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Alain Laurent : « Une philosophie,
pas une idéologie »
A
lain Laurent, l'encyclopédiste du libéralisme, est un
homme tranquillement assuré de ses convictions. Phi-
losophe et historien des idées, il dirige les collections
«Bibliothèque classique de la liberté» (plus de vingt titres
parus) et « Penseurs de la liberté » aux Belles Lettres. Coau-
teur, avec Vincent Valentin, d'une considérable anthologie
intitulée « Les penseurs libéraux » (Les Belles Lettres, 2012),
il vient de publier « En finir avec l'angélisme pénal » chez le
même éditeur. On recommandera vivement « La société
ouverte et ses nouveaux ennemis » (Les Belles Lettres, 2008),
critique lucide et argumentée du multiculturalisme.
Le Point: Le libéralisme n'a pas bonne presse en France. On
l'accuse d'être l'idéologie des possédants qui cherchent à
légitimer leur richesse. Vous-même, vous êtes plutôt héri-
tier ou plutôt boursier?
Alain Laurent: Ce genre de déterminisme sociologique fait
sourire le fils d'un ouvrier électricien et d'une femme de mé-
nage que je suis. D'abord élève d'une école normale d'institu-
teurs, puisque c'était ma seule chance d'emprunter l'ascenseur
social, j'ai bifurqué pour aller en Sorbonne étudier la philo-
sophie et ensuite l'enseigner, puis faire une thèse de sociolo-
gie. Pour en revenir au libéralisme, ce n'est nullement en
principe une idéologie de classe, mais une philosophie lais-
sant les individus libres d'agir dans le cadre de l'Etat de droit.
Elle encourage la coopération volontaire et la responsabilité
personnelle : chacun doit recevoir la récompense dè ses choix
judicieux mais aussi assumer ses échecs, ses erreurs. Idéale-
ment, le libéralisme vise une meilleure distribution primaire
des revenus, tellement plus favorable au bien être général
que le fanatisme de la redistribution, qui spolie et décourage
les classes moyennes. Tel que je l'entends, il n'a aucune res-
ponsabilité dans la cupidité des traders et de quèlques grands
patrons avides de retraites-chapeaux, qui exploitent l'écono-
mie de marché. C'est un mauvais procès qu'on lui fait.
Mais cette passion pour la pensée libérale, elle vous est
venue quand et comment?
Vers la fin de sa présidence, Valéry Giscard d'Estaing avait
lancé le slogan du « libéralisme avancé ». A l'époque, le libé-
ralisme n'intéressait presque personne. Alors j'ai voulu aller
voir de quoi il retournait exactement sur le plan des idées.
Dans un premier temps, c'est à l'individualisme que je me
suis intéressé. La tradition sociologique française, de
Durkheim à Bourdieu, est dominée par des pensées holistes.
Elles font de l'individu un sous-acteur social sans consis
tance, mû de l'extérieur, irresponsable, conditionné ou
aliéné... Dans mes premiers travaux, j'ai cherché à réencas-
trer le social dans les relations interindividuelles et redonner
droit de cité au primat de l'indépendance individuelle, en
redorant le blason de P« individualisme libéral ».
De nombreux penseurs (de Serge Audier à Michel Guénaire)
critiquent en ce moment le libéralisme économique afin de
mieux défendre le libéralisme politique. Au vu des respon-
sabilités de la finance dans la crise, cela vous paraît-il avisé?
Mais non ! C'est de l'hémiplégie intellectuelle. La liberté
économique et la liberté politique sont indissociables.
Contrairement à une légende ressassée, les pères fondateurs
du libéralisme politique, comme Benjamin Constant, étaient
également des défenseurs du libéralisme en économie. Le
libéralisme est né du souci de libérer l'individu des entraves
que les pouvoirs, tant politiques que religieux, faisaient pe-
ser sur son autonomie. Comment être politiquement libre,
lorsqu'on dépend économiquement de l'Etat pour son em-
ploi, son logement, ses vacances... comme dans l'ex-URSS ?
Tout le monde doit avoir droit aux bienfaits d'une économie
libre. Et un peu partout, un nombre croissant de gens y as-
pirent d'une manière irrépressible. Quant au rôle de la fi-
nance dans la crise, faut-il rappeler que Freddie Mac et Fanny
Mae, qui sont à l'origine de cette crise, étaient deux organis-
mes semi-publics ? A ce stade de la crise, le problème n'est
pas la finance, mais bien les dettes publiques. Il est tout de
même aberrant de voir l'« ultralibéralisme » mis en cause
dans un pays où l'Etat dépense 57 % du PIB...
Sans doute, mais une bonne part de ces dépenses est
destinée au financement de l'Etat-providence, auquel la
plupart des Français sont attachés.
L'Etat-providence à la française est condamné. Il va mourir
de son obésité. Il est condamné économiquement, parce que,
financé à crédit, il s'achève inéluctablement en féroce ré-
pression fiscale. Et il n'est plus soutenable moralement parce
qu'il déresponsabilise et anesthésie une masse toujours
croissante d'assistés auxquels on dénie toute dignité indivi-
duelle. La catastrophe approche très rapidement. Aux libé-
raux d'en faire une opportunité de rebond.
Reconnaissez que le contexte politique actuel n'est guère
favorable aux libéraux.
Mais l'opinion publique est en train de nous rejoindre
« II est tout de même aberrant
de voir l'"ultralibéralisme"
mis en cause dans un pays où
l'Etat dépense 5 7 % du PIB... »