anthropologie et economie dans une un contexte de globalisation

ANTHROPOLOGIE ET ECONOMIE DANS UNE UN CONTEXTE DE
GLOBALISATION. 35000/40000
Philippe Hugon
professeur émérite Paris Ouest Nanterre
Résumé : Les disciplines peuvent être conçues comme des modes d’inclusion et d’exclusion
dans le champ de l’analyse au nom de méthodes spécifiques et de référents irréductibles. Elles
sont également une manière de découper le réel et de donner un éclairage partiel à une réalité
complexe. Le champ du développement a été un lieu de rencontre et de confrontation obligé
de l’anthropologie et de l’économie. Aujourd’hui, la globalisation remet en question les
divisions Nord/Sud et renvoie à la fois à un monde interconnecté et à des replis identitaires.
Elle oblige à relier le particulier localisé et l’universel. Cette communication rappelle (I)
l’histoire des relations entre anthropologie et économie à propos de la question du
développement ; elle propose ensuite quelques pistes pour fonder une anthropologie
économique dans un monde globalisé.
.
Abstract :The study of the relations between anthropology and economics can lead to two
interpretations. According to the first interpretation, gift and trade, utilitarism and symbolics,
traditional and modern values, common or communautary and individualist, non-capitalist
and capitalist orders must all be opposed. According to the second, the anthropological and
the economical approaches are, in fact, complementary and both necessary to analyse an
hybrid and evolutive reality made up of destruction/restructuration, various combinations that
are more or less conflictual, plural references and confrontation of different value systems.
The present article illustrates this debate looking development and globalisation to found an
economic anrhropology in a context of globalisation and asymetric liberalism.
Mots clés :anthropologie économique, développement, don, échange, institution ; libéralisme
asymétrique, mondialisation, rationalisation, structure, utilitarisme, valeurs
Key-words : anthropology, economic anthropology, asymetric liberalism, development, gift,
globalization, institution, structure, utilitarism, value
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Il y a deux manières de se perdre par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution
dans l’universel. Aimé Césaire
Les disciplines économiques et anthropologiques ont été généralement caractérisées par
des exclusions et des cloisonnements. Historiquement, l'économie s'intéresse principalement
aux sociétés marchandes et capitalistes occidentales alors que l'ethnologie ou l'anthropologie
prennent pour champ les sociétés «primitives »exotiques ou premières (cf. le débat entre
Herskowitz et Knight dans le Journal of Political Economy 1941
D’un côté, la science économique a été principalement élaborée à partir des questions de
la rareté, du marché, de la monnaie, de l’accumulation du capital, de l’innovation destructrice
et de l’industrialisation concernant les économies occidentales. Elle permet, grâce à
l’équivalent général qu’est la monnaie et à un système de valorisation par les prix, de mesurer.
Elle utilise un langage se voulant universel et se veut souvent normative (optimum, bonnes
institutions). Le noyau dur de l’économie apparait souvent aux yeux de l’anthropologie
comme formaliste, réductionniste, hypothético-déductive, ésotérique dans sa formalisation
voire marquée par une aliénation marchande ou une idéologie justifiant le capitalisme et la
modernité «occidentale».
De l’autre, l’anthropologie part d’une démarche de terrain; pour repérer des différences ;
elle privilégie le particularisme, les cultures spécifiques, les acteurs du bas, voire recherche
dans les sociétés exotiques, par un effet de miroir, l’image inversée des sociétés occidentales
(don versus échange onéreux, communautés versus individus, solidarité versus utilitarisme,
sociétés froides hors de l’histoire versus société chaudes…). Vues sous un autre regard, les
sociétés «primitives» sont définis par certains comme d'abondance (Sahlins) et efficientes
selon leurs propres finalités. L’anthropologie s’intéresse aux conditions de production
discursive, aux représentations aux dénominations dans un langage spécifique. Elle apparait,
par contre, aux yeux de nombreux économistes comme étant marquée par l’empirisme du
terrain, l’induction, ou le relativisme voire l’exotisme à la recherche d’une différenciation
radicale et privilégiant des approches synchroniques et a historiques.
