Alain Laurent : « Une philosophie, pas une idéologie

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23 JAN 14
Hebdomadaire
OJD : 412278
74 AVENUE DU MAINE
75682 PARIS CEDEX 14 - 01 44 10 10 10
Surface approx. (cm²) : 384
N° de page : 133-134
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Alain Laurent : « Une philosophie,
pas une idéologie »
lain Laurent, l'encyclopédiste du libéralisme, est un
homme tranquillement assuré de ses convictions. Philosophe et historien des idées, il dirige les collections
«Bibliothèque classique de la liberté» (plus de vingt titres
parus) et « Penseurs de la liberté » aux Belles Lettres. Coauteur, avec Vincent Valentin, d'une considérable anthologie
intitulée « Les penseurs libéraux » (Les Belles Lettres, 2012),
il vient de publier « En finir avec l'angélisme pénal » chez le
même éditeur. On recommandera vivement « La société
ouverte et ses nouveaux ennemis » (Les Belles Lettres, 2008),
critique lucide et argumentée du multiculturalisme.
droit de cité au primat de l'indépendance individuelle, en
redorant le blason de P« individualisme libéral ».
De nombreux penseurs (de Serge Audier à Michel Guénaire)
critiquent en ce moment le libéralisme économique afin de
mieux défendre le libéralisme politique. Au vu des responsabilités de la finance dans la crise, cela vous paraît-il avisé?
Mais non ! C'est de l'hémiplégie intellectuelle. La liberté
économique et la liberté politique sont indissociables.
Contrairement à une légende ressassée, les pères fondateurs
du libéralisme politique, comme Benjamin Constant, étaient
également des défenseurs du libéralisme en économie. Le
libéralisme est né du souci de libérer l'individu des entraves
Le Point: Le libéralisme n'a pas bonne presse en France. On
que les pouvoirs, tant politiques que religieux, faisaient pel'accuse d'être l'idéologie des possédants qui cherchent à
ser sur son autonomie. Comment être politiquement libre,
légitimer leur richesse. Vous-même, vous êtes plutôt hérilorsqu'on dépend économiquement de l'Etat pour son emtier ou plutôt boursier?
ploi, son logement, ses vacances... comme dans l'ex-URSS ?
Alain Laurent: Ce genre de déterminisme sociologique fait Tout le monde doit avoir droit aux bienfaits d'une économie
sourire le fils d'un ouvrier électricien et d'une femme de mé- libre. Et un peu partout, un nombre croissant de gens y asnage que je suis. D'abord élève d'une école normale d'institu- pirent d'une manière irrépressible. Quant au rôle de la fiteurs, puisque c'était ma seule chance d'emprunter l'ascenseur nance dans la crise, faut-il rappeler que Freddie Mac et Fanny
social, j'ai bifurqué pour aller en Sorbonne étudier la philo- Mae, qui sont à l'origine de cette crise, étaient deux organissophie et ensuite l'enseigner, puis faire une thèse de sociolo- mes semi-publics ? A ce stade de la crise, le problème n'est
gie. Pour en revenir au libéralisme, ce n'est nullement en pas la finance, mais bien les dettes publiques. Il est tout de
principe une idéologie de classe, mais une philosophie lais- même aberrant de voir l'« ultralibéralisme » mis en cause
sant les individus libres d'agir dans le cadre de l'Etat de droit. dans un pays où l'Etat dépense 57 % du PIB...
Elle encourage la coopération volontaire et la responsabilité Sans doute, mais une bonne part de ces dépenses est
personnelle : chacun doit recevoir la récompense dè ses choix destinée au financement de l'Etat-providence, auquel la
judicieux mais aussi assumer ses échecs, ses erreurs. Idéale- plupart des Français sont attachés.
ment, le libéralisme vise une meilleure distribution primaire L'Etat-providence à la française est condamné. Il va mourir
des revenus, tellement plus favorable au bien être général de son obésité. Il est condamné économiquement, parce que,
que le fanatisme de la redistribution, qui spolie et décourage financé à crédit, il s'achève inéluctablement en féroce réles classes moyennes. Tel que je l'entends, il n'a aucune res- pression fiscale. Et il n'est plus soutenable moralement parce
ponsabilité dans la cupidité des traders et de quèlques grands qu'il déresponsabilise et anesthésie une masse toujours
patrons avides de retraites-chapeaux, qui exploitent l'écono- croissante d'assistés auxquels on dénie toute dignité indivimie de marché. C'est un mauvais procès qu'on lui fait.
duelle. La catastrophe approche très rapidement. Aux libéMais cette passion pour la pensée libérale, elle vous est
raux d'en faire une opportunité de rebond.
venue quand et comment?
Reconnaissez que le contexte politique actuel n'est guère
Vers la fin de sa présidence, Valéry Giscard d'Estaing avait favorable aux libéraux.
lancé le slogan du « libéralisme avancé ». A l'époque, le libé- Mais l'opinion publique est en train de nous rejoindre
ralisme n'intéressait presque personne. Alors j'ai voulu aller
voir de quoi il retournait exactement sur le plan des idées.
Dans un premier temps, c'est à l'individualisme que je me
suis intéressé. La tradition sociologique française, de
Durkheim à Bourdieu, est dominée par des pensées holistes.
Elles font de l'individu un sous-acteur social sans consis
tance, mû de l'extérieur, irresponsable, conditionné ou
aliéné... Dans mes premiers travaux, j'ai cherché à réencastrer le social dans les relations interindividuelles et redonner
A
« II est tout de même aberrant
de voir l'"ultralibéralisme"
mis en cause dans un pays où
l'Etat dépense 5 7 % du PIB... »
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sur bien des sujets - sans savoir pour autant que ces
solutions qui vont s'imposer sont des solutions libérales. Le
socialisme déchaîné est en train de provoquer des révoltes
spontanées contre une fiscalité devenue folle - et aussi des
réglementations bureaucratiques paralysantes, des interventions étatiques contre-productives. Le libéralisme ne
gagnera cependant la partie qu'en parvenant à démontrer
concrètement aux salariés modestes qu'il est de leur intérêt
que l'Etat cesse de bloquer l'activité économique dans notre
pays. Quant aux rares politiciens qu'on pourrait considérer
comme plus ou moins libéraux, je leur reproche de se montrer sourds à la dégradation de la vie quotidienne de nos
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concitoyens les moins favorisés. Confrontés à l'insécurité,
ceux-ci sont déstabilisés par une immigration déferlante,
par la halalisation de quartiers entiers. Les libéraux seraient
bien avisés de s'inspirer de ce que disent Michèle Tribalat,
Alain Finkielkraut ou Philippe Bilger.
Mais du côté des intellectuels, vous ne faites pas le plein non
plus. Où sont les Aron, les Hayek, les Boudon d'aujourd'hui?
Ailleurs, ce n'est pas moins le grand vide ! Et même s'il n'en
est pas un théoricien novateur, Mario Vargas Llosa, Prix
Nobel de littérature 2010, illustre mondialement et avec
éloquence les valeurs classiques du libéralisme •
PROPOS RECUEILLIS PAR BRICE COUTURIER
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