L`engagement dans une association d`action sociale : entre

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UNIVERSITE TOULOUSE – LE MIRAIL
DIPLOME D’ETAT D’INGENIERIE SOCIALE
Promotion DEIS 1 – 2006 – 2009
L’engagement dans une association d’action sociale :
entre parcours individuel, logique de mouvement et professionnalisation
Toulouse – juillet 2012
Mémoire présenté par :
Maxence LEBAS
Directrices de recherche :
Martine PAGES
Corinne SAINT-MARTIN
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Je tiens à exprimer ma très sincère reconnaissance et mes plus vifs
remerciements :
Aux élus des Conseils Départementaux qui ont accepté que je les interviewe et
qui ont témoigné sur leur engagement.
A Paule Sanchou qui a su me remobiliser quand la charge de travail
quotidienne m’avait éloigné de l’investissement nécessaire à la recherche et à
la rédaction de ce mémoire.
A Corinne Saint-Martin et à Martine Pagès pour leur soutien rigoureux et
attentif et leurs conseils méthodologiques.
A Jacques Laurent, pour sa confiance, ses encouragements et son empathie
tout au long de la formation au DEIS.
A vous quatre pour tout le temps que je ne vous ai pas consacré :
Viviane, Milan, Agathe, Adam…
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SOMMAIRE
INTRODUCTION……………………………………………………………………………………..5
PARTIE 1 : CONTEXTE ET THEORIES
CHAPITRE 1 : ELEMENTS CONTEXTUELS DE L’ENGAGEMENT DES ELUS……………8
1. Le moment fondateur : « Les Cordées » et « Faire Face », d’une logique d’entraide à une
logique de mouvement : 1933/1945…………………………………………………………10
1.1.
Les fondateurs………………………………………………………………………...10
1.2.
Créer un réseau et rompre l’isolement………………………………………………..11
1.3.
Le bien commun……………………………………………………………………...13
2. Le développement d’une logique d’aide et l’introduction d’une logique publique :
1945/1975……………………………………………………………………………………..15
2.1.
Logique de mouvement, logique d’aide et logique publique, une articulation fondée en
valeur………………………………………………………………………………….15
2.2.
L’introduction de la logique publique………………………………………………..18
2.3.
Association ou appareil associatif ?........................................................................19
3. La croissance exponentielle de l’APF : la professionnalisation de la logique d’aide : 1975
à 2001…………………………………………………………………………………………22
3.1.
L’autonomie de la logique professionnelle…………………………………………...22
3.2.
Un affaiblissement des liens entre le mouvement et les professionnels…………….23
3.3.
La logique de mouvement à l’épreuve de la professionnalisation et de
l’individualisation de la demande…………………………………………………….26
4. La rupture inaugurale : retour d’une logique de mouvement : de 2003 à 2011…………29
4.1.
Une nouvelle logique de mouvement : un nouveau leadership……………………...31
4.2.
Une nouvelle organisation politique………………………………………………….33
4.3.
Les élus des conseils départementaux, des acteurs associatifs engagés……………37
CHAPITRE 2 : CADRE THEORIQUE…………………………………………………………….39
1. La professionnalisation du bénévolat associatif……………………………………………39
2. La professionnalisation, technicisation de l’action associative……………………………41
3. Le concept d’engagement……………………………………………………………………42
3.1.
L’analyse de la cohérence d’un comportement humain……………………………..42
3.2.
Une théorie de la genèse des engagements…………………………………………...47
4. Le concept de parcours de vie……………………………………………………………….48
4.1.
La temporalisation du parcours des personnes………………………………………49
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4.2.
L’approche biographique……………………………………………………………..49
4.3.
La sociologie du parcours de vie……………………………………………………...51
CHAPITRE 3 : PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES………………………………………...53
1. Problématique………………………………………………………………………………..53
2. Hypothèses……………………………………………………………………………………56
CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE………………………………………………………………...57
1. L’échantillon des élus rencontrés…………………………………………………………...57
2. La méthode de recueil des données…………………………………………………………57
2.1.
L’entretien semi-directif……………………………………………………………...57
2.2.
Le déroulement des entretiens………………………………………………………..59
3. La méthode d’analyse des résultats………………………………………………………....60
PARTIE 2 : VERIFICATION DES HYPOTHESES
CHAPITRE 1 : ANALYSE DES ENTRETIENS : LE SENS DONNE A L’ENGAGEMENT….62
1. Les profils de parcours des élus interviewés……………………………………………….63
2. Parcours de vie antérieur à l’entrée dans l’association : ce qui a déclenché
l’engagement…………………………………………………………………………………65
2.1.
Le rapport au temps et la disponibilité dans les parcours de vie……………………..65
2.2.
Modifier la représentation sociale du handicap………………………………………66
2.3.
La construction d’une « carrière bénévole »………………………………………….70
2.4.
La logique de don réciproque…………………………………………………………71
2.5.
Des engagements antérieurs à l’association, fondateurs de postures militantes……...74
3. Parcours dans l’association de l’entrée à l’APF à l’entrée dans le CD…………………...75
3.1.
L’importance des rencontres………………………………………………………….76
3.2.
La montée en compétence des élus potentiels………………………………………..80
3.3.
Le rapport à soi……………………………………………………………………….86
3.4.
Une stratégie de prise de pouvoir dans l’association…………………………………88
3.5.
Prendre confiance en soi……………………………………………………………...89
4. Changement organisationnel et évolution de l’engagement…...…………………………..91
4.1.
L’engagement dans le CD : une discrimination positive……………………………..92
4.2.
Un changement pour les délégations…………………………………………………92
4.3.
La légitimité de l’association : une reconnaissance en externe………………………93
4.4.
La mise en place de la démocratie élective…………………………………………..94
5. Entrée dans le CD : la construction de répertoires de valeurs des militants…………….96
5.1.
Les répertoires de valeurs des personnes engagées…………………………………..96
6. Les modes de fonctionnement des conseils départementaux…………………………….103
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6.1.
Des fonctionnements informels, en dehors du cadre fixé par l’association………...103
6.2.
Les formes de coopération…………………………………………………………..104
CHAPITRE 2 : LA PROFESSIONNALISATION DE LA REPRESENTATION : MILITANT
ET TECHNICIEN…………………………………………………………………………………..110
1. Recruter les représentants, répartir et animer les représentations de l’association dans le
département…………………………………………………………………………………110
2. L’importance du territoire…………………………………………………………………112
3. Les formes d’action collective ou la logique de mouvement……………………………..114
3.1.
L’intervention sociale……………………………………………………………….114
3.2.
Le lobbying local……………………………………………………………………115
3.3.
La revendication collective………………………………………………………….116
3.4.
Agir avec les partenaires associatifs………………………………………………...116
CONCLUSION……………………………………………………………………………………...120
BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………………….124
LEXIQUE DES ABREVIATIONS………………………………………………………………...128
ANNEXES…………………………………………………………………………………………...129
Annexe n°1 : Grille d’entretien……………………………………………………………129
Annexe n°2 : Extraits de l’entretien E5 retranscrit………………………………………130
Annexe n°3 : Profils de parcours des élus interviewés…………………………………...135
Annexe n°4 : Descriptif des élus par sexe, âge et durée d’entretien…………….............137
Annexe n°5 : Déclaration d’intention d’un candidat aux élections du CD……………..138
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INTRODUCTION
Nous sommes directeur d’une délégation départementale de l’Association des Paralysés de
France1 depuis 11 ans, et nous intervenons professionnellement ou bénévolement dans le
champ du handicap depuis plusieurs décennies.
L’APF, association nationale, a été créée en 1933 par quatre personnes en situation de
handicap qui ont inscrit leur acte fondateur dans une logique de solidarité et de mouvement.
Elle s’est appuyée historiquement sur ses délégations départementales, instances locales
déconcentrées qui ont été à l’origine de la création de nombreux services et établissements
médico-sociaux, pour répondre aux attentes et besoins repérés des personnes atteintes de
déficiences motrices et de leurs familles.
Comme de nombreuses associations militantes et d’action sociale, elle a connu un
développement important qui l’a conduite à re-questionner son projet fondateur.
En 2003, l’APF a mis en place une nouvelle organisation, dénommée « Démocratie
ensemble » et a créé des conseils départementaux2 d’adhérents élus par leurs pairs, à la tête
desquels sont élus un représentant départemental et son suppléant.
Notre intérêt pour la dynamique de démocratie participative et le rôle que peut jouer une
association et ses différents acteurs dans cette participation des personnes en situation de
handicap, que nous trouvions souvent exclus des champs sociaux et des espaces de décisions,
nous avaient amenés, en 1998, donc cinq ans avant l’apparition des premiers conseils
départementaux, à interroger la participation des personnes handicapées à la vie de cette
association dans le cadre d’une précédente recherche3: le constat était alors celui d’une faible
participation, et, quand il y en avait, de formes de participations diversifiées.
La mise en place des conseils départementaux nous a questionnés, autour des enjeux de
participation, de militance, de nouvelle dirigeance associative, de citoyenneté politique, de
« décentralisation démocratique » d’une grosse association nationale.
Pour quelles raisons les adhérents de l’association s’étaient-ils engagés dans les conseils
départementaux ? Qui étaient ces acteurs associatifs ? Quelles étaient les formes de leurs
engagements, de leurs participations ? Que produisaient ces engagements ?
1
Nous utiliserons le terme « APF » dans le mémoire.
2
Nous utiliserons les termes « CD » ou « conseil » ou « conseils départementaux » dans le mémoire.
3
Recherche effectuée dans le cadre du Diplôme d’Etat aux Fonctions d’Animation (DEFA).Titre du mémoire,
Rôle de l’animateur dans la participation des personnes handicapées à la vie d’une association tournée vers le
handicap.
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Ces questionnements, ces interrogations, nous ont amené à construire une question de départ :
Pourquoi et pour quoi des adhérents de l’APF s’engagent-ils dans les conseils
départementaux ?
Dans la présentation de la problématique, nous expliciterons la genèse de la mise en place des
conseils départementaux à partir d’une analyse socio-historique de l’association. Cette
historicité révèlera le contexte ambivalent dans lequel ont été créés les conseils
départementaux. Nous découvrirons l’évolution d’une association d’action sociale, dans une
double logique de mouvement (dynamique de revendication et de transformation sociale), et
de professionnalisation (institutionnalisation et développement exponentiel).
Nous interrogerons le sens de l’engagement des acteurs associatifs dans ce contexte
ambivalent, en nous intéressant aux dimensions individuelles et collectives des parcours des
élus avant qu’ils rencontrent l’APF puis à l’intérieur de l’association, jusqu’à leur entrée dans
les conseils.
Notre démarche de recherche nous conduira à émettre deux hypothèses, en rapport au
contexte sociologique des associations et aux parcours des individus.
Pour étayer notre analyse et opérationnaliser les hypothèses, notre cadre théorique reposera
sur les concepts clés de parcours, d’engagement et de professionnalisation.
Nous poserons comme première hypothèse que le contexte sociologique actuel de l’APF et
des associations en général, inscrit dans la continuité socio-historique de l’association, a une
influence sur le sens de l’engagement des élus. Nous vérifierons cette hypothèse de deux
manières.
D’une part nous analyserons la mutation des logiques d’action sociale de l’association et
l’évolution de l’APF dans leur rapport à l’engagement des acteurs associatifs. La création des
conseils est intervenue comme une réaction à ce qui paraissait une trop forte
professionnalisation de l’association, les élus ont été traversés par la double logique de
mouvement et de professionnalisation, dans laquelle ils ont construit leur intégration au sein
de l’APF et leurs pratiques individuelles et collectives.
D’autre part nous analyserons les entretiens effectués avec huit élus de conseils, en centrant
nos observations sur les formes de participation, les répertoires de valeurs et les pratiques des
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conseils départementaux : ces éléments seront rapportés aux logiques d’institutionnalisation et
de professionnalisation
Nous démontrerons ensuite que ce que nous qualifions « d’effets de contexte du sens de
l’engagement » ne sont pas les seuls éléments explicatifs des engagements. En effet, les
parcours antérieurs des individus définissent aussi des trajectoires dans l’association et
peuvent produire des « carrières militantes ».
C’est ce que nous avancerons dans notre deuxième hypothèse : le sens de l’engagement des
individus est à chercher dans leurs parcours antérieurs dans leur cheminement progressif au
sein de l’APF et dans le processus d’intégration qu’ils ont vécu.
Nous confronterons nos hypothèses à l’analyse des entretiens réalisés auprès d’élus engagés
dans des CD, ce qui nous permettra de décrire, de décrypter et de mieux comprendre le sens
de l’engagement des acteurs associatifs.
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PARTIE 1 : CONTEXTE ET THEORIES
La première partie du mémoire est composée de quatre chapitres.
Le premier rappelle le contexte socio-historique de la mise en place des conseils
départementaux, le second fixe le cadre théorique dans lequel s’inscriront les hypothèses de
recherche et leur vérification, le troisième énonce la problématique générale et les deux
hypothèses que nous émettons, enfin le quatrième chapitre présente la méthodologie que nous
avons utilisée pour confronter nos hypothèses à la réalité des délégations et aux pratiques des
élus dans les conseils départementaux.
CHAPITRE 1 : ELEMENTS CONTEXTUELS DE L’ENGAGEMENT DES ELUS
Mise en perspective socio-historique de l’Association des Paralysés de France et genèse
de la mise en place des conseils départementaux :
Nous présenterons ici l’analyse socio-historique de plus de 70 ans de l’association qui nous
permettra de repérer et de comprendre les logiques qui ont traversé les différentes époques de
l’APF et de son environnement, de comprendre l’héritage de cette organisation, et de faire la
genèse de la mise en place des conseils départementaux.
Cette analyse fera le constat de l’apparition de deux logiques dominantes : la logique de
mouvement et la logique professionnelle.
Elle interrogera plus particulièrement les formes de coopération dans le temps, entre ces deux
logiques indissociables, repèrera les différents processus de changement et précisera l’enjeu
de la mise en place des Conseils Départementaux en 2003.
Les informations historiques sont tirées d’ouvrages de Nathan Breen4, historien, et d’André
Trannoy, seul5 ou avec sa femme6, un des quatre fondateurs de l’APF.
Nous nous sommes appuyés sur des entretiens exploratoires menés avec les deux principaux
artisans de la mise en place des conseils, la présidente, Marie-Sophie Desaulle et le viceprésident, également président de la commission vie associative, Jean-Marie Creff, tous deux
à la tête de l’association à l’époque,
4
BREEN N. : Moteur ! 70 ans de combats, 1933-2003, Paris, éd. Europrinters, déc. 2003.
5
TRANNOY A. : Risquer l’impossible, Paris, éd. Nouvelles Editions Mame, coll. « Raisons de vivre », 1983.
6
TRANNOY A. et F. : Saga, soixante ans d’aventure, Paris, éd. Athanor, 1993.
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Nous avons également consulté plusieurs documents : les écrits produits par le groupe de
pilotage de «démocratie ensemble», nom donné au projet de changement de l’association, au
moment de la mise en place des conseils départementaux, un mémoire rédigé par le directeur
régional APF d’Ile de France de l’époque7 et un texte auquel nous avons contribué dans le
cadre d’un groupe de travail composé de collègues délégués départementaux et d’un
sociologue des organisations, Fabrice Traversaz8.
Cette version de l’histoire de l’APF et les éléments d’analyse de son fonctionnement sont à
entendre comme une problématisation de l’institutionnalisation et de la professionnalisation
des associations d’action sociale au regard de leurs projets fondateurs, car nous considérons
l’APF comme une association d’action sociale9. Chaque association n’a pas réagi de la même
façon à cette professionnalisation, les stratégies, en accord ou non avec les projets associatifs
originels, ont pu aller de la transformation du projet associatif en un véritable entreprenariat
associatif au renforcement de la démocratie participative en interne : en tout cas, à la remise
en cause de la dynamique de dirigeance.
7
CAILLEBOT J-P. : Acteur et citoyen, l’association à l’épreuve de la démocratie participative, Les
fonctionnements associatifs, Executive Master pour dirigeants du secteur associatif, sept. 2007.
8
Groupe de travail de délégués départementaux et TRAVERSAZ F. : L'APF à l'épreuve de sa dynamique socio-
historique, document interne, 2005.
9
HIRLET P. citant un article de LARCHIN J. de 1995 « Des managements des ressources humaines » in
Evolution des modèles d’entreprises. Spécificité des entreprises sociales, États Généraux des Directeurs
d’Etablissements et Services Sanitaires, Sociaux et Médico-sociaux Jeudi 6 et vendredi 7 décembre 2007 – Paris.
L’auteur y définit trois formes dominantes d’associations : l’association gestionnaire, l’association
entrepreneuriale, et l’association d’action sociale. L’association gestionnaire situe son projet au niveau
organisationnel. Son modèle dominant est l’administration bureaucratique, et sa légitimité est située en dehors
d’elle-même. Elle est essentiellement un outil ou une courroie de transmission des pouvoirs publics. le
professionnel y est considéré comme un agent, dont le mode de gestion est tayloriste, bureaucratique ou
paternaliste. L’association entrepreneuriale, pour sa part, est l’organisation moderniste par excellence.
L’entreprise est son modèle. Elle considère le changement comme une valeur. Pour cette association, le
professionnel n’est pas seulement un agent, mais une ressource qui sera gérée selon des méthodes modernistes de
management. Il y a également une recherche de bénéfice beaucoup plus symbolique qui consiste à se confronter
à la commande des prescripteurs, ce qui a pour conséquence de se voir confier des missions et les subsides
financiers correspondants. Enfin, la dernière forme est celle de l’association d’action sociale. Elle inscrit sa
dimension organisationnelle et institutionnelle dans un projet de transformation sociale. Elle gère et entreprend,
mais son sens réside dans la force de changement social. Le professionnel est considéré comme un acteur qui
agit sur lui et sur l’organisation.
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Depuis sa création en 1933 et jusqu’à aujourd’hui encore, l’Association des Paralysés de
France a été traversée par plusieurs logiques institutionnelles. L’environnement social
politique et économique a influencé ces différentes logiques. L’association a largement
contribué à la définition des politiques publiques concernant la situation des personnes
atteintes de déficiences motrices.
En 2000, l’APF a mis en débat à l’interne de son organisation, la question de la participation
démocratique et citoyenne de ses adhérents, en grande majorité des personnes en situation de
handicap.
Comme le révèlera l’analyse, la « rupture inaugurale » qui s’en suivra en 2003 a été portée en
réaction à une logique professionnelle qui dominait depuis les années soixante dix.
1. Le moment fondateur : « Les Cordées » et « Faire Face », d’une logique d’entraide à
une logique de mouvement : 1933/1945
1.1. Les fondateurs
Dans l’entre-deux guerres, scolarité, travail, mariage, insertion sociale... Rien de tout cela
n’est possible pour les personnes handicapées. Ces dernières sont condamnées à l’hospice ou
à l’asile et pour les moins mal loties à une dépendance familiale.
Nous sommes en 1930, ils sont quatre jeunes touchés par la poliomyélite. L’aîné du groupe,
André Trannoy 23 ans, est étudiant ; le plus jeune, Jacques Dubuisson 14 ans, est collégien.
Ils sont venus séjourner en Suisse avec l’espoir de se faire soigner, puisqu’en France, il
n’existe aucune structure adaptée. La sécurité sociale n’existe pas, elle sera créée en 1945. Le
coût financier sélectionne de fait les familles riches.
Chaque année, ils se retrouvent à quatre pendant quelques semaines à Lausanne : « C’est la
naissance d’une merveilleuse amitié. Nous n’étions plus seuls, chacun dans notre
chacunière10.» A cette époque, et encore largement répandue durant tout le vingtième siècle,
pour la grande majorité de l’opinion, la représentation du handicap s’exprimait ainsi :
« Tenace depuis le fond des âges, la notion du corps diminué, sanction du péché, nous
poursuivait toujours au vingtième siècle ».11 Circuler dans l’espace public pouvait entraîner,
et entraîne encore des reproches : « Quand on est infirme, on reste chez soi »12.
10
TRANNOY A., Risquer l’impossible, Op. Cit.
11
Op. Cit.
12
Op. Cit.
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Ils mettent en place une correspondance à partir d’un cahier d’écolier sur lequel chacun écrit,
puis le transmet par la poste à la personne suivante. Se crée ainsi une chaîne d’amitié qui
deviendra « Les Cordées » en 1947. Cette correspondance va révéler à André Trannoy la
solitude individuelle et sociale des « paralysés ». Pour les futurs fondateurs, l’espoir d’aider
ne pourra venir que des « infirmes » eux-mêmes, et c’est donc l’entraide qu’il faut organiser.
L’APF puise donc ses origines dans une forme d’auto «prise en charge» face à un manque
institutionnel : c’est aux handicapés eux-mêmes qu’il revient, dans un premier temps, de
s’organiser pour répondre à l’absence de politiques publiques spécifiquement orientées autour
de leurs besoins et attentes.
En 1932, ils décident de construire « une amicale de paralysés » qu’ils nommeront AMI –
Amicale des Malades de l’Institut, puis AMIH – Amicale des Malades de l’Institut et de
l’Hospice13. L’existence de cette AMIH est informelle, puisque non déclarée et pourtant grâce
aux « cahiers », plusieurs dizaines de « paralysés » les rejoignent.
Face à un vide institutionnel conséquent, une demande sociale que ni l’Etat, ni le marché ne
sont en mesure de satisfaire, André Trannoy a décidé de « faire face » et de mobiliser les
personnes qui partagent, comme lui, un handicap moteur.
L’homogénéité de ce groupe relève autant du partage d’un même handicap que d’une analyse
politique, civique portant sur la situation d’un groupe dominé ou privé de ses droits. Les uns,
militants, se sentent investis d’une responsabilité citoyenne à l’égard des autres, perçus
comme entité.
1.2. Créer un réseau et rompre l’isolement
Pour rompre l’isolement de ces personnes, en plus des Cordées, André Trannoy décide de
créer un journal, « Faire Face » justement, une feuille de chou à l’époque14, qui porte toujours
ce nom aujourd’hui et est le plus important magazine traitant du handicap moteur. Ce support,
et l’espace d’expression qu’il offre ainsi à des personnes handicapées, va contribuer à tisser
rapidement à l’échelle de l’hexagone un réseau associatif aux origines des futures délégations
départementales.
En effet, s’installent sur le territoire des secrétariats qui seront appelés à partir de 1947
« délégations ». Ces secrétariats, puis très vite ces délégations, s’inscrivent au cœur même de
13
BREEN N., Op. Cit.
14
Le N°1 de « Faire Face » paraîtra le 6 mars 1933.
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l’association et de ses logiques. Les délégations seront sans cesse traversées par l’ensemble
des débats politiques et professionnels de l’organisation APF.
Les frontières sont donc ténues, au moment fondateur, entre les membres de l’association et
les destinataires : les besoins sont partagés, voire identiques, Jean-Louis Laville parle
« d’ambivalence constitutive15 ». Cette situation génère une cohésion sur la base d’un premier
intérêt commun, rompre avec l’isolement, qui va progressivement se dégager des principes
d’auto-organisation des personnes handicapées pour se décliner en une revendication de
moyens, nécessaires pour l’aide à apporter à autrui.
On repère ainsi aux moments fondateurs de l’A.P.F. une « logique d’entraide ».
Dans une approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Guy Bajoit 16 fait
une analyse sur les logiques d’action sociale, et s’interroge sur ce qui fait s’entraider les
individus. Il distingue quatre grandes logiques de solidarité :
- 1. La solidarité affective : Les gens sont solidaires parce qu’ils se connaissent, ont vécu les
mêmes histoires, intériorisés les mêmes normes culturelles et cela a tissé entre eux des liens
affectifs plus ou moins forts et durables.
- 2. La solidarité conditionnelle : Les gens sont solidaires parce qu’ils partagent la même
condition sociale : ils font partie d’une famille, d’un clan ou occupent la même place dans
une organisation sociale.
- 3. La solidarité fusionnelle : Les gens sont liés entre eux par une communauté de conviction.
Ils partagent une foi, des valeurs, le même projet d’avenir, qu’ils croient bon pour eux et pour
les autres.
- 4. La solidarité contractuelle : Les gens sont solidaires parce qu’ils recherchent un intérêt
personnel c'est-à-dire un bien qui ne peut venir que d’un autre.
Ces quatre logiques de solidarité sont constitutives des engagements premiers des fondateurs
et des adhérents à l’origine de l’association, et ont permis le développement du réseau.
Cette logique d’entraide est sensiblement différente de la «logique d’aide» dans la mesure où
l’usager n’est pas consommateur mais co-auteur du service rendu. La personne handicapée
participe à ce titre, de par ses témoignages notamment, à la rédaction du journal et à la
constitution d’un réseau dont le poids et la visibilité vont participer à de futurs
développements.
15
LAVILLE J.-L., SAINSAULIEU R. : Sociologie de l’association, des organisations à l’épreuve du
changement social, Paris, Desclée de Brouwer, 1997, 3 ème édition, 2004.
16
BAJOIT G. : Le changement social, Approche sociologique des sociétés occidentales contemporaines, Paris,
éd. Armand Colin, Mai 2003.
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Pourtant si «une logique d’entraide» est bien repérable aux origines de l’A.P.F, nous ne
pensons pas qu’elle constitue la visée des membres fondateurs, qui était la reconnaissance
sociale de la personne handicapée. Elle ne s’inscrira pas non plus dans les services rendus aux
personnes qui, comme nous le verrons, se déclinent majoritairement sur le registre de l’aide.
L’entraide apparaît ainsi plus comme un moyen au service d’un mouvement en marche,
plutôt qu’une finalité dans la lutte contre le handicap. L’entraide permet d’abord aux
personnes handicapées, non seulement de rompre avec l’isolement, mais aussi de développer
une solidarité, de se compter. Le journal et le réseau constitués par André Trannoy permettent
ainsi de rendre visible aux yeux de l’Etat et de la société, l’existence d’une demande sociale
d’envergure. En regroupant les personnes handicapées et en recueillant leurs besoins, l’A.P.F.
se dote dès cette époque d’une capacité à œuvrer au sein de l’espace public de par ses moyens
à représenter et à agir pour les personnes handicapées. Cette légitimité à représenter les
personnes handicapées, qui sera consacrée en partie par la reconnaissance d’utilité publique
de l’association en 194517, se renforcera tout au long de l’histoire de l’association et
constituera le fondement de la participation de l’A.P.F. à la co-construction, avec les pouvoirs
publics, de politiques sociales en faveur des personnes handicapées en même temps qu’elle
introduira au sein de la logique de mouvement «une logique publique».
1.3. Le bien commun
L’adhésion de bénévoles de plus en plus nombreux à l’association s’arrime à un bien
commun : celui d’une promotion collective fondée sur le constat d’inégalités socioculturelles
propre à une logique de mouvement. Constats dont l’association, à travers son travail de
recensement quantitatif et qualitatif sur la situation des personnes handicapées, va se faire le
porte-parole pour régulièrement alimenter dans le temps le projet politique de l’association :
celui d’une société plus égalitaire, plus respectueuse des droits de chacun et des groupes en
situation d’exclusion, en l’occurrence, les personnes handicapées. A l’époque, des milliers de
personnes handicapées sont abandonnées dans les « hospices de la république ». Dans ce type
de perspective, la logique de mouvement impose que le collectif prenne le pas sur la personne,
la «cause» exige et justifie qu’on se soumette à cette logique du plus grand nombre. Les
17
C’est en 1943 que l’APF décide de déposer une demande de reconnaissance d’utilité publique qui selon André
Trannoy « nous apporterait la garantie de l’Etat et sa tutelle. Elle confère à une association sérieuse une
notoriété reconnue qui vous pose vis-à-vis des officiels et des politiques, auxquels nous avons à faire de plus en
plus. C’est aussi un avantage fiscal pour les dons, les legs, un a priori favorable pour les demandes de
subvention ». TRANNOY A. et F., Saga, soixante ans d’aventure, Op.Cit.
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adhérents, les délégations et la vie associative (conseils d’administrations, assemblées
générales...) sont les moteurs du fonctionnement de l’A.P.F. de cette période jusqu’aux années
70.
Toutefois, dans le contexte de l’époque, celui des balbutiements de l’Etat social et face à
l’urgence et à la réalité des besoins des personnes handicapées, l’association, forte d’un volant
important de bénévoles, va rapidement tenter d’apporter des réponses concrètes aux besoins
non satisfaits des personnes handicapées.
Après le lancement du journal et au-delà du partage d’expérience et de la rupture avec un
sentiment d’isolement, l’association vise rapidement la mise en place de services adaptés aux
personnes handicapées. Le recours à des bénévoles et à des experts ainsi qu’à des aides
matérielles et financières est très vite recherché. Les dons, les legs et l’arrivée croissante de
bénévoles consacrent la sensibilisation croissante de la société française à ce qui apparaissait
encore comme l’histoire malheureuse, et parfois honteuse, de personnes isolées, pour devenir
une question de société. L’émergence de ces premiers services animés par des bénévoles
confirme la structuration progressive du mouvement en faveur des personnes handicapées
dont l’A.P.F. n’aura de cesse d’être le porte-drapeau. L’association organise les premiers
séjours de vacances pour personnes handicapées. En 1941-1942, c’est la mise en place du
premier service social spécialisé pour les personnes handicapées. Un an plus tard, du premier
établissement de scolarisation, de formation professionnelle et de rééducation fonctionnelle.
Ainsi dans les années d’avant-guerre, l’association fait non seulement la preuve de l’existence
d’une demande sociale non remplie mais aussi de l’existence de réponses possibles et
adaptées à ce type de public appréhendé comme des usagers dont les handicaps nécessitent
l’aide d’acteurs en mesure de les secourir. Sa légitimité croissante liée à son ancrage territorial
annonce, avec l’avènement de l’Etat-providence, sa reconnaissance d’utilité publique et la
consolidation via l’arrivée de fonds public, d’une autre logique fondamentale de l’association,
du point de vue de ses pratiques et de la place de l’usager, « une logique d’aide ».
En effet, ces services, comme nous le verrons plus loin, s’inscrivent dès leur origine dans une
logique d’aide apportée par autrui à la personne handicapée. L’introduction après guerre
d’une « logique publique » puis dans les années 70 d’une « logique professionnelle »
participeront de l’institutionnalisation de la logique d’aide, non seulement comme pratique
mais plus largement comme valeur et in fine comme représentation de la personne
handicapée : un usager.
Un usager, un militant, une source d’engagement bénévole, la
personne handicapée concentre sur sa figure une série de représentations articulées à des
pratiques qui font ressource pour l’association mais aussi sa problématique associative de
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développement. En effet, elle suppose des synergies étroites entre deux logiques d’action en
tension : la logique professionnelle d’aide et la logique de mouvement.
2. Le développement d’une logique d’aide et l’introduction d’une logique publique :
1945/1975
Avec la reconnaissance d’utilité publique obtenue en 1945 et l’autorisation de collecte de
fonds sur la voie publique (1948), c’est une autre période qui s’ouvre pour l’association. Celle
de l’introduction d’une logique subséquente (la logique publique) et le développement au
niveau des principes d’actions (des pratiques et des services accordés aux personnes
handicapées) d’une logique d’aide qui s’appuie conjointement sur des ressources publiques et
bénévoles. Le développement de la logique d’aide encadrée réglementairement et
financièrement par la logique publique va s’exprimer à travers l’introduction progressive sur
le territoire français de structures et de services pour handicapés et connaîtra une progression
fulgurante avec la loi de 1975. La logique de mouvement continue cependant durant cette
période à impulser et à encadrer le développement de l’association selon des synergies
originales qui se développent entre les professionnels et les bénévoles de l’association.
En effet, les premières professionnelles de l’association, les assistantes sociales alimentent à
travers un travail régulier d’écoute et de recensement des besoins des personnes handicapées,
les actions locales des délégations qui nourrissent à leur tour le mouvement de reconnaissance
de la personne handicapée engagé par l’A.P.F. Cet état des rapports sociaux entre les deux
logiques où l’une, la « logique professionnelle d’aide », contribue à nourrir l’autre, « la
logique de mouvement » constitue une forme de modèle singulier du fait associatif car il
renverse notamment le rapport traditionnel entre militants qui élaborent le projet associatif et
des professionnels qui l’exécutent. L’élaboration de ce compromis montre, en l’occurrence
comment une logique professionnelle peut contribuer à alimenter la réflexion politique d’une
association. Nous sommes à cette période, semble-t-il, éloignés de la tension inhérente aux
rapports qu’entretiennent ces deux forces autonomes et qui se traduisent assez fréquemment
dans les associations françaises par une subordination d’une logique à l’autre ou par la
coexistence hostile des deux logiques dans un même ensemble.
2.1. Logique de mouvement, logique d’aide et logique publique, une
articulation fondée en valeur
2.1.1. Un engagement dans une logique d’aide
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La Reconnaissance d’Utilité Publique consacre la légitimité du mouvement engagé par
l’A.P.F comme sa capacité à donner corps à la logique d’aide et à inscrire celles-ci dans
l’ordre de « l’intérêt général ». Cette reconnaissance publique confirme la capacité de
l’association à mobiliser conjointement un engagement altruiste (de nombreux bénévoles
participent à la vie de l’association) et professionnel fondé sur des convictions individuelles
s’exprimant par le sentiment d’appartenir à une même humanité.
En effet, l’humanisme philanthropique et la charité chrétienne semblent être des principes
d’action que l’on retrouve dans les valeurs des membres fondateurs. Ils gouvernent, semble-til, majoritairement les motifs de l’engagement bénévole dans l’association et se démarquent
des principes d’auto-organisation propres à la « logique d’entraide ». L’A.P.F, comme dans de
nombreuses autres associations des Trente glorieuses, est principalement gouvernée par une
logique d’aide où les adhérents se mobilisent pour d’autres personnes « les usagers ». Ces
derniers ne sont pas membres de droit de l’association, ils sont avant tout bénéficiaires d’une
action au financement de laquelle ils peuvent participer directement ou indirectement. Ils font
appel à des acteurs, « bénévoles » ou « salariés » pour mettre en œuvre un projet qui dépasse
les moyens dont peuvent disposer les membres. L’homogénéité du groupe se confond avec la
volonté partagée de mettre en œuvre un service pour d’autres.
De même les origines socioculturelles des membres fondateurs, comme par exemple d’un
grand nombre de personnes handicapées à cette époque, des militaires, confère à l’association
un caractère « légitimiste » qui ne la prédispose pas à organiser des actions collectives de
revendications et de manifestations contre l’Etat et sa politique sociale. L’association préféra
plutôt jouer, tout au long de son histoire, de sa légitimité à représenter les personnes
handicapées pour instituer des relations régulières avec l’Etat. C’est donc dans une volonté
politique d’instaurer un « rapport négocié » avec ce dernier que l’association va participer à
faire surgir au sein de l’espace public la question de la place de la personne handicapée au
sein de la société. Stratégie qui va porter ses fruits avec l’avènement de l’Etat-providence qui
entend et reconnaît progressivement la nécessité du développement d’une logique d’aide vis à
vis des personnes handicapées jusqu’à introduire au sein de l’association une logique
institutionnelle : la logique publique.
2.1.2. Le développement des réponses aux besoins
Avec le développement de l’Etat-providence, la perspective retenue est d’abord celle de
l’élaboration qualitative et quantitative de réponses adaptées à des besoins. La logique d’aide
annonce l’absorption de la vie de l’association par les services ou les activités : sa raison
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d’être. La recherche de qualité dans le service rendu se traduit par une exigence de
compétences, bénévoles ou professionnelles.
Cet axe, celui du développement de service, qui va progressivement s’installer au cœur de
l’association, est amorcé à cette époque par l’hybridation de ressources publiques et
bénévoles. Ces principes d’altruismes et de désintéressement comme de recherche de la
qualité de service font naturellement écho à ceux de « l’intérêt général » et de « la mission
d’utilité publique » qui viennent compléter le projet de l’association et s’adosser utilement,
ne serait-ce que d’un point de vue matériel, à la logique bénévole. En effet, l’aide publique
qui vient légitimer le mouvement engagé par l’association dès 1933, ne comble pas, loin s’en
faut, les besoins importants en France. De nombreux bénévoles sont encore nécessaires et
participent de cette logique d’aide inspirée par la charité chrétienne en donnant de leur temps
et de leurs compétences aux établissements qui naissent ici et là. Ils concourent au
développement des services et commencent à être encadrés par les premiers professionnels de
l’association : les assistantes sociales. Les assistantes sociales de l’APF seront l’incarnation
du projet entre l’entraide et l’aide. Elles se mettront au service de la logique d’entraide et
contribueront à alimenter le débat social et de mouvement. Elles seront le trait d’union
permanent entre deux logiques. Elles sont 14 en 1949, 45 en 1954 puis 70 en 1962 et elles
seront 165 en 1986. Ces professionnelles « découvraient tout un monde dont elles n’avaient
eu aucune idée au cours de leurs études18 ». André Trannoy souligne tout ce que l’association
et les personnes handicapées doivent aux « A.S. » : « En passant par la petite porte ici et là,
créant des précédents, une jurisprudence, nos assistantes sociales ont investi la place. A
partir des réussites et des ratés, elles ont élaboré une stratégie spécifique du sauvetage des
invalides, de leur insertion dans la société, et elles ont obtenu des tolérances, puis des droits
(…)19 ».
2.1.3. L’institutionnalisation de l’aide comme pratique
Nous touchons sans doute ici à un moment stratégique de l’histoire de l’association, celui
relatif à la place de l’usager dans les services, et plus largement dans l’association.
La question est importante dans la mesure où elle concerne la nature des processus de prise de
décisions dans l’association, les fondements de l’autorité légitime et in fine, la place de
18
« Le service social de l’Association des Paralysés de France », document interne sans date, que l’on peut
situer selon Nathan Breen, à la fin des années 1970.
19
Risquer l’impossible, Op. Cit.
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l’usager. Autrement dit : jusqu’où la personne handicapée participe-t-elle effectivement à
cette époque à la définition des services dont elle a besoin et, plus largement, à la prise de
décision au sein de l’association ? Dans quelle perspective politique vis-à-vis de l’état se
situe la logique de mouvement de reconnaissance de la personne handicapée ?
Nous faisons l’hypothèse suivante : la participation des usagers à la co-construction des
services qui leur sont rendus, propre à la « logique d’entraide » et qui est repérable au moment
fondateur de l’A.P.F., va opérer à cette période un glissement définitif vers la « logique
d’aide » qui s’institutionnalisera au sein de l’association comme mode de fonctionnement
légitime des pratiques et d’organisation des services. Ce glissement se réalise dans
l’adéquation entre la logique d’aide incarnée dans les pratiques concrètes des premiers
services rendus avec les valeurs charitables des bénévoles, assistantes sociales et des membres
fondateurs.
La régulation qui s’opère à l’époque entre les acteurs serait donc d’ordre moral, d’une éthique
partagée autour des valeurs de désintéressement et de disponibilité. La contrepartie en est la
reconnaissance symbolique du dévouement à une cause d’intérêt général. On assiste ainsi à
cette époque à une première différenciation, voir séparation entre les organes bénévoles
« politiques » qui président aux destinées de l’action et les organes techniques. L’A.P.F
s’approche ainsi d’une dimension « d’association gestionnaire » qui se confirmera par la
suite : elle veille à une utilisation des ressources conformes à l’objet de l’association, à son
caractère désintéressé.
Cette consécration de la « logique d’aide » a pour conséquence directe de rabattre la personne
handicapée sur la figure de l’usager. La parole de ce dernier est médiatisée par les assistantes
sociales. Elles endossent dès cette époque un rôle de « porte-parole » des personnes
handicapées qui va constituer et constitue encore aujourd’hui l’un des fondements de leur
légitimité dans l’association.
C’est donc dans une logique d’aide aux usagers, hybridant des ressources professionnelles et
des bénévoles, que l’association entame sa croissance. Les premières classes spécialisées
voient le jour en 1945 et des établissements spécialisés commencent à se développer dans
différents départements français.
2.2. L’introduction de la logique publique
Les proximités sociales et culturelles des membres fondateurs de l’association comme de ses
premières professionnelles, les assistantes sociales, avec la logique publique vont participer à
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asseoir définitivement le bien commun fondé sur l’engagement altruiste par la reconnaissance
par l’Etat de la mission d’intérêt général remplie par l’A.P.F.
Avec la Reconnaissance d’Utilité Publique, la création des structures d’aide aux personnes
handicapées va en grande partie être déterminée par les procédures publiques, administratives,
d’agrément ou d’habilitation. Autrement dit, si la logique d’aide définit le cadre de la relation
de face à face avec la personne handicapée, la logique publique va orienter et déterminer la
politique de l’association tout au long de son histoire jusqu’à nos jours. Le cœur de cette
stratégie politique relève d’une volonté d’être coopérant avec les pouvoirs publics et le
sentiment de dépendance à l’égard de ces derniers devra être compensé par la pérennité
acquise.
Pour la période des Trente glorieuses, on peut ainsi considérer que l’association inscrit sa
dynamique dans deux logiques qui déterminent son mode de fonctionnement général, celles
de «sa rationalité» :
-
La «logique professionnelle d’aide» fixe le cadre des pratiques et de la place de
l’usager.
-
La «logique de mouvement » fixe le cadre de «l’espace public» constitutif du fait
associatif et matérialisé par les délégations, les Conseils d’Administration et les
Assemblées Générales : celui d’une coopération soutenue avec la logique publique.
La production de cette coopération avec les pouvoirs publics va connaître, avec la loi de 1975,
une forme de consécration et finir d’ériger l’association au rang d’interlocuteur privilégié de
l’Etat sur les questions du handicap. Elle annonce surtout pour l’A.P.F. une période de
croissance exceptionnelle de l’organisation, avec notamment l’entrée massive de
professionnels qui vont techniciser et autonomiser la logique professionnelle.