Bien entendu, ces oppositions, de méthode et de terrain, ont évolué au sein de chacune
des disciplines et des rapprochements notamment par la prise en compte des conventions, des
institutions, des stratégies multiples d’acteurs se sont opérés. Le champ du développement et
de la mondialisation ont contribué à des rapprochements pouvant permettre de fonder une
anthropologie économique.
L’ECONOMIE DU DEVELOPPEMENT ET LOUBLI DE LANTHROPOLOGIE
Le champ de l’économie du développement
Longtemps, les sociétés «exotiques» ont été considérées comme étant hors du champ
de l’économie. Selon les pionniers de l'économie du développement trois postulats fondaient
cette discipline ; (1) la discipline avec légitimité d’une analyse économique ; (2) l’objet du
développement, changement structurel qui diffère de la croissance ; (3) le terrain, les
économies «sous-développées».
Débat sur l'objet et la méthode de l'économie:
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. Cinq conceptions de l'économie prévalent : celle substantive au sens de Polanyi
(1957) (ressources, besoins, satisfaction de lexistence matérielle des hommes), celle
formaliste de l'adéquation des moyens aux fins (economicizing), celle de l'échange marchand
(monnaie, marché, échange onéreux), celle du capitalisme (profit, capital, «marchandises
fictives» selon Polanyi: terre et travail) et celle de l'ordre économique qui renvoie à la
signification ou au sens commun selon MaxWeber que les hommes donnent à leur activité.
L'ordre économique moderne est caractérisé par la liberté (le marchandage), l'efficacité (la
direction ou l'autorité managérial et la rationalisation (Billaudot 2006)
Le débat sur le développement et les trajectoires socio-historiques
Le développement se différencie de la croissance en prenant en compte les
changements de structures dans le long terme. Il est à la fois un processus objectif et
mesurable (indicateurs de productivité, de pauvreté, d’inégalités ou d’empreinte écologique),
normatif (vecteur d'objectifs sociaux désirables) et un projet (porté par les acteurs du
développement). Etymologiquement, il signifie déployer ce qui est enveloppé chez les êtres
(capabilités) et les sociétés (potentialités). Il est un processus que l’on peut considérer
alternativement, selon les paradigmes, comme un but àatteindre pour les sociétés en retard ou
sous-développées (évolutionnisme), comme un point de comparaison par rapport à d’autres
sociétés (comparatisme) ou comme ayant produit le sous-développement (théories
dépendantistes).Certains indicateurs permettent de mesurer et de comparer les sociétés. Ils
reposent tous sur des conventions expressions de rapports de pouvoir. Le développement
soutenable ou durable renvoie à un processus multidimensionnel d’efficience économique,
d’équité sociale et de soutenabilité écologique.
Les contextes des économies du Sud ou des pays en développement
Un des piliersfondant l'économie du développement est le terrain spécifique des Suds
ou du Tiers-Monde. Les traits structurels internes (dualisme et désarticulation, faible
intégration des marchés, niveau limité du capital physique et humain et de la productivité,
croissance démographique…) sont en liaison avec des traits structurels externes
(spécialisation coloniale, faible valorisation et préservation des ressources naturelles,
dépendance en capitaux en technologies, extraversion, spécialisation subalternevoire
appauvrissante dans les chaînes de valeur internationale). Au-delà de leurs très grandes
hétérogénéités, les sociétés du Sud doivent répondre à de nombreux défis notamment
démographiques, climatiques, d’urbanisation…. Certains traits communs apparaissent liés à
des économies éclatées, hétérogènes, fractionnées, à la diversité des formes institutionnelles et
des règles de codification. L'économie populaire rurale et urbaine fonctionne en interrelations
et soumission avec l'économie dite moderne. Les trajectoires historiques sont également
contrastées. Certaines dites émergentes s'intègrent positivement dans la mondialisation et
d'autres sont prises dans des trappes à pauvreté. Les centres exercent vis-à-vis des périphéries
des forces centrifuges ou centripètes. Cette focalisation suppose de prendre en compte les
interdépendances et les asymétries internationales (Hugon 2009).
