Michel MAGNY
Directeur de recherche au
CNRS, UMR 6249
la demande de Michel MAGNY, il est rappelé que le texte qui
suit a été rédigé à partir de son intervention lors du colloque.
Vous avez tous entendu parler des bouleversements météorologiques
en cours. Je vous propose aujourd’hui de vous expliquer comment
l’étude des lacs du Jura et de leur remplissage sédimentaire nous
permet de mieux connaître l’histoire du climat et les évolutions qu’il
a connues sur le long terme. Cette démarche scienti que ne concerne
pas seulement le passé. Elle est en effet indispensable a n d’établir des
scénarios pour les décennies à venir, voire pour le siècle prochain.
Les climats du passé sont aujourd’hui connus grâce à l’étude :
- des sédiments marins. Ils s’accumulent au fond des océans, et ils
ne sont pas affectés par l’érosion. Ils nous livrent par conséquent de
précieuses informations concernant une période ininterrompue de
plusieurs millions d’années ;
- des glaces polaires. En Antarctique, le sondage le plus profond qui
a été réalisé à ce jour est de l’ordre de 3 km. Il aurait pratiquement
atteint le substratum, et il nous renseigne sur le climat d’une période
longue d’environ 800 000 ans ;
- des sédiments lacustres. Dans le Jura, ils nous permettent de retracer,
avec une relative précision, les évolutions climatiques qui ont affecté le
massif depuis le retrait du glacier, il y a environ 15 000 ans.
La plupart des indicateurs dont nous disposons pour retracer l’histoire
des climats et de leurs mutations passées nous livrent généralement
des informations sur les variations des températures. Les marqueurs
qui nous renseignent sur la pluviométrie sont beaucoup plus rares.
L’étude des lacs, notamment ceux du massif jurassien, est par
conséquent particulièrement intéressante, car elle permet de préciser
les évolutions des précipitations durant la période considérée. Les
plans d’eau peuvent être en effet comparés à de gros pluviomètres.
Les variations de leurs niveaux correspondent à peu près à celles
des précipitations. Pour les scienti ques qui tentent de préciser
les conséquences des changements climatiques qui affecteront les
générations futures, ces données sont essentielles, car les populations
souffriront moins de la hausse des températures que de la raréfaction
des ressources en eau.
D’origine glaciaire, les plans d’eau du massif jurassien ont été
essentiellement étudiés dans un premier temps par des archéologues,
notamment Pierre PÉTREQUIN, qui a multiplié les campagnes de
fouilles et les découvertes à Chalain et à Clairvaux, dans le Jura. À
Chalain, comme dans de très nombreux sites archéologiques lacustres,
les vestiges de pieux d’habitations datant d’environ 3 000 ans avant
Jésus-Christ ont été retrouvés. Pendant longtemps, les chercheurs se
sont opposés au sujet de ces cités lacustres. Certains pensaient que
les maisons reposaient sur des pilotis qui les maintenaient au-dessus
de l’eau. D’autres estimaient qu’elles étaient installées sur la terre
ferme, à proximité des lacs. Conforter l’une ou l’autre de ces deux
À
Des variations
passées du niveau
des lacs du Jura
aux changements
climatiques
en cours
1
hypothèses était l’objet des premières recherches que j’ai effectuées il
y a une trentaine d’années et qui étaient consacrées aux variations des
niveaux des plans d’eau de Clairvaux et de Chalain. Les changements
climatiques n’étaient pas un sujet d’actualité à l’époque.
La photographie aérienne du lac d’Étival vous permet notamment
d’identier très nettement la plate-forme littorale, ou beine lacustre,
avec sa ceinture de nénuphars, et la partie la plus profonde du plan
d’eau, qui est plus foncée.
Photographie du lac d’Étival
Source : Michel MAGNY
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Les zones humides riveraines du plan d’eau sont peuplées de
carex, des plantes dont la feuille est coupante et la tige triangulaire,
communément appelées laîches. À proximité de la rive, la beine
lacustre est colonisée par les roseaux (phragmites) et par les joncs.
Lorsque l’eau est un peu plus profonde se développent les nénuphars.
Plus loin, les algues de la famille des characées tapissent enn la pente,
qui constitue la transition entre la plate-forme du lac et la partie plus
profonde de celui-ci. Ces ceintures végétales ont été étudiées au début
du x x e siècle par le botaniste Antoine MAGNIN.
À l’instar de la végétation, les concrétions qui se déposent au fond du
lac varient en fonction de sa profondeur. Lorsque celle-ci est faible, elles
ont une forme plutôt gulière, car elles sont roues et donc érodées
par le va-et-vient des eaux. Plus loin du rivage, les agrégats minéraux
qui tapissent le sol de la beine lacustre sont moins sujets à l’érosion,
et ils ont l’aspect de choux-eurs. Lorsque le lac est plus profond, les
concrétions sont enn d’abord aplaties et ensuite tubulaires, car elles
résultent respectivement de l’encroûtement des feuilles des nénuphars
et des algues vertes de la famille des characées.
Étagement de la végétation
et des concrétions
3
Source : Michel MAGNY
Pour préciser les variations passées du niveau d’un lac, des
prélèvements sont effectués dans la beine lacustre peu profonde, mais
aussi dans les zones humides qui jouxtent le plan d’eau. Ainsi, si des
concrétions dont la forme est régulière sont retrouvées par exemple
à 2 m de profondeur, nous pouvons déduire que le niveau passé du
lac se trouvait à l’époque à cette même cote, c’est-à-dire 2 m plus bas
qu’aujourd’hui.
Les carottes prélees sont formées d’une alternance de craie lacustre
jaunâtre et de couches de tourbe plus sombres. Elles renferment
parfois des débris végétaux fossilisés, par exemple de petites branches
de saule ou d’aulne, et c’est à leur niveau que se trouvait la cote du plan
d’eau à une période qui peut être datée par le radiocarbone.