2.3. Association ou appareil associatif ?
L’Association des Paralysés de France constitue sans nul doute une figure emblématique de la
dynamique associative des associations française dans le contexte de l’Etat-providence : elle
incarne la volonté politique de l’époque d’un développement social des territoires mais elle
illustre aussi comment cette dynamique de co-construction se traduit dans le même
mouvement par une perte de l’autonomie associative et par une bureaucratisation de leur
fonctionnement.
En effet, durant cette période où l’Etat est considéré non pas comme un frein mais comme un
moteur du développement économique et social, les associations d’action sociale vont
connaître un réel essor sous l’impulsion des politiques publiques. Se saisissant de demandes
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sociales non satisfaites par le marché et l’Etat, ces associations, quand elles ne sont pas
directement crées par lui, sont l’objet d’une reconnaissance institutionnelle qui tend à
confondre la dynamique associative avec les politiques publiques.
Albert Meister a conçu quatre phases d’évolution des associations20 : la conquête, c’est-à-dire
la phase de la démocratie directe ; la consolidation économique, lorsque l’association doit
changer pour survivre ; la coexistence, quand le groupe cesse de s’opposer à son
environnement, bien que cet objectif puisse figurer dans les statuts ; et le pouvoir des
administrateurs21, phase au cours de laquelle la gestion est faite par des responsables non élus.
Cet auteur a défendu l’idée que les associations tendent à s’agrandir et que, dans ce processus,
le hiatus entre les dirigeants et les autres membres tend lui aussi à augmenter. En recherchant
une action plus efficiente et adaptée à leur environnement, les associations se bureaucratisent,
se spécialisent, s’institutionnalisent22, bref, se professionnalisent.
Selon ce même auteur, une association, une fois son action dans l’espace public réalisée (pour
l’A.P.F., rendre visible une demande sociale pour engager des moyens issus de la
redistribution publique), finit par se dissoudre, soit par scission, soit par institutionnalisation
totale23. André Trannoy l’avait d’ailleurs posé comme hypothèse lors de sa première rencontre
en 1959 avec le futur secrétaire général Jean-Yves Buisson. Après lui avoir exposé la situation
de l’APF, avec ses soixante-dix-mille membres, une dizaine d’établissements, un budget
important et des projets en cours, il lui avait dit : « Et après ? Quand sera entrée dans les
mœurs
l’intégration
des
handicapés,
scolarité,
travail,
logement,
transport,
vie
sociale…l’APF pourra disparaître. Vers l’an 2000 par exemple24.»
Autrement dit, l’encadrement réglementaire et financier des pouvoirs publics conjugué à un
processus de professionnalisation qui accompagne à cette époque les associations d’action
sociale, tend inéluctablement vers une perte de l’essence associative de ce type
d’organisation. Ainsi, du fait de leur forte proximité avec l’Etat, les associations d’action
sociale tendent à se « dépolitiser » au profit d’une bureaucratisation de leurs organisations.
20
MEISTER A., La Participation dans les associations, Paris, Les éditions ouvrières, 1974.
21
Il faut noter que, dans l’expression d’Albert Meister, le terme administrateur est relatif aux directeurs plutôt
qu’aux dirigeants, membres du Conseil d’Administration.
22
Le processus d’institutionnalisation se fait dans la mesure où les associations contribuent à la dynamique de la
société et à sa régulation.
23
MEISTER A., Vers une sociologie de l’association, Paris, Les éditions ouvrières, 1972.
24
TRANNOY A ., Saga, soixante ans d’aventure, Op. Cit.
Page 20 sur 140
A priori, l’A.P.F. n’a pas échappé à ce mouvement et l’a voulu dans la mesure où, dès
l’origine, la volonté de s’adosser à l’Etat est repérable dans l’esprit des fondateurs.
Ce développement professionnel correspond à une stratégie de l’Etat comme le posent
Renaud Sainsaulieu et Jean-Louis Laville : « Pour permettre aux associations de devenir ses
auxiliaires fonctionnels afin de corriger les effets perturbateurs du marché et assurer la
cohésion sociale, l’Etat providence a financé de fortes créations d’emploi dans les
associations. Ceci a conduit à valoriser le travail des professionnels. La nécessité et
l’obligation d’une technicité (…) demandée par l’Etat aux associations renforce l’importance
du professionnalisme par rapport au bénévolat et l’effacement des activités volontaires dans
les associations gestionnaires au profit du travail salarié25».
Cependant, peut-on aussi rapidement déduire qu’une stratégie politique de « partenariat »
avec l’Etat conduit inéluctablement à une perte de l’essence associative ? La logique de
mouvement est-elle effectivement happée par la reconnaissance publique et débordée par la
logique professionnelle jusqu'à s’y confondre ?
Pour tenter de répondre à ces questions, il est nécessaire de mesurer à la fois le rapport de
l’association à son environnement, c’est-à-dire la nature des revendications de la logique de
mouvement et des accords passés avec l’Etat, mais aussi les contours et le dynamisme de la
vie associative à l’intérieur de l’A.P.F. notamment aux niveaux locaux des délégations.
Les relations entre l’associatif et les pouvoirs publics ne vont pas dans un seul sens. Pour
Jean-Louis Laville : « … si les politiques publiques influent sur les associations, l’inverse est
loin d’être exclu. Plutôt que de parler de contingence, il est alors plus judicieux de parler
d’encastrement politique26 des activités économiques mises en œuvre par les associations
pour désigner l’ensemble des interactions entre pouvoirs publics et associations, …27».
Quoiqu’il en soit, avec la loi de 1975, l’association entre dans une autre période de son
développement. Cette loi va en effet contribuer à renforcer la dimension gestionnaire de
l’association et sa bureaucratisation selon une dynamique singulière, au regard de la grande
autonomie des niveaux locaux de régulations de l’activité, favorisée par la logique
professionnelle.
25
Sociologie de l’association, Op. Cit.
26
En italique dans le texte d’origine.
27
LAVILLE J.-L., SAINSAULIEU R., Sociologie de l’association, Op. Cit.
Page 21 sur 140
3. La croissance exponentielle de l’APF : la professionnalisation de la logique d’aide :
1975 à 2001
Campée sur ses deux jambes, les délégations et les établissements, l’association a, durant la
période d’après-guerre, développé conjointement des revendications en terme de droits
comme de moyens qui participent à alimenter le dialogue entre l’Etat et l’association pour se
traduire par le développement de services différenciés à l’adresse des personnes handicapées
sur l’ensemble du territoire. Les réseaux de proximité tissés par les délégations, relayés par les
structures centrales du siège, vont effectivement contribuer à accroître l’aide publique dont la
traduction est la croissance puis la multiplication à l’échelle du territoire de différents services
et structures à destination des personnes handicapées.
Nous pensons également que l’influence de l’association sur les politiques publiques est à
comprendre à travers la fonction de « lobbying » (entendue au double sens de sensibilisation
et de pressions) du niveau centralisé de l’association, qui puise sa légitimité à interpeller les
pouvoirs publics dans les réseaux de proximité tissés par les délégations avec les demandes
des personnes handicapées. La croissance continue des ressources pendant cette période est
rendue possible par la capacité des établissements de l’association à élaborer des réponses aux
demandes de plus en plus complexes des personnes handicapées, dans une technicité induisant
une professionnalisation continue des services.
Cette dynamique de croissance est à analyser comme le résultat du dialogue régulier entre
l’association et ses partenaires publics. L’association va, en effet, jouer un rôle important dans
la définition des politiques publiques comme de la professionnalisation du champ médicosocial. A ce titre, la loi de 1975 à laquelle l’A.P.F. a grandement contribué28, va aussi se
traduire en interne pour cette dernière par la structuration continue et autonome de la «
logique professionnelle ».
3.1. L’autonomie de la logique professionnelle
L’institutionnalisation d’une logique professionnelle au sein de l’A.P.F. s’inscrit dans le
prolongement historique de la logique d’aide et de la logique publique constitutive de la
période précédente mais interroge, dès cette époque, le rapport social de cette nouvelle
catégorie d’acteur avec la logique de mouvement. En effet, les professionnels qui font
28
En 1974, René Lenoir, secrétaire d’Etat à l’action sociale de 1974 à 1978, reprendra le chantier de la loi de
1975, qu’il travaillera en étroite collaboration avec les associations, et particulièrement avec Claude Lospied, le
« juriste en fauteuil » de l’APF.
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massivement leur entrée dans l’association sont la traduction en terme de moyens de la
logique publique et inscrivent leurs pratiques dans une logique d’aide qu’ils vont stabiliser,
techniciser et renouveler. Cependant,
si l’introduction d’une logique professionnelle ne
constitue pas une rupture dans l’histoire de l’association mais le prolongement de sa
dynamique de développement d’aide et de service de «proximité» pour les personnes
handicapées, elle ne peut être entièrement confondue avec les logiques dominantes du fait de
son autonomie et de son identité.
La logique professionnelle va donc réellement connaître son essor avec la loi de 1975, qui va
permettre à l’association de développer des services qui vont couvrir l’ensemble du territoire.
De 600 salariés en 1967, l’association passe à plus de 9 000 en 1999 et à près de 12 000
aujourd’hui. Cette arrivée massive de salariés semble correspondre dans le même mouvement
à un affaiblissement des liens entre délégations et établissements voire à leurs disparitions.
Avec l’introduction de la logique professionnelle, on assiste à un durcissement des valeurs
d’efficacité et de qualité de la relation d’aide à autrui. L’A.P.F. s’inscrit dans une dynamique
d’innovation régulière qui se matérialise par la mise en place dans le temps de différents types
de services.
La logique professionnelle se caractérise par son autonomie et une culture propre issue d’un
processus de socialisation facilité par l’échange des pratiques, le partage du travail concret et
quotidien, la dynamique des équipes aux métiers à technicités spécifiques et par la formation.
Cette logique peut négliger ou ignorer la dimension du projet associatif. Le contrat de travail
entre l’employeur et le salarié, les référentiels métiers, l’évaluation du travail, les instances
techniques de résolution de problèmes, l’innovation, sont les références instituées de l’action
du professionnel et priment donc sur les dimensions du projet associatif : d’une certaine
façon, elles s’auto-suffisent.
3.2. Un affaiblissement des liens entre le mouvement et les professionnels
Du point de vue de l’organisation générale de l’association, nous retiendrons que la
structuration différenciée de cette logique professionnelle au gré du développement continu
des établissements va progressivement se traduire à l’échelle du département par un
affaiblissement progressif des liens historiques entre «la logique de mouvement» et «la
logique professionnelle d’aide» qui se matérialise notamment par des cloisonnements entre
délégation et établissements au niveau local. D’un point de vue organisationnel, il n’existe par
exemple que très peu de liens fonctionnels entre délégations et structures sur un département
susceptible de participer à une régulation collective et horizontale de l’ensemble. Certes, en
Page 23 sur 140
mai 1995, le Directeur Général institue sur l’ensemble des départements « un comité
départemental», composé uniquement des directeurs d’établissements ou de services et du
délégué, avec l’objectif de remettre du lien entre les deux composantes départementales que
sont la délégation et les établissements : en réalité cette instance va participer à
professionnaliser les relations des cadres dirigeants de l’association et ne permettra pas le
rapprochement des logiques de mouvement et d’aide.
La logique autonome des établissements et des services interpelle le rapport local
délégation/logique professionnelle et plus largement le rapport de l’association et de son
projet.
Cette croissance de l’organisation est régulée par le siège et ses directions techniques, qui
laissent une large autonomie aux structures. Cette régulation centralisée peut se justifier à
l’époque par le niveau, lui aussi centralisé, de l’élaboration des politiques publiques. Mais,
dans ce contexte de forte croissance, la direction centralisée ne maîtrise pas entièrement les
réponses aux enjeux associatifs, laissant s’installer des pratiques locales qui ne sont pas
toujours en phase avec la dynamique affirmée par l’association.
Durant cette période sont fondés bon nombre de structures innovantes qui répondent aux
attentes repérées des personnes handicapées :
. 1954 : Premier atelier protégé pour handicapés moteurs à Reims.
. 1960-70 :
Création du premier « Foyer-résidence » à Tonneins.
Premier service d’éducation et de soins spécialisés à domicile (SESSD), à Brest.
. 1976- 1990 : Essor de la logique professionnelle
-
1976 : Mise en place du premier service d’auxiliaires de vie (SAV).
-
1987 : Première intervention d’ergothérapie à domicile.
-
1990 : Premier appartement de préparation et d’entraînement à la vie
Autonome (APEA).
-
1993 : Première équipe spécialisée pour une vie autonome à domicile (ESVAD).
« L’effet d’aubaine » de la loi de 75 a bien contribué à dynamiser la croissance des services et
des structures au service des usagers comme à «institutionnaliser» la logique professionnelle
au sein de l’association.
Au 31/12/2011, L’A.P.F. employait 11 443 salariés auxquels s’ajoutaient 1 382 travailleurs
handicapés répartis dans les 25 établissements et services d’aide par le travail (ESAT).
Page 24 sur 140
A titre de comparaison, dix ans plus tôt (chiffres de 1999), ils étaient 8 871 auxquels
s’ajoutaient 855 travailleurs handicapés dans 20 Centres d’Aide par le Travail (CAT).
La répartition des salariés s’opère de la manière suivante :
-
236
au siège national (192 en 1999)
-
764
dans les délégations et les services d’auxiliaires de vie (1 635 en 1999)
- 3 739
dans les structures médico-éducatives (2 725 en 1999)
- 4 961
dans les structures d’hébergement et de vie sociale (2 290 en 1999)
- 1 743
dans le travail adapté (2 029 en 1999)
Nous pouvons constater que cette croissance ne concerne que les services médico-sociaux et
médico-éducatifs et remarquer la forte diminution des professionnels dans les délégations, qui
renforce l’hypothèse que nous faisons du basculement de la logique de mouvement à la
logique de professionnalisation.
Le développement des services n’est pas homogène dans la mesure où il se traduit par une
présence inégale selon les régions, mais aussi et surtout en termes de services offerts, de types
d’organisation et de cultures de métiers.
On repère, en effet, aujourd’hui au sein de l’A.P.F. :
97 délégations départementales, 135 structures médico-éducatives29, 212 structures pour
adultes30, 54 établissements de travail protégé31, 149 séjours de vacances organisés par APF
Evasion.
La taille de l’organisation et le caractère différencié de toutes ses structures, l’autonomie de
ses différents services professionnels, les rapports qu’entretiennent entre eux les
29
15 centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP), 70 services d’éducation et de soins spécialisés à
domicile (SESSD, 1 centre de rééducation fonctionnelle (CRF), 22 instituts d’éducation motrice (IEM), 3 IEM
pour collégiens, lycéens et étudiants, 4 IEM de formation professionnelle (IEM FP), 2 foyers scolaires, 18
structures Handas (Handicaps Associés, une association intégrée à l’APF et qui s’occupe du poly-handicap).
30
21 Services d’Accompagnement et d’Aide à Domicile (SAAD) ou Services Auxiliaires de Vie (SAV), 97
services d'accompagnement, dont : 65 Services d’Accompagnement et de Vie à Domicile (SAVS), 27 Services
d’Accompagnement Médico-Sociaux pour Adultes Handicapés (SAMSAH), 5 autres types de structures
d’accompagnement. 80 structures d'accueil ou d’hébergement, dont : 3 Appartements de Préparation et
d’Entraînement à la Vie Autonome (APEA), 7 accueils de jour, 43 foyers de vie, 18 Foyers d’Accueil Médicalisé
(FAM) ou section FAM, 9 Maisons d’Accueil Spécialisé (MAS) ou section MAS. 14 structures pour personnes
polyhandicapées.
31
25 Etablissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT), 29 Entreprises de travail adapté dont : 23
Entreprises Adaptées (EA), 6 Centres de Distribution de Travail à Domicile (CDTD)
Page 25 sur 140
établissements et les délégations inscrits dans deux logiques différentes, posent la question de
la cohérence de l’organisation du point de vue de la stratégie de mise en place et de
dynamisation de son projet associatif.
En même temps, la demande de la personne handicapée a évolué, l’association est confrontée
à l’obligation d’adapter ses réponses.
3.3. La logique de mouvement à l’épreuve de la professionnalisation et de
l’individualisation de la demande
A partir des années 70, l’association est confrontée à un infléchissement des demandes
portées par les personnes handicapées, qui aspirent de plus en plus à pouvoir mener une vie
sociale intégrée à leur milieu domestique. Ces revendications de services plus souples offrant
la possibilité d’un accompagnement à domicile sans pour autant rejeter les formes classiques
de réponses en milieux fermés recouvrent selon nous, une demande d’une reconnaissance
sociale et subjective de la personne au-delà de son handicap qui fait écho au phénomène
sociologique d’une nouvelle étape de la modernité : l’individualisation.
3.3.1. Les métiers à l’épreuve de l’individualisation de la demande
Cet infléchissement constitue en premier lieu un défi posé à la logique professionnelle d’aide
dont les savoirs se sont essentiellement constitués dans les établissements et les pratiques
selon une relation instrumentale et standardisée de service offert à l’usager. La prise en
compte des dimensions environnementales de la personne, c’est-à-dire des dimensions
culturelles et sociologiques propres à son milieu de vie mais aussi des dimensions subjectives
de l’usager, affective et psychologique, invite à un infléchissement sensible des réponses
historiquement constituées de l’association. D’une organisation structurée selon des
approches thérapeutiques et des modes de réponses standardisés, cette dernière doit désormais
revisiter ses pratiques dans une perspective élargie et donner à l’organisation des métiers une
flexibilité suffisante pour développer des réponses sur-mesure.
Ces revendications vont ainsi conduire l’A.P.F. à innover en créant de nombreuses Equipes
Spécialisées pour la Vie à Domicile (ESVAD). L’introduction de nouveaux métiers, de
nouvelles façons de faire et de considérer la personne handicapée ne se font pas sans
difficultés dès lors qu’il s’agit notamment de s’organiser collectivement pour développer des
réponses sur-mesure et ne manque pas non plus d’introduire un clivage entre réponses
«institutionnelles» et réponses «innovantes» au sein de la logique professionnelle.
Page 26 sur 140
A un autre niveau, alors que jusqu’à présent ces innovations venaient s’agréger dans les
départements à d’autres services et à côté des délégations, on repère ici une rupture dans
l’ordre de l’agencement des différents types de services. Le rattachement des ESVAD aux
délégations constitue en effet une singularité qui interroge le processus à l’œuvre : s’agit-il
d’une dynamique de rapprochement de la logique professionnelle avec celle du mouvement
ou au contraire, d’une tentative «d’annexion» ?
3.3.2. L’individualisation, une demande de service et/ou une demande
politique ?
Joseph Haeringer écrit que :
« A travers l’obligation d’individualiser les prestations, l’action sociale fait de
l’individu le paradigme de ses interventions. Pour ambiguë qu’elle soit face au
risque consumériste, l’expression « mettre l’usager au centre » marque le
déplacement des critères d’appréciation sur la qualité des services ainsi que la
transformation de leur modèle de professionnalité. Elle questionne la légitimité
du professionnel face à celle de l’usager en référence à sa qualité citoyenne.
L’affirmation de droits n’implique pas seulement l’existence de dispositifs
organisationnels sur lesquels les individus peuvent prendre appui pour exister et
s’exprimer comme usagers. Elle en appelle aussi à des principes institutionnels
qui légitiment et suscitent cette participation auprès de tous les acteurs.
Cependant cette individualisation nous conduit à réfléchir au-delà de la satisfaction
d’une demande d’usagers. Les lois régissant l’action sociale et médico-sociale qui se
sont succédé cette dernière décennie marquent une mutation du référentiel des
politiques publiques dans l’articulation de la liberté et de l’égalité, deux principes
qui fondent la solidarité. L’individu fragilisé dans son existence n’est plus celui que
l’on protège ou que l’on assiste au nom de l’égalité citoyenne, mais celui qui est
sollicité dans sa capacité à être autonome, à assumer sa liberté d’entreprendre. Il lui
est demandé d’avoir un projet, des objectifs, bref d’assumer sa responsabilité comme
individu supposé autonome, condition requise pour accéder aux prestations socioéducatives, alors même que sa précarité individuelle en appellerait à des étayages
sociaux.» 32
32
HAERINGER J. (sous la direction de), La démocratie, un enjeu pour les associations d’action sociale,
Collection « Solidarité et société », Editons Desclée de Brouwer, 2008.
Page 27 sur 140
On le mesure, les associations de proximité et les actions entreprises au plus près de la
subjectivité des individus ont plus que jamais un rôle décisif à jouer dans le renouveau de la
vie de la cité.
Dans cette perspective, le rattachement des services d’aide à domicile apparaît a posteriori,
comme l’occasion d’un possible raccordement des logiques professionnelles et de mouvement
autour de la personne handicapée, de ses attentes et besoins qui mêlent de plus en plus un
registre instrumental, le service adapté et un registre civique, être acteur de sa propre vie.
Autrement dit, il s’agit ici d’interroger les formes de coopération réelles et possibles entre ces
deux logiques qui reçoivent en un même lieu une demande traitée séparément.
3.3.3. Les enjeux contemporains du fonctionnement démocratique de l’A.P.F.
Il n’en reste pas moins que la capacité de la logique de mouvement à s’adapter aux évolutions
des attentes et besoins des personnes handicapées reste bien réelle. En témoignent les
mobilisations collectives de 199233 avec pour revendications celles d’ « exister, vivre dans la
dignité, être citoyen et pouvoir choisir son mode de vie », et 1999, plus axée sur la demande
d’un droit à la compensation du handicap. A cette occasion, l’A.P.F. que son caractère
légitimiste n’avait pas prédisposée dans l’histoire à participer à des formes de revendication
critique, publique et de masse, n’a pas hésité à appeler ses adhérents à la mobilisation. La
logique de mouvement montre ainsi, sous une forme nouvelle, comment son travail d’écoute
et de proximité auprès de la personne handicapée produit des réponses sous forme de services
mais permet aussi de mobiliser des personnes handicapées qui souhaitent et ont fait la preuve,
lors de ces manifestations, de leur volonté et de leurs capacités à être de plus en plus actrices.
Ces différentes évolutions dans l’historicité de la logique de mouvement conjuguées à la
croissance exponentielle de l’organisation font émerger des questions au sein de l’association.
Ne faut-il pas s’interroger sur les conditions de la participation renouvelée des adhérents à la
vie associative ? Ne faut-il pas élargir les espaces de débats et d’élaboration des projets et des
actions au delà des espaces historiques qui ont été ceux de l’APF, à savoir les délégations
départementales dans leur organisation «missionnaire» et le Conseil d’Administration ? Ne
faut-il pas établir des liens avec des instances participatives des adhérents et des usagers qui
restent à définir selon leurs attentes ou au gré des réglementations à venir ?
33
25 000 manifestants dans les rues de Paris, « Une journée qui restera inoubliable dans l’histoire de l’APF »
selon André Trannoy, Magazine Faire Face, mai 1992.
Page 28 sur 140
Cette problématique organisationnelle et politique dépend cependant des aspirations effectives
des adhérents d’aujourd’hui en termes d’attentes de participation. Le nombre important
d’adhérents est un indicateur d’empathie pour l’association, mais il ne dit rien sur les
représentations du politique qu’ils ont, pas plus que sur les attentes de formes de participation
des personnes handicapées dans le fonctionnement démocratique de l’A.P.F.
4. La rupture inaugurale : retour d’une logique de mouvement : de 2003 à 2011
Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu34 pensent que le secteur associatif est directement
confronté à cette question du sujet individuel comme acteur à travers les spécificités que lui
confèrent ses modalités de recrutement, de décision et de fonctionnement quotidien. Comme
nous sommes passés de « l’ayant droit, bénéficiaire » à « l’individu-sujet », les associations
se réinterrogent sur « leur sens » alors qu’elles étaient légitimées sur leurs savoir-faire
techniques. Elles ont su développer une multitude d’établissements sans se soucier de
l’intégration, et aujourd’hui les usagers qui arrivent sur la scène des acteurs locaux,
bousculent l’organisation associative. Une pluralité d’espaces civils se sont institués et
ouverts tant dans les structures que dans l’espace public associatif. Ce sont par exemple, les
conseils de la vie sociale, et pour l’APF, ce sont le Conseil National des Usagers mais aussi
les groupes d’expression d’adhérents à tous les niveaux de l’organisation et particulièrement
au moment des assemblées générales. L’exigence démocratique est posée comme nécessaire à
l’émergence d’un nouveau monde commun.
Le congrès A.P.F. de 1997 qui aboutira officiellement à l’adoption de la Charte de l’APF et au
lancement de l’écriture du premier projet associatif de l’association, contribuera à révéler la
question des relations de pouvoir entre les professionnels et les adhérents ainsi que ses effets
sur la culture de l’association.
Dans notre travail exploratoire, nous avons rencontré Jean-Marie Creff, vice-président de
l’APF à l’époque :
« Ce Congrès a été un moment clef du déclenchement de la nouvelle organisation.
Au cours des ateliers mis en place pour favoriser les échanges et les débats,
certains membres du CA, et surtout la vice-présidente, qui est ensuite devenue
présidente, se sont aperçus que les discours des adhérents étaient étouffés par les
professionnels, présents majoritairement : assistantes sociales, directeurs
d’établissements. Or, une association appartient à ses adhérents. Le CA a alors
34
Sociologie de l’association, Op. Cit.
Page 29 sur 140
décidé de diminuer le nombre des professionnels invités au Congrès, d’augmenter
le nombre d’adhérents et de réorganiser le fonctionnement politique en mettant en
place des Conseils Départementaux, des Conseils Régionaux et trois Commissions
Nationales : politique de la famille, politique de la jeunesse et revendication.
Cette réorganisation, appelée « démocratie ensemble », a souhaité se fonder sur
la démocratie, ainsi chaque instance est élue démocratiquement.» 35
Si le projet associatif doit permettre la mise en dynamique d’un projet partagé, encore faut-il
qu’une culture commune, professionnelle et de mouvement social existe, et se soit donc
construite par le passé. Le constat d’un fossé abyssal qui s’était installé entre, d’une part,
l’expertise des professionnels, leur forte indépendance et leur toute puissance et, d’autre part,
la logique de mouvement en mutation confrontée à l’individuation des demandes de
participations et de besoins, posera aux dirigeants politiques de l’association, en l’occurrence
le présidente à l’époque, la question essentielle d’un nouvel équilibre à trouver entre le
politique et le technique.
Une première motion votée au Congrès de Marseille en 2000, à la grande majorité des
adhérents présents ou représentés, stipulera que : « L’Assemblée Générale mandate le Conseil
d’Administration pour réfléchir à la mise en place des instances démocratiques nécessaires à
l’exercice des responsabilités des adhérents, au niveau départemental et régional ».
Un groupe de pilotage, animé par la Présidente a été constitué36. Initialement composé
d’administrateurs, il a été élargi à une représentativité des acteurs de l’APF. Ce sont 16
membres parmi lesquels se trouvent des administrateurs, des membres des commissions
nationales, deux délégués, un directeur d’établissement, un directeur régional, et quelques
cadres du siège dont le directeur général adjoint, qui ont reçu pour mission commune de
mener à bien cette réflexion sur la participation démocratique, en coordonnant les
propositions des adhérents, des salariés et des bénévoles. Un relais régulier était organisé avec
les Directeurs Régionaux chargés de coordonner l’organisation des concertations sur les
départements et les régions.
35
Extrait d’un entretien exploratoire avec Jean-Marie Creff, ancien vice-président de l’APF, président de la
commission vie associative, chargé par le Conseil d’Administration de mettre en place la démarche
« Démocratie ensemble », qui a abouti à la création des Conseils Départementaux.
36
Marie-Sophie Desaule, présidente de l’A.P.F. au moment de cette réorganisation, a été déterminante dans la
mise en place de la démarche « Démocratie ensemble » : c’est elle qui a imaginé le dispositif.
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Aucun représentant d’usagers n’a fait partie du comité de pilotage ; il était prévu que le lien
puisse se faire dans le cadre de la mise en place du Conseil National des Usagers (CNU)37.
4.1. Une nouvelle logique de mouvement : un nouveau leadership
Pour le Conseil d’Administration, l’enjeu d’une réorganisation de la démocratie à l’APF doit
avoir un impact sur la place de tous les acteurs associatifs, puisqu’il s’agit de revisiter
l’ensemble du fonctionnement de l’association. Dans le guide méthodologique, il est précisé
que « donner la parole aux uns n’exclut pas la parole des autres : l’APF sera vigilante sur le
fait que cette mission soit vécue comme un enjeu collectif, au bénéfice d’une cause commune :
donner à l’adhérent, qui constitue le socle de notre existence associative, une place
prépondérante. L’implication de tous sera le gage de réussite de ce projet.» 38
La question de l’identité associative à travers une logique de mouvement semble (re)posée.
Cette identité paraît nécessaire à reconstruire autour d’une appartenance idéologique par une
adhésion commune à l’action revendicatrice.
Pour ce faire il faut interpeller les acteurs de l’association, surtout ceux qui ne sont pas dans
un rapport utilitariste à l’association, c'est-à-dire les « adhérents», mais pas encore les
«usagers». Si le bien commun originel avec les adhérents se « remobilise », alors
l’organisation qui sera proposée permettra de redistribuer les pouvoirs, de réinterroger les
légitimités et de redonner du sens à une organisation en pleine croissance.
Si le projet « Démocratie Ensemble », déclenche, à partir de 2003, du mouvement social, il est
également accompagné d’une crise identitaire forte de la part des professionnels et
particulièrement des délégués départementaux : « elle (la réorganisation) a produit le retrait
du devant de la scène des délégués départementaux et la réapparition des adhérents. Il y a eu
des discussions très véhémentes.»39
L’objectif est précis, il s’agit de proposer une nouvelle organisation de l’APF, qui puisse : «
assurer la place prépondérante des adhérents, tout en permettant aux autres acteurs d’être
associés à la vie de l’association40». Cette proposition sera soumise au vote de l’Assemblée
Générale lors du Congrès de 2003.
37
Le Conseil National des Usagers est une instance composée de représentants élus par les membres des
Conseils de Vie Sociale de l’ensemble des structures de l’A.P.F. qui en ont.
38
Document interne APF, Guide méthodologique : Démocratie, ensemble. A l’usage des Directeurs Régionaux,
Direction de la Communication, février 2006.
39
Extrait d’un entretien exploratoire avec Jean-Marie Creff, Op. Cit.
40
Guide méthodologique : Démocratie, ensemble. A l’usage des directeurs régionaux, Op. Cit.
Page 31 sur 140
La présidente de l’association adresse une lettre à l’ensemble des adhérents en janvier 2002,
pour annoncer officiellement le lancement de la démarche « Démocratie Ensemble.»
Dans cette lettre, l’enjeu est clair :
« … avec vous 35 000 adhérents ont fait le choix d’une parole collective…L’APF
lance donc, avec vous et pour vous, une démarche d’envergure dont l’objectif
prioritaire est de favoriser l’expression et les responsabilités des adhérents. Votre
délégué(e) vous invitera, …, à participer à une journée de réflexion et d’échange
sur cette question. … ce projet nous amènera, lors du congrès 2003, à poser les
fondations de l’APF de demain, grâce à vos propositions. Il est important que
vous participiez à ce travail démocratique. Votre parole d’adhérent doit, plus que
jamais, être entendue pour que, ensemble, nous construisions une APF conforme
à votre engagement et à vos espoirs. Je compte sur vous comme vous pouvez
compter sur le Conseil d’Administration.»
Trois questions serviront de fil rouge à l’expression :
1. « Vous êtes engagés à l’APF. Quels sont les éléments qui, selon vous, favorisent ou
freinent votre prise de responsabilité ?» Pour les salariés, les délégués et les
directeurs, la question se terminait par : «…favorisent ou freinent la prise de
responsabilité des adhérents ?»
2. «
Comment
vivez-vous
l’organisation
de
votre
délégation :
Assemblée
Départementale, équipe départementale, groupes de travail, représentations ?» Pour
les salariés, les délégués et les directeurs, la question était la suivante : «Comment
vivez-vous votre place, votre mission, ainsi que la place de l’adhérent APF dans cette
organisation ?»
3. « Faut-il faire évoluer (et comment) l’organisation de votre délégation ? Faut-il créer
une organisation similaire à l’échelon régional ?»
En support à ces rencontres un plan de communication a été établi afin d’accompagner
fortement la démarche entre 2001 et 2003 :
-
un livret de présentation du projet destiné à l’ensemble des acteurs de
l’association ;
-
création d’un 4 pages (bimestriel) pour suivre l’avancement du projet au fil
des mois ;
-
un support power point de présentation du projet et un kit pour l’animation des
réunions ;
Page 32 sur 140
-
une urne signalée « Démocratie Ensemble » mise à disposition dans tous les
endroits où se rendent les adhérents ; une boîte à idées permanente ;
-
création d’une chronique spéciale et interactive sur le site internet de l’APF ;
-
création d’une rubrique dédiée dans l’ensemble des publications de
l’association.
L’ensemble des premières rencontres se sont déroulées entre février et mars 2002. Des
propositions d’organisation seront ensuite élaborées en juillet. En novembre et décembre de
nouvelles rencontres régionales se dérouleront à partir des différents scénarios proposés par le
CA. Les 29 et 30 mars 2003 des assemblées départementales préparatoires au congrès seront
organisées, permettant une consultation des adhérents par les membres du CA. Puis en 2003,
Congrès de Toulouse et vote de la proposition du CA, suite au mandat reçu lors de
l’Assemblée Générale de Marseille en 2000.
4.2. Une nouvelle organisation politique
Cette nouvelle organisation, avant d’avoir été mise au vote de l’Assemblée Générale lors du
congrès de Toulouse les 12/13 et 14 juin 2003, a été soumise aux votes des assemblées
départementales les 29 et 30 mars 2003. Plus de 3400 adhérents s’exprimeront. 80% des
départements donneront un avis favorable au projet de réorganisation, 7% voteront
négativement, 9% s’abstiendront et enfin 3% ne dégageront pas de majorité.
La réforme sera approuvée à Toulouse par 60% des adhérents présents.
Ce changement va modifier en tout premier lieu l’organisation des délégations, puis impactera
les relations entre les délégations, les établissements et les services.
Le délégué départemental historique était habilité, aux termes de l’article 11 des statuts
à « représenter et gérer l’association ainsi qu’à animer son activité associative et sociale,
dans le ressort et avec les limites qui lui sont définies par le Conseil d’Administration. »
La nouvelle organisation confie désormais la représentation politique à un conseil
départemental élu parmi les adhérents du département. Ce conseil élira en son sein un
représentant départemental et un suppléant. Le Délégué sera nommé Directeur de la
Délégation Départementale (DDD). Le même principe est agréé pour la région, à savoir, un
Conseil de Région qui sera composé des représentants et des suppléants départementaux.
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Organisation de l’APF avant la refondation
Assemblée générale
Direction générale
Conseil d’administration
Commissions nationales
Comité technique régional
animé par le directeur régional
Assemblée départementale
Comité départemental
animé par le délégué départemental
Délégation départementale
Organisation de proximité
Directions
d’établissements
ou de services
4
Le schéma ci-dessus présente l’organisation de l’APF avant 2003 à travers ses instances
participatives ou de concertations.
Dans celui-ci-dessous, il s’agit de la nouvelle organisation validée par le congrès de Toulouse
en juin 2003. Les parties colorées en gris montrent les nouvelles instances qui ont été créées.
Le conseil départemental (CD) élu et donc démocratiquement légitimé, reste une instance
encadrée.
Nous sommes dans une logique de démocratie représentative et pas dans une logique de
démocratie directe.
Nouvelle organisation de l’APF
Assemblée générale
Direction générale
Conseil d’administration
Commissions nationales: politique
de la famille, de la jeunesse, action et
revendication
Conseil de Région
Groupes
d’initiatives
Comité technique régional
animé par le directeur régional
Assemblée départementale
Comité technique départemental
Conseil départemental
animé par un représentant
élu avec un suppléant
animé par le « directeur de la
délégation départementale »
Délégation départementale
Organisation de proximité
Directions
d’établissements
ou de services
Groupes relais
animés par des représentants locaux
14
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Par ailleurs les règles prédéfinies des conseils départementaux sont édictées41 :
-
le conseil départemental met en œuvre les orientations politiques nationales de
l’APF et définit les orientations politiques départementales ;
-
il participe à la définition des actions ressources de la délégation afin de
permettre la réalisation des orientations décidées ;
-
il organise parmi les adhérents la représentation politique de l’APF dans le
département et désigne les représentants par délégation du Conseil
d’Administration ;
-
il donne un avis préalable sur les projets du département soumis au Conseil
d’Administration ;
-
il prépare et arrête l’ordre du jour de l’Assemblée Départementale ;
-
il est à l’écoute des adhérents, et valide les groupes « initiatives » du
département ;
-
il se tient informé des activités et des animations des groupes relais ;
-
enfin il rend compte de son mandat aux adhérents au cours de l’Assemblée
Départementale.
La première mission du conseil précise d’emblée sa subordination au CA, puisqu’il « doit
mettre en œuvre les orientations politiques nationales ».
Dans les synthèses des réunions interrégionales, les adhérents ont largement évoqué à travers
la question des conditions qui pour eux pouvaient favoriser la prise de responsabilité,
l’importance du local : « c’est le secteur géographique de proximité. Ce niveau représente le
fondement de l’action associative au sein duquel se développent les actions de lutte contre
l’isolement, se tissent les liens de solidarité, s’initie la construction de la politique de
revendication de l’APF (expression des besoins, actions locales de revendication, présence
représentative). Son autonomie financière provient du financement obtenu par ses
membres42». Quant au national, «c’est l’écoute des adhérents qui est largement plébiscité par
les participants des réunions. Attention ! … (est-il écrit dans la synthèse) …, la confusion
règne entre le Conseil d’Administration et le siège national, tous deux qualifiés de parisiens.
L’écoute attentive n’est pas l’unique mission à confier au niveau national, cela s’accompagne
41
Document interne APF, Nouvelle organisation « Démocratie-Ensemble », Conseil d’Administration du 24 mai
2003, daté du 19 mai 2003.
42
Document interne APF, Synthèse des réunions interrégionales, juin 2002.
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d’aide et de soutien. Sont rejetées les injonctions, les ordres venus du siège national et/ou du
Conseil d’Administration. 43»
Dans cette nouvelle organisation politique, les missions du représentant départemental élu44
sont les suivantes :
-
il anime le conseil départemental ;
-
il élabore l’ordre du jour avec son suppléant et le directeur de la délégation
départementale (DDD) ;
-
il veille au bon fonctionnement du CD ;
-
Il s’assure que les décisions prises par le CD s’inscrivent bien dans les
orientations de l’APF. Pour cela le DDD pourra apporter les informations
nécessaires pour éclairer les décisions du CD au regard des positions
nationales de l’association ;
-
Il est précisé dans ces premières missions que les membres du comité
départemental45 pourront être également sollicités pour participer à des
réflexions du CD ;
-
il convoque et anime l’assemblée départementale ; il confie la réalisation et la
présentation du rapport d’activité et financier de la délégation au DDD ;
-
enfin, et c’est certainement ce qui va marquer la rupture d’une façon majeure,
le représentant départemental est le porte-parole des adhérents et a pour
responsabilité la représentation de l’association. Le représentant départemental
pourra se faire accompagner dans le cadre de ses représentations du DDD
et/ou de tout professionnel ou adhérent en fonction des sujets ;
Voilà pour l’essentiel des missions du conseil départemental et du représentant départemental.
Toute cette démarche « Démocratie-Ensemble » a fait l’objet de nombreuses publications
internes tant sur le sens donné par l’APF à cette démarche, que sur les conditions de la mise
en œuvre du changement. Au-delà des missions, ont été définis : le nombre d’élus par
43
Op. Cit.
44
Nouvelle organisation «démocratie-ensemble», Op. Cit.
45
Pour mémoire le comité départemental est composé des directeurs et animé par le délégué. Cet espace de
travail entre ce comité et ce conseil départemental augure un futur espace de coopération entre le politique et le
professionnel.
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département46, la composition du CD entre le nombre d’adhérents handicapés non salariés (au
moins 60%) et le nombre d’adhérents salariés (au plus 20%), la durée du mandat et son
éventuel interruption avant terme, les conditions de fonctionnement, la gratuité du mandat, et
enfin un certain nombre de dispositions transitoires permettant aux départements
expérimentaux de s’ajuster au calendrier électoral officiel.
Le tout a été encadré, à postériori des expérimentations, par un règlement de fonctionnement
qui dans son article 1 définit la nature de l’engagement de ses membres :
-
les membres du conseil départemental s’engagent à respecter la Charte de
l’APF et les orientations politiques de son CA. Cet engagement est confirmé
par un écrit ;
-
en cas de non respect de cet engagement par un ou plusieurs de ses membres,
le conseil départemental peut saisir le CA qui évaluera la situation et prendra
les dispositions adéquates ;
En 2004, ce sont 15 départements pilotes (un par direction régionale) qui ont servi de terrain
expérimental. Fin 2006 tous les conseils ont été élus et les délégués départementaux sont
devenus directeurs de délégation départementale : « Le résultat a dépassé toutes les
espérances, les CD ont eu un succès inimaginable. Le constat a été qu’il y avait beaucoup
plus de votants pour les CD que pour le CA.»47
4.3.
Les élus des conseils départementaux, des acteurs associatifs engagés
L’analyse de l’histoire de l’APF nous montre que l’engagement est un acte originel, au
fondement de l’association. Engagement des fondateurs, personnes en situation de handicap et
très dépendantes, qui ont voulu revendiquer leur autonomie à une époque ou les
représentations sociales du handicap conduisaient à une stigmatisation, une mise à l’écart, une
condamnation à vivre enfermé au sein de sa famille ou dans des auspices, hors de la cité et du
monde social des valides.
