La métaphysique et le sacré : des philosophes médiévaux et modernes
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ne peuvent à eux seuls afficher, explicitement et en détail, toutes les réponses. Il
faut donc inférer, en se servant des dogmes comme base de raisonnement1.
Enfin, il est inutile de réinventer l’existant. Parler d’éthique ou de libre arbitre
revient souvent à rentrer dans un jeu d’analyses déjà connu des Grecs et qu’il
convient seulement d’adapter à un nouveau cadre doctrinal.
C’est justement dans le cadre de cette osmose, ancienne, entre philosophie et
religion, que se sont fait jour spontanément des divergences entre rationalité et
autorité des textes. Dès le haut Moyen Âge, les interrogations se sont
multipliées. Il en a émergé un exercice philosophique inattendu, celui de
chercher à arbitrer entre les deux partis, à les concilier parfois, voire à élaborer
une interface permettant de les faire dialoguer.
2. Une philosophie religieuse étonnamment grecque
La philosophie est une création grecque. Jusqu’à la Renaissance, et malgré les
innombrables développements médiévaux, elle a choisi de conserver ses assises
antiques. Il n’est donc pas étonnant que les considérations philosophico-
religieuses du Moyen Âge soient souvent associées à des écoles de pensée
grecques (aristotélisme ou néoplatonisme, suivant le cas). Pour autant, cela ne
signifie pas qu’il s’agisse de simples prolongements de pensées plus aniciennes.
Songeons, par exemple, au subtil Jean Duns Scot (1266-1308) qui inspirera
Deleuze et au grand Thomas d’Aquin (1225-1274) qui deviendra philosophe
officiel de l’Église au XIXe siècle. Averroès, de religion musulmane, et
Maïmonide, de religion juive, seront les auteurs d’une pensée étonnamment
moderne avec, pour le premier, l’affirmation d’une compatibilité effective entre
foi et science et, pour le second, la promotion de l’idée de modularité du sens.
Il n’en reste pas moins que, pour ses utilisateurs monothéistes, il s’agit d’une
philosophie païenne. Le paradoxe est bien là, et il ne suffit pas d’invoquer une
liberté d’esprit des penseurs médiévaux ou une admiration béate pour leurs
augustes aînés. Encore faut-il que les constructions intellectuelles grecques
soient débarrassées des références explicites au polythéisme. C’est
effectivement le cas : les philosophes grecs ont souvent cherché à penser le
monde sans a priori divin ou religieux2.
1 C’est notamment le cas des religions où la dimension juridique est forte (judaïsme et
islam).
2 De nombreux philosophes grecs ont eu une vision du cosmos éloignée des
représentations mythologiques classiques ; ils ont été conduits à penser un divin
dépersonnalisé, ramené parfois à de simples principes.