À l’issue d’une vingtaine d’années de travaux effectués par les
chercheurs du Laboratoire chrono-environnement, la chronologie
des variations passées du niveau de 26 lacs jurassiens et alpins a
été reconstituée pour les 11 500 dernières années. Ce laps de temps
correspond à la période interglaciaire actuelle, qui a succédé à la
dernière des grandes glaciations qui ont jalonné l’histoire de notre
climat depuis 800 000 ans.
La comparaison des variations du niveau des plans d’eau étudiés,
avec l’évolution d’autres marqueurs paléoclimatiques, est
particulièrement intéressante. La courbe de la concentration de
carbone 14 dans l’atmosphère, tout d’abord, a été établie à partir de
la dendrochronologie, c’est-à-dire l’étude des cernes de croissance
des arbres. Elle permet de corriger les résultats obtenus par la
datation au radiocarbone. Elle est aussi le reet de l’activisolaire :
plus cette activité est élevée, moins le taux de carbone 14 dans l’air
est important. Vous remarquerez que le niveau des lacs est haut
lorsque le rayonnement du soleil est plus faible.
Grâce aux travaux d’une équipe de chercheurs américains, il est
désormais possible de mesurer les variations des circulations de l’air
polaire au l du temps, à partir de l’étude chimique des poussières
retroues dans les glaces du Groenland. Vous constaterez que
l’élévation de la cote des plans d’eau correspond à des descentes d’air
froid vers nos latitudes, c’est-à-dire à une dégradation générale des
conditions climatiques.
L’activité solaire s’intensie depuis les x v i i e et x v i i i e siècles, et nous ne
pouvons pas espérer par conséquent qu’un affaiblissement de celle-
ci atténuera les conséquences du réchauffement climatique constaté
aujourd’hui. Aux facteurs anthropiques à l’origine de ce dernier
s’ajouteront des phénomènes naturels, en particulier le renforcement
du rayonnement du soleil.
L’activité solaire
s’intensifie depuis les x v i i e
et x v i i i e siècles, et nous
ne pouvons pas espérer
qu’un affaiblissement
de celle-ci atténuera
les conséquences
du réchauffement
climatique constaté
aujourd’hui.
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Engendrée par des écarts de température et de salinité de l’eau des
océans, la circulation thermohaline aura également des conséquences
sur les changements du climat. Plus denses, les eaux plus froides et
plus salées s’enfoncent, à proximité du Groenland, à des profondeurs
comprises entre 1 et 3 km. Elles alimentent un courant froid, elles se
réchauffent ensuite sous les tropiques, elles remontent en surface et
elles gagnent à nouveau l’Arctique, elles se refroidissent, et ainsi
de suite. Les scientiques estiment qu’il faut environ 1 000 ans à une
molécule d’eau pour effectuer cet aller-retour. Le Gulf Stream est l’une
des branches de cette circulation thermohaline, que les chercheurs
américains ont dénommée le « tapis roulant océanique ». Retenez
simplement que la salinité et la température sont à l’origine de ce
phénomène d’une ampleur gigantesque, car le débit des courants ainsi
générés est 100 fois supérieur à celui de l’Amazone.
En modiant les temratures moyennes et la salini des eaux, le
réchauffement climatique et son corollaire, la fonte des glaciers, sont
susceptibles d’affaiblir cette circulation thermohaline. Le courant
chaud qui remonte aujourd’hui jusqu’en Norvège pourrait ne plus
dépasser la latitude de la péninsule Ibérique.
Il y a 22 000 ans, le Canada et une partie des États-Unis étaient
recouverts par une gigantesque calotte glaciaire. L’emprise de celle-
ci s’est peu à peu réduite pour céder la place, il y a 14 000 ans, à un
immense lac. D’une supercie égale à deux fois celle de la France, il
a été dénommé Agassiz, en souvenir du grand glaciologue originaire
de Neuchâtel. Le glacier siduel n’occupait plus alors que la baie de
l’Hudson.
La situation était similaire au nord de l’Europe. La calotte glaciaire
recouvrait la Scandinavie, et son retrait avait permis la formation du
lac Baltique, qui deviendra plus tard la mer du même nom.
Les recherches mettent en évidence une corrélation entre les vidanges
des grands lacs proglaciaires, le niveau plus élevé des plans d’eau
jurassiens et les riodes durant lesquelles l’activité solaire était plus
faible. Je vous rappelle que plus les concentrations de carbone 14, mais
aussi de béryllium 10, sont élevées, moins le rayonnement du soleil
est intense.
L’énorme quantité d’eau douce qui s’est déversée dans l’océan lors
des vidanges des lacs proglaciaires a très probablement modié la
circulation thermohaline, et donc le climat, qui est devenu plus frais
et plus humide en Europe. L’augmentation des précipitations due aux
variations du Gulf Stream et à une activité solaire moins intense s’est
ainsi sans doute traduite par une élévation du niveau des plans d’eau
du massif jurassien.
Il y a 8 200 ans, c’est-à-dire 6 200 années avant Jésus-Christ, a eu
lieu l’une des dernières vidanges majeures des lacs proglaciaires. Sur
le territoire de la France actuelle, notamment dans les Alpes et dans
le Jura, elle s’est traduite par des précipitations plus importantes et
par une évation du niveau des plans d’eau. Le climat est en revanche
devenu plus sec au nord et au sud de l’Europe.
Ce constat est intéressant, car il démontre que les conséquences d’un
événement climatique peuvent être très différentes d’une région à
l’ autre.
En 2050, 80 %
des glaciers alpins
auront très probablement
disparu.
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