La croissance de l’association, en relation d’interdépendance avec le développement de la
réponse sociale, a continué à favoriser les engagements des acteurs associatifs, mais dans des
registres et avec des objectifs différents. Le rapport à l’engagement des individus a aussi
46
5 élus pour les départements avec moins de 200 adhérents, 9 élus entre 200 et 400 adhérents, 15 élus pour plus
de 400 adhérents.
47
Extrait d’un entretien exploratoire avec Jean-Marie Creff, Op. Cit.
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changé, re-questionnant le lien entre l’individu et le collectif. Comment un individu qui venait
rencontrer l’association allait transformer cette rencontre en engagement ?
Le bénévolat s’est technicisé, l’action associative s’est professionnalisée, portée par des
bénévoles ou des salariés. Cette technicisation a obligé l’association et ses acteurs à adopter
les modèles de l’entreprise, l’organisation s’est structurée en se rapprochant des institutions,
l’engagement n’a plus semblé être un acte primordial que l’association recherchait, occupée à
développer et gérer les nombreuses structures qu’elle avait créées. L’engagé s’était transformé
en usager, l’acteur associatif en consommateur.
On aurait pu penser que la professionnalisation de l’action associative, le passage d’une
logique de mouvement à une logique technique, gestionnaire, qui appelait une
professionnalisation des acteurs, aurait fait disparaître les motifs d’engagement. Mais quand
les conseils départementaux se sont mis en place, de nombreux adhérents ont souhaité
s’engager pour les rejoindre.
L’historicité de l’association, a-t-elle produit des acteurs immuables, les valeurs qu’elle porte
depuis sa création, transmises par des générations d’adhérents, de bénévoles puis de salariés,
sont-elles incarnées à tel point qu’il suffit de donner l’occasion de s’engager pour que les
acteurs se manifestent aussitôt ? Ce constat est-il propre à l’APF ou traverse-t-il toutes les
associations, fait-il partie de la logique associative ?
Nous voulons profiter de cette recherche pour mieux comprendre le sens de cet engagement.
Est-il inscrit dans le contexte de l’évolution de l’APF, celui d’une professionnalisation du
bénévolat, et ainsi, les élus des CD sont-ils des nouveaux « professionnels associatifs » ? Les
histoires de vie des adhérents engagés, en dehors et à l’intérieur de l’association ont-elles
cristallisé des éléments déclencheurs de l’engagement ?
Il nous semble maintenant nécessaire de construire un cadre théorique à partir des concepts
apparus de professionnalisation, d’engagement, et de parcours.
Nous les utiliserons pour construire une méthode sociologique qui nous aidera à décrypter le
sens de cet engagement, inscrit dans l’histoire collective d’une association et dans le parcours
individuel des personnes qui en sont devenus acteurs en rejoignant son monde social.
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CHAPITRE 2 : CADRE THEORIQUE
Les éléments contextuels que nous venons de développer, liés à l’histoire de l’APF et à sa
double logique consubstantielle, logique de mouvement et logique de professionnalisation,
demandent que nous éclaircissions le concept de professionnalisation rapporté à la question de
l’engagement associatif : l’évolution de l’APF, comme d’autres associations fondées sur une
logique de mouvement, l’a vue, durant son histoire de plus de soixante-dix ans, questionner
son rapport aux institutions, ses modes de concertation avec les pouvoirs publics et mettre en
jeu sa légitimité.
1. La professionnalisation du bénévolat associatif
Denis Bernardeau-Moreau et Matthieu Hély estiment qu’il il faut prendre au sérieux l’idée
d’une « professionnalisation » du bénévolat associatif. Ils tentent d’en repérer les indices dans
les données des enquêtes statistiques menées par l’INSEE48 depuis 20 ans49. Si la salarisation
est un indicateur très fort de la professionnalisation, elle n’en est pas pour autant le seul. La
professionnalisation caractérise l’ensemble du monde associatif et se situe bien au-delà du
bénévolat se traduisant par l’explosion de l’emploi de salariés employés par des « entreprises
associatives50 ». Par professionnalisation, ils entendent un processus de rationalisation à la
48
Institut national de la statistique et des études économiques.
49
BERNARDEAU-MOREAU D. et HELY M., La sphère de l’engagement associatif : un monde de plus en plus
sélectif, La Vie des idées, 31 octobre 2007.
50
Mathieu Hély distingue quatre formes d’entreprises associatives :
-
L’entreprise associative gestionnaire se caractérise par une proximité à l’égard de l’action publique
qui lui confère le statut d’organisme complémentaire, voire d’auxiliaire de l’Etat-providence. Elle est
fortement dépendante vis-à-vis des pouvoirs publics et conduit à un effacement des activités bénévoles
par rapport au travail salarié.
-
L’entreprise associative militante est aussi organisée en concertation avec les pouvoirs publics, mais
l’éthique associative incarnée par les bénévoles et l’attachement au projet fondateur garantissent une
relative indépendance dans la gestion et les orientations collectives. La professionnalisation des
travailleurs de l’entreprise associative militante cristallise un conflit de légitimités entre des membres
revendiquant l’éthique du don de soi et des salariés soucieux de leur reconnaissance professionnelle, qui
sont recrutés parmi les volontaires et sous la forme de statuts souvent hybrides, à la frontière du
bénévolat et du salariat.
-
L’entreprise associative marchande se compose essentiellement de bénévoles qui sont à l’origine de
la création du groupement. La socialisation professionnelle du travailleur associatif se développe sur le
Page 39 sur 140
fois en termes de compétence (dont le degré de spécialisation devient plus élevé) et en termes
de statut s’exprimant par une salarisation mais aussi par l’institutionnalisation de professions
(ne parle-t-on pas aujourd’hui de « bénévole professionnel » ou de « professionnel
bénévole » ?). Dans le cas du bénévolat associatif, la professionnalisation s’exprime
notamment par la participation bénévole qui requiert de plus en plus de compétences du fait
de l’exercice de responsabilités particulières : la vie associative demande davantage de
compétences administratives, gestionnaires et juridiques.
La pratique associative, en particulier quand elle est effectuée dans le cadre de responsabilités
institutionnelles, nécessite une capacité à incarner un collectif et à parler en son nom.
Autrement dit, il est indispensable de se sentir légitime à représenter le groupe pour accéder
au statut de « porte-parole ». Ce processus de « professionnalisation » se caractérise par un
nombre croissant de salariés, une rationalisation des conditions d’exercice de la pratique
bénévole, ou encore un lien de plus en plus attesté entre l’engagement associatif et l’activité
professionnelle, lien par les compétences transférables ou lien d’intérêt. On peut résumer
l’évolution de l’engagement associatif de la manière suivante : moins mais mieux, moins de
cumul d’adhésions mais plus de responsabilités. Bref, ces premiers résultats, qui en appellent
d’autres à venir, confortent pour l’instant l’idée selon laquelle la figure contemporaine du
bénévole (et notamment parmi ceux que l’on peut qualifier de « dirigeants » au sens où ils
exercent des fonctions d’administration et de direction du groupement) se serait profondément
transformée : le temps semble loin où la seule « bonne volonté » pouvait être invoquée
comme justification de l’engagement. L’expérience acquise par la formation initiale et au
cours de la vie professionnelle apparaît désormais comme une ressource indispensable à toute
implication dans la société civile. Nous aurions à faire à de véritables « professionnels » du
bénévolat. La gratuité et la générosité ne sont plus en effet des critères suffisants pour
qualifier la pratique bénévole, celle-ci s’affichant de plus en plus comme un « travail » faisant
appel à des compétences spécifiques. Le monde associatif apparaît ainsi comme une réalité
ambivalente, oscillant en permanence « entre le travail et l’engagement51 ».
modèle d’un prolongement d’une activité d’abord vécue comme une passion, avant de devenir un
métier. C’est le cas, par exemple, des cavaliers amateurs devenus professionnels.
-
L’entreprise associative unipersonnelle est en général dirigée par un directeur salarié fondateur du
groupement, souvent « pluriactif », au sens d’un cumul d’activités professionnelles.
51
BERNARDEAU MOREAU D. et HELY M., Op. Cit.
Page 40 sur 140
2. La professionnalisation, technicisation de l’action associative
Jacques de Maillard interroge le rapport entre le monde associatif et le monde institutionnel52
que les politiques sociales mettent en scène dans la production de l’action sociale53.
Il constate un paradoxe entre le leadership des décideurs des politiques publiques (issu de la
démocratie représentative) et leur affirmation d’un « idéal participatif » (tendant vers la
démocratie participative), qu’il situe à la fin des années 1970 et au début des années 1980.
Il remarque à cette période un changement de posture des associations : traditionnellement
extérieures à l’action publique, elles en deviennent des partenaires. Nous pensons que l’APF
avait précédé cette logique, mais qu’elle s’est aussi inscrite dans le double processus que
Jacques Maillard désigne comme « une étatisation du social et une socialisation de l’Etat » :
d’un côté les responsables administratifs et politiques externalisent la production de projets
pour se contenter de piloter, de réguler l’action des associations, ce qui a correspondu à la
structuration de la réponse sociale, sous forme de création d’établissements et de services
sociaux et médico-sociaux. De l’autre, les responsables associatifs prennent en compte les
logiques institutionnelles et tentent d’adapter leur mode de fonctionnement aux contraintes
administratives. Cette double transformation pose question : s’agit-il d’une extension de la
sphère politique, d’un enrôlement des acteurs associatifs ? Ou faut-il y voir une volonté
d’implication des citoyens ? En tout cas, des processus d’apprentissage collectif sont à
l’œuvre54, des codes implicites se forgent, des catégories d’actions se partagent, la
professionnalisation se développe et se renforce. Des espaces d’échanges entre acteurs
institutionnels et associatifs se construisent. Mais pour être reconnues « légitimes », les
associations doivent être capables de présenter des compétences dans le domaine de la gestion
52
DE MAILLARD J., Les associations dans l’action publique locale : participation fonctionnalisée ou
ouverture démocratique ?, Lien social et Politiques, RIAC, n° 48, La démocratisation du social, 2002, 53-65.
53
54
Par « action sociale », il entend les actions ayant une finalité sociale. Nous pensons que c’est le cas de l’APF.
Il existe différentes strates dans les phénomènes d’apprentissage : l’apprentissage au sein des politiques
publiques peut concerner 2 niveaux différents :
1. Les phénomènes d’apprentissage ne concernent que des aspects secondaires des systèmes de croyance
des individus (c'est-à-dire les instruments et les théories d’action).
2. Mais les changements dus à l’apprentissage peuvent provoquer des transformations plus importantes
des systèmes de croyances des individus. Dans ce cas, ils s’adressent à l’ensemble des stratégies et
revendications politiques liées à la réalisation du noyau dur, voire aux valeurs normatives
fondamentales.
Dans le cas des élus de CD, l’apprentissage se limite à la 1ère dimension. Les acteurs modifient partiellement
leurs systèmes de croyances afin d’y intégrer les éléments relatifs aux attentes des autres acteurs.
Page 41 sur 140
de projets, se montrer capables de répondre aux demandes ponctuelles que peuvent effectuer
les institutions, contrôler une compétence dans un domaine particulier ou dans un territoire
spécifique. Cette exigence posée de légitimité est accompagnée d’une demande de
« professionnalisation » accrue, « professionnalisation » entendue comme une sorte de mise à
l’écart de la dimension politique de l’action au nom du pragmatisme et de la logique
gestionnaire.
Jacques de Maillard utilise le terme d’intégration hiérarchisée55 pour qualifier le rôle des
associations qui participent à la production de l’action publique au travers de cadres définis
par les administrations, qui délimitent un « champ des possibles ».
Les associations doivent se doter de compétences dans le fonctionnement des univers politicoadministratifs, rejoindre les logiques technico-instrumentales que décrit Bernard Eme56 :
l’économicisation,
la
professionnalisation,
l’esprit
gestionnaire
et
entrepreneurial,
l’affaiblissement des perspectives militantes, l’inscription dans les systèmes de pouvoir.
C’est une technicisation de l’action associative qui se produit. L’APF l’a connue au moment
de son développement exponentiel, devenant un intermédiaire des institutions : traversée par
une tension entre logique de revendication et d’intervention, entre l’extériorité par rapport au
pouvoir politique et l’intégration aux logiques institutionnelles.
Jacques de Maillard parle aussi de fonctionnalisation partielle57 des associations : partielle
parce que les systèmes de croyances demeurent différenciés. Les associations et les
institutions continuent de se référer à des légitimités distinctes et de s’inscrire dans des
rationalités disjointes.
Nous devons aussi fixer un cadre d’observation et d’analyse des formes d’engagements des
élus de conseils départementaux, à partir de leurs motifs et de leurs parcours antérieurs.
Il est donc nécessaire de définir les concepts d’engagement et de parcours de vie.
3. Le concept d’engagement
3.1. L’analyse de la cohérence d’un comportement humain
Pour Howard S. Becker58, les sociologues utilisent le concept d’engagement pour rendre
compte des « lignes d’actions cohérentes59 » d’un individu.
55
56
DE MAILLARD J., Op. Cit.
EME B., Les associations ou les tourments de l’ambivalence, in LAVILLE J.-L., Association, démocratie et
société civile, Paris, La Découverte « Recherches », 2001, p.27-58.
57
58
DE MAILLARD J., Op. Cit.
BECKER H.-S., « Notes sur le concept d’engagement », in Revue Tracés n°11, 2006/1, p.177-192.
Page 42 sur 140
Le concept d’engagement jouit également d’une utilisation théorique dans l’étude des
carrières professionnelles. Nous parlerons dans le cas des élus de carrières militantes, avec des
stratégies d’évolution, de promotion, d’acquisition de compétences et de qualifications
demandées par le mandat d’élu de CD.
L’engagement est un comportement qui a plusieurs caractéristiques.
Il persiste dans le temps : un individu continue de suivre la doctrine d’un parti ou conserve le
même emploi. Les élus ont une longue histoire dans l’association, au sein de laquelle ils ont
évolué au fil des projets associatifs et dans le respect de sa « Charte des valeurs ».
Mais la notion de ligne d’action cohérente implique plus que cela, puisque l’on considère que
des agencements d’activités très différents sont cohérents entre eux : ces différentes activités
ont en commun le fait d’être considérées par l’acteur social comme des activités qui, en dépit
de leur apparente diversité, lui permettent de poursuivre un même objectif. En définitive, la
notion de cohérence d’une ligne d’action semble impliquer le fait que l’acteur rejette les
alternatives réalisables. Plusieurs trajectoires s’ouvrent à ses yeux, mais il choisit la plus à
même de lui permettre d’accomplir ses objectifs. Les objectifs sont individuels, mais
rejoignent ceux de l’association, les lignes d’action cohérentes se rejoignent, fondant un
répertoire de valeurs et d’actions collectives, que la recherche décrira.
Certaines des explications sociologiques de la cohérence d’un comportement humain, fondées
sur les processus d’interaction sociale, ont été des théories construites autour des concepts
apparentés de sanction et de contrôle sociaux : ces théories avancent que l’individu agit de
manière cohérente parce qu’une activité d’un type particulier est considérée comme juste et
adéquate dans leur société ou leur groupe social, et parce que toute déviation de ce standard
est sanctionnée. Les adhérents sont captifs de la problématique du handicap, qu’ils soient eux
même porteurs de déficiences et donc en situation de handicap ou parents d’enfants
handicapés : ce rôle social les contraint à s’identifier dans une appartenance au groupe social
des personnes handicapées, ils doivent y agir de manière cohérente, s’intégrer ou intégrer
leurs enfants pour les parents, prendre leur place dans l’espace social, connaître les solutions
de prise en charge, développer leur autonomie,…Le contrôle social les oblige à agir de cette
59
En anglais « consistent line of activity », expression aussi utilisée par Erwing Goffman dans Les rites
d’interactions, et définie comme suit : « Toute personne vit dans un monde social qui l’amène à avoir des
contacts, face-à-face ou médiatisés, avec les autres. Lors de ces contacts, l’individu tend à extérioriser ce que
l’on nomme parfois une ligne de conduite, un canevas d’actes verbaux et non-verbaux qui lui sert à exprimer son
point de vue sur la situation, et, par là, l’appréciation qu’il porte sur les participants, et en particulier sur luimême. » (GOFFMAN E., Les rites d’interaction, Paris, Minuit, 1974, p.9).
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façon, ils ont une responsabilité sociale dans le fait d’être handicapés : ils sont stigmatisés,
l’identité sociale qu’ils ont acquise les oblige à se comporter comme le font les autres
individus qui appartiennent au même groupe social qu’eux.
On agit donc de manière
cohérente parce qu’il est moralement inacceptable et/ou pratiquement inopportun d’agir
autrement. L’association transcende ces comportements, leur donnant un sens collectif, la
cohérence des comportements est affirmée collectivement, elle est à l’origine du mouvement
social, au fondement des valeurs associatives.
D’autres explications supposent l’existence de valeurs culturelles universellement acceptées,
qui informent et contraignent les comportements : un individu fera preuve de cohérence en
choisissant, dans n’importe quelle situation, l’alternative qui lui permet d’exprimer ces
valeurs. Mais quelles sont les valeurs fondamentales d’une société ? Par quel processus les
valeurs ainsi conçues affectent-elles les comportements ? A l’APF les valeurs fondamentales
sont affirmées dans une Charte qui a été conçue par tous les acteurs de l’association. Elles
sont portées par le Conseil d’Administration et défendues, revendiquées par les acteurs. Aussi
nous pouvons supposer qu’elles émanent des personnes concernées par le handicap 60, les
répertoires des valeurs sont partagés par les élus qui seront interrogés, ils seront à préciser lors
des entretiens.
Une théorie de l’engagement, qui agrègerait les théories précédentes et dépasserait leurs
défauts devrait :
-
Spécifier la nature des actes ou des états d’engagement : nous le ferons en
interrogeant les pratiques des élus au sein des CD et le rapport qu’ils ont à
l’engagement.
-
Définir les conditions d’émergence de l’engagement : la recherche permettra de
questionner comment s’est passée l’entrée dans l’association, qui est un premier
niveau d’engagement, et qui a pu aider et faciliter cet engagement. L’histoire de
l’association et la genèse de la mise en place des CD révèle une personnalisation forte
des pionniers fondateurs, l’importance de personnes charismatiques dans le
développement de l’APF.
-
Indiquer les conséquences comportementales des actes ou des états d’engagement :
nous analyserons les modes de fonctionnement des conseils départementaux, formels
et informels, les différents rôles tenus par les élus. Nous considérons que le mandat
60
Nous entendons « être concerné par le handicap » comme être soi même atteint par une cause de handicap ou
être un proche (parent, enfant, frère ou sœur) d’une personne atteinte.
Page 44 sur 140
d’élu est un acte d’engagement, qui doit s’analyser individuellement et dans ses
interrelations entre élus.
Un individu est donc envisagé comme agissant de telle manière (« s’engageant », pour les
élus, les moments d’entrée dans l’association puis dans les conseils départementaux), ou étant
dans une situation telle (« étant engagé », en agissant au sein du conseil après avoir été élu,
donc porteur d’un mandat confié par les adhérents du département) qu’il va à présent suivre
une conduite cohérente.
L’engagement est réalisé en faisant un « pari subsidiaire » : c’est un élément externe aux
actions qui contribue à les rendre cohérentes les unes par rapport aux autres. Il est ce qui
engage l’individu à agir, dans une situation donnée, de façon cohérente. Il peut s’agir aussi
bien d’une décision volontaire prise avant l’action considérée, que d’un ensemble de valeurs
(propres au groupe social auquel appartient l’individu) qui déterminent la manière dont les
conduites sont réglées. Nous devrons donc analyser les valeurs qui déterminent et les motifs
d’engagement des adhérents dans les conseils et les priorités d’actions collectives fixées par
les conseils. Ce pari est « subsidiaire » en ceci qu’il est donné de façon accessoire (ou
préalable à l’action) et constitue un appui à l’action, ce qui la sous-tend. L’individu engagé
agit de manière à impliquer directement dans son action certains de ses autres intérêts, au
départ étrangers à l’action dans laquelle il s’engage. Nous pensons que ces intérêts sont à
rechercher dans les parcours antérieurs des individus, avant d’entrer, puis après être entrés
dans l’association. Ainsi, chaque fois que nous proposons l’engagement comme explication
de la cohérence d’un comportement, il nous faut observer indépendamment :
-
Les actions antérieures de l’individu mettant en jeu un intérêt au départ étranger à sa
ligne d’action cohérente, ce sont des construits sociaux qui s’agrègent tout au long des
parcours de vie des individus, actions subies ou volontaires.
-
Sa reconnaissance des implications de cet intérêt au départ étranger dans son activité
présente, que nous devrons recueillir en demandant aux élus de raconter ce qui dans
leur parcours antérieur a pu être un élément déclencheur de leur engagement.
-
Et la ligne d’action cohérente qui en résulte : ce seront les postures d’élus au sein des
CD et des délégations, une sorte de typologie de militants associatifs, postulant que les
élus sont dans la militance.
L’engagement d’un individu dans une organisation sociale peut en fait engendrer des paris
subsidiaires à sa place, imposant ainsi une contrainte à ses activités futures pour des raisons
différentes, en raison de l’existence d’attentes culturelles généralisées prévoyant des
sanctions contre ceux qui les transgressent. La transgression porterait atteinte à la réputation,
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les attentes concernent les attitudes de l’individu : le monde social du handicap produit-il des
attentes culturelles et donc une identité culturelle chez les acteurs sociaux qui lui
appartiennent ? Attentes à l’intérieur de l’association tournée vers le handicap, comme l’est
l’APF, et attentes à l’extérieur, dans l’environnement proche ? Des transgressions sont-elles
possibles ? Lesquelles ? Nous considérerons les élus engagés dans les CD comme appartenant
à ce monde social du handicap et nous intéresserons aux formes de leur identité culturelle
associative, en analysant lors d’entretiens où se situent les limites à la transgression et les
« cadres d’intégration » de l’APF.
L’accord de l’individu d’accepter les règles d’un groupe social, l’association et ses acteurs
dans le cadre de notre recherche, constitue l’action cruciale qui a créé l’engagement dans
l’acceptation individuelle du système : en faisant cela, il prend pour lui tous les paris qui sont
donnés dans la structure du système, même s’il n’en prend conscience qu’au moment où une
décision importante doit être prise. En s’engageant dans l’association, puis dans le CD,
l’adhérent accepte son historicité, représente ses valeurs, doit défendre ses revendications ; il
ne les connait pas forcément bien au départ mais s’en recommande et s’en fait le porte-parole.
Cette acceptation individuelle du système s’opère de deux manières :
-
par le processus d’ajustement individuel aux positions sociales61. Un individu peut
modifier ses modèles habituels d’action dans un processus de conformation aux
exigences d’une position sociale de telle façon qu’il se rend lui-même inapte à d’autres
positions auxquelles il aurait pu avoir accès : ce faisant, il a fait un pari sur son aisance
à jouer un jeu conforme à cette position, en restant à sa place. Les répertoires d’actions
et de valeurs existaient avant que la personne rejoigne l’APF, ils sont inscrits dans son
passé, elle doit les accepter pour entrer et s’intégrer. En même temps, ils sont en
dynamique, la personne, une fois qu’elle sera intégrée, pourra contribuer à leur
évolution, mais pas quand elle entre.
-
par la mise en œuvre de processus sociaux, comme le suggère l’analyse des
interactions de face-à-face de Erwing Goffman62. Dans n’importe quelle séquence
d’interaction, les individus présentent à leurs proches une image d’eux-mêmes qu’ils
parviennent (ou non) à maintenir. Ayant prétendu un jour être un certain type de
personne, ils estiment nécessaire d’agir, dans la mesure du possible, de la manière la
plus appropriée. Les règles de l’interaction de face-à face sont telles que les autres
61
BECKER H.-S., « Notes sur le concept d’engagement », Op. Cit.
62
GOFFMAN E., Les rites d’interaction, Paris, Minuit, 1974.
Page 46 sur 140
aideront le sujet à préserver la face qu’il s’est constituée (« sauver la face »). Pour
Goffman, « sauver la face » constitue l’un des enjeux fondamentaux des situations
d’interaction. Néanmoins, un individu va souvent se rendre compte que sont action est
contrainte par le type de face qu’il a préalablement présentée : il a fait le pari que son
apparence soit un participant responsable de l’interaction.
3.2. Une théorie de la genèse des engagements
Les engagements ne sont pas toujours pris sciemment et délibérément : certains engagements
résultent de décisions conscientes, mais d’autres se forment progressivement. C’est seulement
quand il est placé dans une situation de changement que l’individu prend conscience qu’il est
engagé et il semble s’être engagé sans s’en rendre compte.
Tout engagement réalisé sans que l’acteur en ait conscience, qu’on pourrait nommer
« engagement par défaut », survient au travers d’une série d’actes dont aucun n’est capital,
mais qui, pris tous ensemble, constituent pour l’acteur une série de paris subsidiaires d’une
telle ampleur qu’il ne veut pas les perdre.
1) Seules les décisions sous-tendues par la réalisation de paris subsidiaires d’une certaine
importance produiront un comportement cohérent. Les autres n’auront pas la force de
se maintenir face à la moindre opposition, ou bien se déliteront, pour être remplacées
par d’autres insignifiantes, jusqu’à ce qu’un engagement fondé sur des paris
subsidiaires stabilise le comportement.
2) Une ligne d’action cohérente est souvent fondée sur plus d’un type de pari subsidiaire :
elle peut mettre en jeu toutes sortes de choses valorisées par l’individu.
Afin de comprendre complètement l’engagement d’un individu, il faut analyser le système de
valeurs ou, mieux encore, des objets de valeur avec lesquels les paris peuvent être pris, dans le
monde dans lequel l’individu vit. C’est ce que nous appellerons les répertoires de valeurs qui
fondent l’entrée des élus dans les CD et sur lesquelles se basent leurs pratiques.
Quels types d’objets sont conventionnellement désirés, quelles sont les pertes qui sont
craintes ? Quelles sont les bonnes choses de la vie dont la jouissance future peut être mise en
jeu pour perpétuer une ligne d’action cohérente ? Dans l’analyse que nous avons faite de
l’histoire de l’APF, nous avons constaté que la vision d’une société intégrative, d’une
citoyenneté des personnes handicapées, était fondatrice.
Daniel Céfaï précise le répertoire des valeurs qui définit les modalités et les intensités de
l’engagement et considère qu’elles peuvent être examinées dans des contextes de
Page 47 sur 140
« citoyenneté interactionnelle63 ». « Les codes cérémoniels de la civilité et les rituels de la
déférence symétrique, les procédures de l’inattention civile ou les conventions de la
reconnaissance réciproque qui ordonnent l’ordre de l’interaction sont interprétables comme
les repères ou les gonds de l’expérience publique des individus. » Les obligations
d’engagement public, la représentation sociale comme revendication de dé-stigmatisation du
handicap sont porteuses d’un sens civique.
Certains systèmes de valeurs imprègnent une société toute entière. En même temps, de
nombreux systèmes de valorisation de biens n’ont de valeur que des groupes sous culturels au
sein d’une société et de nombreux paris subsidiaires à l’origine de l’engagement sont pris
dans des systèmes de valeurs dont l’origine est bien délimitée. Des sous cultures d’étendue
plus limitée, comme celles associées à des groupes professionnels ou à des partis politiques,
fournissent elles aussi des systèmes de valorisation de biens pouvant faire l’objet de paris
subsidiaires. Si l’on souhaite comprendre les engagements des membres d’un groupe, ces
systèmes de valeurs ésotériques doivent être découverts. Cela permettra de comprendre non
seulement comment les paris subsidiaires sont pris, mais aussi le type de ressources qui les
rendent possibles.
4. Le concept de parcours de vie
Il ressort de l’analyse théorique du concept d’engagement que le parcours des élus, antérieur à
la rencontre avec l’association puis à l’intérieur de l’association, a une influence
prédominante sur les motifs de leur engagement :
-
Il construit leurs valeurs qu’ils devront confronter avec celles de l’APF,
-
Il révèle les intérêts qu’ils ont à préserver, en accord ou non avec les priorités du projet
associatif, tous les éléments qui les obligeront à faire des « paris subsidiaires »,
-
Il les identifie dans des appartenances culturelles qui peuvent varier, mais qui auront
une influence sur leurs engagements futurs.
Notre recherche s’intéressera donc aux parcours des élus, parcours biographiques jusqu’à ce
qu’ils rencontrent et rentrent dans l’APF, puis parcours au sein de l’association : l’analyse de
ces parcours devrait fournir des indications sur les motifs d’engagement.
63
CEFAÏ D., Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de l’action collective, Paris, Editions La Découverte,
MAUSS, 2007, p.721-722.
Page 48 sur 140
Nous nous sommes appuyés sur un article de Marc Bessin64 pour définir le concept de
parcours de vie et ce qu’il peut apporter à notre démarche de recherche.
4.1. La temporalisation du parcours des personnes
Des sociologues étudient les parcours de vie et l’utilisent comme outil sociologique d’analyse
des rapports sociaux et des dynamiques sociales, mais également en tant que produit et
producteur du social.
Le paradigme du parcours de vie est généralement défini par un ensemble d’approches
multidisciplinaires, qui considèrent la vie humaine et son développement comme une totalité.
Il s’agit d’interroger son organisation et son déroulement dans le temps, ses fondements
biologiques, psychologiques, ainsi que son insertion sociétale et historique65. Le souci de
temporalisation, c'est-à-dire d’inscription d’une situation donnée dans un processus
dynamique, avec une histoire passée et des implications futures, est fondamentalement au
cœur de cette approche.
La perspective du parcours de vie s’attache aux dynamiques qui affectent les successions des
rôles et des attentes propres à chaque âge.
Il faut décliner les différentes temporalités à l’œuvre dans le parcours de vie, et souligner
l’articulation entre les temporalités de l’individu et le temps historique au sein duquel elles
s’inscrivent. Les élus confrontent leur propre temporalité au temps historique de l’association,
qui est inscrit dans une sociohistoire qui la construit. Le parcours biographique de l’adhérent
rejoint le parcours historique de l’APF, construit dans une dynamique collective de
mouvement social.
Marc Bessin distingue l’approche biographique et la sociologie du parcours de vie.
4.2. L’approche biographique
Les deux approches interrogent la dynamique contradictoire entre l’action des déterminismes
sociaux, familiaux, psychiques et le travail des individus sur leur propre histoire. L’approche
biographique traite davantage la subjectivité dans cette dialectique. Elle s’inscrit dans une
64
BESSIN M., « Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de problématique »,
Informations sociales, 2009/6 n° 156, p. 12-21.
65
LALIVE D’EPINAY C. et al., « Le parcours de vie, émergence d’un paradigme interdisciplinaire », in
GUILLAUME J.-F., Parcours de vie. Regards croisés sur la construction des biographies contemporaines,
Liège, Editions de l’ULG, 2005
Page 49 sur 140
dimension processuelle des phénomènes, notamment avec les concepts de trajectoires, de
passages ou de carrière.
Olivier Fillieule66 utilise cette approche biographique quand il interroge les logiques sociales
qui amènent à l’engagement. Il a recours à l’expression de « carrière militante », notion qui
appartient au courant interactionniste, pensant le militantisme comme une activité sociale
inscrite dans le temps et qui articule des phases d’enrôlement, de maintien de l’engagement et
de défection.
Appliquée à l'engagement, la notion de carrière permet de comprendre comment, à chaque
étape de la biographie, les attitudes et comportements sont déterminés par les attitudes et
comportements passés et conditionnent à leur tour le champ des possibles à venir, resituant
ainsi les périodes d'engagement dans l'ensemble du cycle de vie.
La notion de carrière permet donc de travailler ensemble les questions :
-
des prédispositions au militantisme, les facteurs en jeux qui donnent du sens à
l’engagement
-
du passage à l'acte, le moment où la personne rejoint l’association
-
des formes différenciées et variables dans le temps prises par l'engagement, les formes
de participation dans l’association puis au sein du CD
-
de la multiplicité des engagements le long du cycle de vie - défection(s) et
déplacement(s) d'un collectif à l'autre, d'un type de militantisme à l'autre –
-
et de la rétraction ou extension des engagements.
Ces analyses ont conduit Olivier Fillieule à placer au centre de la réflexion sur les logiques de
l'engagement la notion de rétribution67, entendue comme bénéfices que les individus pensent
retirer de l'engagement. Quatre caractéristiques principales des rétributions sont soulignées,
qui représentent quatre motifs d’engagement :
-
Premièrement, celles-ci comportent à la fois une dimension objective et subjective, ce
qui veut dire que les rétributions effectivement retirées de l’engagement ne sont pas
forcément perçues par les acteurs.
-
Deuxièmement, elles peuvent être à la fois espérées avant l'engagement et poursuivies
ensuite, mais aussi découvertes dans le cours de l'action, produites en quelque sorte
par l'expérience militante.
66
FILLIEULE O., Devenirs militants, Sciences Humaines, Les mouvements sociaux, Numéro 144 - Décembre
2003, p.19-40
67
FILLIEULE O., Op. Cit.
Page 50 sur 140
-
Troisièmement, les coûts se confondent parfois avec les bénéfices : l’effort produit est
aussi considéré comme une rétribution, par la reconnaissance sociale qu’il apporte.
-
Quatrièmement, les rétributions varient au gré de l'évolution des contextes et des
expériences individuelles.
L’analyse de la rétribution que les élus retirent de leur engagement est une clé de lecture
transversale d’analyse des causes, motifs et parcours d’engagements des acteurs associatifs.
Pourquoi à un moment de la trajectoire des personnes l’engagement devient-il possible ? Les
rétributions attendues ou non demeurent-elles ou s’épuisent-elles, et pour quelles raisons ?
Pour répondre, il faut tenir compte des quatre éléments suivants :
-
Les adhérents qui se sont engagés ont été inscrits et/ou sont encore inscrits dans une
d’autres espaces sociaux (monde professionnel, espaces familiaux et de sociabilité,
etc.) que l’association. Les rétributions qu'ils perçoivent dans ces différentes sphères
de vie (affective et amoureuse, professionnelle, etc.) sont elles-mêmes variables.
-
Dans chacun de ces espaces, les élus engagés sont amenés à endosser des rôles
spécifiques dans lesquels ils sont plus ou moins « impliqués ». Ceux-ci définissent
autant de contextes de socialisation.
-
Leur identité est le produit du processus d'ajustement à ces rôles. Il en découle que les
sorties de rôle peuvent entraîner des renégociations identitaires plus ou moins
déchirantes. Cette dimension identitaire est particulièrement nette pour les individus
qui se sont, au sens propre, « consacrés » à l'organisation militante, et à laquelle, bien
souvent, ils ont le sentiment de tout devoir.
-
Les « accidents biographiques » dans les différentes sphères de vie constituent autant
de bifurcations où se redistribuent certains rôles et se modifient les identités.
4.3. La sociologie du parcours de vie
Pour Marc Bessin68, on ne vise pas la même histoire lorsque l’on s’attache à identifier les
systèmes de structuration des biographies, fussent-elles individuelles : c’est l’objectif que se
donne la sociologie du parcours de vie, procédant à l’identification des normes et contraintes,
culturelles et matérielles, qui orientent l’avancée en âge.
68
BESSIN M., « Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de problématique », Op.
Cit.
Page 51 sur 140
4.3.1. Bifurcations biographiques et parcours improbables
Certains événements de la vie sont prévus, institués, d’autres sont plus inattendus et encore
moins désirés. C’est le cas de la survenue du handicap d’un enfant dans une famille, d’un
accident cause de handicap, types d’événements qui viennent complètement transformer la vie
des personnes. Pourtant, ces ruptures, mises en scène dans les récits biographiques, vont audelà des dynamiques personnelles. Si les événements marquent et structurent les parcours des
personnes, ils sont aussi la résultante de processus sociaux et constituent des moments de
recomposition, de redéfinition, tant de soi que des rapports sociaux dans lesquels ils
s’insèrent. La rencontre de l’association est individuelle, la dynamique de participation à son
action collective est un processus social qui fonde un rapport social entre l’individu et le
projet collectif de l’association, un processus d’identification dans le sens de l’acquisition
d’une identité sociale, culturelle spécifiques.
Le terme de « bifurcation » est apparu pour désigner des configurations dans lesquelles des
événements contingents, des perturbations légères peuvent être la source de réorientations
importantes dans les trajectoires individuelles.
Ainsi, par-delà le caractère unique de toute existence, les chercheurs spécialisés dans
l’analyse des parcours de vie tentent de saisir les mécanismes psychosociaux structurant les
trajectoires individuelles. Etudier les vies humaines et leur chronologie est une tâche
complexe. Les parcours comportent de multiples dimensions qui, bien qu’étroitement liées,
n’évoluent pas toujours conjointement et au même rythme. A travers les brèves histoires des
élus de conseils rencontrés, leurs trajectoires professionnelles, familiales, identitaires et de
santé, se profilent avec leurs logiques propres. On peut également pressentir l’influence des
proches, conjoints, enfants, parenté, dans l’orientation que prennent ces destins.
Page 52 sur 140
CHAPITRE 3 : PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
1. Problématique
Rappelons notre question de départ :
Pourquoi et pour quoi des adhérents de l’APF s’engagent-ils dans les conseils
départementaux ?
A partir de l’analyse socio-historique qui a révélé la genèse de la mise en place des conseils
départementaux, instances de mise en œuvre des orientations politiques nationales et de
définition des orientations politiques départementales de l’association, nous avons reformulé
la question de départ :
Quelle est la dynamique d’engagement et le rapport à l’engagement des acteurs qui
participent du processus décisionnaire politique dans une association d’action sociale ?
L’objet de cette recherche est donc l’étude des rationalités d’élus engagés dans une
association d’action sociale tournée vers les personnes en situation de handicap.
Pour quelles raisons les adhérents ont-ils rejoint les conseils départementaux de l’APF,
quelles rationalités ont ces nouveaux acteurs associatifs ? Sur quoi construisent-ils l’action ?
Sont-ils des militants et dans ce cas, qu’est-ce qui fonde leurs engagements ?
L’analyse socio-historique des différentes logiques qui ont traversé l’APF nous permet de
comprendre les enjeux de la participation renouvelée des adhérents à l’action associative pour
le conseil d’administration.
A partir d’une logique de mouvement fondatrice et d’une institutionnalisation progressive,
l’association, comme d’autres, s’est interrogée sur la façon dont elle pouvait investir une
nouvelle logique qui semble se situer autant en contre réaction à la sur-professionnalisation
que dans l’optique d’un retour à son projet originel.
L’APF aurait pu, comme d’autres associations, consommer la rupture entre mouvement et
gestion. Après s’être inscrite dans un processus d’isomorphisme institutionnel69, c'est-à-dire
de reproduction de structures identiques sur l’ensemble du territoire, dont l’ampleur a
certainement contribué à une (re)prise de conscience ou à un sursaut de la logique de
mouvement, le développement exponentiel de la logique professionnelle a créé une volonté de
se dégager des excès de ce modèle et de se distinguer d’autres associations qui ont poursuivi
dans cette voie.
69
ENJOLRAS B., Associations et isomorphisme institutionnel, Revue des études coopératives mutualistes et
associatives, n°261, 1996.
Page 53 sur 140
Pour autant, les nouveaux conseils départementaux ne sont pas, en dépit de la légitimité
démocratique de leurs élus, des espaces politiques autonomes. Les conseils départementaux
ont en effet pour fonction de mettre en œuvre les orientations politiques préalablement
définies par le conseil d’administration et jouent un rôle de consultation et de proposition dans
le modèle hérité du « centralisme démocratique » de l’association qui fait du CA l’instance
légitime de décisions et d’élaboration du projet politique de l’association.
Une première question se pose, relative au degré d’attractivité des conseils départementaux au
regard de la sociologie du militant contemporain selon Jacques Ion70, soucieux de
participation directe et de production d’actions opératoires. Il y a le risque d’un écart trop
important entre des fonctions de consultations et de proposition attribuée aux élus et les
objectifs politiques de l’APF : promotion d’un militantisme actif et de la citoyenneté des
personnes handicapées. Dans cette perspective, l’ouverture de nouveaux espaces de
participations et de débats, les conseils départementaux, constitue t-il une innovation
suffisante si elle n’est pas accompagnée par des délégations (au sens de mandats, de
procurations pour l’action et les prises de décisions) et des responsabilités susceptibles de
rencontrer l’intérêt des militants contemporains ?
On peut considérer que la réforme offre effectivement aux adhérents un nouvel espace
d’apprentissage71 de la citoyenneté, par l’accès à des fonctions de représentations et de
négociations politiques, mais les limites institutionnelles qu’elle fixe à cet exercice peuvent
renfermer un « désavantage concurrentiel » au regard des fonctionnements fédéralistes ou
décentralisés d’autres organisations politiques soucieuse de « démocratie directe », qui se
distingue de la démocratie représentative mise en place au sein de l’APF.
Le nouveau modèle proposé qui fixe des droits mais aussi des devoirs et un respect de la
discipline institutionnelle, s’inscrit bel et bien dans une perspective d’apprentissage de la
citoyenneté politique.
Pour l’association en tant qu’organisation, la militance comme la citoyenneté ne s’exercent
jamais complètement dans un vide social ou organisationnel. Elles supposent aussi de se
soumettre à la discipline de l’organisation, de connaître ses droits mais aussi ses devoirs : de
réserve, de représentation d’un groupe dont les valeurs et les attentes transcendent celles plus
personnelles de son représentant, d’informations des instances ou acteurs décisionnaire, etc.
70
Jacques Ion : La fin des militants, Editions de l’Atelier, 1997.
71
C’est en ce sens que la réforme constitue une innovation radicale du point de vue du fonctionnement hérité de
l’association comme une réponse à son objectif de développement de la citoyenneté des personnes handicapées.