La décalcomanie consiste à transposer des catégories forgées au centre aux sociétés et
à comparer les sociétés selon des indicateurs normés. L’économie du développement a fait
ainsi l’objet de critiques importantes de la part d’autres disciplines, notamment de
l’anthropologie, considérant qu’elle est réductionniste, qu’elle renvoie à une simple
rhétorique, qu’elle repose sur l’évolutionnisme, sur un prisme occidental et sur une
conception marchande ou utilitariste des comportements, voire une position idéologique et
normative.
L’ANTHROPOLOGIE ET LA CRITIQUE DE LECONOMIE DU DEVELOPPEMENT
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A l'inverse des analyses économiques précédentes,la démarche anthropologique vise à
repérer le particulier et le spécifique des institutions propres aux diverses sociétés, à ouvrir la
boîte noire des relations sociales. Les travaux de terrain sont localisés, territorialisés (bottom
up). Ils cherchent à prendre en compte les représentations, les significations des activités et
privilégient généralement le qualitatif. L’anthropologie pouvant être définie a minima comme
«la restitution de situations d’interactions au travers des catégories des acteurs» (Baré 2001, p
95) ; elle est la science du local éloigné.
La critique de l’économie
Historiquement, l’ethnologie ou l’anthropologie, forgées dans les sociétés occidentales,
ont cherché à dévoiler en quoi les économistes ont une anthropologie naïve, une iconologie et
une vision essentialiste de l’autre,alternativement image inversée de soi, en retard de
développement ou hors du champ de l’économie. Paradoxalement, cette dichotomie entre
sociétés froides et chaudes, traditionnelles et modernes sera largement reprise par
l’anthropologie sociale fonctionnaliste (Cf. Malinowsky) ou structuraliste (Lévi-Strauss 1958)
considérant que l’anthropologie a pour objet les sociétés non marchandes. Dans les sociétés
froides, analysées hors de l’histoire et de la praxis, les rapports de parenté ont une valeur
opératoire comparable à l'échange marchand pour les sociétés chaudes ou entropiques (Lévi-
Strauss). Il s’agit, alors, de révéler la syntaxe des sociétés et les relations significatives qui
font sens. A la limite, le relativisme culturel interdit de comparer les sociétés. Anthropologie
et économie ont chacun leur terrain propre. Ces travaux rejettent les sociétés «primitives,
premières, exotiques, autres» hors du champ de l'économie.
On retrouve aujourd'hui le même risque d'une image inverse, par effet de miroir, voire de
points de vue essentialiste dans des courants culturalistes ou anti utilitariste (Revue Mauss,
Latouche, Rist). L’Afrique serait alors l’univers de la solidarité, de la communauté s’opposant
à l’utilitarisme et à l’individualisme. L »'homo donator »s’opposerait à l' »homo
oeconomicus »et le lien social au bien matériel.A ce discours de l’altérité radicale fait écho
un discours afro centré ou des «subaltern studies », caractérisé par une clôture identitaire et
un discours ethno-nationaliste privilégiant le particularisme et déniant à l’homme blanc le
droit de construire un discours sur les sociétés et les peuples dominés. La lutte passe par la
décolonisation des catégories et des cerveaux.
La critique méthodologique de l’économie
Il y a, au-delà de la critique de l’économie, débats au sein de la tribu des
anthropologues. L’anthropologie culturaliste valorisant les traditions, les systèmes de valeurs
mettant l'accent sur le primat des matrices culturelles et des représentations irréductibles ou
prégnantes s’oppose à une anthropologie structurale. L’anthropologie holiste privilégiant le
collectif et le “fait social total” est en débat avec l’anthropologie individualiste. La marche
inductive ou constructiviste, partant des faits et leur donnant sens par une montée en
généralité, est opposée à la marche hypothético-déductive visant à remonter de l’abstrait
des catégories générales au concret. Le terrain est alors le lieu de validation d’hypothèses
formulées préalablement dans un référentiel fait de conventions, de dénomination et de
système de valeurs plus ou moins implicites.
