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I
NTRODUCTION
Ce cours d’introduction à l’anthropologie propose une initiation à une série de problématiques
essentielles qui ont marqué l’histoire de la discipline. Il est conçu comme un cours sont
abordées une série de « grandes questions » à travers lesquelles l’anthropologie s’est
construite. Celles-ci sont introduites en conjuguant la présentation d’auteurs et de thèmes
fondateurs avec celle de reprises de ces problématiques aujourd’hui par une série d’auteurs
qui font l’anthropologie contemporaine. En d’autres termes, ce cours entend articuler
problématiques fondatrices et questions contemporaines, à travers des cas puisés dans l’étude
des sociétés non occidentales comme dans l’anthropologie du proche. En outre, à travers les
différents chapitres, des questions centrales qui traversent l’histoire de la discipline seront
aussi introduites et discutées. En d’autres termes, consacrés à des problématiques
emblématiques de l’histoire de l’anthropologie, les chapitres introduiront également les
figures incontournables de la discipline, reviendront sur des moments essentiels de l’histoire
disciplinaire, mais articuleront aussi ces développements historiques aux questionnements
anthropologiques contemporains.
Ce faisant, ce seront autant des acquis théoriques et empiriques de la discipline qui seront
exposés, que les manières de penser qu’ont développé les anthropologues pour penser l’unité
et la diversité humaines.
Enfin, ce syllabus a été conçu pour introduire à la fois à de ‘grandes questions’ qui traversent
l’histoire de l’anthropologie, mais aussi pour vous faire sentir le style des auteurs mobilisés ou
évoqués. J’ai ainsi introduit une série d’extraits de textes importants dont je trouve qu’il s’agit
de passages fondamentaux, qui vous mettent en prise directe avec les écrits des
anthropologues évoqués. Il n’y a pas de science sans auteur, et c’est encore plus vrai dans les
disciplines qui reposent quasi-exclusivement pour restituer leurs résultats sur une « langue
naturelle » (par opposition au langage formel, logique, que constituent par exemple les
mathématiques, ou les disciplines qui recourent plus ou moins largement à des formes de
formalisation mathématique). Les anthropologues, comme les autres praticiens des sciences
humaines, sont donc aussi des auteurs. Ce qui n’invalide évidemment pas la rigueur et la
qualité dont peuvent faire preuve les travaux anthropologiques, mais qui invite à prendre en
considération qu’un texte anthropologique porte aussi fatalement la marque d’une façon
d’écrire, d’un style.
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1.
Q
U
EST
-
CE QUE L
ANTHROPOLOGIE
?
Introduction
Etymologiquement parlant, l’anthropologie est un discours [logos] sur l’être humain
[anthropos]. Au sens le plus large, l’anthropologie se donne donc pour objet l’étude de
l’homme sous différents aspects. Il est ainsi une anthropologie dite physique, et dont l’objet
est constitué par l’étude de l’évolution du genre homo, par l’étude de la phylogenèse de l’être
humain, par la reconstitution des stades d’évolution du genre homo qui mènent à l’homme
d’aujourd’hui, homo sapiens sapiens.
Ce n’est pas toutefois d’anthropologie physique qu’il sera question dans ce cours mais bien de
ce qu’on appelle anthropologie sociale ou culturelle, discipline dont l’objet est l’étude de
l’homme en société sous tous ses aspects (organisation politique ou économique, vie
familiale, expérience religieuse, etc.), et ce dans une perspective qui s’est toujours voulue
pleinement comparative.
« Aussi loin qu’on cherche des exemples dans le temps et dans l’espace, la vie et
l’activité de l’homme s’inscrivent dans des cadres qui offrent des caractères communs.
Toujours et partout, l’homme est un être doté du langage articulé. Il vit en société. La
reproduction de l’espèce n’est pas abandonnée au hasard, mais est assujettie à des règles
qui excluent un certain nombre d’unions biologiquement viables. L’homme fabrique et
utilise des outils, qu’il emploie dans des techniques variées. Sa vie sociale s’exerce dans
des ensembles institutionnels dont le contenu peut changer d’un groupe à l’autre, mais
dont la forme générale reste constante. Par des procédés différents, certaines fonctions
économique, éducative, politique, religieuse – sont régulièrement assurées.