Page 54 sur 140
Le conseil départemental se trouve donc à la croisée d’une organisation démocratique
centralisée qui lui demande de mettre en œuvre ses orientations politiques et d’une
représentation légitime de ses élus en charge également de définir les orientations politiques
sur le département : cette position tampon entre une culture de la centralisation et des
pratiques autonomes de fonctionnements, inscrit les conseils départementaux dans une posture
« d’entre-deux », avec des marges de manœuvre importantes.
Un nouvel espace d’action, de relation et donc d’interactions s’ouvre aux élus
départementaux : celui de la rencontre des usagers et de la sphère des institutions et des
professionnels. Ce nouveau mandat, qui pourtant n’est pas écrit dans les missions des conseils
départementaux, positionne les élus désignés pour cette représentation en articulation avec la
dimension gestionnaire de l’association. Elle offre surtout la possibilité aux adhérents élus
d’une rencontre avec les usagers et leurs demandes « techniques ». Ce passage dans la sphère
des établissements ouvre un nouvel espace et pose la question de l’encastrement d’une
logique associative et des logiques professionnelles, le tout dans une grande proximité de
territoire.
Dans ce contexte d’évolution de l’association d’action sociale, de ses logiques d’action, et de
mutation de l’engagement, nous nous sommes intéressés au rapport à l’engagement des
acteurs qui participent du processus décisionnaire politique, en portant le regard sur les
logiques d’action inscrites dans les pratiques actuelles de ces élus et en nous intéressant plus
spécifiquement aux parcours dans l’association, impliquant donc l’idée de durée dans la
construction du sens de l’engagement. Cette construction du sens se ferait au travers des
expériences sociales successives.
Nous entendons l’engagement comme une rationalité d’action spécifique, que Max Weber a
défini comme « action rationnelle en valeur ». 72
72
Max Weber, dans son analyse des motifs des actions, propose une typologie des déterminants de l'action. Pour
lui, les actions sociales ressortissent à quatre types fondamentaux : l'action peut être a) traditionnelle b)
affectuelle c) rationnelle en valeur ou, enfin, d) rationnelle en finalité.
L'action traditionnelle correspond aux types d'actions quasi « réflexes », « mécaniques » qui sont le produit de
l'habitude, et où le sens et les motifs constitutifs de l'action ont, pour ainsi dire, disparus par répétition.
Paradoxalement, Weber, qui fait du sens, au moins relativement conscient, le déterminant de l'action, indique
que ce type d'action, où le sens a disparu, est le plus courant.
L'action affectuelle est le type d'acte commis sous le coup d'une émotion.
L'action rationnelle en valeur correspond aux actions par lesquelles un acteur cherche à accomplir une valeur.
Cette valeur vaut, pour l'acteur, absolument : il ne se soucie pas des conséquences que peut avoir son action, seul
lui importe l'accomplissement des exigences nées de la valeur qui est, pour lui, fondamentale (commandée par le
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L’analyse de la dimension sociale de l’engagement des élus doit donc être compréhensive en
ce sens que le but de la sociologie étant de rendre compte des actions des individus, elle ne
peut y parvenir qu'en comprenant le sens, et plus spécifiquement, les motifs qui en sont à
l'origine.
Aussi, nous nous intéressons au sens vécu et donné de cet engagement des acteurs de
l’association : engagement militant d’une part, logique d’action professionnelle d’autre part.
2. Hypothèses
Derrière le sens de l’engagement donné par les élus des conseils départementaux, acteurs de
l’association, nous faisons les hypothèses suivantes :
Hypothèse 1 : Il y a un effet de contexte : à la fois système d’action propre au mouvement
social
qui
a
structuré
historiquement
le
champ
et
système
d’action
lié
à
l’institutionnalisation de l’association débouchant sur des logiques de professionnalisation.
Sous-hypothèse 1 : Cet effet de contexte produit un nouvel acteur associatif, forme hybride
de cette double rationalité.
Hypothèse 2 : Il y a aussi des effets de parcours : le sens de l’engagement est construit en
lien avec des expériences biographiques personnelles ou individuelles mais d’ordre social.
Nous parlerons de processus qui construit le sens vécu de l’engagement.
Sous-hypothèse 2 : Il y a des éléments ou facteurs déclencheurs dans le parcours de
l’individu qui vont jouer sur la manière d’investir les pratiques au présent. Par exemple,
une rupture biographique ou l’expérience d’un militantisme syndical peuvent jouer comme
ressources ou comme éléments de définition du sens de l’engagement.
devoir, la dignité, la beauté, les directives religieuses, la piété ou la grandeur d’une cause quelle qu’en soit la
nature). La spécificité de l'analyse de Weber est qu'il insiste sur le fait que si le but de ce type d'action (la valeur)
est irrationnel, les moyens choisis par l'acteur ne le sont pas : c'est en cela que l'action est rationnelle en valeur.
Enfin, l'action rationnelle en finalité correspond aux types d'action où l'acteur détermine rationnellement à la
fois les moyens et les buts de son action. Un chef d'entreprise efficace agit en fonction de ce type de rationalité,
par exemple : il ne se soucie pas des conséquences morales de ses actes (licenciements, par exemple), seul lui
importe l'efficacité, déterminée rationnellement, de ses actions. Pour Weber, ce type d'action est le seul
véritablement compréhensible.
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CHAPITRE 4 : METHODOLOGIE
1. L’échantillon des élus rencontrés :
Nous avons retenu huit élus de conseils départementaux, issus de deux CD, situés dans des
petits départements (entre 250 000 et 350 000 habitants) : 5 dans un CD, 3 dans l’autre.
Le nombre d’adhérents dans les délégations comme leur taille sont des critères que nous
n’avons pas retenus, il nous importait de rencontrer des individus qui devaient nous raconter
leurs parcours avant leur rencontre avec l’APF, dans l’association, leurs modes de
participation dans les CD, en tant qu’élus. Ce que nous voulions décrypter relevait plus des
formes de participation, des compétences nécessaires aux élus pour exercer leurs mandats, des
logiques de professionnalisation, des modes de constructions des registres de pratiques
collectives.
Les élus rencontrés et interviewés appartiennent à des conseils départementaux qui :
-
ne sont pas trop éloignés de notre lieu de travail et d’habitation, pour éviter de trop
grands déplacements, chronophages.
-
ne sont pas dans la région dans laquelle nous occupons nos fonctions, afin de ne pas
rencontrer des élus avec lesquels nous sommes amenés à travailler régulièrement, que
nous rencontrions donc dans un autre cadre que la recherche, ce qui aurait biaisé la
relation chercheur-interviewé et risquait d’empêcher une libre parole des personnes.
-
Sont disponibles au moment de notre démarche d’interview des élus.
-
Acceptent de nous recevoir en connaissant le sens de notre démarche de recherche.
2. La méthode de recueil des données
2.1. L’entretien semi-directif
Le recueil de données a été une étape importante de notre recherche, une phase de
confrontation de notre problématique de recherche à des personnes engagées au sein des CD,
qui nous a permis de récupérer des données analysables.
Nous avons donc procédé à une enquête par entretiens, qui s’inscrit bien dans la sociologie
compréhensive dont nous parlons plus haut, étant donné, rappelons le, que nous entendons
l’engagement comme une rationalité d’action spécifique, que Max Weber a défini comme
« action rationnelle en valeur ».
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La collecte des données à partir des huit entretiens a produit des données que nous
confronterons à nos deux hypothèses et sous-hypothèses dans le chapitre d’analyse des
entretiens.
Nous avions opté pour cette méthode d’enquête afin de pouvoir interroger les parcours des
personnes, de leur faire raconter des morceaux de leurs récits de vie, avant de rencontrer
l’association, et de pouvoir repérer des éléments qui ont pu être déclencheurs d’engagements,
quels qu’ils soient. Il était important que nous puissions permettre aux personnes de raconter
le cheminement qui les avait amenés à l’APF, puis qu’ils puissent témoigner sur la place
qu’ils avaient prise dans leurs délégations avant de rejoindre les CD.
La meilleure manière de disposer d’une matière sociologique dense et riche, à interpréter avec
la distance de notre problématisation, de pouvoir analyser le sens que les acteurs associatifs
donnent à leurs pratiques, la manière dont ils ont réagi aux évènements de leurs vies, les
systèmes de valeurs, les normes auxquelles ils se réfèrent, la lecture qu’ils ont de leurs propres
expériences et la traduction qu’ils font de la mise en place concrète d’une instance pensée par
le CA de l’APF, cadrée très tôt par l’institution, nous a semblé le récit direct, oral.
La reconstitution des parcours des élus et la recherche de points communs, de similitudes, de
récurrences, ne nous semblaient également possibles qu’à partir de l’exploitation d’entretiens,
matière durable et sur laquelle nous avons pu travailler et revenir des semaines, voire des
mois après le moment où ils s’étaient déroulés, pour les analyser et les interpréter avec du
recul.
L’intérêt de prendre le temps de l’analyse est facilité par ce type de matériau sociologique.
Les entretiens se sont déroulés à partir de six thèmes déclinés en questions ouvertes73 :
-
Ce qui a motivé l’entrée dans l’association, les facteurs en jeu dans ce choix, mais
aussi ce qui peut permettre de comprendre le sens donné aujourd’hui à l’engagement.
-
La manière dont s’est faite l’entrée dans l’association.
-
La place prise par la personne et son évolution dans l’association avant son entrée dans
le conseil départemental.
-
Les raisons et les motivations de l’entrée dans le conseil.
-
Ce que les élus font au sein du conseil, les formes de leur participation.
-
Ce que les élus pensent de l’engagement et de la militance en général.
Avant d’aborder ces six thèmes, les personnes étaient interrogées sur des éléments de leur vie
personnelle : situation sociologique, parcours d’étude, professionnel, familial.
73
Annexe n°1 : Grille d’entretien.
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2.2. Le déroulement des entretiens
Environnement : les élus des conseils départementaux ont été rencontrés dans les bureaux au
sein des délégations, sauf une élue qui nous a reçu dans sa maison. L’espace de rencontre était
donc un espace formel au sein duquel s’exerce le travail quotidien des élus, au même titre que
le bureau d’un salarié.
Programmation : les entretiens ont été regroupés en trois temps : dans un département, une
série de trois entretiens puis une de deux, dans l’autre département, les trois derniers
entretiens ont été fait à la suite. Ils ont été fixés quelques semaines auparavant, les délégations
ont été réactives, nous avons contacté les responsables des deux délégations pour qu’ils
demandent l’accord des membres des CD.
Conditions d’entretien : les entretiens ont duré entre 1h15 et 1h30, les personnes interviewées
se sont exprimées librement. Un élu qui a des troubles de la mémoire et spatiotemporels a
demandé d’interrompre deux fois l’entretien, afin de reprendre le fil de l’échange et de fixer
ses réponses dans une logique chronologique.
Les interactions repérées : certains élus nous ont paru inquiets mais curieux en même temps.
Une personne a profité de l’entretien pour exprimer des ressentiments qu’elle a envers le CD
auquel elle appartient. Des élus parlent en leur nom, individuellement, mais ne se situent pas
dans un « collectif conseil ».
Parfois, l’occasion est saisie de mener l’entretien, afin de pouvoir faire entendre ce que la
personne souhaite dire. Dans ce cas, il nous a fallu régulièrement ramener la personne dans le
cadre de l’entretien, car elle peut commencer à parler et ne s’arrête plus, suivant souvent son
idée et partant dans des explications digressives qui l’éloignent de la question qui lui est
posée. Toutefois, la personne entend bien les questions mais y répond après coup, de manière
différée, suite à des questions suivantes. Elle introduit des pistes d’entretien dans ses
réponses, pour amener l’interviewer sur des domaines dont elle veut parler : c'est-à-dire
qu’elle profite des questions qui lui sont posées, pour, tout en répondant en différé, amener la
discussion sur des thèmes dont elle souhaite parler et qui lui apparaissent au fil de la
discussion. Cela peut déconcerter, mais après quelques entretiens, nous nous sommes habitué.
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Modes d’intervention : nous avons souhaité favoriser les échanges et l’expression des
personnes interviewées. Aussi avons nous adopté une attitude d’écoute active, l’empathie
facilitant la parole et mettant les élus en confiance, surtout quand ils ont eu à témoigner sur
des périodes difficiles de leur existence, ce qui a été le cas quand des ruptures biographiques
se sont racontées. Nous avions prévu des questions de relance74 pour inciter les personnes à
décrire certains champs de possibles qu’elles avaient traversés.
3. La méthode d’analyse des résultats
Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement75.
Les réponses aux questions ouvertes du questionnaire contiennent des informations qu’il faut
repérer, classifier, analyser et interpréter pour en extraire la ou les signification(s).
C’est la technique d’analyse de contenu définie par Bernard Berelson comme « une technique
de recherche pour la description objective, systématique et quantitative du contenu manifeste
de la communication76». Cela veut dire que le discours des personnes interviewées ainsi que
les réponses aux questions ouvertes contiennent des informations, des données brutes dont il
faut découvrir le sens, en un mot qu’il faut « décortiquer ».
L’intérêt était de remplacer la subjectivité de l’interprétation par des procédés plus
standardisés, en lien avec nos objectifs de recherche. Les interprétations personnelles devaient
ainsi être neutralisées.
En effet, comme le dit Roger Mucchielli, « Tout document parlé, écrit ou sensoriel contient
potentiellement une quantité d’informations sur la personne qui en est l’auteur, sur le groupe
auquel elle appartient, sur les faits et événements qui y sont relatés, sur les effets recherchés
par la présentation de l’information, sur le monde ou sur le secteur du réel dont il est
question77 ».
Pour rendre compte du contenu des entretiens, des unités de sens doivent être extraites et
classées dans des catégories. Une catégorie est une notion générale représentant un ensemble
74
Exemples de questions de relance : Comment ça s’est passé ? Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ? Est-ce que
c’est ça que vous vouliez faire ? Est-ce que vous auriez préféré faire autrement (ou faire autre chose) ?
75
Annexe n°2 : Extrait de l’entretien E5 retranscrit.
76
BERELSON B. (1952) in GHIGLIONE R., MATALON B., Les Enquêtes Sociologiques, 1978, A. COLIN,
Paris.
77
MUCCHIELLI R., L’analyse de Contenu de Documents et Communications, 5ème Ed. ESF, 1984.
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ou une classe de signifiés. Les unités de sens doivent être réparties en catégories, distribuées
en genres, en thèmes, en grandes orientations.
Il n’y a pas de règle générale ni de théorie préétablie en matière de catégorisation. Le discours
recueilli comporte des réponses très variées à une même question dans lesquelles nous
devions repérer et extraire des attitudes, des représentations, des normes, des pratiques
sociales liées à l’engagement des acteurs dans l’association.
Cette catégorisation apparait dans le chapitre suivant, qui classe l’analyse des entretiens par
rapport aux hypothèses que nous avons émises.
Une de nos hypothèses est que le sens des engagements est à rechercher dans les effets de
parcours des personnes qui se sont engagées, nous allons vérifier si les entretiens nous le
confirment.
Le sens des engagements est aussi à rapporter aux effets de contexte, d’organisation de
l’association, de structuration de sa gouvernance, du rapport à son environnement.
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PARTIE 2 : VERIFICATION DES HYPOTHESES
La deuxième partie du mémoire s’articule autour de 2 chapitres.
Le premier développe une analyse des entretiens menés avec huit élus de conseils et cherche à
comprendre le sens de l’engagement, le deuxième se focalise sur la professionnalisation de
l’action des élus, une des hypothèses clés de notre recherche.
CHAPITRE 1 : ANALYSE DES ENTRETIENS :
LE SENS DONNE A L’ENGAGEMENT
Notre analyse va s’intéresser aux parcours des élus pour y rechercher les éléments
déclencheurs de leur engagement.
Nous avons voulu considérer les parcours de vie des personnes avant leur rencontre avec
l’APF, qui devront nous révéler dans les histoires individuelles des trajectoires, des « paris
subsidiaires » qu’ont fait les élus à un moment de leur existence, et qui nous indiqueront les
raisons pour lesquelles ils s’engagent, les fondements d’éventuelles postures militantes ou de
démarches personnelles vers toute forme d’engagement : auprès d’une association, d’un parti
politique, d’un syndicat, des autres.
Cette démarche suppose que les raisons de s’engager rejoignent la logique de mouvement, de
solidarité. Pour autant, nous n’avons pas exclu la possibilité que les parcours professionnels,
quand ils existent, puissent aussi avoir une influence sur une forme de professionnalisation de
l’engagement : l’analyse devra le mesurer.
Nous avons construit une grille d’entretien qui interrogera le parcours dans l’association,
l’intégration des futurs élus, l’accueil qu’ils ont reçu, cette fois-ci, les éléments déclencheurs
seront à rechercher dans l’histoire associative (à l’APF) de chaque personne qui est devenue
élue.
Ensuite, l’analyse reviendra sur les changements organisationnels et cherchera s’ils ont amené
une évolution de l’engagement chez les acteurs associatifs.
Nous décrypterons aussi les valeurs communes portées et défendues par les élus, s’il y en a,
elles nous permettrons de mieux comprendre l’identité culturelle construite par les élus, qui
fondent ou appuient leurs pratiques.
Nous pensons en effet que les modes de fonctionnement, qui seront également analysés,
s’élaborent et se vivent à partir d’une vision collective produite par la vie au sein de
l’association et le partage d’une même identité culturelle.
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1. Les profils de parcours78 des élus interviewés :
Les huit personnes interviewées ont une moyenne d’âge de 51 ans79. Le plus jeune a 32 ans, le
plus âgé a 66 ans.
Il y a 6 hommes et 2 femmes.
Les parcours de vie avant l’entrée dans l’association révèlent des ruptures biographiques :
accidents, survenue d’une maladie, découverte du handicap de son enfant, handicap dès la
naissance.
Une personne est allée à l’université et a obtenu un DEUG, deux ont obtenu le Bac, les autres
ne l’ont pas obtenu et se sont engagés dans des cursus de diplômes professionnels de niveau
BEP, qu’ils ont obtenu ou non.
6 sur des 8 élus ont été en activité professionnelle, les 2 plus jeunes (32 et 34 ans) ne
travaillent pas ou ont fait des « petits boulots ». La plupart de ceux qui ont travaillé ont connu
une évolution au sein des structures dans lesquelles ils exerçaient : promotion interne,
concours, formations qualifiantes, démarches autodidactes permettant d’accéder à des niveaux
supérieurs de responsabilité. Ils étaient dans des dynamiques de promotion professionnelle
avant de cesser leur activité. Ceux qui ont été contraints de cesser cette activité
professionnelle avant la retraite, pour des raisons de santé, l’ont vécu comme un échec, un
traumatisme qu’ils revivent difficilement quand ils le décrivent.
Les élus qui ont travaillé ont rencontré l’APF avant de cesser leur activité, ils s’y sont plus
investis après leur retraite.
Nous pouvons déjà constater que les parcours au sein des délégations dans lesquelles se sont
engagées les personnes succèdent le plus souvent à des parcours antérieurs d’évolutions
professionnelles : et comme eux, ils voient une progression de l’investissement et un
renforcement des engagements.
De même, nous voyons des similitudes dans des engagements antérieurs parmi les élus des
conseils : la grande majorité d’entre eux s’étaient investis dans des syndicats, partis
politiques, associations diverses, communales ou intercommunales, culturelles ou sportives,
association de jeunes, dont certains ont pu en être les créateurs. Il y a donc eu une expérience
d’engagement dans une dynamique collective, de pratique associative, en amont de
78
Annexe n°3 : Les profils de parcours des élus interviewés.
79
Annexe n°4 : Sexe, âge des personnes interviewées et durée des entretiens.
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l’engagement dans l’APF. La logique associative n’était pas inconnue des personnes, même si
l’APF, elle, n’était pas connue.
Ces constats rejoignent notre 2ème hypothèse : des effets de parcours donnent du sens et
expliquent les engagements.
Le parcours dans l’APF après y être entré est aussi similaire pour l’ensemble des élus :
rencontre de la délégation, en tant qu’usager des services qu’elle rend ou pour s’investir
bénévolement, participation à des actions en tant que bénévoles, puis progressivement,
densification de la participation et orientation vers des postures plus politiques qui précèdent
l’engagement dans les conseils.
L’association est un espace social qui est bien investi dans une logique de parcours, les
opportunités de « promotion interne » sont saisies quand elles se présentent. La dynamique de
promotion sociale (associative) s’exerce dans une structure organisée, hiérarchisée, au sein de
laquelle il est possible de se faire reconnaître, d’acquérir plus de pouvoir. Dans ce parcours,
les nouveaux acteurs sont repérés et sélectionnés par les acteurs associatifs déjà en place, qui
les incitent à investir la dimension d’action politique de l’association. La mise en place des
CD a formalisé cette représentation locale, les élus étaient déjà prêts à l’investir, à prendre et
occuper cette place.
Nous pouvons tracer une « ligne de parcours » entre l’entrée dans l’association et
l’engagement dans le conseil départemental, empruntée par la plupart des élus :
Rencontre de l’association en tant qu’usager
Engagement dans l’action comme bénévole
Adhésion (démarche considérée comme formelle mais qui n’est pas un indicateur essentiel de l’engagement)
Orientation de la participation vers des actions collectives
Politisation de la participation
Engagement dans le conseil départemental
Professionnalisation de la représentation
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L’analyse des entretiens qui suit aura l’occasion de revenir sur ces trajectoires d’élus dans la
structure associative qu’est la délégation départementale.
La dernière étape de ce parcours dans l’association confirmerait notre 1ère hypothèse, quand
les élus des CD portent la logique politique dans des rôles de véritables professionnels de
l’action collective, sous des formes que nous décrirons à partir de l’analyse des pratiques des
élus.
2. Parcours de vie antérieur à l’entrée dans l’association : ce qui a déclenché
l’engagement
Le sens de l’engagement est à rechercher dans les parcours antérieurs à l’entrée dans
l’association, puis dans les parcours au sein de l’APF, une fois que les personnes sont
rentrées, ont adhéré, se sont de plus en plus engagées. Ces différents parcours ont façonné une
cohérence d’action, ont construit des logiques d’engagement, selon les socialisations vécues
dans les histoires de vie de chaque élu, les personnes qui ont été rencontrées en dehors ou
dans l’association.
Nous avons repéré des points communs, des similitudes, des récurrences dans les parcours des
élus interviewés, qui sont des éléments déclencheurs et donc explicatifs des engagements.
2.1. Le rapport au temps et la disponibilité dans les parcours de vie
Les obligations familiales, le choix d’avoir des enfants et de s’en occuper sont des limites à
l’engagement. E1 matériellement je n’avais pas le temps. J’avais 3 enfants, un mari CRS qui
était absent 1 mois sur 2, une fille qui est allée en établissement, en IME, puis en ESAT. Il
fallait que je sois disponible.
A plus forte raison, si l’enfant est en situation de handicap, la disponibilité peut n’en être que
plus réduite Les élus des CD doivent trouver des solutions de compensation quand ils
s’absentent de chez eux : ils ont un conjoint qui les aide, les enfants sont en âge d’être
autonomes ou ils n’ont pas d’enfants.
Les représentations sollicitées auprès des acteurs de l’association par les instances
décisionnaires ou consultatives se déroulent aux heures habituelles de travail, pendant que
certains élus travaillent, donc ne sont pas disponibles, ce qui est le cas des parents. Les
personnes engagées l’interprètent comme une représentation sociale des personnes
handicapées et de leurs proches qui sont des personnes qui ne travaillent pas, toujours
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disponibles. Cette représentation sociale a un effet pervers : ne participent que les personnes
handicapées ou des proches qui ne travaillent pas, confirmant l’idée que s’en font les
personnes extérieures au monde social du handicap. E5 Je pensais avoir du temps à y
consacrer, je voulais […]… et en fait, je me suis rendue compte à travers ces 3 ans que,
concrètement, ce n’est pas compatible avec mon travail
Aussi retrouve-ton en majorité des personnes qui ne travaillent pas ou qui sont retraitées
parmi les élus (1 élue sur les 8 rencontrés a une activité professionnelle). Cette question du
rapport au travail dans les parcours de vie des personnes est importante. Selon les causes du
handicap, certaines ont pu ne jamais avoir d’activités professionnelles, d’autres ont du arrêter
leur travail suite à la survenue d’une maladie invalidante E6 et puis j’avais du temps aussi à
donner du fait que j’ai eu une période creuse, j’étais en recherche d’emploi, et l’ont vécu
comme un traumatisme. L’entrée dans l’association s’est faite après qu’il ne soit plus possible
de travailler. E1 C’était après ma retraite
Les principes de nouvelle gouvernance veulent faciliter et développer la participation des
personnes concernées directement ou indirectement pas le handicap, mais qui ne le permet
que sur des horaires de travail : ce qui supposerait que les représentants, qui militent et
revendiquent pour le droit au travail, pour le partage des espaces et des rôles sociaux, ne
travaillent pas et sont forcément disponibles. E5 Y’a un espèce de consensus comme quoi, les
personnes en situation de handicap, c’est forcément des gens qu’ont rien à foutre de leur
temps et qui ne travaillent pas, voilà, et tout se fait sur des temps de semaine.80
2.2. Modifier la représentation sociale du handicap
Dans l’histoire de vie des personnes qui se sont engagées, des expériences personnelles
familiales ont déclenché une attention à la dépendance, à la situation de handicap, et créé une
ouverture à l’association et à ses buts.
Il peut s’agir de la survenue de la dépendance chez des conjoints, des parents, E1 Je crois que
ça a pris beaucoup plus d’importance, parce que j’ai soigné mon père jusqu’à la fin et je lui ai
fermé les yeux […] quand il est tombé malade, on ne me l’a pas dit. La 2ème fois, on me l’a dit
« maintenant c’est fini, il s’en sortira pas ». Et là j’ai connu mon père. Il y a eu un lien qui
s’est créé entre nous. du handicap d’un enfant dans une famille, E5 Je pense qu’il m’a fallu
déjà du temps pour accepter le handicap de mon fils, beaucoup de temps, je dirais, pour
80
Il serait intéressant de mesurer la représentation sociale du handicap qu’ont les élus et les concepteurs des
politiques publiques, ce que nous n’avons pas prévu de faire pendant cette recherche…
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pouvoir considérer que…Comment dire, c’est comme une pierre, il faut pouvoir la poser, pour
pouvoir construire dessus. Jusque là, il n’y avait que le trou, il n’y avait rien à construire, il
n’y avait que de la dévastation. Je ne pouvais pas imaginer de me positionner en tant que
maman d’enfant handicapé, c’était impossible pour moi, c’est peut-être pour ça aussi que plus
ou moins volontairement, je pensais que l’APF, je n’étais pas concernée, qui obligent les
individus à prendre conscience des conséquences de la déficience, de la situation de
dépendance, de handicap, parce qu’elles le vivent comme expérience concrète. La situation de
handicap provoque une stigmatisation, au sens où Erwing Goffman81 la décrit, et oblige les
individus à se reconstruire une identité sociale. Cette identité se met en scène, se représente et
s’affirme dans l’espace social des associations, auprès des autres acteurs associatifs, dans les
groupes de parents ou les groupes de pairs : pour agir et améliorer la situation du handicap E4
Par exemple l’APF, moi, mon truc, c’est la défense des personnes en situation de handicap. et
aussi pour se reconnaître dans cette nouvelle identité sociale.
Il peut s’agir aussi d’une rupture dans le parcours de vie d’une personne, de « bifurcation
biographique », réorientations importantes dans les trajectoires individuelles, suite à un
accident, à la survenue d’une maladie grave et invalidante. Olivier Fillieule82, citant Anselm
Strauss, parle de processus d’initiation83.
Dans ces situations, l’association et tout son champ d’intervention sont une découverte, elle
devient le lieu d’une nouvelle et différente projection de la vie des individus, elle constitue un
nouvel espace social dans lequel ils se construisent.
81
GOFFMAN E., Stigmates, Les usages sociaux des handicaps, Paris, Ed. de Minuit, 1977 (1ère éd. 1963).
82
FILLIEULE O., « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel » Post scriptum,
Revue française de science politique, 2001/1 Vol 51, p. 199-215.
83
Dans Miroirs et masques, Anselm Strauss expose la manière dont, en fonction des modifications de la
structure sociale et des positions successives des acteurs dans cette structure, avec tout ce que cela produit aux
différentes étapes de la biographie en termes d’interprétations subjectives des changements vécus, les identités
sont susceptibles de se modifier durablement. Il analyse ainsi ce qu’il appelle les « changements
institutionnalisés » (changements de statuts provoqués, par exemple, par l’entrée dans la vie active, le mariage, la
parentalité, etc.) et les « accidents biographiques » (crises, accidents, échecs, etc.) en mettant particulièrement
l’accent sur les processus de « désidentification » et « d’initiation » qui peuvent produire des changements
durables et irréversibles des identités, c'est-à-dire des représentations, des attitudes et des motifs.
Cette perspective est particulièrement utile à la compréhension des carrières militantes. Cité par FILLIEULE O.,
Op. Cit.
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Ce « monde du handicap et des handicapés » est un espace de reconnaissance sociale, de
représentation sociale (au sens de mise en société) de personnes qui ont perdu leur ancienne
identité sociale et doivent en construire une nouvelle. E8 j’ai vécu des moments, après avoir
fait le deuil difficile de retravailler dans ce que je faisais. Il y a eu quand même une souffrance
de constater que la société était pas prête quand même à nous soutenir, loin de là.[…] Mais
c’était pas facile, voilà.
Les ruptures biographiques ont souvent été douloureuses, elles ont été suivies d’une période
plus ou moins longue de doute, d’attente, de sidération, à laquelle succède une renaissance qui
transforme la vision que les personnes ont de la dimension de l’association et de ses missions.
E5 Le cheminement personnel, c’est qu’il y a eu à un moment donné où j’ai passé toute une
première période où j’ai subi. Et du jour où j’ai compris que ce que j’attendais n’allait pas se
déclencher, eh bien finalement c’est comme quelque chose qui allait agrandir, je suis passée
de la…j’ai pu à ce moment rentrer dans l’action, je me suis dit « bon puisqu’il va falloir que
je subisse, je ne vais pas passer toute ma vie à subir, c’est clair, c’est comme çà maintenant, je
vais arrêter de subir et je vais essayer d’agir. »
L’engagement dans l’association, qu’il soit volontaire ou qu’il fasse suite à une demande d’un
« initié » membre de l’association, peut faire appel à l’histoire personnelle de l’individu, E3Et
puis après ça s’est répété. Je suis beaucoup intervenu au niveau sécurité routière, quelquefois
au niveau sensibilisation au handicap. et l’obliger à réveiller le traumatisme de la survenue du
handicap, E3 C’est vrai que bon, apporter un témoignage, ça me dérange pas. C’est pas que
ça me dérange pas, mais bon, c’est pas que ça me fait énormément plaisir non plus sous forme
de témoignage à des personnes « non initiées ». Quand nous supposons que l’engagement est
volontaire, nous prenons en compte le choix qu’a la personne d’accepter ou non une forme
d’engagement qui met en scène des ruptures biographiques, dont les conséquences ne sont pas
nécessairement connues des personnes qui le sollicitent. Dans la mesure où il y a acceptation,
le prescripteur devient alors un passeur entre la personne engagée et le monde social des
personnes qui ne sont pas touchées par le handicap, pour interroger la représentation du
handicap qu’elles ont et la remettre en cause. E4 L’autre fois, à l’école, j’ai parlé, je leur ai dit
« vous savez, la vie elle est belle à vivre, handicapé ou pas, elle est belle à vivre !
Quand une personne a vécu un évènement imprévu qui a remis en cause la suite de son
existence, elle est prête à s’engager pour l’association en mettant en scène cette expérience.
La revendication pour l’accessibilité de la cité est une action emblématique de l’association
E1 mon engagement, moi, c’est surtout dans l’accessibilité. Quand je vois une personne garée
sur une place handicapé, vous pouvez être sûr qu’ils ont droit à un papillon. Parce que ça,
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c’est quelque chose que je ne tolère pas. et de l’engagement des acteurs : « si tu prends ma
place, prends mon handicap » est une formule qui est souvent citée par les élus, qui leur
semble efficace et pertinente dans l’interpellation des citoyens qui ne sont pas concernés par
le handicap, en tout cas dans les situations d’interaction auxquelles ils sont confrontés. Cet
engagement au nom de l’accessibilité est l’expression d’une identité associative au sein de
l’APF. E6 Parce que je trouve qu’il est important de se battre au niveau de l’accessibilité, de
se faire entendre aussi, parce que c’est pas évident, lorsqu’il y a des choses qui ne vont pas
Le spécialiste de l’accessibilité est reconnu par ses compétences, sa technicité, il est un
véritable conseiller technique en interne mais aussi pour des partenaires extérieurs à
l’association, un expert de la cité et en même temps, un témoin de la limite citoyenne posée
par les barrières architecturales. Cette posture de technicien, que nous avons rencontrée dans
chaque délégation, au sein de chaque conseil, pose l’ambivalence d’une position militante,
revendicative du respect des droits posés par la loi, et de la caution technique donnée aux
acteurs institutionnels de la mise en accessibilité : architectes, maîtres d’œuvre, chefs de
travaux, services techniques des municipalités.
Les individus engagés représentent l’association au sein de commissions spécialisées, dans la
mise en place d’une gouvernance des collectivités et d’espaces de démocratie participative,
mais sont aussi de véritables experts professionnels du cadre législatif de l’accessibilité de la
cité.
La défense du droit au travail, considéré comme un facteur d’inclusion, l’action de
revendication et de lobbying auprès des structures et organismes qui décident de l’orientation
des trajectoires professionnelles est un objectif des personnes qui s’engagent.
E6 à travers l’emploi, tout ce que l’on vit au quotidien, la recherche, tout ce que l’on peut
connaître à travers sa situation, où c’est pas facile, ou c’est des fois un peu galère. C’est là que
je me suis dit « Tous ensemble nous serons certainement plus forts que tout seul. » C’est aussi
ça qui a fait et qui fait que je m’engage.
Même si ce domaine est très technique et entre dans le champ de la logique
d’accompagnement vers l’emploi, de la lutte contre la discrimination à l’embauche, de
l’insertion professionnelle, l’engagement dans l’association se fait aussi pour améliorer la
situation professionnelle des personnes en situation de handicap.
Toutefois, ce n’est pas la revendication majoritaire des élus des CD, qui se positionnent sur
l’expression plus globale de la notion d’inclusion, sans la définir très précisément. Il s’agit
d’un concept revendiqué, partagé, explicité par des spécialistes de l’association, qui est une
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référence instituée dans le nouveau projet associatif « Bouger les lignes », un « élément de
langage » incontestable, général, que l’on pourrait qualifier de dogmatique.
2.3. La construction d’une « carrière bénévole »
L’engagement dans l’association se fait de la même façon que dans le travail salarié et
poursuit un objectif d’évolution professionnelle, E2 Alors, je savais pas où m’orienter. C’était
soit faire du bénévolat de proximité, soit continuer le bénévolat à l’APF. les termes employés
sont proches de la recherche d’un emploi et du monde professionnel : poste ouvert, postuler.
E2 au bout de 4 ans, il y a eu le poste de président qui s’est ouvert sur le centre de loisirs à
Alzone et j’ai postulé pour la présidence et j’ai été élu président. La recherche du pouvoir en
prenant la tête d’une association de proximité après avoir été administrateur pendant plusieurs
années est similaire à la recherche d’une promotion professionnelle, d’une reconnaissance par
le passage à des responsabilités plus importantes. Ici, c’est l’élection qui est l’arbitre, la
légitimité est acquise par le vote, il n’y a pas de recrutement comme dans l’entreprise, mais il
y a une sélection, un acte de candidature posé.
Nous constatons que certains élus rencontrés ont été dans leur passé professionnel des
personnes en dynamique de promotion, de demande de reconnaissance de l’amélioration de
leurs compétences : dans des démarches d’autodidactes, par des concours internes, par de la
formation continue.
L’engagement dans l’association, puis plus tard dans les CD, a été précédé d’un engagement
dans le travail. L’évolution, le parcours dans l’association ont été précédés d’une évolution
professionnelle, de carrières en dynamique de progression.
La personne n’hésite pas à quitter le groupe social dans lequel il s’est intégré si celui-ci remet
en cause ou ne permet pas cette promotion, ou s’il est remis en cause et que ses compétences
ne sont pas reconnues. E2 Voyant qu’une hostilité commençait à se traîner autour de tout ça,
moi j’ai dit « stop ! Moi j’arrête. Ce qui fait, au bout de 5 ans, j’ai arrêté. Cette perte de
reconnaissance symbolique est assimilée à une perte de légitimité.
Tant qu’il y a de l’évolution et de la progression dans le pouvoir au sein de la structure, la
motivation demeure. E2 C’est que la motivation fait que j’adore apprendre. Apprendre,
acquérir un savoir-faire. Elle s’étiole au fur et à mesure que les perspectives d’évolution
diminuent. La trajectoire serait alors d’entrer dans l’association, d’adhérer, de militer, de
rejoindre le conseil départemental, puis une commission nationale ou le conseil de région,
pour enfin devenir membre du Conseil d’Administration.
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2.4. La logique de don réciproque
2.4.1. Etre bien reçu pour avoir envie de (re)donner
L’engagement s’inscrit aussi dans une dynamique de don.
S’appuyant sur Marcel Mauss qui l’a mis en évidence dans son Essai sur le don84, Jacques T.
Godbout85 considère le don comme un système fondé sur trois « moments » : donner,
recevoir, rendre. Le don demeure aujourd’hui un principe fondamental de circulation des
choses. Il est présent dans toutes les sphères de la société sous la forme du bénévolat, par
exemple.
Cette propension à donner l’a conduit à faire le postulat d’un homo donator . L’homo
donator constitue une force sociale élémentaire et un moteur important de l’action humaine.
Ainsi la personne qui s’engage dans l’association serait cet homo donator .
Fondamentalement, on donne parce qu’on a reçu. C’est ce qui est constaté empiriquement :
que l’on interroge les bénévoles ou les grands donateurs […] c’est la réponse la plus courante
: j’ai beaucoup reçu ; voilà pourquoi je donne. E4 j’ai du peut-être adhérer par acquis de
conscience, un peu dans le sens, on m’a bien aidé, il te faut participer à l’association. C’est
quelque part une reconnaissance de l’association et un juste retour des choses. Maintenant que
j’y suis bien dedans. Mais c’est également ce qui découle de la vision théorique du don
présentée ici. Le don n’est plus conçu comme un geste isolé, comme un « beau geste ». Il est
situé dans le cycle du don. Au fond, qu’est-ce qu’un donneur ? C’est un receveur qui
transmet. Donner, c’est rendre actif ce que l’on a reçu en le donnant à son tour. E6 Je trouvais
normal d’aider aussi les autres, vu que l’APF aussi m’a aidé dans mon parcours personnel et
aussi à travers la kiné, les médecins, et aussi ce que j’ai fait en classe de cycle adapté, avec un
cursus scolaire.
L’homo donator ne se voit pas comme origine, comme source, mais comme un receveur qui
donne à son tour. Le donneur n’est jamais la source ; il a toujours reçu. C’est pourquoi faire
l’expérience du don, c’est faire l’expérience d’être dépassé par ce qui passe par nous. Notons
que cette expérience n’est pas centrée sur le fait de donner, mais sur le fait que nous recevons
et nous faisons passer. C’est une expérience anti-individualiste. Elle exprime le fait que
fondamentalement, notre identité d’être humain se construit dans la mesure où nous rendons
actif ce que nous avons reçu en donnant à notre tour. E5 donc après de fil en aiguille, un
dossier une autre fois un autre dossier, je me dis « je profite, la moindre des choses, ce serait
84
MAUSS M., Essai sur le don, Paris, PUF. 2007 (réédit.).
85
GODBOUT J. T., « Don, solidarité et subsidiarité », Revue du MAUSS permanente, 8 mai 2009.
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d’adhérer, donc j’ai voulu adhérer […] mais j’avais pas du tout imaginé que je pouvais être
partie prenante.
L’entrée dans l’association se fait par besoin, pour demander un service, les personnes en
situation de handicap et leurs proches sont captifs de l’association, qui a des réponses à leurs
problèmes ou peut les orienter vers les services et structures adaptés. Une fois ces réponses
apportées, ces solutions proposées, les personnes sont inscrites dans une relation de
réciprocité avec l’association, elles sont redevables dans l’échange, et rendent le don qui leur
a été fait en adhérant ou en s’engageant dans les actions des délégations. E2 Donc la personne
vient en tant qu’usager, je pense, utiliser les services, être inscrit à un groupe initiative, etc. et
se dire que lorsqu’on a bien reçu les choses, pour moi c’est un argument : en recevant bien les
choses, on sait bien les donner. Il y a ambiguïté là aussi, dans la mesure où le service rendu
par l’association a été longtemps financé par la collectivité publique, et représentait donc une
déclinaison de la réponse d’action sociale, sous-traitée en quelque sorte par le Conseil
Général, par un conventionnement avec l’association. La personne qui recevait le soutien
reconnaissait donc l’APF, son projet associatif et ses valeurs, dans la prestation qui lui est
donnée, et rendait par son engagement à la dimension du mouvement, de la solidarité, ce qui
était finalement un service public technicisé et professionnalisé.
Cette double logique obligera les élus des CD à inscrire leur action dans ce que notre
hypothèse pose comme une hybridation : défendre la mise en place de la réponse en terme
d’action sociale et transformer les usagers en adhérents, militants potentiels, dans une relation
de don réciproque. L’entrée en association est reconnue comme une façon de rendre un don
derrière lequel se cache de la prestation d’action sociale.
La légitimité de l’action, la reconnaissance des élus par les adhérents et autres acteurs
associatifs locaux est une forme de reconnaissance sociale. Erik Neveu parle de rétribution de
l’engagement86, nous pensons que cette rétribution participe de la logique de don réciproque.
E6 J’ai reçu ça comme une, c’est une forme de reconnaissance, je pense.
