LE CAPITAINE – Je ne peux pas vous dire le contraire...
SECOND - Et tout ça, ça a commencé avec le Maréchal...?
LE CAPITAINE - Oui, ça a commencé avec Toukhatchevski. Les juges étaient pourtant des
maréchaux ou des généraux! Mais ces généraux-là, ils se disaient qu'au prochain tour, ce serait à eux
d'être dans le box des accusés.
SECOND - On dit que Toukhatchevski aussi avait été torturé... avant d'être fusillé?
LE CAPITAINE - C'était lui le chef, il devait tout savoir de ce qui se préparait, de cette
conspiration qui.... Il fallait qu'il donne les noms... On dit qu'il n'a pas parlé.
PREMIER - On dit aussi que Staline avait peur de lui et que c'est pour ça que...
LE CAPITAINE - Staline a peur de tout le monde. Staline fauche toutes les têtes qui dépassent, et
en particulier tous ses vieux copains des débuts de la Révolution... Ils pourraient trouver des choses à
dire sur lui. On a toujours des choses à cacher... Certains disent qu'il a autrefois collaboré avec la
police des tsars, l'Okrana... Il est fou!
PREMIER - Mon capitaine, vous vous rendez compte de ce que vous dites?
LE CAPITAINE - Je ne le dirais pas à n'importe qui... Mais vous... je ne crains rien.
SECOND - Et vous, vous y croyez à la conspiration?
LE CAPITAINE – Qu'est-ce qu'on en sait? C'est de la magouille politique. Ici, on ne sait jamais la
vérité. La vérité, c'est ce qu'on veut qu'elle soit... Si tu veux noyer ton chien, tu dis qu'il a la rage... et si
c'était vrai, la rage? Voilà, j'ai fait preuve de patriotisme! Allez, je vous laisse. Et encore une fois,
motus! La seule chose que je sache c'est que si nous avions une guerre maintenant... je ne donnerais
pas cher de notre armée!
L'HISTORIEN DE SERVICE - Cet épisode de l'histoire de l'URSS est connu sous le nom de
Grande Terreur ou Grande Purge. Dans sa folie, Staline fit fusiller ou condamner à la Sibérie un grand
nombre d'officiers. On ne peut pas être très sûr des chiffres, mais les historiens disent qu'il se
débarrassa de 3 maréchaux sur 5, de 8 amiraux sur 9, de 14 commandants d'armée sur 16, de 136
commandants de division sur199, de 60 commandants de corps sur 108... etc. En incluant les officiers
subalternes et les commissaires politiques... au total environ 43 000 officiers sur 107 000! Et leurs
proches et leurs familles furent aussi arrêtés et condamnés... Cela donc se passait en 1938 et 1939.
Quand les Allemands envahirent l'URSS en 1941 et que les Russes mobilisèrent des millions de
paysans illettrés, il n'y avait plus à la tête des régiments, pour encadrer et former ces nouvelles recrues,
que des sous-lieutenants sans chefs... C'est un miracle que l'URSS n'ait pas sombré alors sous les
coups de l'Allemagne nazie.
RAPPELS HISTORIQUES
L'histoire de l'URSS est marquée par la propagande, le mensonge et le secret. L'historien en est souvent réduit à se
reposer sur des hypothèses...
Staline, selon Montefiore, aurait été profondément déstabilisé par le suicide de sa femme en 1932, suicide dont certains se
demandent s'il ne porte pas la responsabilité directe. C'est en tout cas à partir de cette date qu'il devient de plus en plus
solitaire et sa politique de plus en plus folle et violente. Il se compare volontiers au tsar Ivan le Terrible, dont le nom seul fait
frémir
La police politique de l'URSS fut fondée par le terrible Dzierzynski. C'était alors la TCHEKA qui devint successivement
qui devint successivement le GPU (Guepeou), le NKVD, le NVD, le NKGB, le MGB, le KGB.... Situation très confuse et
complexe, avec beaucoup de responsables successifs: Dzierzynski, Menjinski, Iagoda, Yezhov (ou Jezov ou Yerhov),
Beria...... dont on ne sait auquel doit revenir le prix de la violence et de la cruauté. Ils furent d'ailleurs pour la plupart
éliminés à leur tour peu de temps après leur destitution.
En 1956, Alexandre Orlov, un général russe qui avait réussi à fuir avant d'être arrêté, aurait découvert dans les papiers de
la police tsariste, l'Okrana, des papiers qui prouveraient que Staline dans sa jeunesse aurait été un de ses informateurs. Il
affirme aussi que, sur cette base, le NKVD aurait, avec la complicité de Toukhatchevski et de l'armée, préparé un coup d'Etat
pour renverser Staline. Yeshov, nommé à la tête de la police politique, aurait alors été chargé d'écraser les conspirateurs: d'où
la Grande Purge. Les cinq juges militaires, (des généraux et maréchaux) qui avaient condamné Toukhatchevski furent eux-
mêmes, peu après, arrêtés et exécutés.
Toukhatchevski avait mis au point la fameuse tactique des "Opérations en profondeur" (deep operations) qui consistait à
percer sur un point (ou deux) le front ennemi, non pas, comme le Blitzkrieg allemand, pour foncer aussi loin que possible,
mais pour venir au contraire se refermer sur l'arrière immédiat de l'ennemi et l'encercler, comme une agrafe qui se retourne
sur la liasse de papier qu'elle a percée. C'est cette tactique qui permit à l'armée rouge de finalement repousser l'armée
allemande dans les années 42-44.