Entendue dans son sens le plus large, l’anthropologie est la discipline qui se consacre à
l’étude de ce ‘phénomène humain’. Sans doute fait-il partie de l’ensemble des
phénomènes naturels. Néanmoins il présente, par rapport aux autres formes de la vie
animale, des caractères constants qui justifient qu’on l’étudie de façon indépendante »
(Lévi-Strauss 2011 : 17-18).
Comme le suggère cet extrait puisé dans un texte de Claude vi-Strauss (1908-2009), figure
majeure de l’anthropologie française du XXe siècle, l’anthropologie sociale s’intéresse ainsi à
la fois à l’universel, aux socles partout présents sur lesquels se construit la vie en société
(langage, vie en société, alliances matrimoniales, etc.), à ce que l’humanité possède comme
propriétés communes, mais aussi à la diversité que peuvent prendre ces phénomènes sociaux
et culturels à travers le temps et l’espace.
Ainsi, un pari majeur de l’anthropologie a depuis longtemps été que la vie en société et la
condition humaine ne pouvaient fondamentalement se comprendre sans la mise en perspective
comparative de telle ou telle expérience sociale ou culturelle. Une vieille habitude de pensée
disciplinaire suggère ainsi que le détour par d’autres sociétés ou d’autres cultures peut aider à
saisir plus finement et à mieux comprendre tant les aspects singuliers que ceux qui
apparaissent comme bien plus communs dans telle ou telle société : les relations économiques
ou politiques, les croyances et pratiques religieuses, les modalités de formation des alliances
matrimoniales et les façons de faire famille, l’ensemble en fait des « manières d’agir, de
penser et de sentir », pour reprendre une formule bien connue d’Emile Durkheim (1858-
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1917), gagnent toujours à être pensées par rapport à d’autres, car c’est dans la comparaison
que ressortent à la fois leur spécificité et ce qu’elles ont de commun, leur singularité relative
par rapport à d’autres manières humaines de faire.
Ex : pour penser la spécificité de la condition étudiante (universitaire) en Belgique
aujourd’hui, il peut d’abord s’avérer pertinent de chercher à comprendre ce qui pourrait faire
la spécificité de la vie étudiante en Belgique par rapport à la vie des jeunes qui ne passent pas
par l’université, ou d’interroger la diversité des conditions étudiantes au sein même de la
population étudiante en Belgique (étudiants qui restent habiter chez leurs parents vs étudiants
qui « kottent » ; étudiants qui travaillent vs étudiants qui ne travaillent pas ; etc.). Mais
probablement que réfléchir aussi par rapport à ce qu’est la condition étudiante dans d’autres
sociétés (qu’est-ce qu’être étudiant en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest par
exemple ?) pourrait aussi être une façon suggestive de procéder, qui ferait apparaître d’autres
spécificités de la condition étudiante en Belgique. Pour évoquer rapidement les cas africains,
on s’apercevrait par exemple rapidement que ce n’est pas du tout la même proportion de
jeunes qui s’engagent dans des études universitaires en Belgique et en RDC, par exemple,
mais aussi que les proportions de jeunes hommes et de jeunes femmes y sont très différentes,
que les jeunes issus de milieux ruraux ont bien moins accès à l’université, etc. Ou que ces
jeunes sont pris dans des relations intergénérationnelles assez différentes : la famille qui a
investi dans l’éducation d’un jeune jusqu’au niveau des études universitaires dans un pays
comme la RDC a souvent des attentes en termes de retour de l’aide apportée au jeune, que
celui-ci devra à son tour porter à ses parents vieillissants une fois que lui-même aura acquis
une certaine situation, par exemple. Une part non gligeable des étudiants congolais vivent
leur cursus universitaire avec cette perspective : ils savent qu’ils représentent notamment pour
leur famille la promesse d’un retour de la solidaridont ils bénéficient pendant leurs années
d’études. L’organisation par l’Etat d’un système de retraites et de pensions pose évidemment
les termes du problème de manière très différente en Europe occidentale.
En d’autres termes, un élargissement du cadre de la comparaison fait souvent apparaître les
spécificités d’une situation sociale quelle qu’elle soit autrement que lorsque la comparaison
porte sur des situations plus proches les unes des autres, tout comme elle permet de dégager
avec plus de force ce qui malgré tout peut se présenter de manière analogue dans des
situations pourtant différentes à toute une série d’autres égards.