2.4.2. Etre usager de l’association avant d’envisager un engagement
L’association est reconnue pour ses services et la spécificité de ses réponses aux demandes
des personnes concernées par le handicap E6 J’ai découvert l’APF à travers les institutions
spécialisées De très nombreux adhérents l’ont rencontrée par ce biais de la réponse d’action
sociale, qui historiquement, était apportée par les assistantes sociales. La mise en place d’un
86
NEVEU E., Sociologie des mouvements sociaux, 4ème édition, Collection Repères, Paris, La Découverte, 2005.
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cadre de réponse institutionnel, par la mise en place des MDPH87, a remis en cause ces
médiatrices de l’adhésion, qui avaient une position d’interface entre la réponse technique,
législative, juridique, et la mobilisation des usagers, adhérents puis éventuellement militants
potentiels. Les parents rencontrés dans le cadre de notre recherche ont fait ce parcours dans
l’association : rencontre en tant qu’usager qui accompagne son enfant E5 Disons que c’est ça
qui a déclenché le plus, j’avais dû avant exprimer une demande de participer certainement,
pour qu’elle m’ait proposé de venir, mais il y a eu quand même un temps important, bien je
pense 4 ans ou 5 ans où j’étais simplement usagère, demandeur de réponses concrètes aux
problèmes divers rencontrés, prise de conscience de la dimension collective et de mouvement
de l’association, découverte de l’association et de son projet, adhésion, mobilisation avec
d’autres parents, participation à des actions pour améliorer les conditions de vie de leurs
enfants. E5 je dis que la démarche de l’adhésion ou la démarche de l’engagement au CD, c’est
la même, parce que pour moi soit on décide que le gamin il faut l’aider, il faut l’assister, donc
on utilise que la partie usager, on demande que de l’aide, de l’aide, de l’aide, soit on décide
d’aller au-delà et d’être dans l’action, quoi
Les parents d’enfants adultes ont été aussi les premiers à contacter l’association pour une
demande d’aide. E3 Je pense que c’est mes parents qui ont rencontré l’APF avant moi,
puisque moi je devais être en rééducation. Ensuite, la délégation a contacté directement la
personne concernée par le handicap dans l’objectif de la faire participer aux actions menées.
Ainsi la motivation d’origine était une demande de service, la délégation transformant cette
demande dans une double logique de recherche d’autonomie de la personne et de participation
aux questions qui la regardent. Cette motivation est une motivation de parents que
l’association a renvoyée vers l’enfant adulte. Nous pourrions ainsi supposer que l’engagement
dans cette situation est indirect, reconnaissance mais aussi injonction de l’association, dans la
mesure où l’individu est dans une relation de dépendance à l’aide et au soutien qui lui sont
apportés.
La personne qui rencontre l’association peut aussi être usager des activités de la délégation,
consommateur des activités diverses, le plus souvent socioculturelles, qu’elle organise. Cette
forme de participation lui permet de découvrir l’association et de percevoir son champ
d’action.
L’individu qui s’engage sous cette forme le fait dans une dimension de socialité: il recherche
et crée de fait du lien social, qui permet de développer la dynamique associative autour de
87
Maison départementale des personnes handicapées
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rencontres, de constitution de groupes qui s’autogèrent et qui co-construisent leurs actions. E2
C’était co-animé. Il y avait vraiment un collège de copains et de copines. Et puis on était
chacun en se disant « tiens, qu’est-ce qu’on pourrait faire ? » Et on a commencé à avoir le
noyau dur qui s’est créé quand on a créé l’activité kart : on a acheté 2 karts aménagés pour
personnes ne pouvant pas du tout conduire le kart L’individu rejoint alors une dimension
collective.
2.5. Des engagements antérieurs à l’association, fondateurs de postures
militantes
L’engagement au sein de l’association a pu être précédé d’autres engagements antérieurs,
dans d’autres associations E4 Par exemple j’ai été aux restos du cœur, ou dans le mouvement
syndical. E7 j’étais engagé, allez disons le sans faire de politique, syndicalement. J’ai été
titulaire pendant un certain temps du syndicat le plus représentatif à la SNCF, la CGT. On
était assez dur à ce moment là.
E4 C’est vrai que bon, quand j’étais salarié, j’étais délégué du personnel. Et quelque part, être
adhérent à l’APF, enfin moi, c’est peut-être le syndicaliste qui va parler, c’est la défense des
personnes handicapées, et c’est vrai qu’il y a des choses à faire, y’en a…
Les personnes ont déjà expérimenté des participations au sein de collectifs, les savoir-faire et
savoir être acquis sont transférables dans le nouvel engagement. E8 mais je crois que l’on
m’avait repéré, vu mon investissement assez important dans ce que je viens de citer, depuis
des années Ce sont des compétences transversales que l’on perçoit dans l’analyse que les
personnes font de leur posture de militants au sein de l’APF : capacité à fédérer, à animer, à
favoriser les actions collectives, défenses de valeurs affirmées collectivement, expression
libre du débat et des idées, même si elles sont en désaccord avec d’autres membres du CD ou
avec les directeurs des délégations, connaissance de méthodologies de mobilisation, de
négociation et de revendication, sens des réseaux d’influence, décryptage pertinent des
organisations et des enjeux des acteurs, connaissance du fonctionnement et des rôles de
chacun dans l’environnement du champ social de l’association. E8 je suis venu à l’APF parce
que je pense que j’étais déjà militant associatif.
Parfois, l’engagement s’est construit dans un processus de socialisation familiale, la famille
est un environnement favorable à l’apprentissage de la militance, de l’engagement E4 Mon
père s’occupait aussi de milieu associatif. Elle est plus forte chez les individus qui sont
adolescents, les valeurs défendues s’ancrent fortement au moment de l’entrée dans l’âge
adulte et de la rencontre du monde du travail.
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Cette analyse des parcours des personnes avant leur rencontre avec l’APF nous permet de
retenir déjà des points communs entre les élus et de déterminer des éléments qui contraignent
ou facilitent l’engagement.
Certains éléments peuvent freiner l’engagement ou le reporter à plus tard comme la limite de
disponibilité due à une activité professionnelle ou à une famille dont on s’occupe : dans ce
cas, la fin de l’activité professionnelle ou le vieillissement des enfants ouvrent des
opportunités d’investissement dans l’association, qui pouvait être désiré mais étaient empêché
et avait été différé.
D’autres éléments sont déclencheurs de cet engagement comme la volonté de modifier la
représentation sociale du handicap dans l’espace public, de changer le regard ressenti sur les
personnes en situation de handicap, de refuser la stigmatisation des personnes et de leurs
proches, l’assimilation de l’évolution dans l’association à une évolution professionnelle, qui
serait une continuité de dynamiques interrompues par des ruptures biographiques, le souhait
de rendre ce que l’association a donné et le passé militant construit individuellement ou dans
des socialisations familiales.
Après nous être intéressé au parcours des personnes avant leur entrée à l’APF ce qui nous a
permis de repérer des facteurs déclencheurs de l’engagement, nous voulions aussi demander
aux élus comment s’était déroulé leur premier contact avec l’association puis leur
cheminement au sein de l’APF jusqu’à leur entrée dans les conseils départementaux. En effet,
le parcours de chacun dans l’association nous semblait important à connaître pour repérer
d’autres éléments déclencheurs de l’engagement. Notre hypothèse autour du parcours et de
l’expérience biographique individuelle devait être confrontée à tous les moments du parcours
des personnes jusqu’à leur rencontre avec les CD.
3. Parcours dans l’association de l’entrée à l’APF à l’entrée dans le CD
Une fois que la personne a rencontré l’association, qu’elle a choisi de s’engager,
commence un parcours d’intégration, plus ou moins long, dépendant de l’histoire
personnelle, du passé, des conditions d’accueil qui lui sont faites, des personnes
rencontrées, de sa propre capacité à accepter son « acculturation » dans une nouvelle
communauté. Ce parcours révèle des formes différentes d’engagement, des rapports
différents à l’association. Les personnes les plus engagées, les plus militants s’engageront
dans des domaines de compétences très spécifiques, l’accessibilité, le travail avec la
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maison départementale des personnes handicapées, ou rejoindront le conseil
départemental.
3.1. L’importance des rencontres
3.1.1. La rencontre ou le lien avec une personne déjà engagée
Souvent, une rencontre avec un militant charismatique et compétent dans son secteur
d’activité est un élément déclencheur de l’engagement. E2 Une personne était assez
fédératrice du groupe, c’était H. B. à l’époque, je m’en souviens. Il travaillait pas. Donc, lui il
avait un problème, je ne sais plus lequel, enfin bon, il avait les bras et les jambes. Mais il était
vraiment le fédérateur du groupe, il a vraiment été à l’origine et il a su capter les bonnes
volontés des uns et des autres
Il y a exemplarité de la pratique et partage de réalités sociales proches. L’accueillant devient
le relais de l’intégration du nouveau venu au sein de l’association, une sorte de tuteur que la
personne qui s’engage n’a pas oublié, auquel elle voue une reconnaissance singulière. E6 J’ai
rencontré à l’époque qui est toujours notre représentant, N V. Je crois que je l’avais rencontré
à C. lors d’une réunion, et après j’ai eu l’occasion de le revoir à la délégation.[…] Qui m’a
accueilli, je dirai, et j’en garde un très très bon souvenir, parce que c’est une personne, qui
pour moi, a été importante. Elle a une façon de vous expliquer, de vous écouter, qui fait qu’on
a envie de discuter,
On pourrait parler de compagnonnage dans l’engagement, la découverte de l’association, la
prise de responsabilité, la représentation du mouvement porté par l’histoire de l’APF et des
engagements passés. Une sorte de transmission des valeurs et de l’historicité de l’association
et de ses modes d’actions. Les personnes qui se rencontrent ont des intérêts communs,
défendent des valeurs communes, qui leurs sont propres mais qui appartiennent aussi au
monde social de l’association.
Des salariés, quand ils mettent en place des processus de recrutement de bénévoles, peuvent
solliciter des proches d’adhérents, qu’ils soient militants ou non, pour leur proposer de
participer et de mener des actions diverses : actions de recherche de ressources, tâches
administratives, accompagnement de personnes en situation de handicap. Il y a un fort
attachement d’anciens salariés à l’association et une fidélité aux liens qui se sont créés. Les
contrats de travail sont souvent précaires, les personnels en lien avec la vie associative sont
sur des CDD, mais le lien se crée et les professionnels s’attachent aux personnes qu’ils
accompagnent. E2 J’ai rencontré la délégation. J’ai rencontré S., qui est salariée de la
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délégation. Elle est secrétaire. Elle est là en alternance avec Marlène, en CDI, et à l’époque,
elle était toujours aussi à temps partiel à la délégation. C’est Sylvie qui m’a accueilli.
Aussi, quand ils partent, ces liens subsistent et ils peuvent devenir bénévoles, c’est ce que
nous avons constaté à travers plusieurs témoignages d’élus. Ce qui signifie que la marge entre
le statut de salarié et celui de bénévole est mince, pour ce qui concerne les contrats précaires,
l’engagement va au-delà du cadre fixé par le contrat de travail, il y aune sorte d’engagement
moral tacite de la part des salariés, que la précarité et la durée courte de leurs temps de travail
met dans une position ambivalente : salariés, bénévoles, militants ?
Les délégués, devenus directeurs de délégation, sont souvent cités comme les premières
personnes qui ont été rencontrées lors du premier contact avec l’association. E4 C’est là qu’il
m’a dit, écoute, je vais t’envoyer à une dame, F. G.. Il m’a dit tu vas la voir de ma part, tu lui
expliques, elle, elle est habituée, tu verras. Mais c’est vrai qu’au départ, il ne m’avait pas
parlé, à cette époque là, que c’était la déléguée de l’APF. Et je savais pas. Je suis allé la voir,
et puis on a parlé, elle m’a aiguillé vers le SAVS88 pour qu’il m’explique toutes les aides.
Nous avons vu dans l’approche socio-historique de la mise en place des conseils
départementaux que le statut et les missions des directeurs de délégation ont changé au cours
de l’évolution de l’APF, passant d’un rôle politique légitimé à des missions plus techniques
d’accompagnement des élus. A l’époque où leur appartenait encore les missions politiques de
déclinaison du projet associatif et de représentation des personnes, missions qu’ils
partageaient ou non, qu’ils co-animaient ou pas, dans lesquelles ils favorisaient,
encourageaient, permettaient la participation des adhérents engagés, ils étaient la référence de
l’association dans le département, centralisant le pouvoir technique d’agir et la légitimité
donnée par le Conseil d’Administration. Aussi, toute personne qui s’engageait les rencontrait,
ils aiguillaient les nouveaux arrivants vers les missions et les différents niveaux
d’engagements possibles. Dans les entretiens avec les élus, le charisme des délégués
départementaux ressort, ce sont des militants très engagés, leur engagement est communicatif,
ils représentent l’association et ses valeurs dans le département. L’apparition des CD est
venue interpeler ce rôle qu’ils tenaient, mais ils restent les « accueillants » principaux et
influents de tout nouvel engagé. E5 Je crois un beau jour c’est F. qui est venue me voir ,
pourquoi , je ne sais plus, je ne sais plus comment c’est venu, mais elle m’a emmenée, enfin
invitée , proposé de venir à une réunion.
88
Service d’accompagnement à la vie sociale.
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Historiquement, les assistantes sociales ont été incorporées comme salariées dans les
délégations, avec les délégués départementaux, qui eux ont été longtemps bénévoles : une
réponse technique, compétente dans le champ de l’action sociale, reconnue, diplômée,
cohabitait avec une réponse militante, engagée dans le mouvement, investie de la prérogative
politique. Aussi les futurs élus on pu rencontrer des assistantes sociales quand ils sont venus à
l’APF, E8 …si ce n’est une assistante sociale de l’APF, à cette époque là, qui était seule en
technicienne et qui m’a apporté une réflexion de fond pour voir comment on pouvait faire.
Parce qu’il y avait une AS, qui était Mme C., qui était de très très bon niveau : de
renseignement, d’accompagnement. et ont ressenti une attention et une écoute qui leur ont
donné l’envie de revenir et de s’engager plus dans un environnement favorable, empathique.
E4 Donc, j’avais rencontré C. D., l’assistante sociale. Et puis, de fil en aiguille, ça a noué des
liens, oui, moi, je me sentais bien ici, enfin ici, dans l’autre délégation.
Un lien pouvait aussi déjà exister avec une personne proche. Le plus souvent, ce lien est
familial, un conjoint ou un autre parent est déjà engagé au sein de l’association, n’en n’a pas
nécessairement parlé à la personne qui s’engage mais il y a un rapprochement et une volonté
d’intégration dans un espace social qui sera alors partagé. E1 Mais mon mari était déjà connu
ici. Parce que mon mari y était […] mon mari a pris l’adhésion à l’APF et moi je suis venue
après.
Le couple pour les conjoints ou la famille plus globalement pour les parents et leurs enfants
entame une socialisation dans une culture associative partagée, commune E2 C’est là que j’ai
connu V., la maman des enfants. : inversement, certains conjoints affirment une opposition
ferme à l’engagement dans l’association, il aurait été intéressant d’en rencontrer, la démarche
de recherche nous a permis de rencontrer les individus qui nous en ont parlé, mais pas leurs
conjoints. Ce refus d’engagement, tel qu’il est rapporté par les élus interrogés doit avoir une
signification et donnerait certainement des clés de compréhension de l’engagement, il ne nous
a pas été possible de l’analyser.
3.1.2. Des rencontres entre pairs
La participation à des rencontres nationales annuelles est un élément qui fédère les parents et
a déclenché des engagements durables dans l’association. E5 une journée nationale des
parents. C’était à Argeles-sur-Mer, justement c’était pas loin, ça tombait bien, elle m’a dit
« viens tu verras, y a d’autres parents qui se rencontrent. » et j’ai été emballée par le contexte,
l’occasion enfin de rencontrer des gens qui vivaient la même chose que moi finalement.
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Se rencontrer entre pairs et échanger sur des préoccupations communes, des réalités
partagées, est un facteur d’engagement dans une association qui n’est pas parentale, puisque
l’APF a été créée par des personnes elles-mêmes handicapées. L’engagement des parents n’a
donc pas été au fondement de l’association, mais il a fallu que la place des parents soit prise
en compte et que des espaces leur appartiennent : dans les instances de représentation des
adhérents (un quota de place est prévu pour les familles dans les CD et les Conseils de Région
et une commission nationale politique de la famille a été créée en même temps que les
Conseils).
Là encore, c’est un parcours et une évolution dans l’association qui se fait après l’engagement
du début. La participation à un espace de rencontre et de mise en réseau révèle à la personne
l’existence d’un environnement, d’un champ social, celui du handicap et des familles ayant
des enfants handicapés, d’une politique du handicap, avec des lois et un cadre d’intervention
sociale, des réponses institutionnelles qui peuvent être remis en cause du moment qu’ils sont
connus, analysés, critiqués. Cette première participation en appelle d’autres, dans d’autres
espaces, d’autres instances, toujours axés sur les mêmes problèmes qui se posent, mais à des
niveaux différents, avec des interlocuteurs différents. Les parents, dans leur cheminement,
rencontrent donc d’autres parents et se fédèrent autour de préoccupation communes.
De la même façon, le partage d’une expérience de maladie identique favorise les rencontres
entre pairs qui vivent les mêmes problèmes et contraintes et qui peuvent construire des
réponses collectives à leurs préoccupations E7 Et N. avait monté ce qu’on appelle un groupe
de sclérose en plaques, ou il avait pris, il était directeur à ce moment là. Alors là il me dit
« D., tu vas prendre mes responsabilités au niveau de la sclérose en plaques, j’avais pas
beaucoup…et puis je l’ai fait, voilà. Et je suis le référent sclérose en plaques au niveau
départemental et national. En constituant des groupes d’appartenance avec leurs codes et leurs
normes propres, rassemblées dans une même association mais membres de groupes différents
avec des univers communs et des représentations partagées de la réalité. Ces petites
communautés qui cohabitent au sein de l’association, avec leurs temps et leurs espaces de
rencontres formalisés et cloisonnés par thématiques ou types de maladies. C’est le cas de la
SEP qui a déclenché la création de nombreux groupes d’appartenance au sein de l’association.
E7 Dès le départ, SEP. Ayant la SEP, ils faisaient des groupes de parole qui existent toujours.
Des identités spécifiques revendiquées se sont créées : les parents d’enfants en situation de
handicap, les porteurs d’une maladie spécifique.
E5 Et quelques temps après avoir été aux journées des parents, je ne me rappelle plus de la
chronologie, après il y a eu la mise en place des groupes Handiscol, et donc F.
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automatiquement m’a contactée « ça serait bien qu’il y ait un parent, ça t’intéresse ? » Je lui ai
dit « oui, pas de problème. »
3.1.3. La participation à des temps forts institutionnels
Le Congrès national est un moment qui ponctue la vie de l’association, tous les 3 ans. Les
adhérents qui sont invités à ce temps fort de la vie de l’APF sont considérés comme des
militants, ils sont sélectionnés par chaque délégation, le nombre de place est limité. Le
Congrès, E2 Moi je me souviens du Congrès de Deauville où je suis allé, ça faisait un peu
plan-plan grand-messe. Et pourtant c’était la Charte qui avait été votée à Deauville, mais on
sentait cette version grand-messe où la parole n’était accordée qu’au compte-goutte. Il y avait
quelque chose qui était assez formel, quand même, assez rude. comme la Journée Nationale
des Parents que nous avons déjà citée, est un temps fédérateur, mobilisateur, qui déclenche
des engagements, qui retentit dans le parcours de la personne au sein de l’association.
Les Assemblées Générales sont décentralisées de Paris une fois par an : de nombreux acteurs
associatifs y participent, pour débattre et connaître l’actualité nationale de l’association.
Ces temps institutionnels qui rassemblent souvent de nombreux adhérents sont aussi investis
en vue d’un engagement futur : ce sont des lieux d’observation E1 Oui, ça je l’ai su [que le
CD existait] quand je suis allée aux AG, en allant aux AG. et de confirmation des souhaits
d’aller plus loin, de s’investir sur une dimension plus politique de l’association.
3.2. La montée en compétence des élus potentiels
Les acteurs associatifs construisent et renforcent leur connaissance de l’association quand ils
ont envie de prendre des responsabilités. La décision de rejoindre le CD est le résultat d’une
évolution au sein de la délégation, il faut avoir une certaine ancienneté pour avoir la légitimité
d’être candidat puis d’être élu.
Le bénévolat est une 1ère étape d’engagement dans l’association. Qu’il relève d’une démarche
programmée par la délégation, méthodologique, formalisée, planifiée, structurée, dans un
processus de recrutement, d’animation, d’intégration, E8 (La) déléguée, qui était là depuis des
années, j’ai eu à l’accompagner dans des rendez-vous où on allait voir le Préfet. Elle arrivait
toujours à me convaincre de la suivre. de fidélisation, de formation, ou d’un acte volontaire,
d’une candidature spontanée, E2 Et au bout de 6 mois, je connais son importance, je connais
son rayonnement, je ne connais pas les gens de la délégation APF de l’Aude, et donc, je suis
venu les rencontrer. En disant « voilà, j’ai les 2 mains de libres, et bien s’il y a quelque chose
à faire, vas-y ! » le bénévolat transforme l’individu qui le pratique en « acteur associatif »
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reconnu, informé des actions de l’association, de ses valeurs, de son projet associatif, de ses
perspectives.
Les actions ressources sont des espaces d’intégration de nouveaux bénévoles, et de premier
engagement au sein de l’association. E1 Claudine cherchait du monde. Et puis après, un jour
elle me dit « j’ai besoin de quelqu’un pour la Fête du sourire ». Donc c’est comme ça que je
suis allé progressivement avec elle sur les ressources.
Elles permettent aux individus de rejoindre un collectif, de rencontrer d’autres personnes
engagées, comme eux, et de partager un projet concret commun. E2 On est parti en 98, et
entre 96 et 98, je me suis occupé des activités ressources. Enfin bref, j’ai touché un peu aux
activités qui tenaient à la délégation, pendant 2 ans.
L’engagement que nous appellerons de 2ème niveau, proche du militantisme, de la défense des
droits des personnes, qui correspond aux missions des élus, en lien avec le projet associatif et
dans une compréhension de toute sa dimension conceptuelle, viendra plus tard, la mise en
place des CD le favorisera et cristallisera une forme d’engagement que nous avons retrouvée
chez la majorité des élus.
Le bénévolat est une occasion de découverte de l’association, au niveau local, départemental,
régional, national. E2 Donc un jour je suis venu à la délégation, et j’ai dit « s’il y a quelque
chose qui reste à faire à la délégation, et bien je prends, parce que j’arrive et je voudrais
apprendre la délégation. »
Les implications sont multiples sur des actions diverses, techniques, relationnelles,
administratives, politiques.
-
Aide aux personnes en situation de handicap, individuelle ou collective :
-
Participation aux actions ressources et de communication :
-
Représentation de l’association :
-
Représentation du handicap, témoignages, sensibilisation :
-
Participation :
Les engagements bénévoles rejoignent les différentes dimensions de l’action associative : vie
associative, représentation politique, mouvement, accompagnement des personnes.
Au fil du parcours dans l’association, les rôles joués en tant que bénévoles évoluent vers des
missions plus transversales, une vision plus globale et une connaissance accrue de
l’association et de son fonctionnement, une prise de pouvoir sur les actions et projets de la
délégation, un engagement plus militant, si le directeur et l’équipe des salariés le permettent.
E4 Et puis, et puis, je me suis investi dans beaucoup de choses. Et F. m’a parlé qu’on pourrait
créer un groupe SEP qui n’existait pas. […] Et puis, elle m’a parlé de créer un groupe SEP, ça
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m’a bien plu, et puis j’y suis. Et entre-temps, il y a eu le conseil départemental. Tout
s’enchaîne. Ce n’est pas l’objet de notre recherche, mais nous faisons en effet l’hypothèse que
les salariés de l’association, plus particulièrement dans les délégations, les directeurs, peuvent
ou non faciliter cette évolution, cette progression des bénévoles engagés vers des
responsabilités que demande le mandat d’élu de CD. La relation entre ces deux statuts, celui
de salarié directeur et celui d’élu bénévole a une influence sur la place prise et les rôles joués
par les différents acteurs E8 Je crois, il faut absolument que ces conseils existent, soient
reconnus et soutenus par l’APF, et qu’il y ait un très bon travail avec le directeur de
délégation parce que on a tout à y gagner.
Certains élus n’ont pas arrêté leurs missions bénévoles quand ils ont été élus, intervenant dans
des registres différents de l’association. E4 Oh, c’est surtout, c’est là que, comme je suis
référent du groupe SEP, je suis allé à Paris.
L’évolution et l’acquisition d’expérience chez les élus se fait par la pratique du travail
effectué par les CD, mais aussi par des formations qui répondent aux attentes qu’ils ont faites
et à celles de l’association, et qui sont construites par l’institution : il n’y a pas de passage
obligé, de cycle de formation imposé. Les échanges au cours des réunions sont aussi des
temps d’apprentissage, l’association crée régulièrement des outils pédagogiques et de
l’ingénierie de formation pour vulgariser des textes de loi, des approches conceptuelles qui
nourrissent les revendications, les positions, la doctrine associative. Ces postures
d’apprentissage de la part des élus E2 Oui, ce que je veux dire, qui n’est pas un élément
nouveau par rapport à mon engagement militant et bénévole, c’est surtout la volonté du savoir
et du savoir faire et de transmission de ressources de la part de la direction de l’association
construit un langage commun, des « répertoires de valeurs » partagées par les acteurs
associatifs E2 Du tout, au contraire, il y des choses qui vont se compléter, parce que
l’expérience, les arguments, les idées, il y des choses comme ça qu’on a apprises sur le terrain
et qui vont forcément servir d’outils pour étayer des choses qui sont dites.
Nous explicitons ces répertoires dans une autre partie du mémoire.
Dans la stratégie d’évolution au sein de l’association, la durée est une condition de
l’apprentissage des fonctionnements, des personnes, de la culture institutionnelle, qu’elle
concerne les salariés ou les bénévoles. Les élus ont une certaine ancienneté dans leurs
délégations respectives, ils ont acquis une connaissance de la structure et de son
environnement, volontairement E7 Du jour où je suis rentré à l’APF jusqu’à aujourd’hui,
l’APF a complètement changé pour moi, je ne croyais pas que c’était une si grosse entreprise,
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une si grosse maison qui s’occupait de tant de choses, qui avait tant de choses à faire. Moi j’ai
appris l’APF de A à Z, en partant du commun. ou non : cette expérience les légitime dans le
cadre de l’association, E2 Et en fait la crédibilité et l’image s’est faite au fur et à mesure.
Ils se sentent prêts à s’engager plus. E2 Parce que c’est pas l’anarchie, c’est automatiquement
organisé et à partir de là et bien on s’y installe, on apprend, chaque chose en son temps. Et à
un moment soit on se dit « stop, on en fait suffisamment.» soit on se dit « j’ai encore envie de
faire autre chose. » et à ce moment là, on fait. C’est ce côté progressif. Nous parlerons d’une
organisation apprenante, au sein de laquelle on évolue après s’être engagé, vers d’autres
missions, d’autres responsabilités. Nous pouvons parler de montée en compétence des élus
potentiels. L’apprentissage des politiques publiques, de l’environnement social du handicap,
des différentes instances et des textes législatifs qui régissent l’organisation de l’action sociale
se fait au cours des réunions de CD, de journées de formations, organisées en interne, qui
réunissent les élus et d’autres acteurs. Des élus deviennent de véritables experts d’une
question spécifique, s’étant intéressés à un sujet, ayant lu, compris et retraduit des lois, ayant
appris à connaître (souvent après l’avoir exigée) la mise en application de décrets.
Il y a aussi acquisition de compétences et inscription dans des réseaux sociaux, avant de
rejoindre l’association, en rapport au champ d’action du handicap. E1 Moi je voulais, parce
que je connais beaucoup de personnes, de par mon travail, de par ce que j’ai vécu, je connais
beaucoup de personnes
Les compétences acquises, l’expérience professionnelle qui appartient à la personne qui
souhaite se faire élire ne seront pas nécessairement réinvesties dans son engagement au sein
de l’association, mais elles constituent une identité professionnelle dont le candidat se
recommande, qui a construit et peut continuer de construire son identité sociale. La personne
rejoint l’association avec son passé, la construction individuelle de sa propre identité sociale.
Une fois qu’ils ont rencontré l’association, certains élus ont développé des projets spécifiques,
soutenus par leur délégation, qui les appuie par de la méthodologie, des outils de
communication, de la mise en réseau. Cet investissement dans des projets avec des objectifs
qui se concrétisent même s’ils évoluent en cours de route, est un premier pas vers une
responsabilité au sein de l’association, les compétences acquises se rapprocheront de celles
qui seront demandées aux élus des CD, dans des domaines spécifiques. E8 on sait très bien
qu’il fallait absolument sortir le plus vite possible ces gens qui étaient en souffrance chez eux.
Alors, accompagnement individuel, c’était une solution. On a créé « Handi Mobil » sur ma
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demande qui était un transport qui a commencé à petite dose mais qui était déjà bien
confortable à prendre les gens chez eux et les amener d’un point à un autre et après, sur ça, je
m’engageais, enfin on s’engageait à mettre une action collective sur le département pour
permettre aux gens de se rencontrer. Et de les accompagner. Parce qu’on avait quand même
des pathologies très lourdes, on a des pathologies très lourdes, et l’intégration vers une autre
association dite traditionnelle n’était pas faisable.
L’animation de réunion, l’appui sur le réseau, la mobilisation des personnes, l’appréhension
de l’environnement du handicap, des compétences multiples qui existent, autant de savoir
faire qui faciliteront l’engagement dans les futurs conseils. E5 et ensuite quand je suis allée
aux journées des parents, j’ai dit « non, il faut faire une association de parents d’enfants
handicapés moteurs APF. » […] Oui voilà, j’animais, j’organisais les réunions. Nous , on
avait une idée vraiment de faire des actions, d’intervenir dans les écoles pour faciliter les
intégrations scolaires, d’intervenir auprès des maires. Nous, notre gros souci, c’était surtout
l’intégration scolaire et puis en fait, au fur et à mesure que d’autres personnes venaient dans le
groupe, on s’est rendu compte que la demande des autres parents, c’était surtout un groupe
d’échange, en fait.
Les personnes engagées ont pu prendre confiance en elles et en l’association et ses différents
acteurs, l’association a pu connaître des personnes compétentes dans un domaine particulier :
les problématiques liées aux enfants en situation de handicap, à la SEP, à l’accessibilité, pour
citer quelques exemples, qui sont des thèmes pris en compte par l’association, peuvent être
incarnées puis déclinées au niveau local par des personnes compétentes devenues des
spécialistes.
Un ancien délégué était engagé au sein de sa délégation bénévolement, nous l’avons inclus
dans ce critère d’analyse : son projet a été le développement de la délégation comme
directeur.
De par leur domaine d’engagement et les actions bénévoles qu’ils mènent, leur passé et leur
histoire au sein de l’association, certains individus ont été invités dans les réunions du CD
quand il s’est créé, E3 Bé en fait au départ, je venais en tant qu’invité aux réunions du conseil.
afin de leur permettre de participer aux délibérations et d’informer les représentants des
adhérents sur leurs interventions, leurs représentations, leurs manière de fonctionner, et sur ce
qu’ils attendaient du CD. Ils étaient aussi associés aux projets du CD et leur contribution était
demandée. E7 Je l’ai découverte après par les réunions, parce qu’on fait pas mal de réunions.
Avant qu’on soit élu. Nous assistons à un management des bénévoles, l’objectif étant de les
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amener vers une candidature au prochain CD. Ils ont été détectés, sélectionnés, et les
membres du CD avec le directeur de la structure, les ont pressentis pour le prochain CD. E8
Parce que bon, il y avait des gens qui avaient déjà une très bonne expérience de
correspondant. Parce que au fur et à mesure des années, des gens été implantés, connus,
avaient une maîtrise de certains sujets et dossiers, ou contacts ou relationnels. Et ils ont adhéré
assez facilement à candidater, comme tu dis, et après, ils voulaient, je sentais, que je prenne,
si il y avait une mission comme ça, il fallait que je reste suppléant, euh représentant.
Ce rôle de « recruteur » d’élus a été joué par les anciens délégués départementaux quand il a
fallu créer les 1ers conseils, il le sera ensuite par l’équipe du CD, directeur et membres élus.
Un élu rencontré a été délégué départemental bénévole auparavant. E8 Non pas salarié. J’ai
suivi les formations. J’ai été de toute façon un des derniers délégués bénévoles. Et je me suis
attaché à cette mission.
Quand le CD s’est mis en place, il a eu le choix entre rester délégué, ou plus exactement
devenir directeur de la délégation salarié, ou être candidat aux élections. Il opté pour rester
bénévole et s’est donc présenté comme candidat au CD. Il a été élu comme membre du CD
par les adhérents du département, puis comme représentant du CD par les autres élus.
Son expérience d’attaché de délégation au début puis ensuite de délégué faisait de lui un élu
du CD potentiel, il avait été le représentant de l’association au niveau politique en même
temps qu’il avait développé les projets de la délégation. Le changement de statut n’est pas
développé dans cette partie du mémoire, il interroge la place prise par les élus dans le conseil,
une fois qu’ils y sont entrés, mais nous pouvons déjà nous poser la question du jeu des acteurs
dans une telle situation : en effet, l’ancien délégué bénévole garde ses prérogatives politiques
en restant bénévole, mais devra travailler au quotidien avec un nouveau directeur salarié, qui
lui prend sa place.
Avant que les CD n’existent, des adhérents étaient déjà représentants de l’association et de ses
usagers dans des instances locales, CCAS89, CCA90, CIA91. La mise en place du conseil a
confirmé ces personnes dans leurs missions, leur assignant une légitimité à représenter les
adhérents. E2 Oui, elle avait un investissement bénévole. Par contre, de représenter l’APF, au
niveau de son domicile, enfin sur la commune là ou elle réside. Donc elle a voulu rejoindre le
conseil pour « valider » sa représentation locale.
89
Centre Communal d’Action Sociale
90
Commission Communale d’Accessibilité
91
Commission Intercommunale d’Accessibilité
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Ces représentations se font maintenant sous le contrôle du CD, c’est lui qui propose, désigne
et valide les nouveaux représentants.
3.3. Le rapport à soi
Les élus que nous avons rencontrés ont des rapports différents à l’engagement. Nous avons
repéré trois caractéristiques que l’on retrouve chez Irène Pereira lorsqu’elle interroge les
raisons qui font que les individus s’engagent ou ne s’engagent pas, mais aussi les rapports
qu’ils ont avec leur engagement.92
Ces caractéristiques définissent des « profils » d’élus en fonction du rapport qu’ils ont avec
leur engagement :
-
Le rapport total à l’engagement
Pour dégager l’origine du rapport total à l’engagement, l’auteur part de la figure de ce que
Jacques Ion appelle le militant93 : « Il se doit d’être originaire du même milieu que ceux qu’il
doit représenter et ne peut être porte-parole qu’à proportion qu’il présente les
caractéristiques factuelles du groupe d’appartenance […] Etymologiquement, il est celui qui
risque sa vie en soldat dévoué à sa cause. Formé à l’intérieur du groupement et donc lui
devant tout, promu grâce à lui, il fait don de sa personne pouvant même parfois sacrifier sa
vie privée, négligeant le présent pour mieux assurer l’avenir […] L’individu tout entier est
requis, mais simultanément, la personne privée n’appartient que rarement, puisque aussi bien
il n’exprime l’entité collective qu’en taisant ses caractéristiques personnelles. »
Le rapport total au militantisme considère que l’individualité est la conséquence d’une
certaine forme de communauté. Tant que cette forme de communauté n’est pas atteinte, la
revendication d’une individualité ne peut être qu’une revendication illusoire.
existe chez certains élus. Le fait d’être atteint d’une déficience provoque souvent une volonté
de dépassement de soi, qui mène à ce rapport total à l’engagement, sorte de surcompensation
de son handicap. La personne se sent redevable d’avoir été aidée et soutenue par l’association,
sa reconnaissance est sans limite. E2 C’est dans ma nature ça. C’est le fait d’aller chercher des
choses qui, oui, d’essayer d’aller au maximum de mes capacités. Ça a été le cas pour le
92
PEREIRA I., « Individualité et rapports à l’engagement militant », Interrogations, Revue pluridisciplinaire en
sciences de l’homme et de la société, Numéro 5, Décembre 2007.
93
ION J., « Interventions sociales, engagement bénévoles et mobilisation des expériences personnelles », in ION
J. et PERONI M., Engagement public et exposition de la personne, La Tour d’Aigues, Ed. de l’Aube, 1997, p.81.
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travail, ce sera le cas pour le bénévolat. C’est à dire d’aller chercher les capacités, on est
capable de faire des choses. Après c’est de persévérer pour aller chercher, je dirai, la plus
value maximum dans ce que je fais.
La posture est individualiste car il y a une recherche de limite des capacités, là ou le sens
commun définit le handicap par rapport à des incapacités, et en même temps collective,
puisque l’engagement rejoint d’autres engagements, militants, créant un mouvement collectif,
un monde social qui appartient aux adhérents de l’association. Nous rejoignons la définition
de Howard S. Becker donnée dans le chapitre sur l’approche théorique, l’intérêt de
l’engagement militant est à recherche ailleurs que dans le seul projet de l’association, aussi
proche soit-il des valeurs de la personne engagée.
Historiquement, l’engagement des plus anciens militants est total, ils reprochent d’ailleurs aux
nouveaux de ne pas suffisamment s’investir.
-
Le rapport esthétique individualiste à l’engagement
Ici encore, Jacques Ion est cité quand il montre dans ses travaux que la figure du militant est
remplacée aujourd’hui par un engagement distancié. Néanmoins, entre la figure dominante du
militant et cette nouvelle forme d’engagement, il s’écoule une période durant laquelle
l’engagement perd en partie de son attrait durant les années 1980 : cette période correspond à
celle de la remise en cause de la critique sociale et d’une éthique du souci de soi. L’auteur
constate que cette philosophie du « souci de soi » s’inscrit dans un désengagement collectif au
profit d’un rapport de soi à soi. E6 Pour en revenir à ce que je fais au niveau de l’APF, je suis
très heureux de le faire.
L’individu peut ainsi trouver son épanouissement individuel avec d’autres individus, mais il
peut aussi mettre fin à ses relations sociales si elles ne sont pas une source d’épanouissement
individuel. E4 Enfin moi, c’est mon dada, je fais du bénévolat là où je me trouve bien, et au
sein de l’association, pour l’instant, enfin pour l’instant j’espère que ça va durer, je m’y
trouve bien.
-
Le rapport pragmatiste à l’engagement
« Avec l’engagement distancié, le sacrifice du privé sur l’autel de la cause n’est plus de mise.
Mais cela ne veut pas dire pour autant que toute implication serait sur le point de disparaître
bien au contraire. […] Dans l’engagement distancié, c’est la personne singulière qui se
trouve impliquée, voire exhaussée. » E7 Puisque le conseil m’a fait investir, je me suis
investi. Il était là pour, je les ai écoutés, on a travaillé, et puis ça me plaisait.
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Pour Jacques Ion, « l’individuation croissante ne signifie pas forcement repli sur la sphère
privée et moindre engagement dans la cité ». Cela signifie par conséquent qu’il est possible
d’articuler affirmation libertaire de soi avec un engagement collectif. Le rapport distancié au
militantisme se caractérise, selon cet auteur, par un idéalisme pragmatique qui « manifeste une
articulation des rapports entre les fins et les moyens, entre les objectifs lointains et les
méthodes de la lutte quotidienne ».
Comme j’arrivais à la retraite, je pouvais plus faire […] je ne pouvais pas rester sur un
fauteuil, sur un canapé regarder la télé 24h sur 24, c’est pas dans mon tempérament.
Les individus engagés le plus récemment sont plutôt dans ce rapport à l’engagement
pragmatiste. Irène Pereira pense qu’il est dominant, parce qu’il constitue une tentative
d’alternative à la fois au rapport total qui sacrifiait l’individualité au profit du collectif et au
rapport esthète qui sacrifiait la solidarité et l’engagement collectif à l’affirmation de soi.
3.4. Une stratégie de prise de pouvoir dans l’association
L’engagement
dans
certaines
missions
bénévoles
est
une
stratégie
individuelle
d’apprentissage de l’association : agir au niveau d’un outil de communication est un exemple,
car cette mission se situe à l’interface de l’ensemble des actions et missions de la délégation,
il fait le bilan des actions menées et communique aussi sur les perspectives. De plus, un
journal, lien avec les adhérents, connait bien la vie de l’association et de tous ses acteurs, il
peut transmettre des informations. S’occuper de cet outil est une opportunité de contrôler le
lien avec les différents acteurs. E2 J’ai fait le Zoom (nom du journal) et uniquement le Zoom
pour débuter dans la délégation, pour apprendre le fonctionnement de la délégation. Et donc
j’ai fait le Zoom, ça m’a intéressé plus que ça et au bout d’un an. Cette stratégie vise une
évolution au sein de l’association, une prise de pouvoir : l’élu que nous avons rencontré qui
avait été dans cette démarche est devenu représentant du CD, comme il avait auparavant été
président d’une association. Au moment où nous l’avons rencontré, il était également candidat
au conseil d’administration de l’APF.