La critique anthropologique du développement
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Du point de vue de l’anthropologie politique et historique (Cf. Balandier (1963), les
situations coloniales et les dynamiques du dedans et du dehors traduisent des transformations
permanentes des sociétés dites exotiques et interdisent toute vision essentialiste sur les
sociétés. De même, selon Althabe (1973), les formes «traditionnelles » telles les danses de
possession, ne sont que des libérations dans l'imaginaire face à des oppressions post coloniale.
Ces approches ont l’intérêt d’historiciser les sociétés et d’adopter une approche dynamique.
Elles occultent, en revanche, largement le champ de l’économie
Une anthropologie des projets de développement ?
Olivier de Sardan (2001) différencie trois approches de l’anthropologie du
développement; celle discursive qui traite de la rhétorique, celle populiste qui privilégie les
savoirs populaires et celle de l’interactionnisme méthodologique qui traite des interrelations
notamment à partir des projets de développement. La question économique a été, ainsi,
réintroduite par l’anthropologie des projets (de) ou appliquée au développement (Chauveau
(1981-82), Olivier de Sardan (1995), J-F Baré (2001). Le développement est alors conçu
comme un terme et une catégorie locale porté par un des acteurs ou locuteurs mais non pas un
concept susceptible d’expérimentation ou de réfutation. Olivier de Sardan le définit comme
«l’ensemble des processus sociaux induits par les opérations volontaristes de transformation
d’un milieu social, entreprises par le biais d’institutions ou d’acteurs extérieurs à ce milieu
mais cherchant à mobiliser ce milieu, et reposant sur une tentative de greffe de ressources
et/ou techniques/et ou savoirs » (Olivier de Sardan (1995) p 7). Dans le cas des transactions
corruptives, plusieurs degrés apparaissent entre les normes pratiques adaptatives, quasi
tolérées, transgressives et palliatives face à la défaillance des services publics.
Le projet de développement est «une arène à l’intérieur de laquelle s’affrontent et
négocient des groupes stéréotypes dotés de ressources, d’objectifs et de visions du monde
différencié » (Bako-Arifari, Le Meur in Baré (2001) p 134. Face au «package» technique, aux
savoirs et pouvoirs des intervenants dominants (les experts en développement), les acteurs
«dominés» ont des principes d’action fondés sur la ruse, le détournement, la réinterprétation
(Copans, 2007, Ferguson 1990). Cette approche micro veut rompre avec une vision macro et
normative en terme de modernisation, et holiste de fait social total. Elle dévoile les raisons des
échecs des projets portés par les acteurs développementalistes et montre en quoi un projet
économique soit disant neutre politiquement est au cœur du politique
Cette anthropologie du développement présente également des limites. Elle analyse
peu en quoi les rapports hégémoniques conduisent à intérioriser des normes et à modifier les
aspirations des «développés». Elle demeure pauvre sur les régimes économiques (rentiers,
d’accumulation) et politiques (autoritaires, totalitaires) à l’intérieur desquels se déploient les
projets et les stratégies d’acteurs.
VERS UNE ANTHROPOLOGIEECONOMIQUE DANS UN MONDE GLOBALISE
Présentée précédemment, la dichotomie entre anthropologie et économie échoue à
comprendre la manière dont les acteurs s’insèrent dans des sociétés mondialisées et dominées
par le capitalisme même si celui-ci ne détruit pas les autres formes comme “la locomotive
écrase la brouette ». Elle intègre mal les transformations très rapides socio-institutionnelles
des sociétés liées notamment à l’urbanisation, à l’explosion démographique, aux mutations
culturelles et religieuses, à la conflictualité. Elle aboutit à une représentation dualiste
tradition/modernité, formel/informel, gal/’illégal, licite/ illicite, légitime/illégitime, sociétés
«matures » du Nord,/ Sociétés complexes du Sud .au lieu de prendre en compte, la
dialectique de l’universel et du particulier dans toute société, l’hybridité, le métissage, la
transgression des règles,les interconnexions, les transformations. Elle tend à privilégier de
manière synchronique les marqueurs identitaires en termes d’autochtonie, de référents
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