L’anthropologie possède, historiquement, la spécificité d’avoir cherché à élargir le cadre de la
comparaison. Pour autant, il va de soi que l’anthropologie ne possède ni ne saurait
revendiquer le monopole de la démarche ou de l’esprit comparatif. Bien au contraire, la mise
en œuvre d’un raisonnement comparatif est essentielle dans l’ensemble des sciences sociales,
puisque la singularité d’un phénomène social, ou sa parenté avec d’autres, ne peut émerger
que dans la comparaison. Mais l’anthropologie est, historiquement, la discipline des sciences
humaines qui a fait l’usage le plus large de la comparaison entre sociétés ou entre cultures, en
s’intéressant d’emblée à d’autres sociétés et à d’autres cultures.
C’est en fait davantage une question de degré que d’exclusivité ou différence/spécificité
radicale. Ainsi, aujourd’hui par exemple, il est des sociologues ou des psychologues qui
travaillent dans des perspectives comparatives analogues, cherchant par exemple à multiplier
une même expérience de psychologie dans différentes parties du monde pour chercher à
asseoir ou à mettre en évidence le caractère plus ou moins universel ou, au contraire,
particulier, de tel ou tel phénomène.
En outre, comme l’anthropologie partage au moins avec la sociologie le projet d’étudier la vie
sociale sous toutes ses coutures, dans toutes ses dimensions, on ne peut pas véritablement
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définir l’anthropologie par rapport à un objet qui lui serait spécifique. Dans ce qui suit, j’ai
donc pris le parti développer une définition méthodologique de la discipline, et donc de
chercher, en reprenant à mon compte un déplacement de la question initialement suggéré par
Clifford Geertz, à répondre à la question « qu’est-ce que l’anthropologie ? » à partir de cette
autre question : « qu’est-ce que faire de l’anthropologie ? » (voir Geertz 1973).
Dans la suite de ce chapitre, on examinera donc deux dimensions essentielles de ce que c’est
que faire de l’anthropologie, à savoir produire des données, et les interpréter.
1. Produire des données
Une façon régulière de circonscrire l’anthropologie fait appel à la spécificide sa méthode,
l’enquête de terrain de longue durée par immersion au moins partielle au sein d’un groupe ou
d’un monde social. Ce type de méthodologie a commencé à être mis en œuvre de manière de
plus en plus systématique par des anthropologues déjà dans les dernières décennies du XIXe
siècle, puis de façon de plus en plus affirmée, et en tant que méthode d’enquête délibérée, au
début du XXe siècle.
On peut en effet, pour produire des savoirs sur le monde social, avoir recours à différentes
méthodes – et même, au risque d’un mauvais jeu de mots, à des méthodes très différentes. Des
dispositifs expérimentaux régulièrement mis en place en psychologie sociale par exemple, aux
examens de corpus d’archives souvent privilégiés par les historiens, à l’analyse de données
économiques ou démographiques compilées par les Etats et aux enquêtes par questionnaires
des démographes, économistes et sociologues adeptes des méthodologies quantitatives, ou
encore à la réalisation de corpus d’entretiens approfondis régulièrement privilégiés par les
sociologues privilégiant les méthodes qualitatives, l’observation participante n’apparaît
que comme l’une parmi tant d’autres des très nombreuses méthodes de production des
données qui constituent l’espace méthodologique des sciences de l’homme (ou sciences
humaines).
Méthodes qualitatives et méthodes quantitatives
On distingue souvent, dans l’espace des sciences humaines et sociales, entre méthodes (au
sens de démarches organisées de manière délibérée et systématique, ici pour produire des
donnée sur le monde social) quantitatives et méthodes qualitatives. Pour exprimer les choses
brièvement, les méthodes quantitatives sont ces démarches de recherche qui, comme leur
nom l’indique, visent à la production de données quantifiables (l’âge moyen au décès, le
nombre d’enfants par femme, le nombre d’heures de travail hebdomadaires, le revenu par
habitant dans une région ou un pays donné, etc). Elles reposent pour ce faire sur des
questions dites fermées, c’est-à-dire n’autorisant qu’une réponse courte et précise à une
question à laquelle les différentes possibilités de réponse ont été pré-codées (le nombre de
réponses possibles est limité, et les réponses doivent s’inscrire dans des catégories définies).
Ex : âge, montant de revenus/dépenses, niveau d’éducation, nombre d’enfants, choix entre
une série de prises de positions prédéfinies dans le cadre d’une enquête d’opinions, etc.