Une volonté de prendre de l’influence dans l’association, une stratégie de promotion
personnelle, qui est à mettre en lien avec un parcours professionnel qui a évolué grâce à de la
formation interne. Pour cet élu, le CD est arrivé au bon moment, qui lui a permis de prendre
en responsabilité des missions, des dossiers de la délégation qui lui ont donné un pouvoir de
décider et d’agir qu’il recherchait dans sa démarche cohérente d’évolution : comme une
évolution professionnelle E2 Ayant pris le pouls de la délégation en côtoyant tout le monde,
j’ai dit à F. que j’étais intéressé par le fait de suivre des dossiers de délégation, c'est-à-dire
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d’approfondir un peu mon activité bénévole à la délégation et de voir des dossiers peut-être un
peu plus denses, des choses plus fournies en tout cas Et c’est tombé pile poil avec, comment
dirai-je, le nouveau projet associatif « Acteur et citoyen », avec justement restructuration des
délégations, mise en place des conseils départementaux.
En même temps, le passé dans l’association sur des missions diverses donne une légitimité
par rapport aux adhérents qui seront amenés à voter pour élire les membres du CD, puis pour
devenir représentant au sein du conseil E2 il y a eu l’opportunité d’élire un suppléant et un
représentant, et je me suis dit « tant qu’à faire, puisque je me suis déjà présenté d’une certaine
façon, allez j’ose candidater pour le poste de représentant, et voir si les gens m’éliraient en
tant que représentant du CD. »
3.5. Prendre confiance en soi
La participation au conseil départemental met les élus en position de prendre des décisions et
de se mettre en scène dans de nombreux espaces sociaux, pour y représenter les personnes en
situation de handicap. Cette participation sociale les oblige à jouer des rôles sociaux auxquels
ils n’étaient pas habitués, à confronter leur identité sociale à d’autres. E2 il y a eu le fait aussi,
ayant une nature assez timide ou réservée, n’ayant pas le réflexe à prendre la parole, là j’ai le
réflexe de prise de parole que j’avais pas. Oui, ça a changé, quoi, ça m’a changé. On peut
l’affirmer ouvertement, ça m’a…sur le plan personnel, ça a été quelque chose. Et les gens me
le disent, d’ailleurs.
Ceci leur permet d’acquérir une confiance en eux, d’oser agir, de prendre la parole en public.
Ces changements agissent durablement, au sein de l’association comme à l’extérieur. E8 Et là,
des moments, je pouvais m’autoriser à dire des choses que aussi bien au niveau du national,
aussi bien au niveau des partenaires. Ces acteurs associatifs reconnus ont acquis une plus
grande facilité à être et revendiquer d’être des acteurs dans la cité.
Nous avons pu voir à travers les différents témoignages d’élus que leurs parcours ont été en
effet des éléments déterminants de leurs engagements dans l’association.
Leurs rencontres et leurs investissements dans les conseils départementaux ne sont pas
fortuits, ils sont l’aboutissement d’un processus d’intégration et d’identification, consécutifs à
leur rencontre avec l’association, qui a été précédée par des engagements antérieurs chez tous
les élus, sauf une.
Notre seconde hypothèse se confirme, le sens des engagements est à rechercher dans des
logiques de parcours individuels.
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Parcours antérieur des personnes qui ont vécu des ruptures biographiques dues
essentiellement au handicap. Ces ruptures ont amené une prises de conscience de la réalité
vécue par la personne atteinte et une connaissance d’un monde social inconnu jusque là.
L’association appartenant à ce monde, il pouvait paraître logique de venir la rencontrer.
Mais cette rencontre s’est faite par des personnes qui avaient déjà eu des engagements
antérieurs dans des logiques collectives au sein de syndicats, de partis politiques,
d’associations diverses, donc qui considéraient l’APF comme une structure qui pouvait
répondre à leurs préoccupations, mais aussi comme un espace collectif qui était en capacité de
« politiser » les problèmes qu’ils rencontraient, et de les mettre sur la place publique.
Nous pensons que les élus ont développé une connaissance des environnements institutionnels
dans leurs parcours antérieurs, en participant à d’autres projets collectifs, et que le modèle de
l’action inscrite dans une logique de mouvement est connu d’eux, ils le retrouveront dans
l’APF.
Parcours à l’intérieur de l’association, une fois que les personnes y sont entrées : nous
avons repéré des similitudes dans la façon dont les personnes ont été accueillies, dont leurs
parcours antérieurs ont été pris en compte par des acteurs historiques, emblématiques et
souvent charismatiques des délégations, qui les ont transformés en dynamiques de
mouvement collectif, les projets individuels ont rejoint et enrichi le projet de l’association, les
individus l’ayant accepté à condition que cette dynamique collective prenne en compte leurs
problèmes personnels.
Ce parcours dans l’association est initiatique, il appartient aux « parrains accueillants » de
confirmer les personnes dans leur militance, la condition sine qua non est l’appartenance au
monde social du handicap, directement, si l’on est soi même atteint par une cause de handicap
ou indirectement, si l’on est un proche d’une personne concernée, ou un militant de la cause
(mais dans ce cas, la légitimité est plus difficile à acquérir).
Ce parcours dans l’association est aussi un apprentissage continu, qui passe par des
formations, des partages d’expériences, des échanges de pratiques avec d’autres militants, la
participation aux temps formalisés par les délégations et l’association en général : réunions,
Congrès, rencontres avec le Conseil d’Administration.
Parcours au sein du conseil départemental, après l’élection, avec des investissements et des
formes de participations divers, selon que l’élu est représentant ou non, selon que le conseil
lui confie des responsabilités ou non.
Nous parlerons de parcours dans le conseil pour les élus qui y vivent une évolution
progressive de leur cadre d’intervention et de leurs prérogatives, mais ce n’est pas à ce niveau
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que se fonde l’engagement : il s’y confirme, s’y renforce, et peut être un passage vers un
engagement au sein du Conseil d’Administration.
Mais les effets de parcours ne sont pas les seuls à fonder le sens de l’engagement, comme
nous le supposons dans la première hypothèse.
L’histoire et l’évolution de l’APF rejoignent l’évolution d’autres associations d’action sociale,
ce qui ne veut pas dire que la prise en compte et les mutations de l’association soient les
mêmes que d’autres. L’APF a eu sa propre réponse : la mise en place des Conseils
Départementaux.
Le passage d’une logique de mouvement, de solidarité, avec des répertoires de valeurs que
nous allons définir, à une logique gestionnaire et de professionnalisation, autour de pratiques
que nous décrirons également, est au cœur du changement au sein de la structure associative.
Le contexte socio-historique, autant que le contexte environnemental actuel dont il est issu,
ont aussi fondés des engagements.
Les fondateurs originels, les pionniers, les innovateurs, les créateurs sont des acteurs
associatifs qui ont inscrit leurs pratiques associatives dans le temps et tout au long de
l’évolution de l’APF.
Nous allons analyser ce que les élus des conseils nous disent de l’influence du contexte
associatif et sociétal, au moment où ils se sont engagés.
4. Changement organisationnel et évolution de l’engagement
Comme nous l’avons expliqué dans le chapitre qui décrit la genèse de la mise en place des
conseils départementaux, l’association est en évolution depuis le moment où elle a été fondée,
en même temps que s’est modifié le contexte sociétal dans lequel elle intervient. L’espace
social qu’elle définit agit dans un contexte social en mutation.
Nous avons résumé cette mutation comme le passage d’une logique de mouvement à une
logique de professionnalisation.
Or, les conseils départementaux sont apparus après que cette mutation sociologique se soit
opérée, ce qui pourrait paraitre paradoxal, si l’on suppose que la mise en place des CD révèle
une volonté de remettre du mouvement par de la participation des adhérents aux actions de
l’APF. Créer des instances collectives de participation locale, avec un rôle politique affirmé,
donc situées dans une logique de mouvement social, irait à l’encontre d’un contexte qui tend à
professionnaliser l’action sociale, à la formater, dans une logique gestionnaire.
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Pourtant, de nombreux acteurs de l’association se sont engagés au moment de la création des
conseils, il y donc eu un effet de contexte, lié à cette mutation.
C’est ce que nous allons analyser dans la partie suivante, à partir des interviews réalisées.
4.1. L’engagement dans le CD : une discrimination positive
Une détermination forte est souvent le moteur de la motivation chez les élus qui s’engagent
E1 Mais je suis quelqu’un, quand je veux quelque chose, je le veux. Voilà.. Elle est issue du
fait qu’un proche est concerné par la situation de handicap, ou la personne elle-même : tous
les élus rencontrés sont touchés par le handicap ou ont des enfants concernés. Le règlement de
constitution des CD pose d’emblée l’obligation qu’il y ait une majorité d’élus dans ces 2
situations (rappel du règlement qui limité la place des personnes non concernées
directement ou indirectement par le handicap). Une forme de « discrimination » des valides
E1 J’aurais voulu participer à une commission à Paris, mais je n’ai pas pu parce que je ne
rentre pas dans le critère des gens qui peuvent être élus. Ainsi, la norme établie constitue une
sorte de monde clos dans la dimension politique de l’association, les mandats de
représentation appartiennent aux adhérents « originels », les personnes handicapées E1 parce
que je me sentais complètement isolée, puisque tout était réservé pour les personnes en
situation de handicap à mobilité réduite. Quand ce n’est pas le cas, ce sont des parents qui ont
aussi le pouvoir. Les légitimités dépendent du rapport au handicap : plus on en est proche,
plus on peut exercer un pouvoir politique au sein du collectif E1 A l’APF, malheureusement,
ne peut être représentant départemental ou suppléant qu’une personne handicapée physique,
qu’une personne ayant des enfants handicapés physiques. Cette logique de discrimination
positive interroge l’organisation et la place des autres acteurs qui ne sont pas atteints par le
handicap. Ils peuvent venir militer pour défendre des valeurs qu’ils partagent avec
l’association, mais on leur demande de situer leurs engagements dans un appui, une
technicité, un accompagnement d’élus légitimes. Comme nous l’écrivions dans l’approche
socio-historique de l’APF, de nombreux délégués départementaux, devenus depuis directeurs
de délégation, n’ont pas compris ni accepté ce qu’ils ont vécu comme une remise en cause de
leur légitimité, en quelque sorte comme une discrimination.
4.2. Un changement pour les délégations
Un élu rencontré fonde le début de son engagement au moment du changement de
fonctionnement de la délégation dans laquelle il lui arrivait de participer, mais sans véritable
implication. Ce changement correspondait à une vision qu’il avait de ce qu’aurait dû être
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l’association, et que l’association a connu dans les années 80 E8 je connaissais l’APF et je
connaissais l’APF sous un angle de fonctionnement très ancien, qui était, Melle C., qui était
un fonctionnement qui ne m’attirait pas tellement. Beaucoup de demoiselles, c’était l’ancien
système, avec, un petit peu, une résonnance catholique, qui me, qui avait un esprit pas
tellement ouvert. Les militants de cette époque étaient le plus souvent des « dames
patronnesses », proche de l’église, et inscrivaient leur engagement dans une vision caritative
du handicap et des personnes touchées par le handicap. Il s’agissait pour elles d’assister, de
s’apitoyer, de plaindre, de secourir. La volonté et les valeurs d’une autre génération de
militants, eux comme les fondateurs, en situation de handicap, était celle d’une
responsabilisation des personnes, d’une prise en compte de la capacité à agir, décider, d’une
reconnaissance de citoyenneté. Certains engagements ont pu se déclencher quand cette
logique caritative et de secours a commencé à disparaître : l’association et son action
appartenaient à des personnes qui avaient une représentation du handicap qui ne correspondait
pas à celle de ses adhérents concernés directement pas le handicap. Nous l’avons vu plus tôt,
la mise en place des CD participe de la volonté de transformer cette représentation pour
qu’elle ne soit plus filtrée, interprétée, transformée, déformé, .et de redonner une place
légitime dans l’espace social aux adhérents de l’association.
Pour certains élus, la création du CD est apparu comme une pratique innovante dans
l’association E2 …et cette restructuration aidant, je me suis dit « pourquoi pas rentrer dans le
CD qui allait se créer ? Se remettre dans une situation innovatrice ? » […] c’était, bé oui, une
nouvelle activité avec des représentations pour l’APF, chose que je ne connaissais pas du tout
en terme de bénévolat, même si, paradoxalement, la participation existait, ne serait-ce qu’à
travers les pratiques bénévoles, certaines étant d’ailleurs déjà des représentations auprès
d’instances institutionnelles, dans le cadre de formes de gouvernances qui existaient depuis
longtemps ou qui ont été réformées ces dernières années. Seuls quelques « initiés », experts
dans leurs domaines de compétences, avaient une bonne connaissance des différents niveaux
de représentation de l’association et avaient investi ces espaces de participation.
4.3. La légitimité de l’association : une reconnaissance en externe
L’association est reconnue au niveau national, régional et départemental. E6 Une délégation,
je pense que c’est la proximité, c’est ce qui fait qu’on est déjà dans sa région, dans son
département. Cette reconnaissance, quand les nouveaux adhérents qui l’ont rejointe la
découvrent, renforce leur représentation de la problématique du handicap dans la société,
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auprès de l’opinion publique et des institutions en charge de la politique du handicap. E4 Et
c’est vrai que au sein de l’association, on rencontre des personnes très influentes. Elle confère
à l’APF et à ses acteurs une légitimité d’action, de revendication, de transformation sociale
qui motive l’engagement de personnes qui n’acceptent pas leur situation ou celle de leur
proche. E2 L’APF est tellement importante et connue.
Nous avons déjà constaté que la légitimité de l’APF dans le champ du handicap la rend
captive de personnes concernées par le handicap, en tant qu’usagères puis suite à un parcours
dans l’association en tant que personnes engagées. Les élus remarquent que la mise en place
des conseils a renforcé cette légitimité localement, E7 On voit que depuis quelques années
qu’il y a les élus, que ça va mieux, on est plus connus, des personnes repérées, les élus, sont
reconnus, la représentation de l’APF ne semble plus lointaine, à un niveau national qui ne
permet pas la réactivité d’une petite association locale. C’est une territorialisation de l’action
associative qui existait déjà, au fondement de l’association, lors de la mise en place des
délégations départementales, mais maintenant, elle a une représentativité assurée par des
personnes en situation de handicap qui vivent dans le même espace que les décideurs et les
interlocuteurs institutionnels. E7 Monsieur le député, quand c’est quelqu’un qui va le voir..et
c’est la vérité je pense. Et tout ça permettait de siéger dans des endroits où on n’aurait peutêtre pas pu.
Ce renforcement d’une légitimité locale adossée à la dimension de représentation au niveau
national de l’association facilité l’accès pour les élus aux espaces locaux de gouvernance et
aux rencontres avec les partenaires extérieurs. E7 Moi, ça m’a ouvert des portes.
4.4. La mise en place de la démocratie élective
L’association a fait le choix de la démocratie élective, comme nous l’indiquons dans la partie
sur la genèse des conseils départementaux.
Souvent, il y a autant de candidats que de postes à pourvoir voire moins, ce qui pose la
question de la légitimité des candidats « élus », qui sont sûrs d’être élus. E5 J’étais un peu
surprise du peu de candidatures.
Le pourcentage des votants est faible dans les conseils départementaux que nous avons
rencontrés E1 il y a eu 50 et quelques % de votants. Là c’était le vote, c’est important, c’est
pour les représenter. Moi j’estime que le pourcentage de votants, à moi, ne me satisfait pas, en
raison, nous pensons, d’un manque d’enjeu véritable, tous les candidats étant susceptibles
d’être élus.
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De plus, quand le nombre d’élus n’est pas atteint, les membres du conseil peuvent coopter un
adhérent qui doit avoir au moins un an d’ancienneté, ce qui interroge, là aussi, la légitimité
d’un acteur associatif qui ne s’est pas présenté sur un mandat électif, mais a été choisi sans
que les adhérents puissent approuver ou refuser ce choix.
L’apparition du principe de la démocratie élective a permis que les membres élus des conseils
puissent se représenter pour un nouveau mandat (il n’y a pas de limite posée au nombre de
mandats possibles) tous les trois ans.
Aussi la déclaration d’intention94 qui doit être complétée par chaque candidat et qui sera
transmise à tous les adhérents qui votent est un outil de communication, de « campagne
électorale », le candidat qui repart pour un 2ème mandat E4 Donc je me suis présenté et puis je
me suis représenté, pour la seconde fois […] fait un bilan de l’action menée et fixe des
objectifs prioritaires pour la délégation. E2 Donc je pense que le boulot du 2ème conseil, ça va
être ça, de justement se dire « on est capables de faire des choses, on a des choses à faire, un
plan de travail. » Il y a une personnalisation forte de ces candidatures : les intentions sont
présentées en accord avec la doctrine de l’association, les élus qui ont déjà effectué un mandat
possèdent le langage de l’association, manient les concepts avec plus d’aisance, adoptent une
terminologie de spécialistes du champ social de l’APF.
L’engagement pris est électoral, la légitimité, même si elle est relative, sera issue du vote.
La mise en place des CD a eu comme conséquence de modifier le pouvoir politique au sein
des délégations. Elle a « imposé » la présence de personnes concernées directement pas le
handicap ou de leurs familles à la tête de la représentation de l’association dans les
départements. Ce changement au sein des structures relais de l’APF a remis en cause les
directeurs de délégation dans leur rôle politique, mais il a aussi renforcé la place des militants
qui existaient déjà ou de militants potentiels qui ont pu voir que la « place était libre ». la
légitimité devait alors s’acquérir en mettant en jeu son mandat, si l’on était élu, on renforçait
sa légitimité, alors que les délégués de l’époque avaient, eux, été nommés.
Nous pensons que ce changement est plus profond qu’un transfert de légitimité politique,
puisqu’il a traversé et traverse encore l’organisation des délégations, mais notre recherche n’a
pas eu le temps de s’intéresser à ce changement « structurel ».
Après avoir vécu son propre parcours antérieur porteur d’éléments déclencheurs de
l’engagement que nous avons analysés, le futur élu rencontre donc l’association puis évolue
94
Annexe n° 5 : Déclaration d’intention d’un candidat au Conseil Départemental.
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au sein de la délégation, où il renforce ses compétences associatives, techniques et politiques.
Il peut alors inscrire son engagement dans une dynamique militante et entrer dans le conseil
après avoir été candidat et élu. Le CD est un espace social de construction d’une identité
militante, propre à l’association et à ses acteurs les plus engagés. L’entrée dans le CD est une
reconnaissance de parcours dans l’association, un gage de légitimité pour les autres acteurs
associatifs.
5. Entrée dans le CD : la construction de répertoires de valeurs des militants
5.1. Les répertoires de valeurs des personnes engagées
L’analyse des valeurs évoquées par les élus engagés dans les conseils départementaux lors
des entretiens nous a permis de dégager l’existence de plusieurs répertoires de valeurs. Pour
Stéphanie Vermeersch95, le répertoire désigne les modalités d’action que des individus ou des
groupes d’individus ont à leur disposition, les « moyens d’agir en commun sur la base
d’intérêts partagés » : faire la grève, manifester, fonder une association, etc.
Les répertoires d’action varient selon les époques ainsi que selon les lieux et suivent les
évolutions structurelles majeures des sociétés. L’un des intérêts de cette notion est ainsi de
contextualiser le choix de l’action collective.
L’utilisation de cette notion pour désigner l’existence de valeurs accessibles aux bénévoles
dans le cadre de la légitimation éthique de leur engagement associatif permet de souligner la
prégnance du contexte éthique, et de faire se côtoyer des valeurs déjà données et
l’affranchissement par rapport à ces valeurs.
On peut considérer qu’un répertoire constitue le fond commun de l’éthique de l’engagement
associatif et représente le trait d’union entre les différentes valeurs énoncées.
-
Entraide et solidarité, accompagnement, constituent le premier répertoire de valeurs
que nous nommerons humanisme.
-
Participation, représentation, actions collectives constituent le second répertoire, que
nous nommerons citoyenneté.
Les élus vont puiser dans ces deux principaux répertoires qui leur sont communs, mais au sein
desquels chacun effectue un choix conforme à ce qu’il estime être sa conception personnelle
95
VERMEERSCH S., Entre individualisation et participation : l’engagement associatif bénévole, Revue
française de sociologie, 45-4, 2004, p. 681-710.
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de la signification de son action E4 Selon moi, le bénévole qui est engagé, c’est celui qui a
des idées, enfin, à faire appliquer des idées en harmonie avec soi même.
5.1.1. Le répertoire de valeurs liées à L’humanisme
L’altruisme, déclaré par des élus est une des motivations d’entrée dans l’association. E1
S’engager, c’est aider les autres. Je veux dire que moi, j’ai toujours aimé aider les autres. Des
attitudes humanistes, E2 Déjà y’a l’humain, dans l’association y’a l’humain d’abord, au
service des personnes en situation de handicap, mais dans une structure, l’association, qui
correspond aux valeurs de l’individu E3 moi, je pense, quelque part j’ai une fibre sociale.
Oui, j’ai toujours eu une fibre, enfin j’ai la fibre associative : s’investir.
Cette attention aux autres appartient aux valeurs fondatrices de l’association : solidarité,
soutien, aide aux personnes en situation de rejet de la société sont constitutifs de l’APF E2 qui
soit constructif, qui soit pas seulement répétitif , et dont l’intérêt essentiel était, je dirai, les
gens, les gens, comme nous avons pu le démontrer dans l’analyse socio-historique de
l’association. Une attention portée vers des personnes en difficulté sociale, perçues comme
étant isolées, exclues des espaces sociaux E8 ce qui m’anime, c’est d’être près des personnes
en difficulté sociale, où, dans, en regroupements collectifs, pour essayer de mieux se connaître
et de pas rester seul dans sa vie.
Le don est inscrit dans les pratiques, don de soi, de son temps, ciblé sur un public particulier
et dans une organisation reconnue. E4 Quelque part, je dois aimer apporter des choses à
certaines personnes qui en ont besoin.
La volonté de transmettre est aussi une des intentions d’acteurs qui s’engagent dans
l’association : des conseils, une expérience, un savoir faire, un contact E2 Et puis avoir un
savoir-faire intéressant et le transmettre aux autres, voilà, que les choses puissent rayonner,
servir d’interface, quoi.
La socialité est un élément déclencheur de l’engagement dans l’association très fort, la
recherche de liens de convivialité, de désisolement social est à l’origine de sa création. De
nombreux futurs élus ont rencontré ou ont été rencontrés par l’association avec l’objectif de
partager des moments de vie, d’être ensemble tout simplement, E2 J’ai gardé des liens, oui,
oui. J’ai été contacté, hélas, par le décès d’un de nos collègues qui faisait partie du groupe
jeune, et même 10 ans après, j’ai été contacté par le groupe jeune pour le plaisir, sans
envisager forcément d’actions militantes, sans constituer de mouvement organisé et structuré :
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simplement être bien ensemble. Cette posture qui peu paraître consommatoire ne l’est pas
restée chez les élus que nous avons rencontrés, ils ont modifié leurs engagements ou plutôt ils
les ont enrichis, puisque cette place donnée à la convivialité reste active et qu’ils la mettent
souvent en avant.
Le conseil départemental, comme l’association, est un espace social de mélange et de
brassage des passés socioprofessionnels E5. Et on a pensé que c’était une richesse d’avoir des
gens qui venaient pour des raisons différentes, que ça permettrait que chacun trouve sa place,
justement, dans des postes différents. Y’en a qui étaient plus dans l’animation, dans le social
ou qui venaient là pour aider les gens et d’autres qui étaient plus dans une position politique,
de revendication.et des origines culturelles E4 J’aime bien le milieu associatif, parce que,
avec le recul, on rencontre des gens de différents mondes. Ça apporte.
5.1.2. Le répertoire de valeurs liées à la citoyenneté
Les élus ne veulent pas exécuter des ordres E5 C’est d’être dans l’action plutôt que dans
l’attente, ils veulent participer, être associés au projet, avoir la parole au sein de l’APF, ils
sont demandeurs d’une démocratie participative, ce que le CD doit permettre. E5 Je l’ai
ressenti comme une ouverture, une ouverture du C.A vers sa base. Tout d’un coup, on nous
donnait la parole, quoi. Moi si on me donne la parole , je la prends. C’est le CA qui est
ressenti comme décidant tout, de manière unilatérale et centralisée, une forme de
« centralisme démocratique », que les CD doivent permettre de reconsidérer : la démocratie
doit se décentraliser et revenir au local E6 on a des missions qui sont claires, au conseil, on
défend le CA, point. On a aussi notre mot à dire, et au Conseil de région, c’est pareil, les
adhérents de la base pourront être plus facilement consultés et leur avis et opinions mieux pris
en compte, ils pourront être dans la co-construction des projets les concernant. Ainsi les
personnes qui s’engagent dans le CD se portent garantes de la mise en place de cette
démocratie participative, ils souhaitent en devenir les maîtres d’œuvre E5 On a la possibilité
quasiment de s’autogérer, c’est un petit peu la même démarche qui a fait que je veuille être
active à l’APF, c’est exactement la même qui a fait que j’ai voulu être candidate au CD.
Les instances, qu’elles soient techniques (direction générale) ou politiques (conseil
d’administration) semblent éloignées des réalités et préoccupations locales E8 l’APF a
toujours été une valeur importante, mais peut-être, souvent loin du terrain., freinant la
participation par des injonctions en décalage avec les priorités des adhérents de base.
Les élus revendiquent une place centrale de concepteurs et de décideurs de projets, E8 mais
quand tu mets au centre des personnes, des gens concernés, je crois que tu fais un grand pas
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vers ce qu’on appelle, ce qui nous fait aujourd’hui, l’association. Moi, je le voyais bien,
c’était pas quelque chose d’incohérent, parce que tu as bien une mission professionnelle, mais
la mission de personnes militantes qui sont touchées par le handicap ou dans leur famille
La recherche de liens et de relations collectives dans le travail et les actions à effectuer est
un élément qui déclenche l’engagement. E1 C’était du travail individuel, et moi j’aime pas ça,
je peux pas supporter. Cette convivialité est la base d’une socialité que nous retrouvons dans
les buts de l’association au moment de sa création : les rencontres se font entre pairs ou non,
les proches ou accompagnateurs participent, les espaces sociaux ainsi créés sont des espaces
d’intégration et de socialisation. E2 Rencontrer des gens et faire des activités qui soient des
activités que je puisse faire moi-même
L’engagement se traduit dans une dimension collective au sein de l’association, quand il y a
mobilisation autour de revendications communes. Mais même si les engagements se
rejoignent et se fédèrent alors, la raison profonde d’un engagement peut rester individuelle et
fondée sur une démarche personnelle liée à des ruptures, des traumatismes dans le parcours
individuel antérieur. E5 Il est à dimension collective, mais ma motivation profonde, c’est
quand même mon fils, bien sûr.
Une élue de CD, mère d’un enfant en situation de handicap, redéfinit ce que nous pouvions
penser de la relation entre la posture individuelle d’un engagement, donc d’une personne
engagée, et la transformation de cet engagement individuel en démarche collective, de
revendication, de défense des droits, d’action collective au sens ou la définit Daniel Céfaï
« Le concept d’action collective renvoie à toute tentative de constitution d’un collectif, plus
ou moins formalisé et institutionnalisé, par des individus qui cherchent à atteindre un
objectif partagé, dans des contextes de coopération et de compétition avec d’autres
collectifs96.»
Le passage de l’individuel au collectif ne se fait pas seulement par les personnes qui décident
de s’allier et de fédérer leurs engagements individuels, mais par la transformation d’actes
quotidiens d’accompagnement, de soutien, dans la vie quotidienne d’un enfant atteint d’une
déficience, en défense à un niveau politique de l’amélioration plus générale des conditions de
vie. Les parents passent d’un niveau microsociologique, le quotidien de la personne, les
pratiques d’aide et de prise en charge du handicap à un niveau macrosociologique, l’objectif
96
CEFAÏ D., Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de l’action collective, Paris, Editions La Découverte,
MAUSS, 2007, p. 8.
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d’infléchir les politiques sociales, de transformation sociale grâce à l’appui de l’expérience et
à la motivation d’améliorer le quotidien. Nous pensons qu’il est question de citoyenneté dans
sons sens originel, de participation à la construction et à la transformation de la « chose
publique ». E5 C’est pas forcément une dimension collective, ce n’est pas le bon terme, c’est
pas un problème de collectif ou d’individuel : c’est un problème, soit on reste sur le quotidien
ou soit on essaie vraiment de se projeter dans l’avenir et d’agir sur le fondement de la société.
En l’occurrence, la participation à l’adaptation du cadre de la société au handicap et à
l’accompagnement de sa quotidienneté.
Les personnes engagées déplorent l’absence de mobilisation collective97 des adhérents et des
personnes en situation de handicap E4 Malgré le tapage qu’on a fait auprès des adhérents, on
s’est retrouvés à 5 ou 6, alors que y’en a combien qui touchent l’AAH98 ? Il faudrait parler de
leur cas, là ils seraient là. alors qu’ils leurs semblent directement concernés par les
revendications portées et les combats militants menés, autour des ressources, de
l’accessibilité, de la scolarisation. E8 Peut-être le gros problème, c’est qu’on est dans une
conjoncture ou l’individualisme et l’égoïsme est malheureusement très prégnant, là j’ai pas la
réponse mais on voit bien qu’il y a, dans toutes les associations, un manque de personnes qui
s’investissent.
L’individualisme est posé comme un problème récurrent, qui n’est pas propre à l’association,
un problème de société. Il est assimilé à de l’égoïsme, alors qu’il s’agit d’une pratique sociale
qui n’empêche pas l’engagement dans des actions associatives : seulement, les formes
d’engagements ont changé, il y a une représentation de l’engagement chez des militants de
l’APF qui ne correspond pas à la réalité sociologique.
Les personnes engagées sont des « recruteurs » de nouveaux bénévoles et de personnes qui
elles mêmes s’engageront. Il y a un système de parrainage et de renouvellement des cadres
associatifs autour de valeurs partagées, médiatisées par l’association, et que les élus ont
légitimité à défendre et à rappeler E8 Comment on fait comprendre à celui qui veut s’engager
et peut s’engager que la mission est belle, est riche, à condition qu’on se la, comme je disais
souvent dans des réunions « On ne vient pas ici pour se guérir, on vient ici pour se battre pour
les personnes. »
97
Nous rapprochons cette notion de mobilisation collective de celle de mouvement social, que Daniel Cefaï
définit comme étant orientée par un souci de bien public à promouvoir ou d’un mal public à écarter, et qui se
donne des adversaires à combattre, en vue de rendre possibles des processus de participation, de redistribution ou
de reconnaissance. CEFAÏ D., Op. Cit. p.15.
98
Allocation adulte handicapé : Allocation accordée aux personnes handicapées en fonction de taux d’invalidité.
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E3 Plus de discussions, peut-être, plus d’échanges, plus d’avis, plus de…enfin, des choix en
commun, des réflexions communes, à plusieurs, essayer de voir, de toucher du doigt certaines
choses, voir comment les faire évoluer, je sais pas…
L’APF s’affirme comme un mouvement de transformation sociale, et souhaite agir à un
niveau national, auprès des ministères, en tant qu’expert de la question du handicap, en
collaboration étroite avec les instances décisionnaires, comme un partenaire incontournable de
la puissance publique. A ce titre, les conseillers techniques de l’association travaillent souvent
avec les cabinets ministériels et les administrations publiques du champ du handicap.
Cette intervention se mène en parallèle de la rédaction de plateformes de revendications et de
divers documents qui font la synthèse des positions politiques du Conseil d’Administration.
Ces positions concernent les sujets qui préoccupent quotidiennement les personnes en
situation de handicap et leurs familles : la prise en compte de la dépendance, les ressources,
l’éducation, l’emploi, la formation, le logement, la culture, le transport, les loisirs…
Dans la définition des missions du conseil départemental, cette dimension politique de
l’association est rappelée, le rôle de cette instance locale est de « Mettre en œuvre les
orientations politiques nationales de l'Association des Paralysés de France et de définir les
orientations politiques départementales ». E2 La représentation, l’option politique, c'est-àdire quelle direction prendre, donner, avec les adhérents ? C’était tout s’approprier, donc une
nouvelle chose à faire, et puis j’ai choisi de rentrer au CD, profiter de la vague, surfer dessus
et se retrouver au CD.
Le conseil doit également « Organiser parmi les adhérents la représentation politique de
l'APF dans le département. »
Le lien avec la dimension nationale et les positions du CA est posé d’emblée, mais les marges
de manœuvre sont importantes, les orientations politiques nationales, restent générales et
permettent des déclinaisons locales adaptées aux réalités : pour autant que les élus s’en
emparent E2 Par contre, ce qui, à la fois on connaissait pas le truc, et on se rendait compte
d’une certaine rigidité. Et là, le fait d’avoir un CD, ça redonnait, il fallait redémarrer les
choses, qui étaient tout à fait installées, parce que la représentation, et dans l’Aude, dieu sait si
on a beaucoup de représentations, on renversait la vapeur. localement. Ces déclinaisons
exigent une bonne connaissance du contexte départemental et régional, les élus doivent
appréhender la réalité sociologique et les acteurs de la politique du handicap du territoire dans
lequel ils interviennent.
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Cette logique politique de l’association rejoint la logique de mouvement, les élus veulent
s’engager pour agir dans la cité, pour modifier la société E5 surtout moi ce qui m’intéressait
surtout, c’était les actions politiques, les représentations auprès des instances politiques, des
maires, des conseillers généraux etc…S’il y avait des gens à interpeller, des démarches à
faire, c’était plutôt çà qui m’intéressait.
Cette motivation pour agir sur une dimension politique est durable, les transformations
sociales, comme les représentations sociales qui évoluent sur de longues durées, se font sur le
long terme. Les plus « fidèles » et les plus « assidues » sont les personnes engagées dans
l’action politique E5 Et finalement, il s’avère que ceux qui sont restés, c’était ceux qui étaient
quand même plus dans le revendication et l’action politique, et les autres ils ont pas trouvé
leur place, mais de nombreux adhérents se lassent aussi, s’usent, surtout les parents dont les
enfants grandissent.
Le sens politique qu’a rappelé la création des CD a rapproché le discours politique, l’a
médiatisé par les élus, ce qui a permis aux acteurs engagés de mieux le comprendre et de le
réutiliser avec le filtre de la réalité des adhérents qu’ils représentent. E5 Donc le niveau
d’action, il est non plus, sur le quotidien mais sur la société en général, il est plus politique.
Certains élus ont fondé leur propre opinion en s’appuyant sur les revendications de
l’association, y ont puisé le sens de leur engagement. E5 Au fur et à mesure que je découvrais
l’APF, à chaque fois ça résonnait avec ma propre vision des choses, donc j’ai pas cherché
ailleurs. J’ai pas eu besoin d’ingurgiter la charte de l’APF, j’ai pas eu l’impression que c’était
une doctrine qu’on essayait de m’inculquer, de m’expliquer ou quoi, c’est qu’à chaque fois,
même sur des évènements ponctuels, à chaque fois, je me disais, j’avais une réaction
particulière face à un évènement particulier, j’ouvrais Faire Face 99, et je voyais exactement la
même réaction que ce que j’avais perçu, moi. Donc, j’ai pas cherché ailleurs, quand j’ai voulu
passer plus de temps et m’investir, pour moi dans toute logique c’était à l’APF et pas ailleurs.
Ces positions politiques, cette doctrine, qui appartiennent au monde de l’APF et qui sont
médiatisées par les élus à tous les niveaux de l’association, sont revendiquées à l’extérieur,
dans toutes les instances où les personnes en situation de handicap sont représentées : c’est
une stratégie d’action qui est utilisée dans tout le réseau, les élus des CD siègent en majorité
dans de nombreuse instances représentatives et décisionnaires. E5 Donc à partir de là, on est
dans une situation où on a à revendiquer des droits et bien mon dieu on revendique valeurs de
l’APF. Je pense à la MDPH par exemple, quand on siège en CDA, s’il y a des valeurs à
99
« Faire-Face », journal mensuel sur le handicap moteur édité par l’APF
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revendiquer, les de l’APF à revendiquer, elles se font exactement ce moment là. C’est le libre
choix du mode de vie, que ce soit je dirai l’adaptation de services à la personne, que ce soit la
réponse pour l’autonomie, que la personne ait une autonomie maximum, pour mettre la
personne au centre de tout, d’adapter les services, enfin que l’APF adapte les services à la
personne.
Nous avons constaté que l’environnement interne de l’association a produit des répertoires de
valeurs des militants de l’APF, qui nous ont permis de préciser le sens de l’engagement des
élus. Ces valeurs rassemblent en interne les acteurs associatifs, elles sont aussi défendues en
externe, les représentations politiques sont en accord avec la ligne du CA, elles s‘adaptent aux
réalités locales.
Les changements dans l’association ont produit de nouvelles formes d’engagements, les élus
des CD sont des acteurs associatifs qui ont rejoint une nouvelle instance politique formelle.
Nous allons maintenant interroger les modes de fonctionnement de cette instance et les formes
de participation des élus qui la composent.
6. Les modes de fonctionnement des conseils départementaux
Nous voulions mieux connaître le fonctionnement des conseils et demander aux élus quelles
étaient leurs modes de participation. Dans notre première hypothèse, nous pensions que le
contexte de l’association, dans son histoire et son environnement, donnait du sens à
l’engagement.
Les entretiens avec les élus nous ont permis d’interroger surtout le sens vécu de leur
engagement et les effets de leurs parcours, puisque la grille d’entretien que nous avions
élaborée facilitait leur expression sur ce sujet.
Pour ce qui concerne les effets de contexte comme nous les nommons, c’est à partir des
pratiques d’élus dans les CD et des modes de fonctionnement que nous avons essayé de
mesurer notre hypothèse.
6.1. Des fonctionnements informels, en dehors du cadre fixé par l’association
Les normes instituées par l’association se retrouvent dans les règlements intérieurs des
élections et du fonctionnement du conseil. Elles ont été édictées par les membres du conseil
d’administration et par une « commission de la démocratie interne », constituée d’élus au
niveau national et de salariés « techniciens » en sciences politiques. Le cadre ainsi constitué
s’impose aux structures qui portent et accompagnent les conseils, les délégations
départementales. Il est souvent fait référence à ce règlement dans les entretiens, c’est sur lui
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que s’appuient les argumentations ou les désaccords, mais il n’empêche pas chaque conseil de
créer sa propre règle, certaines décisions se font informellement, les élections des
représentants et de leurs suppléants, dans les conseils que nous avons rencontrés, se sont faites
plutôt par désignation, proposition, cooptation et acceptation que par vote. E2 Alors pareil, on
a demandé à Roger, qui faisait partie du conseil. Oui on lui a dit « allez viens comme
suppléant. » ce qu’il a accepté.
Ce fonctionnement informel ne pose pas de problème et fait consensus tant que des tensions
n’existent pas au sein du groupe conseil, tant que les élus s’entendent bien, en tout cas tant
que les stratégies individuelles ne viennent pas heurter et mettre en cause le but collectif. Le
règlement est utilisé quand il y a besoin de confirmer et de valider une décision qui ne fait pas
l’unanimité : il fait référence.
6.2. Les formes de coopération
6.2.1. Les réunions
Les élus organisent leurs réunions de manière formelle, E3 Tous les mois on se réunit. comme
de véritables professionnels, ce qu’ils tendent à devenir quand ils ont acquis de l’ancienneté.
Les réunions donnent lieu à des comptes-rendus, rédigés le plus souvent par le directeur, et
validés par l’ensemble des membres présents : ces comptes-rendus sont adressés à la
présidence de l’association, à la direction régionale et sont à la disposition des acteurs
associatifs de la délégation, bénévoles et salariés. E7 Après nous recevons et nous envoyons
le compte-rendu, le compte-rendu est approuvé à la séance d’après. Il y a donc une trace du
travail et des débats qui se tiennent en réunions de conseils.
Les réunions sont des espaces d’information à tous sur les actions menées, sur la vie de la
délégation, E1 Ça permet déjà de se rencontrer, et puis si on a chacun quelque chose, si
chacun fait quelque chose, il dit à tous les autres ce qu’il fait…je sais pas moi, je prends la
prévention routière parce que il y a J. qui y est, il nous a apporté des informations. de débat,
de construction de stratégies sur des thématiques impulsées par le Conseil d’Administration
E5 Pour l’instant, quand on dit on se passe les infos, c’est quand même unilatéral, c’est les
infos qui arrivent à la délégation qui sont retransmises au conseil. ou par la prise en compte de
problèmes locaux, de réponses spécifiques à apporter E3 Donc je suis là, j’écoute, je donne
mon avis, après c’est vrai que à l’APF j’y vais rarement en dehors des réunions ou des
évènements.
Les réunions permettent aux élus de rendre compte de leurs représentations diverses et
d’arrêter des positionnements politiques sur des situations rencontrées.
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La participation à ces réunions est différente selon chaque élu, certains interviennent dans les
échanges pour donner leur avis sans avoir participé aux actions auxquelles il est fait référence
ou qui sont en train de se préparer, E3 Moi, j’ai presque l’impression d’être un petit
consultant, enfin pas être arbitre mais être là, c’est sûr j’apporte moins de choses que certains
qui sont beaucoup plus souvent ici, qui s’impliquent plus, qui font plus de choses. d’autres
font le bilan et évaluent celles dont ils ont été ou seront les animateurs. Ces niveaux de
participation, d’engagement dépendent de la motivation selon les répertoires de valeurs vus
ailleurs, selon les « paris subsidiaires » dont parle H .S. Becker et s’inscrivent dans des
comportements cohérents dont se revendiquent les élus. Ce sont les représentants des conseils
qui sont le plus dans des postures d’animation, qui mettent le plus l’accent sur cette cohérence
qui a construit leur militance.
La participation peut aussi être limitée par la situation de handicap, l’engagement des élus ne
dépend pas que de leur motivation, la santé fragile ou la fatigue obligent certains à limiter leur
implication aux temps de réunions, qui prennent une grande importance E3 Mais bon, de moimême le faire, de faire les choses, c’est pas évident. C’est toujours lié à mon handicap aussi,
mes possibilités sont un peu réduites. Ce sont les seuls moments possibles de participation.
