUSULMAN DANS LA REPUBLIQUE ENTRE AUDACE ET
REALISME
10 Sur ces sujets de la fragmentation et de la démultiplication des « courants » religieux, pouvant
conduire l’individu contemporain à composer une sorte de service à la carte de ses choix,
idéologies, éthiques, pratiques… en matière religieuse ou spirituelle : voir le très intéressant
ouvrage de Danièle Hervieu-Léger, La religion en miettes ou la question des sectes, Calmann-
Levy, 2001.
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