Enfin, de telles méthodes impliquent d’obtenir des données auprès d’un nombre suffisant
d’individus, ou à propos d’un nombre suffisant d’événements, pour que les données
puissent faire l’objet d’un traitement statistique et que les résultats puissent prétendre à une
certaine représentativi statistique. En sciences sociales, l’enquête par questionnaires est
une méthode emblématique de cette démarche méthodologique.
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Les méthodes qualitatives sont formées pour leur part des démarches de recherche qui n’ont
pas les mêmes ambitions de quantification précise, mais qui permettent de rendre compte et
de comprendre davantage en profondeur les processus et les dynamiques du monde social.
Elles procèdent pour ce faire par l’écoute ou l’observation des discours et des pratiques des
acteurs sociaux sans avoir pré-codé ou prédéfini au préalable quel était l’espace des
réponses possibles – on peut répondre « je suis vieux » à la question « quel âge avez-
vous ? » dans le cadre d’un entretien, et ce sera probablement considéré comme l’expression
d’un certain état d’esprit par l’enquêteur, qui cherchera alors probablement, s’il a un peu
d’expérience, à en savoir plus sur ce que cela signifie pour la personne interviewée, ce
qu’elle entend par et ce que cela implique pour elle, alors que l’enquêteur qui se voit
adresser cette réponse dans le cadre d’une enquête par questionnaires ne prendra pas note de
cet état d’esprit et sera probablement amené à demander au répondant d’exprimer son âge
en années, comme le prévoit le questionnaire.
Les méthodes qualitatives s’intéressent donc davantage en profondeur aux idées et aux
représentations des acteurs sociaux (on en sait plus sur le rapport à la politique ou à l’art de
quelqu’un après avoir discuté de l’un de ces sujets avec lui pendant une heure qu’après lui
avoir administré un questionnaire lui demandant de nommer ses cinq hommes politiques ou
ses cinq artistes préférés), mais sont aussi, lorsqu’on recourt à l’observation, d’excellents
moyens de mieux connaître leurs pratiques, leurs habitudes, leurs manières de se comporter,
etc. Dans l’espace des sciences sociales, l’entretien approfondi, semi ou non directif, et
l’observation participante, sont les plus connues de ces méthodes dites qualitatives. Les
résultats obtenus à partir de telles méthodes d’enquête ne peuvent souvent faire l’objet que
d’un traitement statistique limité (même si on peut, par exemple, analyser la fréquence
d’apparition d’un certain type de vocabulaire, ou d’un certain registre sémantique, dans le
discours d’un individu au cours d’un entretien).
Procédant de manières différentes et éclairant le monde social sous des angles qui leur sont
propres, méthodes quantitatives et qualitatives s’avèrent en fait largement complémentaires.
Méthodes quantitatives et qualitatives constituent donc autant de dispositifs méthodologiques,
qui peuvent d’ailleurs être (et sont parfois effectivement) combinées par un même chercheur
ou par une ou plusieurs équipes de recherche travaillant ensemble sur un même objet de
recherche.
Pour revenir au monde étudiant déjà évoqué ci-dessus, une série d’enquêtes quantitatives,
reposant sur des données statistiques, ont très bien mis en évidence l’inégalité des chances
massive qui existe entre jeunes issus de milieux sociaux différents. Un tel savoir sur le monde
social, qui constitue une réalisation tout à fait importante de la sociologie de la deuxième
partie du XXe siècle, confirmée par toute une série d’enquêtes menées dans plusieurs pays,
peut être produit à partir du traitement statistique de données obtenues par questionnaire.
Etablir une corrélation à grande échelle de cet ordre, ici entre milieu social d’origine et
trajectoire scolaire et/ou universitaire ne demande pas qu’un chercheur vive en immersion
dans un petit groupe d’étudiants pour en restituer le mode de fonctionnement, les habitudes et
les pratiques. Ou, pour le dire autrement, on produit en sciences sociales des savoirs sur le
monde social par de toutes autres méthodes que l’enquête de terrain de type anthropologique.
La richesse des sciences sociales tient d’ailleurs pour une part non négligeable à la diversité
de leurs méthodes et à la palette des dispositifs d’enquêtes mis en œuvre, et aux éclairages
complémentaires que ces différentes démarches de recherche sont susceptibles de produire.
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