6.2.2. La prise de décision
La prise de décision se fait par vote quand l’ensemble des élus n’est pas d’accord, ce qui est
rare dans les conseils rencontrés E1 On vote à main levée il y a débat avant de prendre les
décisions, E5 C’est E. (représentant du conseil) qui anime la réunion, l’ordre du jour. Si il faut
voter on vote, mais enfin de toute façon on est peu nombreux, donc ça s’est toujours fait de
manière très conviviale, on vote à main levée, en général, on tombe d’accord. c’est ici que
s’expriment des formes de participation moins impliquées dans les actes, mais qui paraissent
aussi légitimes et importantes pour les élus : elles aident à co-construire, à infléchir des
directions projetées, à interroger et remettre en cause des décisions qui paraissaient évidentes.
E5 Et après, au niveau de la prise de décision, y’a un ordre du jour, et quand il y a des choses
dont il faut discuter, des orientations à décider, des décisions à prendre, elles se font en
commun.
Tous les élus se considèrent de même importance, E6 Bien sûr, on prend des décisions. En
discutant entre nous et en donnant un petit peu son avis, c’est normal, quand on est membre
du CD. Mais il n’y a pas un avis qui pèsera plus que l’autre. C’est un avis qui sera partagé,
c’est normal, puisque c’est un travail d’équipe. tous les avis, aussi divergeants soient-ils, leur
paraissent devoir être pris en compte, E5 Mais j’espère que ça sert un peu à ça aussi, d’avoir
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la possibilité de dire « attendez, vous partez dans une voie qui n’est pas forcément la nôtre. »
à la condition qu’ils s’expriment dans l’espace collectif du groupe des élus, dans le cadre
d’une dynamique démocratique. E3 Après, c’est vrai que moi j’ai un esprit critique, je me
sens plus décideur qu’exécuteur, donc c’est vrai que j’ai plus facilement de dire « ça ça va
pas, pourquoi vous faites pas comme ça ou pourquoi on fait pas comme ça. »
6.2.3. Le rôle du représentant départemental
Le représentant départemental a un rôle important au sein des conseils départementaux, les
élus le reconnaissent comme le responsable de l’instance, il est légitimé par les autres
membres et son autorité n’est pas contestée. Les représentants rencontrés ont une
connaissance précise de l’association, conceptualisent le projet associatif et ont une vision
prospective des projets à développer au sein des délégations auxquelles ils appartiennent. Un
des représentants a été auparavant délégué départemental, sur un statut bénévole, et agissait
dans une posture professionnelle. Le représentant est un manager d’équipe, il fait consensus et
fédère le groupe des élus. E2 Donc être représentant, c’est ça, c’est avoir l’esprit de synthèse,
mais en même temps, essayer, parce que c’est pas évident, mais d’avoir la capacité à
organiser un groupe de personnes. C’est pas facile.
Nous avons constaté que les représentants sont charismatiques, E8 mais quelque part, dans la
mission d’élu, il y a aussi à avoir un certain charisme, un certain savoir. ce sont des acteurs
majeurs, qui affirment une volonté de déléguer les missions, E8 Je suis toujours resté dans
l’esprit que quand on peut déléguer on délègue, s’il y a quelqu’un qui est partant, c’est pas
toujours le cas. de partager le pouvoir qui leur est confié, donc qui ont conscience que ce
pouvoir leur appartient bien de fait.
Le représentant est dans un lien privilégié avec la direction, son management s’adresse aux
autres élus, pas aux équipes de salariés ni de bénévoles, cette prérogative est laissée aux
cadres salariés de la délégation.
Ainsi, les élus, dont le représentant, ne sont pas considérés comme des bénévoles, au même
titre que les autres bénévoles de l’association, bien que leur engagement le soit. Ce sont des
« professionnels bénévoles », ni salariés ni vraiment bénévoles. Cet « entre-deux » est en lien
avec notre hypothèse d’une hybridation de la logique de mouvement et de celle de
professionnalisation qui traversent l’association depuis sa création et durant tout son
développement. Selon nous, le représentant départemental cristallise cette double logique : il a
le pouvoir d’animer le conseil, d’avancer sa vision du développement de la délégation, de
poser des perspectives politiques qui sont en accord avec les valeurs de l’association qu’il
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connait bien car il est un ancien acteur de l’association. Aussi, le binôme représentantdirecteur rassemble ces logiques, l’hybridation se fait dans une articulation entre un pouvoir
exécutif, celui du directeur et des équipes qu’il conduit, salariés ou bénévoles, et un pouvoir
politique, celui du représentant et de son équipe d’élus.
Les représentants que nous avons rencontrés incarnent ce pouvoir politique, E8 On peut pas
vraiment s’improviser dans des missions, soit on y va et on écoute, et c’est formateur, mais à
un moment, il faut aussi être pertinent et prendre part à la conversation. Et peut-être dire ce
que tu entends et ce que tu es.
Le style de management qu’ils décrivent est participatif E2 Depuis un an, on avait, enfin la
fin du conseil pour moi, c’est lorsque, après la rédaction du PAD (Plan d’Action
Départemental), on a rempli des objectifs d’action, et on avait un groupe fiable, c'est-à-dire
qu’on discutait tout le monde ensemble et on savait que la boutique tournait. Là c’était
intéressant. Mais il a fallu au départ laisser les gens s’affirmer, laisser les gens prendre leur
place ou la quitter, mais en tout cas laisser le libre arbitre aux gens de s’approprier ou pas ce
qui leur appartenait. et attentif à l’intégration des nouveaux venus dans un espace social qui
est le leur.
Les compétences que doivent posséder les représentants sont mises en avant, dans les discours
que nous avons analysés, l’équipe des élus est, elle, moins décrite dans sa dimension de
compétence : les représentants sont repérés comme des personnes qui se situent à la tête du
groupe, les autres membres du conseil sont perçus globalement, en groupe, sans distinction
d’individualité. Nous y voyons une forte personnalisation de ce rôle de représentant
départemental, comme il y avait forte personnalisation de celui de délégué départemental,
nous l’avons vu dans la description de l’histoire de l’APF.
6.2.4. Les conflits
Rassembleurs, fédérateurs, les représentants se posent comme les garants du fonctionnement
des conseils et de l’intégration des élus E2 Mais il a fallu au départ laisser les gens s’affirmer,
laisser les gens prendre leur place ou la quitter, mais en tout cas laisser le libre arbitre aux
gens de s’approprier ou pas ce qui leur appartenait.
Quand il y a conflit, et il peut être violent. c’est parce qu’il y a rapport de force et volonté
d’un élu de remettre en cause le pouvoir du représentant et du directeur de la délégation : les
conflits se résolvent par le départ de l’élu qui remet en cause la légitimité de ce pouvoir,
technique comme politique E5 Une 1ère qu’a démissionné avec pertes et fracas, alors elle, elle
était en conflit, je sais pas ce qu’elle aurait voulu. Elle aurait voulu être la chef, je crois :
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c’était un conflit de pouvoir, hein, sans arrêt elle se positionnait un peu en rapport de force
avec E.(représentant du conseil), avec F.(directrice) et tout, pour essayer, d’où y’avait un
conflit de pouvoir, je pense.
Nous avons déjà parlé de démocratie élective au sein de l’association, qui existe au moment
où les adhérents élisent l’ensemble des membres du conseil, puis quand les élus élisent à leur
tour leur représentant et leur suppléant. Ce deuxième niveau d’élection, dans les conseils que
nous avons rencontrés, se fait en comité réduit, parfois sans vote, par cooptation : la légitimité
acquise est liée aux rapports d’amitié entretenus entre la majorité des élus, construits et
renforcés dans un précédent mandat ou dans la participation à des actions communes. Il est
difficile pour un élu extérieur à ces interrelations de se faire entendre et d’affirmer sa propre
légitimité. E4 Son comportement à elle ? Je pense que cette personne s’est prise pour le centre
du monde, un peu. Le fait d’être élue. C'est-à-dire, à mon avis, ils avaient pas bien compris.
C’est du style : « je suis, élue, maintenant on va parler, on va vous dire ça et puis il faut le
faire. […] elle a imposé le truc, que si ça se faisait pas chez elle, après elle dénigrait
l’association. Elle a balancé la pression sur le CD.
L’autorité acquise par le représentant plus ancien n’est plus contestable, il faut nécessairement
se plier, même si le discours affirme une recherche de consensus, aux décisions et aux
positions d’une majorité de groupe constitué. Nous pensons que ce type de conflit est une
conséquence de la personnalisation du rôle du représentant.
Souvent, le conflit n’est pas considéré comme un dysfonctionnement, mais comme une
expression, un révélateur de la démocratie, du droit de donner son avis et de ne pas être
d’accord au sein de l’association E2 Sur le 1er conseil, il y a eu des affaires de personnes,
parce que les gens pensaient…il ya eu des conflits d’intérêt. […] Et puis c’est bien, c’est sain,
c’est la démocratie. Le désaccord peut porter sur les idées, la conception d’une action à
mener.
Le conflit est nécessaire pour apprendre le travail de groupe, s’intégrer et confirmer son
engagement E2 Les choses ne se font pas comme ça d’un trait, il faut que les gens puissent
apprendre. ou ne pas le poursuivre.
Une autre cause de conflit est le partage des projets entre le conseil et les cadres de
l’association. E8 il y a eu des conflits, à mon avis très ridicules, mais ça a été douloureux,
parce que on a vécu un moment de transition très dur. Parce que on a senti qu’on devait être
un peu au service des directeurs. S’estimant missionné pour porter les projets du CA dans le
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département100, le CD peut s’estimer porteur de mise en place d’actions et ne pas comprendre
que la mise en œuvre, la négociation avec les décideurs et les partenaires potentiels soient
menés par les cadres, qu’elles leur soient confisquées. E8 Et ce projet là, on l’avait pas mal
construit, dans la mission que j’avais avant. Et S. B. se l’est approprié maladroitement et nous
a pris un peu comme, D. D. c’était plus le représentant suppléant, c’était le technicien au
niveau accessibilité. On était réduit à dire « Vous validez, c’est moi qui gère. » Nous on était
pas clairement identifiés, on était mis de côté. C’était une directrice qui prenait ce projet et qui
se le prenait, qui allait l’amener à bout et qui ne l’avait pas vraiment construit.
Les élus, quand ils ont rejoint les CD après un parcours qui peut parfois prendre plusieurs
années, ont construit et intégré des valeurs issues de leurs histoires personnelles et aussi de
rencontres et d’actions associatives. Ils ont adopté des modes de fonctionnement collectif et
deviennent des acteurs permanents des délégations, investis dans son fonctionnement général.
Nous avons constaté que leurs modes de participations étaient souvent technicisés et
rejoignaient une logique professionnelle.
100
Une des missions du conseil départemental, rappelée dans le document « Principes généraux du Conseil
Départemental de l’APF », validé au Conseil d’Administration du 22 octobre 2011, est de « Donner un avis
préalable sur les projets du département soumis au Conseil d'Administration. », mais pas de les porter : ce qui
peut porter à confusion, le Conseil d’Administration étant très éloigné. C’est alors le jeu des acteurs qui fixe les
limites des prérogatives de chacun, la place antérieure tenue dans la délégation avant la mise en place des
conseils peut renforcer le sentiment de responsabilité des nouveaux élus.
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CHAPITRE 2 : LA PROFESSIONNALISATION DE LA REPRESENTATION :
L’ELU MILITANT ET TECHNICIEN
En approfondissant l’analyse des entretiens, nous avons pu vérifier une de nos hypothèses clé,
celle de l’hybridation de l’engagement des élus.
Qu’ils soient le résultat des parcours des personnes ou du contexte sociologique de
l’association, les engagements des élus ont une forme hybride, inscrite dans la double logique
consubstantielle de l’APF : ils sont militants de l’action collective, participent au mouvement
associatif, revendiquent, défendent les droits des personnes handicapées, et en même temps,
appartiennent à des instances décisionnaires, agissent aux côtés des élus et des responsables
des grandes administrations de l’Etat, se réunissent régulièrement, ont des postures de
professionnels de l’intervention sociale, possèdent des compétences techniques dans le
domaine du handicap, sont de véritables experts, au même titre que des professionnels de
l’action sociale.
1. Recruter les représentants, répartir et animer les représentations de l’association
dans le département
Les représentations dépendaient auparavant du délégué départemental, devenu directeur de
délégation peu après la création des CD, il a donc fallu que cette mission soit confiée aux élus.
Ceux que nous avons rencontrés nous ont parlé du temps et de la progressivité de ce passage
de responsabilité. Les choses qui étaient en place n’ont pas été bouleversées du jour au
lendemain, l’adaptation et la répartition des rôles se sont faites
graduellement, dans la
concertation. E2 Tout était prêt, tout était en plus très structuré, que ce soit le partenariat
associatif, la représentation, que ce soit avec la COTOREP, avec les institutionnels, avec tout
le monde. Tout était vraiment cadré, calé, tout était fait. Y’avait rien à faire de plus sinon que
à la création du conseil, se dire « voilà, il va y avoir des représentations qui vont incomber au
conseil, et je dirai le fait d’avoir comme ça une action politique avec le plan d’action
départemental, donc y’avait des choses nouvelles. Mais il fallait faire les choses avec
intelligence pour ne pas se dire « on a le pouvoir et on va tout prendre et on sait rien faire. »
Plutôt que ça se dire « y’a des représentations, on va se les prendre mais petit à petit, on va
s’approprier les choses. En plus de ça il y avait la création de la MDPH, c’était des choses
nouvelles, parce que c’était quand même pas rien ce truc là. Donc ce qui s’est passé c’est
qu’on a appris, on s’est vu le travail confié petit à petit et ça a permis de s’approprier les
choses.
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Les représentations ont été confiées à des élus ou des adhérents selon leurs niveaux de
compétences, leurs motivations, leur légitimité, leur expérience, et en évitant de remettre en
cause les valeurs de l’association, de la discréditer : le conseil et les directeurs de délégation
se posent comme les garants de ces valeurs et comme les contrôleurs, les régulateurs des
représentations. E2 Et après ça a été de faire la liste des représentations politiques qu’avait la
délégation et de voir comment organiser la nouvelle représentation. C'est-à-dire qui allait dans
les différentes représentations, sachant que F. a géré, comment dire, a perçu le truc, « voilà,
c’est pas rien une représentation, parce que ça met en cause et ça remet les valeurs d’une
association, quand même, en cause. Donc il faut aussi, quand on va quelque part, c’est pas
pour brailler, c’est pas pour dire n’importe quoi, c’est pas pour discréditer le travail d’une
association parce que c’est fragile. »
La représentation, c’est le contact avec l’extérieur de l’association, c’est la mise en scène de
l’association et de ses valeurs dans d’autres espaces sociaux, les élus rencontrés tiennent à
avoir le contrôle des relations avec l’extérieur : autres associations, institutions politiques,
collectivités territoriales. Ce contrôle et cette régulation ajoutés au règlement de
fonctionnement des instances représentatives des adhérents de l’APF favorisent le « cumul
des mandats » au sein de l’association, à des niveaux de territoires différents. E6 Et puis
après, je suis donc membre du CD, et après je suis membre du Conseil de Région. Je suis
aussi membre de la Commission Nationale Action Revendication, ce qui me donne le droit
d’être au Conseil de Région.
En effet, deux élus de chaque conseil départemental sont membres du Conseil de Région, ils
agissent donc au niveau départemental et régional. De plus ils sont très souvent sur de
nombreuses représentations départementales et locales : peu d’élus ou d’adhérents assurent
donc des représentations. E2 Les représentations, c’est sur peu de personnes que ça repose.
Ceci serait dû, selon les témoignages recueillis, au manque d’adhérents et de personnes qui
s’engagent au sein des délégations, mais force est de constater que les élus ou les « bénévoles
professionnels techniciens » captent souvent les représentations, E2 Il est hors de question en
tant que conseiller de gérer les représentations liées à l’accessibilité, sachant que la personne
qui a en charge l’accessibilité ne fait pas partie du conseil. Donc elle a gardé, elle a pris toutes
ses représentations, ce qui était tout à fait légitime. et ne facilitent pas l’intégration dans des
représentations qu’il leur semble plus légitime de porter. En général, les représentations ne
s’exercent pas dans des polyvalences, mais plutôt par spécialité, compétence spécifique : un
élu parent sera représentant dans les instances liées à l’Education Nationale, dans les collectifs
inter associatifs qui agissent sur la thématique de la scolarisation à tous les niveaux, un autre
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élu dont le domaine de compétence est dans le cadre de vie, l’accessibilité, aura des
représentations auprès des collectivités et leurs services techniques. Ainsi se dégagent des
grands domaines d’interventions transversaux liés aux problématiques du handicap, dans
lesquels les élus développent leurs compétences, se spécialisent. Les temps de rencontre
collectifs, réunions, Assemblées Départementales, mettent en scène ces véritables experts, le
CD pouvant fixer des priorités d’action et ainsi favoriser un expert plus qu’un autre.
Ainsi l’engagement constitue également un moyen d’apprentissage et de formation continue :
la pratique professionnelle dans les représentations, les temps de travail formalisés, la
connaissance qui est demandée des politiques publiques du handicap, nationales et locales,
obligent l’élu à acquérir une connaissance technique, E6 Dans la règle, on doit travailler tous
ensembles, et puis il y a un réseau, on a des informations. Je trouve que les informations, soit
ça vient pas assez vite, soit ça vient trop vite. Il faut avoir le temps de tout digérer. On est, je
le répète, des adhérents, des bénévoles, et il faudrait être aussi des techniciens, or, chacun sa
mission. Le technicien ne doit pas trop mordre sur ce que fait l’adhérent, et l’adhérent doit
être au courant mais pas mordre trop sur ce que fait le technicien. Et ça je crois, on l’a pas
encore trouvé, je pense. pour certains très spécialisée, de dispositifs législatifs, de décrets, afin
de pouvoir revendiquer pour leur mise en application ou les contester. E8 C’était du bénévolat
certes, mais c’était du professionnel
Les élus connaissent très bien les différentes instances dans lesquelles ils siègent, si bien que
parfois ils s’y comportent comme de véritables techniciens et non pas comme des
représentants
des
personnes
handicapées,
cautionnant,
renforçant
des
décisions
administratives, quittant la logique de défense des droits pour appliquer strictement et contre
l’intérêt des personnes défendues des décisions qu’ils pourraient contester.
Ces compétences acquises participent de la rétribution symbolique de l’engagement, de la
reconnaissance sociale des personnes, de la même manière qu’une identité professionnelle
donne aussi de la reconnaissance et construit ainsi une identité sociale. E8 C’est un tout, je
crois, on n’inverse pas tellement les rôles, disons qu’on donne à chacun une tâche, bon, il y
avait le côté professionnel et gestion qu’il y avait à gérer, il y avait aussi cette dynamique
associative militante.
2. L’importance du territoire
Les élus voient l’importance de territorialiser leur présence et le cadre de leurs actions. E5 La
seule chose qu’on a faite et qui est pas encore mise en place, c’était la, on voulait faire une
représentation du conseil géographique auprès des adhérents, et des élus locaux. E6 Voilà,
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c’est vachement important d’être bien implanté, surtout quand on est un département rural, il
faut être au courant de ce qui se passe.
Historiquement, les correspondants des délégations existaient depuis que l’association a
souhaité être présente dans chaque département en installant des délégations animées par des
bénévoles, comme relais dans les différents communes ou regroupements de communes. Ces
correspondants représentaient l’APF dans leur secteur, ils étaient choisis par le délégué, qui se
constituait une sorte de « garde rapprochée », un noyau d’adhérents très engagés, multitâches,
puisqu’ils agissaient dans la représentation politique (assez peu), au niveau des actions
ressources, dans l’accompagnement des adhérents habitant dans leur territoire.
On ne peut donc pas dire que les élus ont innové en désignant et en validant des personnes
référentes, pas nécessairement membres du CD, mais le choix des personnes se fait
maintenant collectivement et en tant que représentant légitime des adhérents. E6 On a défini
c’est vrai, en C., des secteurs, pour permettre une meilleure, enfin qu’on puisse travailler
mieux.
Cette territorialisation de l’action associative est proche de celle que l’on voit dans l’action
sociale des départements, avec une répartition dans tout le territoire de lieux relais, qui ont
une connaissance des réalités locales et qui sont appuyés par une structure centrale. Les élus,
en même temps que d’autres adhérents, ont donc une implantation locale, E5 Et donc on a
fait un découpage par secteurs géographiques avec des personnes référentes. […] les
personnes référentes ont été désignées et validées par le conseil ce qui leur permet de bien
connaître les maires, les conseillers généraux, les députés et sénateurs, également les autres
partenaires de ces territoires, associatifs, médicaux, des différents champs sociaux. E7 On
s’est partagé le département en 9.
En même temps que cette connaissance de l’extérieur, l’action en territoire veut favoriser une
vigilance renforcée des problèmes rencontrés par les adhérents. Les observations qui sont
faites remontent au CD E5 Donc on va rencontrer les adhérents, en fait, un par un, chaque
adhérent va avoir une personne proche de son domicile à qui il pourra s’adresser. Et quand on
aura rencontré les adhérents, après, en fonction de ce qu’on aura remonté des adhérents, de ce
qu’ils vivent dans leur commune et tout, on ira rencontrer les élus. qui peut décider d’agir et
de construire une action locale, à partir d’un répertoire d’actions collectives qui appartient à
l’association.
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3. Les formes d’action collective ou la logique de mouvement
3.1. L’intervention sociale
Les personnes engagées dans les différentes représentations sont perçues au sein des
délégations comme des spécialistes qui sont en capacité de traiter des situations, d’instruire
des dossiers, de conseiller des personnes et/ou leurs proches. Les représentants en CDAPH101
sont souvent interpelés pour des points techniques, des contestations de décisions, des
procédures de contentieux. On pourrait penser que la contestation de décisions administratives
est dans une logique de mouvement associatif, de revendication collective d’un droit, mais il
s’agit ici de techniciser la revendication plutôt que de politiser l’action sociale dans la logique
de mouvement. La réponse attendue, le déblocage de situations complexes est une demande
individuelle, qui concerne une personne, il est fait appel à la compétence de l’élu qui saura ou
non activer d’autres ressources de l’association, mais qui devient le maître d’œuvre de
l’intervention sociale, se substituant à un professionnel du travail social, assistante sociale,
conseillère en économie sociale et familiale, ergothérapeute. Quand les assistantes sociales
ont quitté les délégations, la plupart reprises par les MDPH au moment de leurs créations, il a
fallu continuer à prendre en compte les demandes individuelles. E7 Moi, on vient me voir en
campagne en me disant « la MDPH est-ce qu’elle peut me faire ça, ça et ça ? » On a un gros
avantage, c’est qu’on a N. qui siège là, il va vous le dire, « je note », on a la réponse, c’est
formidable. Des bénévoles soutenus plus ou moins par des salariés ont repris les missions,
devenant de véritables prestataires d’action sociale. E7 Si j’ai des dossiers ici, si j’ai des
dossiers je prends des dossiers le jour que je suis là et puis je vais voir le gars, je lui donne le
dossier. Ah c’est moi qui m’en occupe. Je vais chez la personne pour l’aider à remplir son
dossier. Cette mission de l’association représente un premier accueil polyvalent qui peut après
orienter vers le droit spécialisé ou commun, E7 Quand c’est des dossiers après qui sont
beaucoup beaucoup plus importants, moi je les envoie vers le SAVS. Moi je relaie […] il y a
certaines choses, il faut laisser faire des professionnels.
101
mais les compétences acquises
Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, qui a remplacé les anciennes COTOREP
(Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel) et CDES (Commission départementale de
l’éducation spéciale). Elle est chargée de décider des prestations à attribuer aux enfants et aux adultes, de
l’attribution de la carte d’invalidité et de la carte de stationnement et de la reconnaissance de travailleur
handicapé. Elle a aussi pour mission l’orientation scolaire, professionnelle, sociale, en milieu ordinaire ou
adapté.
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donnent des prérogatives aux « accueillants » qui se comportent comme de véritables
travailleurs sociaux, dans une logique professionnelle d’intervention sociale.
3.2. Le lobbying local
La répartition des élus et des adhérents dans une logique de territorialisation développe une
connaissance des élus locaux E7 Moi je suis quelqu’un qui va me promener dans les petites
communes, je vais voir, pour essayer des fois, de trouver une petite subvention, 20 €uros.
« Ah, c’est L., c’est lui qui s’occupe de l’APF. » et je dis « ah bé oui, je viens encore. » ça
petit à petit, ça rentre, les maires. C’est lié à cette communication qui fait qu’ils connaissent
mieux. qui permet de faire pression et d’informer ces derniers sur les lois et dispositifs
existants. E7 Je suis un représentant assez dur ils vous diraient, du CCAS, parce que des fois
je me fâche, je me mets en colère, ça fait partie des responsabilités. C’est pas facile, c’est pas
facile.
La connaissance des décideurs locaux, l’appartenance à des réseaux d’influence et la
reconnaissance de militants implantés depuis longtemps dans un territoire local, pays ou
commune, donne du pouvoir d’action aux élus. Ils font pression pour obtenir des résolutions
de problème ou pour la prise en compte de la réalité vécue par les personnes qu’ils
représentent, et dont ils défendent les droits. E8 Et ça on le faisait à plusieurs. Je mêlais
toujours l’AS ou d’autres bénévoles qui étaient déjà impliqués, pour essayer qu’on comprenne
bien les situations et après qu’on puisse en faire une synthèse ensemble. Et ça après on l’a mis
par écrit comme tout projet, et on a porté l’expression de ces personnes là pour arriver à
convaincre. Il y a eu aussi un moment, j’étais comment dirai-je, j’ai pris aussi un petit peu de
la hauteur en disant « ça suffit, je me demande si nos élus, nos techniciens, partenaires ou
financiers, connaissent bien le handicap moteur, si ils veulent bien nous…et j’avais fait des
courriers un petit peu particuliers en disant « Est-ce que… » « …Est-ce que vous pourriez
vivre avec ces sommes là, restant chez vous, n’ayant pas de projet. Essayez de comprendre un
peu la vie d’une personne. » Et si tu veux, là aussi, il y avait eu des déclics : les élus ils ont dit
« L’APF a besoin, ils ont eu l’impression qu’on bougeait et qu’on allait peut-être vers des
situations de conflit, mais…où on leur montrait du doigt des grosses difficultés. Là ils ont dit,
bon, je me rappelle, j’ai eu des conseillers généraux qui sont venus à la délégation pour me
dire « Bon, on entend bien vos problèmes, quels sont vos problèmes ? » Et je me rappelle des
directeurs des services sociaux du conseil général ou de la DDASS102, qui étaient quand
102
Direction départementale des affaires sanitaires et sociales.
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même interpelés sur ça, et ils comprenaient. Ils comprenaient vite qu’on avait besoin d’une
aide, et que ces gens avaient besoin d’une aide, et que notre projet avait un sens.
Ils s’appuient sur la vigilance que leur rôle de « représentants locaux » demande, ils
rencontrent les adhérents, écoutent les doléances, font remonter les problèmes, que la
délégation transformera en action collective.
3.3. La revendication collective
Les délégations organisent régulièrement des actions collectives et mobilisent les adhérents
pour participer. E6 Je participe aux actions coup de poing quand il y en a
Ces actions sont plus ou moins médiatisées, selon leur importance et les liens que les élus ont
avec les médias locaux. Les thématiques de mobilisation sont le plus souvent impulsées par le
Conseil d’Administration, selon l’actualité évènementielle, législative, qui met en jeu des
personnes concernées directement (les personnes en situation de handicap elles même) ou
indirectement (les proches, la famille) par le handicap.
Il y a une stratégie nationale de revendication, les actions sont planifiées, structurées, des
documents sont à la disposition des acteurs, il y a peu de marge de manœuvre en terme de
méthodologie, mais chaque conseil départemental peut refuser de mener l’action ou l’adapter
à son département, avec ses adhérents.
3.4. Agir avec les partenaires associatifs
Le travail avec d’autres associations tournées vers le handicap existe, souvent à l’initiative des
élus des conseils E6 Ici en Corrèze, on a le collectif corrézien avec Ni Pauvre Ni Soumis103,
avec les différentes associations qui en font partie. Je trouve que c’est aussi une force, quelque
part. Il faut faire ce genre de chose là, parce que on est tellement peu entendus, notamment
aujourd’hui avec les ARS, ça s’est mis en place et il faut se faire entendre, c’est important.
Cette recherche d’alliance au niveau local est une stratégie pour faire reconnaître le handicap
et ses conséquences comme une problématique transversale de la cité. Les élus des conseils
connaissent bien l’environnement social et les enjeux des nouvelles politiques publiques en
lien avec le handicap, l’association, par son Conseil d’Administration, produit des textes qui
nourrissent les arguments et les axes de revendications : ayant connaissance des différents
103
Ni Pauvre Ni Soumis est une action collective inter-associative qui regroupe de nombreuses associations, du
champ du handicap ou non, autour de la revendication pour l’amélioration des ressources d’existence.
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acteurs concernés, étant en capacité de conceptualiser des positions revendicatives, les élus se
retrouvent à la manœuvre des actions inter-associatives.
L’analyse des entretiens devait nous servir à vérifier nos hypothèses et à faire émerger les
éléments qui ont pu déclencher des engagements dans l’association, puis dans les CD.
Nous avons démontré que les parcours des personnes, les expériences biographiques,
engagements et/ou militantismes antérieurs, ruptures dans l’existence, ont influencé le sens
donné à l’engagement.
Nous avons aussi remarqué que la manière dont les personnes ont été accueillies, intégrées,
formées, dans leur parcours associatif, leur a permis de développer des compétences
politiques et techniques, et que leur rôle au sein des délégations, surtout pour le représentant
départemental, dépasse la simple représentation politique.
Les conseils sont devenus des petites structures qui fonctionnent au sein des délégations, qui
ont leur propre administration, leurs propres outils, avec des relations hiérarchiques, le
représentant en est le chef reconnu et légitime, qui est l’interlocuteur principal du directeur de
la délégation et des autres salariés.
Dans cette petite organisation hiérarchisée, une méthodologie de projet se développe, des
actions sont priorisées, les acteurs se répartissent les missions et les tâches, les compétences
sont prises en compte et utilisées stratégiquement.
C’est pourquoi nous parlons de logique professionnelle, certains élus se comportent comme
de véritables professionnels, et ont acquis des compétences spécifiques, dans le domaine du
handicap, qui rejoignent et dépassent même parfois les compétences des salariés.
De plus, les injonctions de la puissance publique, c'est-à-dire localement des conseils
généraux ou des communes, obligent les représentants de l’association, défenseurs de la cause
et des droits des personnes en situation de handicap, à posséder des compétences techniques,
pour pouvoir simplement échanger, être acceptés dans des espaces dans lesquels ils n’ont pas
souvent été présents.
Notre hypothèse d’une hybridation des logiques de mouvement et de professionnalisation a pu
être confrontée aux modes de fonctionnement des conseils et aux formes de participation des
élus. Nous avons constaté que les élus sont très investis dans la dimension de mouvement de
l’association, ils organisent et participent à toutes les actions de revendication et de défense
des droits et déplorent d’ailleurs une participation insuffisante des adhérents et des personnes
directement concernées aux actions collectives. Nous avons aussi noté que les mêmes élus ont
une connaissance approfondie des différents dispositifs, des politiques publiques du handicap,
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des textes de loi, et qu’ils ont construit des stratégies d’action méthodiques, rigoureuses,
structurées.
La première partie du mémoire développe l’histoire de l’association et décrit une
institutionnalisation qui a eu pour conséquence une forte professionnalisation des logiques
associatives. Les entretiens que nous avons menés ne nous ont pas permis de mesurer cette
évolution sociologique qui a produit une mutation de certaines associations, mais nous avons
pu mesurer combien l’histoire de l’APF est une histoire de personnes, de pionniers, de
« défricheurs », d’acteurs sociaux qui sont devenus militants pour les mêmes raisons que
celles qu’ont pu nous décrire les personnes. Ceci tendrait à prouver que c’est surtout le
logique de mouvement qui prédomine chez les acteurs, et que le répertoire des valeurs qui
existait au fondement de l’association a été transmis entre acteurs militants, de génération en
génération.
Pour autant, en parallèle de ces valeurs existent des répertoires d’actions collectives, qui,
elles, interviennent en interaction avec l’environnement social de l’association : et c’est là que
le changement de logique a une influence directe, puisque l’association ne peut pas ignorer un
environnement en mutation, et doit s’adapter à lui pour rencontrer et agir avec ses acteurs. Si
le secteur de l’action sociale, dans lequel intervient l’APF, se « technocratise » et rejoint une
logique gestionnaire, l’association doit prendre en compte ces paramètres et adapter ses
stratégies d’intervention et de développement à cette logique.
Or, ce sont les élus des CD qui représentent l’association, ce sont donc eux qui doivent être
les relais de ces stratégies d’adaptation. Et ces élus sont des militants, qui défendent des
valeurs et qui sont des relais locaux de l’association, c’est ce qui les légitime.
Aussi, quand ils doivent se techniciser, ils le font, pour répondre à une double « commande
institutionnelle » : celle des instances dirigeantes de l’association, qui perçoit les enjeux de la
nouvelle gouvernance dans les différentes instances décisionnaires et l’importance d’y être
représentées par des personnes compétentes. Celle de la puissance publique qui affirme une
forte volonté de co-construction des politiques publiques, mais avec des personnes
compétentes et qui maîtrisent l’environnement.
Il y a un enjeu pour l’association, des espaces de gouvernance sont proposés104, il faut les
investir, les occuper et y avoir de l’influence, y être reconnue comme experte incontournable,
y conseiller et infléchir les décisions politiques et leurs concrétisations locales.
104
Il n’appartient pas à notre recherche de démontrer la réalité du pouvoir des associations au sein de ces
instances, une recherche sur ce sujet serait intéressante.
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Les élus sont donc des militants qui affirment leurs valeurs et sont aussi devenus des
techniciens très compétents, de véritables interlocuteurs des décideurs. C’est ce que nous
avancions dans notre première hypothèse : l’élu est un nouvel acteur associatif, qui est acteur
du mouvement et en même temps professionnel de l’intervention sociale. C’est ce que nous
désignons par le terme d’hybridation105 : l’engagement des élus est le résultat du croisement
de deux logiques.
Notre recherche a démontré qu’il y a bien cette logique de professionnalisation, mais aussi des
élus militants qui tiennent à garder et défendre leurs valeurs.
105
Hybridation : croisement fécond, naturel ou artificiel d’animaux ou de plantes, de races ou de variétés
différentes. Définition du Petit Robert , dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,
Dictionnaires Le Robert, 1988.
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CONCLUSION
Nous avons mené cette recherche avec nos propres représentations du militantisme et de
l’engagement dans une association dans laquelle nous sommes nous même très engagés
depuis de nombreuses années. Cette situation nous a bloqués au départ, la « rupture
épistémologique » ne se faisait pas. Un travail exploratoire nourri par des rencontres et des
lectures ont permis de conceptualiser notre objet de recherche et d’effectuer une distanciation
nécessaire à la poursuite de la démarche de recherche.
Notre questionnement de départ revenait sur une préoccupation qui nous motive et donne du
sens à notre action depuis que nous travaillons dans le secteur de l’action sociale et dans le
milieu associatif : comment favoriser la participation des acteurs dans une association, quels
qu’ils soient ?
Notre perception de l’engagement s’est transformée au fil de notre démarche de recherche : au
début, nous voulions certainement confirmer des représentations que nous avions de
l’engagement, de la militance, fixées sur la dimension collective de la « mise en association »,
supposant qu’elle se faisait mécaniquement au moment de la rencontre avec l’APF.
La recherche nous a révélé que le sens de l’engagement n’était pas à chercher seulement dans
une dimension collective, mais aussi (et surtout) dans les effets des parcours de vie, des
trajectoires des personnes qui s’engagent, donc chez des individus, même s’ils sont traversés
et subissent des logiques sociales.
Nous savons aussi maintenant que les stratégies individuelles ne sont pas antinomiques des
dynamiques collectives, elles les nourrissent à la condition qu’elles soient prises en compte et
accompagnées.
Nous partageons l’avis de Bernard Eme quand il écrit que « L’évolution des modes de vie, la
transformation des représentations de la vie collective, le changement des mentalités et des
valeurs dominantes qui les structurent ne sont pas sans effet sur le fonctionnement des
associations106. » En effet, et l’histoire de l’APF nous l’a prouvé, les associations se
construisent et se reconstruisent sans cesse. Il en est de même pour les engagements
associatifs : le sens que les acteurs leur donnent sont des construits sociaux, qui dépendent des
parcours de chacun, hors de et dans l’association, autant que du parcours de l’association dans
106
EME B., Les associations ou les tourments de l’ambivalence, Op. Cit.
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l’histoire : les histoires de vie des individus rejoignent l’histoire de vie collective d’une
association.
Quand la création des conseils est décidée par les administrateurs de l’APF, ils vont
permettre à l’association de repérer ses forces, d’officialiser la militance qu’elle porte, de la
reconnaître et de la légitimer. Mais cette militance qui se (re)montre et représente (de
nouveau) l’association, peut le (re)faire en même temps que l’association est traversée par une
forte professionnalisation, s’éloignant de sa logique de mouvement social. C’est ce que nous
appelons les effets de contexte.
Une de nos hypothèses de recherche avance que ces effets de contexte, qui ont conduit les
associations à techniciser leurs fonctionnements et à s’éloigner voire quitter définitivement les
répertoires de valeurs qui les ont fondées et qui fédéraient leurs acteurs, ont produit une
nouvelle forme d’acteur associatif : cet acteur serait une forme hybride de la double
rationalité de l’association. Cette hybridation s’inscrit dans une chronologie à deux
extrêmes : un passé fondateur qui a constitué la dynamique de mouvement et de
transformation sociale, un futur pragmatique qui ne rejette pas la technicisation de l’action
sociale, mais qui souhaite y intégrer ses acteurs, comme au début, personnes concernées.
Légitimer des acteurs associatifs localement, avec un pouvoir centralisé conservé au CA qui
reste souverain, (la recherche n’a pas interrogé directement ce lien vertical) c’est fixer
localement des relais institués par l’association, adossés à des structures locales,
départementales et régionales d’accompagnement du mouvement associatif, et donc ne pas
substituer, comme certains ont pu le penser, mais compléter une représentation politique et
technique. Les directeurs de délégations, cadres associatifs, sont amenés à travailler avec des
élus locaux, cadres associatifs également. Une organisation qu’on retrouve dans bon nombre
d’associations, autour du binôme directeur-président, en tout cas dans les associations à
vocation départementales.
Le nouvel acteur associatif a trouvé le sens de son engagement dans son parcours de vie
(tissant un réseau de connaissances, les expériences de vie, les socialisations diverses qu’il a
vécues, familiales, professionnelles), dans son parcours associatif (les rencontres, les actions
collectives vécues, sa participation), et l’a précisé en rejoignant le conseil, en apprenant et
partageant les répertoires de valeurs des militants de l’APF.
Suite à cette recherche, nous pensons que l’association n’a pas fait le choix de s’isoler dans
une sorte de « fondamentalisme », mais a souhaité tenir compte de cette évolution du champ
social du handicap., en tout cas de ce changement. L’ignorer serait mourir, la dynamique
associative ne peut pas être qu’endogène. Des auteurs remarquent que le positionnement des
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associations, la remise en cause de certains dogmes internes a permis un développement
régulé et anticipé.
Il y aurait une crise larvée, mais profonde, des associations, selon Bernard Eme107 :
« Elle est bien davantage une crise culturelle, ou se dévoile un brouillage du sens
des pratiques associatives au regard de leurs visées de transformation de la
société, et une crise politique où semblent se perdre les finalités et les orientations
générales des actions associatives. Cette crise est due à l’emprise grandissante
des logiques technico-instrumentales au détriment des logiques civiques de
solidarité entre leurs membres (souci de soi) ou à l’égard d’autres acteurs
sociaux (souci de l’autre) en fonction d’une visée politique de transformation de
la société. »
L’analyse sociologique de l’histoire de l’APF nous a permis de comprendre comment
elle a réagi sous les contraintes de la puissance publique, sous ce que Bernard Eme
appelle « l’attrait de la symbolique gestionnaire et entrepreneuriale ».
Nous avons pu constater que l’association n’a pas manqué « d’imaginaires instituants
de la société 108» visant son changement, dès son fondement, elle a affirmé des valeurs
de solidarité et une intention de prendre son destin en main.
Elle ne s’est donc pas rabattu sur le modèle de « bonne gestion » qui fait primer les
moyens (le rapport d’activité) sur les finalités (la solidarité).
Cependant, elle n’a pas souhaité non plus rejeter complètement la logique de
professionnalisation, devant s’adapter et construire une stratégie d’interaction avec son
environnement.
Nous pensons que la mise en place des CD et la création de ce nouvel acteur associatif
qu’est l’élu du conseil départemental est une orientation prise par l’association pour
garder ses valeurs fondatrices tout en restant présente dans le champ social qui la
concerne.
Cette hybridation a produit des acteurs associatifs qui connaissent et défendent les
valeurs de l’association et qui sont stratèges dans leurs représentations, acquérant des
compétences qui les légitime à l’extérieur de l’association.
107
L’auteur parle des « nébuleuses associatives » constatant que le champ des associations renvoie à une
hétérogénéité profonde des organisations non lucratives. EME B., Les associations ou les tourments de
l’ambivalence, Op. Cit.
108
EME B., Op. Cit.
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La production d’un nouvel acteur hybride, agissant dans des répertoires de valeurs construits
dans l’histoire de l’APF, partagés, remis en cause si les associés le jugent nécessaire, avec une
stratégie d’adaptation, pas de soumission, à l’évolution du contexte social, a répondu à un
enjeu de survie de l’association, au moment où sa dimension de mouvement aurait pu
disparaître.
La responsabilité des élus des conseils départementaux est essentielle, le sens qu’ils donnent
à leur engagement dans l’association est un révélateur des logiques qui contraignent l’APF en
particulier et les associations d’action sociale en général.
Page 123 sur 140
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THÉMATIQUE DE L’ASSOCIATION DES PARALYSÉS DE FRANCE
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TRANNOY André, Risquer l'impossible, Paris, Nouvelles éditions Mame, Collection.
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THÉMATIQUE DU MOUVEMENT SOCIAL ET DE L’ACTION COLLECTIVE
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THÉMATIQUE DE L’ENGAGEMENT
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CEFAÏ Daniel, Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de l’action collective, Paris, Editions
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FILLIEULE Olivier, Devenirs militants, Sciences Humaines, Les mouvements sociaux,
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pluridisciplinaire en sciences de l’homme et de la société, Numéro 5, Décembre 2007.
VERMEERSCH Stéphanie, Entre individualisation et participation : l’engagement associatif
bénévole, Revue française de sociologie, 45-4, 2004, p. 681-710.
THÉMATIQUE DU PARCOURS DE VIE
Article
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MÉTHODE DE RECHERCHE
Ouvrages
COPANS Jean, L'enquête et ses méthodes : l'enquête ethnologique de terrain, 2ème édition,
Collection 128, 2008.
BERTAUX Daniel, L'enquête et ses méthodes : le récit de vie, 2e édition, Collection 128,
2005.
BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, L'enquête et ses méthodes : l'entretien, 2ème édition,
Collection 128, 2007.
DE SINGLY François, L'enquête et ses méthodes : le questionnaire, 2ème édition, Collection
128, 2008.
DUBAR Claude, Faire de la sociologie, un parcours d’enquêtes, Paris, Belin, 2006.
DUCHESNE Sophie, HAEGEL Florence, L'enquête et ses méthodes : l'entretien collectif,
Collection 128, 2008.
FOURNIER Pierre, ARBORIO Anne-Marie, L'enquête et ses méthodes : l'observation
directe, 2ème édition, Collection 128, 2008.
GRAWITZ Madeleine, Méthodes des sciences sociales, 10ème édition, Paris, Dalloz, 1996.
QUIVY Raymond, VAN CAMPENHOUDT Luc, Manuel de recherche en sciences sociales,
3ème édition, Paris, Dunod, 2006.
AUTRES OUVRAGES
GODBOUT Jacques T., Don, solidarité et subsidiarité, Revue du MAUSS
permanente, 8 mai 2009.
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LEXIQUE DES ABREVIATIONS
AAH : Allocation adulte handicapé
APEA : Appartement de préparation et d’entraînement à la vie Autonome
APF : Association des paralysés de France
CA : Conseil d’administration
CAT : Centre d’aide par le travail
CD : Conseil départemental
CCA : Commission communale d’accessibilité
CCAS : Centre communal d’action sociale
CDAPH : Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées
CIA : Commission Intercommunale d’accessibilité
CNU : Conseil national des usagers
DDASS : Direction départementale des affaires sanitaires et sociales
DDD : Directeur de la délégation départementale
ESAT : Etablissements et services d’aide par le travail
ESVAD : Equipe spécialisée pour une vie autonome à domicile
INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques.
MDPH : Maison départementale des personnes handicapées
SAV : service auxiliaire de vie
SEP : Sclérose en plaques
SESSD : Service d’éducation et de soins spécialisés à domicile
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ANNEXE N°1
GRILLE D’ENTRETIEN
En introduction, sociologiquement, ne pas oublier d’interroger la personne sur les éléments
de sa vie qui ne sont pas liées uniquement à l’association.
1) Questions sur la personne :
- Trajectoire
- Parcours d’étude, professionnel, familial
- Situation sociologique
2) Questions sur la rencontre avec l’APF :
Depuis quand êtes vous à l’APF ?
Comment êtes vous devenu adhérent ?
Je voudrais que vous me racontiez comment s’est passé votre rencontre avec l’APF.
Comment êtes vous arrivé dans cette association ?
Qu’est-ce qui vous a fait franchir le pas, entrer dans cette association ?
Quelles ont été les étapes de ce passage ?
3) Questions sur le parcours dans l’APF :
Pouvez-vous me raconter votre parcours dans l’association ?
Qu’est-ce qui fait que vous êtes resté ? Que vous vous y êtes investi ?
Quels ont été les moments, les personnes rencontrées, les évènements qui ont façonné cet
investissement ?
Quelle place avez-vous prise dans l’association ?
4) Questions sur l’engagement dans le Conseil Départemental :
Pourquoi vous êtes vous présenté aux élections du Conseil départemental ?
Je voudrais que vous me racontiez comment vous êtes devenu membre du Conseil
Départemental.
Est-ce que vous pouvez me décrire ce que vous faites au sein du CD ?
Quel est le mode de fonctionnement du CD ?
- quels sont les modes de coopérations ?
- les différentes catégories d’acteurs en présence ?
- le pouvoir des acteurs les uns sur les autres ?
- les objectifs des uns et des autres ?
- leurs tactiques ?
- le type de relations, éventuellement conflictuelles, engendrées par leurs interactions ?
5) Questions sur l’engagement, la militance :
A votre avis, l’adhésion a-t-elle un lien avec la militance ?
Comment définissez-vous l’engagement ?
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ANNEXE N°2
EXTRAIT DE L’ENTRETIEN E5
Durée de l’entretien : 1 h 24
L’entretien s’est déroulé au domicile de la personne
Pour commencer je vais vous demander de me parler de vous, qui vous êtes, ce que vous faites, avant
même de vous situer comme un membre d’un conseil départemental ou comme je dirais membre de
l’association, parler un petit peu de vous : votre âge, est ce que vous travaillez ?
Oui, j’ai 52 ans, je travaille, j’ai une activité de commerciale, j’ai toujours fait une activité commercial. J’ai
travaillé avant la naissance de mon fils et puis ensuite je me suis mariée, d’abord j’ai eu mon fils puis je me suis
mariée à 30 ans et il s’est avéré, suite à une très grande prématurité, il a un handicap moteur, une infirmité
motrice cérébrale. Quand il a eu à peu près 2 ans, j’ai arrêté de travailler pour rester à m’occuper de lui, je me
suis rendue compte que ça prenait beaucoup de temps et j’ai repris donc, j’ai dû rester jusqu’à ce que mon mari
soit à la retraite, ça coïncidait à peu prés jusqu’à ce que le gamin entre en sixième ,même un petit peu avant, en
CM2. Je suis restée un petit peu avec lui puis j’ai repris une activité toujours de commerciale mais cette fois ci à
temps partiel, donc je partage mon temps entre ma famille et mon travail.
…
Donc pour le moment, votre temps de travail, c’est un temps plein mais hors période scolaire ?
Voilà, c’est un temps partiel sur l’année puisque je ne travaille pas le mercredi mais je travaille beaucoup les
autres jours, ça fait des grosses journées.
Et vous avez un enfant ?
Je n’ai qu’un enfant, c’est un deuxième mariage, mon mari était marié avant, il a 3 enfants qui n’ont jamais vécu
avec nous, qui sont beaucoup plus grands.
Et donc votre fils , il a quel âge ?
Il va avoir 20 ans bientôt, il a 19 ans, il est en terminale, ses frères et sœurs, ils ont 38, 40 , 42 ans.
…
D’accord. Et donc l’APF ?
Et disons pour en finir sur le commercial, je suis quelqu’un de très ,très indépendante, pour ne pas dire rebelle à
toute autorité, donc ça me va bien. je suis oute seule dans ma voiture , je gère mon temps et ma façon de
travailler comme je l’entends, après c’est aux résultat, et le résultat y est, du moment qu’il y est, personne ne
vous demande rien.
Ca vous permet d’avoir une indépendance ?
Je me rends compte que j’aurai du mal maintenant s’il fallait que je travaille dans un bureau, dans un
établissement avec une équipe, de faire la même chose tous les jours, de voir les mêmes personnes tous les jours,
d’être dans un milieu confiné, je pense que je ne pourrais pas m’y plier.
Alors concernant maintenant, ce que je voudrais, on va pas tout de suite aborder le conseil départemental,
je pense que ça viendra peut-être par la force des choses, c’est que vous me racontiez comment vous avez
rencontré l’APF ? Comment s’est passée la rencontre avec l’APF ?
J’ai rencontré l’APF d’abord comme usagère, j’essaie de me rappeler les premiers contacts, je pense pourquoi,
comment l’APF ? Je ne me rappelle pas, je sais que les premiers contacts que j’ai eu, c’est à travers les
assistantes sociales qui étaient venues à l’époque nous aider à monter les dossiers pour des demandes d’aide pour
Guillaume. Le premier dossier, ça devait être certainement pour un fauteuil électrique, ou quelque chose comme
ça, qui m’a orientée vers l’APF ? Je ne m’en rappelle pas, ça c’est trouvé comme ça ; donc après de fil en
aiguille, un dossier une autre fois un autre dossier, je me dis « je profite, la moindre des choses, ce serait
d’adhérer, donc j’ai voulu adhérer et puis je suis restée là pas mal de temps parce que dans mon idée, j’avais
rencontré que les assistantes sociales qui venaient vraiment pour des choses précises, concrètes et dans mon idée
,l’APF c’était l’ association des personnes en situation de handicap, je n’avais pas percuté que les familles
avaient leur place et donc pour moi j’adhérais, c’était une façon de cautionner l’association et de l’aider dans la
mesure de mes moyens en réglant une cotisation, mais j’avais pas du tout imaginé que je pouvais être partie
prenante,. Je me disais « si Guillaume plus tard ça l’intéresse, il participera » et bon sans plus, et puis je ne sais
plus comment c’est venu. Je crois un beau jour c’est Fred qui est venue me voir, pourquoi, je ne sais plus, je ne
sais plus comment c’est venu, mais elle m’a emmenée, enfin invitée , proposé de venir à une réunion, une
journée nationale des parents. C’était à Argeles-sur-Mer, justement c’était pas loin, ça tombait bien, elle m’a dit
« viens tu verras, y a d’autres parents qui se rencontrent. » et j’ai été emballé par le contexte, l’occasion enfin de
rencontrer des gens qui vivaient la même chose que moi finalement. De là j’ai dit « quand même, je vais
m’engager, je vais m’investir, je vais me bouger, je vais faire la même chose. » On a essayé de monter un groupe
de parents sur l’Aude et voilà petit à petit je me suis investie un peu plus.
D’accord, vous avez adhéré et 5, 6 ans après, il y a eu cet élément déclencheur.
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Oui, je pense que c’est ça qui a déclenché. Il a dû y avoir quelque chose avant , pour qu’elle m’emmène, c’est
que j’avais été demandeuse, je pense, d’un peu plus d’action, d’un peu plus de participation. Disons que c’est ça
qui a déclenché le plus, j’avais dû avant exprimer une demande de participer certainement, pour qu’elle m’ait
proposé de venir, mais il y a eu quand même un temps important, bien je pense 4 ans ou 5 ans où j’étais
simplement usagère.
Et alors cet usage dont vous parlez, il se déroulait comment ? Vous alliez là-bas , vous les contactiez ? On
venait vous voir, ça se passait comment ?
Ce sont les assistantes sociales qui venaient à la maison.
Oui, c’était le service social qui était intégré dans la délégation ?
Oui je crois, je crois.
Ma question, c’était comment se passait ce lien, je dirais d’usager ?
Voilà ce que je voulais dire : c’est que maintenant, ça n’existe plus ça, sur la délégation de l’Aude, y a pas
l’agrément pour s’occuper des dossiers enfants, donc cette relation là avec les familles d’enfants jeunes n’existe
plus.
Et alors votre perception de l’APF à cette époque là, vous aviez une vision, pour vous c’était quoi l’APF ?
Pour moi l’APF, c’était le bureau de Carcassonne avec les assistantes sociales que je connaissais, mais j’avais
pas du tout la vision de la grosse association que c’est en réalité.
Et la délégation ?
J’ai commencé à le percevoir un peu quand j’ai adhéré et en même temps, je me suis abonnée à « Faire face » et
là j’ai découvert quand même et tout d’un coup mon univers s’est agrandi mais à l’origine, je n’avais pas du tout
cette perception là, pour moi c’était local.
…
D’accord, et vous pensez qu’il y a quelque chose qui l’a déclenché ça ? Est ce qu’il fallait du temps ? Est ce
que vous pouvez analyser ce qui a fait, qu’à un moment donné …
Je pense qu’il m’a fallu déjà du temps pour accepter le handicap de mon fils, beaucoup de temps, je dirais, pour
pouvoir considérer que…Comment dire, c’est comme une pierre, il faut pouvoir la poser, pour pouvoir
construire dessus. Jusque là, il n’y avait que le trou, il n’y avait rien à construire, il n’y avait que de la
dévastation. Je ne pouvais pas imaginer de me positionner en tant que maman d’enfant handicapé, c’était
impossible pour moi, c’est peut-être pour ça aussi que plus ou moins volontairement, je pensais que l’APF, je
n’étais pas concernée, quelque part je me disais, c’est pour les autres, c’est bien ils m’aident , c’est sympa, mais
bon j’ai pas vraiment ma place, c’est peut-être pour ça aussi que je ne pensais pas avoir ma place dans cette
association, c’est que pour moi le handicap, c’était quelque chose de très loin de moi, à l’extérieur, je pensais que
c’était passager, oui je pensais que c’était passager certainement.
Pour votre fils ?
Oui.
Donc que c’est quelque chose dont on guérit ? Ou quelque chose qui passerait ?
Oui, je pensais ce qu’on me disait, on m’a rien dit, moi, hein, je sais pas, vous en avez rencontré d’autres de
parents d’enfants IMC, vous avez un enfant qui est trisomique : 2 jours après, on arrive, on vous dit voilà, on a
fait un test votre enfant est trisomique, vous savez ce que sait, c’est brutal mais au moins, ça a le mérite d’être
clair. Moi, pour qu’on me dise , votre enfant a une infirmité motrice cérébrale, il est handicapé, il va le rester
toute sa vie, déjà il a fallu qu’il ait, je crois qu’il avait un peu plus d’un an, un an ou 18 mois. Et même après ça,
des IMC qui marchent, qui vivent normalement, y en a quand même. Donc après, à partir de là, quel est le degré
du handicap, quel incidence ça va avoir sur sa vie future, est ce qu’il va marcher ? Est-ce qu’il va pas marcher ?
Est ce qu’il va parler, est ce qu’il va pas parler ? Parce que tout ça, j’en savais rien et je crois que personne ne me
l’a dit, parce que les docteurs ne le savaient pas non plus. Donc à 18 mois , quand on m’a dit ça « bon , c’est pas
grave il marchera à 2 ans ou à 3 ans. » et à 3 ans je me suis dit « bon », puis vous trouvez toujours quelqu’un
dans votre entourage qui vous dit « oh oui mais moi, j’ai connu un gamin, il a marché à 6 ans, et maintenant, il
va très bien, il marche et tout… » Alors vous vous raccrochez à ça, et voilà et s’il ne marche pas à 3 ans, bon il
marchera à 6 ans puis à 6 ans, j’ai commencé à me dire que peut-être quand même, il allait falloir envisager autre
chose, une autre vision de l’avenir, mais avant de l’avoir vraiment accepté, ça a été très long, très, très long.
…
Le cheminement personnel, c’est qu’il y a eu à un moment donné où j’ai passé toute une première période où j’ai
subi, et puis il y a eu plus ou moins, en attente de quelque chose. Et du jour où j’ai compris que ce que j’attendais
n’allait pas se déclencher, eh bien finalement c’est comme quelque chose qui allait agrandir, je suis passée de
la…j’ai pu à ce moment rentrer dans l’action, je me suis dit « bon puisqu’il va falloir que je subisse, je ne vais
pas passer toute ma vie à subir, c’est clair, c’est comme çà maintenant, je vais arrêter de subir et je vais essayer
d’agir. » Après le cheminement, c’était « puisqu’il est handicapé et qu’il le sera toute sa vie, il faut essayer de
l’aider à vivre le mieux possible avec ce handicap. » Et donc à partir du moment où ça, ça a été établi, eh bien
automatiquement pour moi, c’était clair, ça passait par son quotidien à lui mais ça passait aussi à un niveau
supérieur d’améliorer la société, d’améliorer tout le fonctionnement pour qu’il puisse avoir accès à une vie
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sociale, à un travail, et au départ, c’était surtout la scolarité, bien sûr, pour arriver à construire avec le handicap.
Je me suis battue contre et quand j’en ai eu assez de me battre contre, j’ai dit « maintenant je vais me battre avec
et je vais essayer d’être active, de l’aider à un autre niveau. » Puis j’en avais marre, puisque je vous dis, moi
j’avais arrêté de travailler pendant 10 ans, donc pendant 10 ans, j’étais complètement, y avait ça aussi, c’est que
je ne travaillais plus, donc je ne voyais plus de gens autour, c’est pour ça que je vous en ai parlé, c’était une
période où j’étais vraiment enfermée complètement sur moi-même et sur lui et j’en avais marre. Et j’ai dit « bon
c’est bien de m’occuper de lui au quotidien mais je vais peut-être faire un peu autre chose, élever un peu le débat
quand même. »
Une 2ème question, est ce que c’est un passage obligé et que , il faut en passer par là pour après pouvoir
passer une espèce d’étape ? Vous voyez, passer un cap pour après se dire , voilà, je vais sur un
engagement, là, je suis prête à m’engager quoi ?
Je crois que c’est personnel ça quand même. Parce que y a des mamans qui viennent au groupe de parents
d’enfants très, très jeunes, je suis toujours surprise, je les vois, elles ont les bébés là, qui n’ont même pas, quoi, 1
an, 2 ans eh hop, elles sont en demande d’un groupe de parents, d’échanger. Mais ça veut dire, pour faire cette
démarche de venir dans un groupe de parents d’enfants handicapés , faut l’accepter déjà ça, moi j’étais incapable
de faire cette démarche là quand mon fils avait 1 an ou 2 ans, je leur tire mon chapeau et en même temps, peutêtre qu’elles ne vont jamais aller au-delà, qu’elles sont demandeurs d’échanges avec des parents, avec des pairs,
avec des gens qui ont la même expérience qu’elles, mais qu’elles ne sont pas demandeurs forcément d’aller dans
l’action et dans la revendication et dans un investissement personnel, donc je crois que chacun réagit en fonction
de son tempérament , surtout.
…
Et alors, qu’est ce qui fait qu’il peut prendre cette dimension collective ? J’essaie de le découvrir, c’est
pour ça que je vous questionne là-dessus ?
C’est pas forcément une dimension collective, ce n’est pas le bon terme, c’est pas un problème de collectif ou
d’individuel : c’est un problème, soit on reste sur le quotidien ou soit on essaie vraiment de se projeter dans
l’avenir et d’agir sur le fondement de la société, quoi c’est ça, c’est le niveau qui est plus général, mais la
motivation, elle est la même. C'est-à-dire qu’au lieu de l’aider en restant auprès de lui, à l’aider à s’habiller, à se
brosser les dents, j’ai décidé de l’aider à un niveau beaucoup plus large. Donc le niveau d’action, il est non plus,
sur le quotidien mais sur la société en général, il est plus politique, je dirais, mais la motivation, elle est la même.
D’accord, alors là, on parlerait en terme de motivation à agir et à s’engager comme vous le faites…
Ce qui ne m’empêche pas de m’intéresser à d’autres problèmes, à des gens qui ont d’autres problèmes au
quotidien que mon fils, bien sûr, après, par la force des choses. Mais la motivation profonde, elle est quand
même toujours par rapport à lui.
Après, qui est bien quand même, sur une dimension sociale, qui du coup va pouvoir aussi concerner
d’autres gens ?
Non, non, je vous dis l’APF, pour moi c’était vraiment quelque chose de très local, c’est devenu petit à petit,
quand elles sont venues …A quel moment ça a déclenché ? Franchement je ne saurais pas le dater ni l’expliquer,
je vous dis c’est une période qui reste très, très confuse pour moi, donc je n’arrive pas à avoir de souvenir,
j’arrive pas. Des fois mon mari me parle de gens « tu te rappelles, on l’a vue, on l’a déjà rencontrée. » je lui dis
« mais c’était quand ? » « c’était telle année. » Alors je lui dis « c’est même pas la peine, je ne m’en rappelle
pas, c’est fini » cet espèce de trou noir et donc le dater je ne le saurai pas. Mais c’est venu petit à petit, donc elles
venaient pour nous donner des conseils, pour monter des dossiers et puis en même temps, on bavardait « et
qu’est ce que vous faites, est-ce que vous faites que ça, qu’est ce que vous faites d’autre et comment ça
fonctionne ? » et petit à petit , voilà j’ai adhéré, je me suis abonnée à Faire face , en lisant le magasine et tout…
et en fait j’ai pas cherché ailleurs, j’ai pas rencontré d’autres associations, il était suivi au départ par le SESSAD
DE L’AFDAIM. Si, j’étais allée une fois à l’AFDAIM à une assemblée générale je crois, du SESSAD, ou à une
réunion de parents, je ne sais plus et puis bon, c’est tout je n’étais pas allée au-delà, parce que justement c’était
resté….j’ai pas trouvé la dimension politique que j’ai trouvée justement à l’APF, à travers les entrevues que j’ai
eues et surtout en lisant Faire Face. Puis c’est après que j’ai été amenée à rencontrer d’autres personnes, quand je
suis allée à la journée des parents. Au fur et à mesure que je découvrais l’APF, à chaque fois ça résonnait avec
ma propre vision des choses, donc j’ai pas cherché ailleurs. J’ai pas eu besoin d’ingurgiter la charte de l’APF,
j’ai pas eu l’impression que c’était une doctrine qu’on essayait de m’inculquer, de m’expliquer ou quoi, c’est
qu’à chaque fois, même sur des évènements ponctuels, à chaque fois, je me disais, j’avais une réaction
particulière face à un évènement particulier, j’ouvrais Faire Face, et je voyais exactement la même réaction que
ce que j’avais perçu, moi. Donc, j’ai pas cherché ailleurs, quand j’ai voulu passer plus de temps et m’investir,
pour moi dans toute logique c’était à l’APF et pas ailleurs.
D’accord, donc là , vous êtes dedans, vous êtes engagée, et est-ce que cet engagement, comment dirais je, il
s’exprimait comment, au départ, vous avez souhaité mettre en place un groupe de parents au retour de
cette journée là ?
Voilà, voilà, au départ, il s’est exprimé par la mise en place du groupe de parents.
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Pourquoi vous vous étiez présentée à l’élection du conseil à cette époque là ?
Je pensais avoir du temps à y consacrer, je voulais…surtout moi ce qui m’intéressait surtout, c’était les actions
politiques, les représentations auprès des instances politiques, des maires, des conseillers généraux etc…S’il y
avait des gens à interpeller, des démarches à faire , c’était plutôt çà qui m’intéressait. Donc de participer à la
MDPH , ça m’intéressait , si y avait des actions de revendication, de rencontres des élus, ça m’intéressait, et en
fait, je me suis rendue compte à travers ces 3 ans que, concrètement, ce n’est pas compatible avec mon travail.
Donc je suis un peu déçue et là au moment des nouvelles élections, j’ai dit « bon je suis un peu déçue car je
n’arrive pas à être aussi active dans le conseil, que j’aurais voulu l’être, est ce qu’il y a d’autres parents qui se
présentent ? » non, il n’y avait pas d’autres parents qui se présentent. Bon je me présente quand même parce que
un conseil départemental sans parent, non je ne peux pas l’envisager, je trouve que ça serait quand même
dommage. Bon même si je peux faire que çà, au moins quand y a des réunions et tout, bon je trouve que c’est
une voix, enfin ils ne m’ont pas dit non en tout cas, qui est intéressante aussi , car il y a un regard qu’il faut
conserver quoi, sur les choses et sur la politique départementale en général. Donc j’ai dit « tant pis, je renouvelle
quand même, mais je suis un peu frustrée. »
…
Et il y a eu, dans ce cas là, il y a des remplaçants, des suppléants, des gens cooptés ?
Voilà. Après, il y eu une cooptation, Jean-Marc, qui est là au niveau du conseil. Assez rapidement il est venu
mais il avait pas renouvelé son adhésion donc il avait pas 1 an d’adhésion, il fallait qu’il attende pour pouvoir
entrer au conseil. Et, moi je me rappelle pas de tous les détails. Donc au total, après il y en a eu d’autres qui
devaient être cooptés, ils sont pas rentrés au conseil, finalement. Qui est-ce d’autre qui a démissionné ? Je me
rappelle pas. Et après, là, sur le dernier conseil, donc, y’en a un qu’était actif tout le temps du conseil, bon, de
façon plus ou moins en dent de scie, et là il s’est pas représenté sur le nouveau, je sais pas pourquoi, je sais pas.
Je sais pas si ils ont une explication, Alain, pourquoi il a laissé tomber sur la fin, je sais pas, j’ai pas
l’explication, là.
…
Donc ça veut dire, comment, y’a pas forcément de spécificité en tant que parent ? Ça vous le ressentez
pas ?
Il peut y avoir des spécificités suivant les sujets traités, mais après, au niveau du relationnel, ah non, pas du tout.
Pas du tout, et peut-être parce que justement, pour moi le handicap c’est quelque chose que j’ai intégré, qui fait
partie de ma vie, quoi. Donc je me sens pas, j’ai pas l’impression d’avoir des préoccupations différentes de celles
d’Eric ou de Roger, quoi, pas du tout. Je veux dire s’il y a un endroit où c’est pas accessible, j’dis « ils nous font
chier, on peut pas passer. » Voilà, quoi, dans ma tête, c’est comme si moi je pouvais pas le monter, l’escalier,
c’est quelque chose qui fait partie de mon quotidien au même titre que du leur, donc moi je me positionne pas
différemment, et je pense pas qu’ils me perçoivent comme une personne différente. Quand je dis que c’est
intéressant d’avoir la voix d’un parent, c’est peut-être suivant les sujets, par exemple quand on a mis en place le
plan d’action départemental, bon bé sur le thème de la famille, j’ai participé là, j’avais choisi ce thème là et c’est
justement celui là où Eric était content que je vienne, parce que ça l’intéressait d’avoir mon avis, quoi. Donc y’a
des, quand y’a des problèmes sur des intégrations scolaires ou des choses comme ça, bon automatiquement ils
vont m’interroger, de même que si y’a un problème...
Et il se réunissait combien de fois l’ancien conseil ?
Une fois par mois à peu près.
C’est une fois par mois. Combien de temps ?
2 heures.
Ça peut être des liens avec des groupes qui existent déjà, des groupes qui font du travail, mais qu’un membre du
conseil en soit un petit peu, enfin le coordinateur en tout cas, en soit informé. Par exemple, y’a sûrement des
gens qui travaillent au niveau de l’accessibilité.
J’avais une question : comment vous définiriez l’engagement ? Pour vous, l’engagement c’est quoi ? En
tout cas l’engagement au sein d’une association, en l’occurrence au sein de l’APF ? S’engager, ça veut dire
quoi ?
Alors, s’engager, c’est beaucoup de choses à la fois. C’est donner de son temps, c’est, je vais commencer par ce
qui me dérange dans l’engagement : ce qui me dérange dans l’engagement, c’est que, en tout cas, ce qui m’avait
toujours dérangé jusqu’à maintenant, c’est que, pour parler un peu familièrement, on se colle une étiquette sur le
dos. Pour moi s’engager c’est représenter l’association, c'est-à-dire cautionner ce qui s’y passe et en être, en
quelque sorte, une représentation matérielle à qui les gens peuvent s’adresser. Et ça, ça m’a toujours dérangé, j’ai
toujours eu l’impression que la personne disparaissait derrière l’étiquette, quoi, et dans le cas de l’APF, ça me
dérange pas du tout, puisque il s’avère, c’est ce que je disais tout à l’heure, qu’il y a une résonnance qui fait que
toutes les prises de position, toutes les décisions, toutes les orientations coïncident toujours avec ma propre
vision des choses. Donc je peux endosser le manteau avec le chapeau et tout, sans aucun souci. Donc pour moi
c’est ça, quelque part être un, devenir un morceau du puzzle, faire partie intégrante d’une entité. Alors après
l’action, elle est quand même beaucoup tributaire de la disponibilité, aussi. Mais c’est déjà accepter d’avoir les
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mêmes valeurs, quoi. Défendre les mêmes valeurs, les représenter, en être quelque part l’image au quotidien, et
après, donner de son temps dans la mesure du possible.
Et la militance, à votre avis, ça intervient, ça a un rapport à l’engagement ?
Pour moi oui, la militance, c’est l’engagement, quand même. C’est…moi j’ai milité dans ma jeunesse hein, c’est
ce que je vous disais à l’instant. J’étais jeune, j’allais à toutes les manifs et tout, et puis, c’était un engagement
politique, là, pas associatif, et ça a très vite heurté mon côté individualiste, parce que voilà, au bout d’un moment
je me rendais compte que les gens ils regardaient plus M., ils regardaient la militante. Et les rapports entre les
gens ils étaient un peu faussés, parce qu’il y a des gens avec qui vous auriez pu avoir des affinités, et qui
forcément, systématiquement, d’entrée, entraient en conflit avec vous parce que c’était pas…oh il y avait pas
forcément des grandes différences. Pour rien vous cacher, j’étais trotskyste, si c’était un communiste, forcément
fallait se taper dessus, si c’était un maoïste, forcément ça allait se taper dessus. Y’avait ces espèces de, c’était
Paris, je sais pas, en province, c’est pas pareil.
Vous aviez quel âge à l’époque ?
J’avais 17 ans, 17, 18 ans.
Et qu’est-ce qui a fait naître cet engagement, parce que c’était déjà un engagement, à l’époque ?
Ah oui, là c’était un engagement actif. Qu’est-ce qui l’avait fait naître ? Et bien l’idée de rébellion, je pense,
essentiellement. Oui, c’était ça oui. Et le besoin, pareil, de prendre la parole, d’essayer toujours d’être dans
l’action, je pense. D’exprimer tout ce qu’on avait envie de dire. Mais je trouve que les rapports entre les gens
étaient très faussés par ça. Et ça m’a gênée, j’ai arrêté rapidement à cause de ça. Et en me jurant bien que je
militerais plus jamais et que je ferais plus jamais de politique. Et là, dans le cadre de l’engagement à l’APF, ça
me dérange plus, puisque de toute façon c’est quelque chose, encore une fois, le handicap il fait partie intégrante
de ma vie, je peux pas l’oublier, je peux pas passer à côté, je peux pas faire comme si ça existait pas, enfin,
c’est… Penser en fonction du handicap, pour moi, c’est devenu un automatisme.
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ANNEXE N°3
LES PROFILS DE PARCOURS DES ELUS INTERVIEWES :
Le tableau ci-dessous présente la situation de chaque élu interviewé et propose une synthèse
des caractéristiques de leurs parcours avant leur rencontre avec l’association puis une fois
qu’ils y sont entrés.
Chaque élu correspond à un numéro d’entretien, cette numérotation se retrouve dans les
extraits d’entretiens qui sont cités dans l’analyse.
Age
E1
58
Situation
familiale
Mariée
3 enfants
1 fille
handicapée
Parcours avant de
rencontrer l’APF
Parcours de vie difficile
Perte de sa mère jeune
Père artisan (peu de
ressources) qui ne
s’occupait pas d’elle
Parcours dans l’APF
Formes de participation
au CD
Bénévole :
Actions ressources
Accessibilité avec son
mari
Membre du 1er CD
Revendication
Réunions
Adhérent de longue date.
Rencontre de sa femme à
l’APF
Bénévole sur des activités
socio-culturelles puis
militant actif
Membre du 1er CD
comme représentant
Représentations (MDPH,
Conseil Général, ARS)
Animateur du CD
Travail avec le directeur
Adhésion après son
accident
Bénévole : sensibilisation
au handicap dans les
établissements scolaires
Membre du 1er CD
Représentations (CCAS)
Sensibilisation
Accessibilité
Adhésion après sa
maladie
Fondateur du groupe SEP
(Sclérose En Plaques)
Membre du 1er CD
comme suppléant
Echec au Bac
Fonctionnaire DDTEFP,
Cotorep pendant 28 ans
Accompagne son père en
fin de vie
E2
48
Marié, 2
enfants
Maladie psychique :
handicap, congé longue
durée pendant 3 ans puis
mise en invalidité
Handicap (naissance)
BAC puis parcours dans
une entreprise d’un poste
de base à un poste de
cadre pendant 13 ans
E3
34
Célibataire
Président d’une grosse
association
intercommunale
Bac
Fondateur d’une
association de jeunes dans
sa commune
Accident de la route :
handicap
E4
59
Marié,
2 enfants,
1 petitenfant
Sans profession, aide dans
l’entreprise de son frère,
artisan
Niveau 3ème
Technicien en téléphonie
(autodidacte) pendant 27
Animateur du groupe
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ans
Arbitre et dirigeant dans
le football
E5
E6
55
32
Mariée,
1 enfant
Célibataire
Maladie : handicap
Mis en invalidité
DEUG
Adhérente depuis 1996
SEP
Accessibilité
Représentations (MDPH,
CCAS, Commission
Communale
d’Accessibilité)
Membre du 1er CD
Militante dans un parti
politique
Créatrice et responsable
du groupe de parents
Représentations
(Education Nationale)
Mère d’un enfant atteint
d’un handicap (naissance)
Participation aux réunions
nationales et régionales
de parents APF
Revendication pour le
droit à la scolarité
Rencontre de l’APF dans
un établissement.
Membre du 1er CD
Profession : commerciale
Handicap (naissance)
Scolarité jusqu’en 6ème.
Adhérent depuis 2001
Parcours dans des
structures spécialisées :
échec au BEP, Certificat
de formation générale
Membre de la
Commission Nationale
des Jeunes
Elu de la Commission
Nationale Action
Revendication
Correspondant local
Administrateur d’un
CCAS
Nombreux stages sans
contrats de travail.
Demandeur d’emploi.
E7
66
Divorcé, 3
enfants, 6
petitsenfants
Salarié pendant 35 ans,
depuis l’âge de 20 ans,
suite à un concours de la
fonction publique (SNCF)
Adhérent depuis 2001
suite à la maladie
Responsable du Groupe
Initiative National SEP
Représentant syndical
Membre du 1er CD
Représentations dans
plusieurs CCAS et CCA
Correspondant local
Retraité depuis 2001
Maladie quelques mois
avant sa retraite :
handicap
Ouverture d’une antenne
du Secours Populaire
dans une commune de
1000 habitants
E8
54
Marié, 1
fille
Compagnon du devoir,
Salarié pendant 7 ans,
mécanicien puis parcours
de promotion dans
l’entreprise. Allait
devenir responsable de la
maintenance quand il est
tombé malade.
Maladie : handicap.
Mise en invalidité vécue
difficilement
Adhésion en 1986 suite à
la maladie
Membre du 1er CD
comme représentant
Délégué départemental
bénévole pendant 9 ans :
création de services pour
répondre aux demandes
des personnes en situation
de handicap (Service de
transport adapté, Service
d’Accompagnement à la
Vie Sociale SAVS,…)
Président de la
Commission des Droits et
de l’Autonomie
(CDAPH)
Membre du Conseil
Départemental
Consultatif des Personnes
Handicapées (CDCPH)
Administrateur UDAF,
CPAM, CCAS
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Président d’un Syndicat
d’initiative pendant 9 ans
Administrateur d’une
Union départementale des
Offices de Tourisme
pendant 8 ans
Maire adjoint d’une
commune : à ce titre,
création d’une Maison
d’Accueil Spécialisée
(MAS)
ANNEXE N°4
DESCRIPTIF DES ELUS PAR SEXE, AGE ET DUREE D’ENTRETIEN
Numéro d’entretien
sexe
âge
Durée de l’entretien
E1
Femme
58 ans
1h12
E2
Homme
48 ans
1h12
E3
Homme
34 ans
1h13
E4
Homme
59 ans
1h05
E5
Femme
55 ans
1h24
E6
Homme
32 ans
1h12
E7
Homme
66 ans
1h08
E8
Homme
54 ans
1h34
Moyenne
51 ans
1h15
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ANNEXE N°5
DECLARATION D’INTENTION D’UN CANDIDAT
AUX ELECTIONS DU CONSEIL DEPARTEMENTAL
E. M.
1-Qu’est-ce qui motive votre candidature au
Conseil Départemental ?
La politique de terrain initiée par le congrès de
Toulouse est fondatrice du rôle des adhérents
dans l’action de leur association. Je souhaite
intégrer ce groupe pour faire avancer le projet
associatif « acteur et citoyen » qui donne la
personne au cœur des enjeux de santé et médicosociaux.
Il intègre aussi l’APF comme association
répondant à la politique en faveur des personnes
en situation de handicap.
Elu par les adhérents, c’est recevoir une
procuration de défense de ses intérêts donc de
travailler avec conviction et force pour tous ceux
qui ont souhaité nous donner un mandat.
2-Que pensez-vous apporter au Conseil
Départemental en terme de compétences,
savoir faire personnels et disponibilité ?
Elu depuis l’installation du Conseil
Départemental en 2006, j’ai appris que la mission
confiée était ardue et compliquée. C’est aussi
l’équipe qu’il a fallu animer dans tous ses
combats. Fort de l’expérience acquise, je pense
de nouveau donner de mon temps et exprimer ma
voix pour faire avancer une équipe de travail.
Le projet associatif de notre association,
concerne chacun d’entre nous, donc retroussons
les manches et au travail.
3-Quelles devraient être selon vous la ou les
actions prioritaires de l’association dans votre
département pour les années à venir ?
Les actions prioritaires dans notre département
devraient se tourner vers l’accessibilité
universelle. L’amélioration du secteur médicosocial pour la politique familiale. La gestion de la
politique petite enfance handicapée motrice,
gérée en partie par l’APF. Toute action visant à
rompre l’isolement rural et le repli sur soi (ex :
transport, multimédia, nouvelles technologies).
E. M.
Né le à
Nationalité française
IMC
Non salarié de l’APF
Adresse
IMC de naissance, j’ai suivi une scolarité et
études en milieu ordinaire. Je suis le seul enfant
d’une fratrie en situation de handicap. J’ai obtenu
un baccalauréat G3 gestion et commerce. J’ai eu
ensuite un parcours bancaire pendant 13 ans,
successivement agent de guichet, commercial,
employé spécialisé valeur boursière, gestionnaire
financier de service formation.
En invalidité depuis 1997, j’ai fondé une famille
avec 2 enfants (garçons) M. 8 ans et I. 5 ans en
pleine santé et très vigoureux.
Adhérent à l’APF depuis les années 1990 je suis
bénévole depuis le premier jour. Militant actif et
convaincu je suis sur le terrain autant que ma
santé me le permet.
Je suis représentant du conseil départemental de
la délégation de l’A. depuis son installation. J’ai
beaucoup appris des partenaires, associatifs,
institutionnels, de la politique à mener, des
stratégies à entreprendre face aux difficultés de
mener des actions en faveur du handicap moteur.
Mon parcours à l’APF se poursuit encore sur le
terrain, c’est passionnant. Les luttes à mener sont
vastes et les bras sont insuffisants pour faire
avancer tous les souhaits exprimés par les
adhérents.
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UNIVERSITÉ TOULOUSE – LE MIRAIL
DIPLOME D’ÉTAT D’INGÉNIERIE SOCIALE
Promotion DEIS 1 - 2006 - 2009
Toulouse - Juillet 2012
Mémoire présenté par : Maxence LEBAS
Noms des Directeurs de recherche : Martine PAGES et Corinne SAINT-MARTIN
L’engagement dans une association d’action sociale :
entre parcours individuel, logique de mouvement et professionnalisation
Résumé :
L’Association des Paralysés de France (APF), association d’action sociale, a été créée en
1933 dans une logique de solidarité et de mouvement. Elle s’est appuyée historiquement sur
ses délégations départementales, instances locales déconcentrées qui ont été à l’origine de la
création de nombreux services et établissements médico-sociaux, pour répondre aux attentes
et besoins repérés des personnes atteintes de déficiences motrices et de leurs familles. Comme
de nombreuses associations militantes et d’action sociale, elle a connu un développement
important qui l’a conduite à re-questionner son projet fondateur. En 2003, l’APF a mis en
place une nouvelle organisation, créant les conseils départementaux d’adhérents élus par leurs
pairs.
L’analyse socio-historique de l’association révèle le contexte ambivalent dans lequel ont été
créés ces conseils départementaux : l’APF a en effet évolué dans une double logique de
mouvement (dynamique de revendication et de transformation sociale), et de
professionnalisation (institutionnalisation et développement exponentiel).
Notre recherche a voulu interroger le sens de l’engagement des acteurs associatifs dans ce
contexte ambivalent, en s’intéressant aux dimensions individuelles et collectives des parcours
des élus avant qu’ils rencontrent l’APF puis à l’intérieur de l’association, jusqu’à leur entrée
dans les conseils départementaux.
En s’appuyant sur les concepts d’engagement, de parcours, et de professionnalisation, par une
démarche de sociologie compréhensive, nous analysons les entretiens effectués avec huit élus
de conseils, en centrant nos observations sur les formes de participation, les répertoires de
valeurs et les pratiques des conseils départementaux : ces éléments sont rapportés aux
logiques d’institutionnalisation et de professionnalisation.
Nous montrons l’apparition d’une nouvelle forme d’acteur associatif, hybridation des deux
logiques de mouvement et de professionnalisation.
Cet acteur associatif a intégré des répertoires de valeurs propres à l’association, qui le
légitiment en interne, et qu’il défend à l’extérieur, dans une posture d’expert technique, en
véritable professionnel.
Mots clés :
Association - Engagement - Parcours de vie -Professionnalisation - Mouvement social Hybridation.
Nombre de pages : 121 pages.
Présence d'annexes : 5 -10 pages
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