VIE DES LABOS10
Le journal du CNRS n° 183 avril 2005
IMAGERIE MÉDICALE
Quel rapport y a-t-il entre l’observation
d’une étoile au télescope et celle de la
rétine par imagerie médicale? Eh bien,
dans les deux cas, il est difficile d’obtenir une
image nette. Pour l’étoile, la turbulence de
l’atmosphère joue les trouble-fêtes et rend le cli-
ché flou. Pour l’œil, c’est sa composition même
qui donne une image trouble. « La lumière doit
traverser plusieurs zones de notre organe visuel,
dont le film lacrymal, la cornée, le cristallin, avant
d’atteindre la rétine. Sans oublier la pression san-
guine, qui fait sans cesse varier la taille de l’œil », pré-
cise Marie Glanc, ingénieur en optique au Labo-
ratoire d’études spatiales et d’instrumentation
en astrophysique (Lésia)1. En astronomie, le pro-
blème a été résolu dès les années quatre-vingt-
dix grâce à la technique d’optique adaptative
(voir encadré). Des chercheurs2ont alors eu l’idée
d’utiliser la même méthode pour l’imagerie
de la rétine. Leur but : améliorer la finesse de
l’image pour que les ophtalmologistes y dis-
cernent des détails aussi petits que les cellules
rétiniennes. Et diagnostiquer plus rapidement
des maladies dégénératives de ce tissu oculaire.
Ainsi est né le projet Œil.
C’est le Lésia qui a été chargé de concevoir un
tel appareil. Il y a peu, un premier prototype est
sorti du laboratoire pour rejoindre l’hôpital
des Quinze-Vingt, où il sera testé cette année sur
deux cents malades. Mais l’instrument a déjà
fait ses preuves. «Avant d’obtenir l’autorisation des
autorités hospitalières, mes collègues et moi-même
avons servi de cobayes pour réaliser les premières
images », se rappelle Marie Glanc, qui a fait sa
thèse sur l’imageur et continue aujourd’hui
de l’améliorer. Au vu des premiers résultats,
les médecins sont enthousiastes. Et pour cause :
jamais la rétine d’une personne vivante n’avait
été dévoilée à ce point. Les
chercheurs peuvent regar-
der des détails de 3 µm,
contre quelques dizaines
pour les appareils classiques.
Sur les photos, on distingue
parfaitement les cônes, l’un
des deux types de cellules
photoréceptrices qui tapis-
sent le fond de la rétine. Ce
sont elles qui sont touchées
dans le cas d’une dégéné-
rescence maculaire liée à
l’âge ou d’une rétinopathie
diabétique, maladies pou-
vant conduire à la cécité.
Ainsi, le nouvel instrument
sera l’outil idéal pour détec-
ter plus vite ces pathologies, suivre leur évolu-
tion et les effets d’un traitement, voire guider
une intervention chirurgicale.
Pourtant, passer du monde des étoiles à celui
de la médecine n’est pas chose aisée. François
Lacombe, astronome au Lésia, qui a participé à
l’installation de l’optique adaptative du VLT3et
se consacre aujourd’hui entièrement au pro-
jet sur la rétine, explique : « L’optique adaptative
a d’abord fonctionné pour des étoiles brillantes et sur
une petite surface du ciel. Avec les progrès, on arrive
aujourd’hui à le faire sur des objets de plus faible
luminosité. Pour l’œil, il a fallu d’emblée commen-
cer avec la situation la plus difficile : peu de lumière
et une grande zone à visualiser. » Il faut dire que
les normes concernant l’imagerie de la rétine
sont drastiques. C’est pourquoi les chercheurs
utilisent de la lumière infrarouge, moins néfaste
à dose égale que la lumière visible, pour, dans
un premier temps, analyser la lumière réfléchie
par l’œil. Ils photographient ensuite la rétine en
lumière verte par séries de flashs. Pour le
patient, c’est moins de lumière et pendant un
temps plus court qu’avec les autres imageurs.
Mais l’instrument n’en est encore qu’à ses
débuts. Pour le moment, on ne peut pas obte-
nir d’images pour les personnes myopes ou
astigmates. Ces défauts sont trop importants
pour que le miroir déformable, pièce maîtresse
de l’optique adaptative, puisse les corriger. Un
nouveau miroir devrait bientôt y remédier. Tou-
che finale du projet : dans un peu plus d’un an,
les chercheurs prévoient d’ajouter une autre
partie à l’appareil. Il s’agit d’un nouvel instru-
ment de tomographie développé par l’École
supérieure de physique et de chimie indus-
trielles. Quand les deux parties seront réunies,
les médecins pourront choisir avec précision à
quelle profondeur réaliser l’image de la rétine4.
Et affiner encore davantage leur diagnostic.
Julien Bourdet
1. Laboratoire CNRS / Observatoire de Paris / Universités
Paris-VI et VII.
2. Pierre Léna du Lésia, Claude Boccara de l’ESPCI
et Jean-François Le Gargasson, qui était à l’époque
à l’hôpital Lariboisière.
3. Very Large Telescope de l’ESO au Chili.
4. C’est la société Mauna Kea Technologies (voir p. 14)
qui fabriquera et commercialisera l’appareil.
L’optique adaptative consiste à corriger les déformations de l’image
dues à la turbulence de l’atmosphère. La lumière des étoiles est
analysée par un détecteur qui transmet en continu les informations à
un miroir déformable. Celui-ci s’oriente pour compenser les défauts
de l’image. Pour l’imagerie de la rétine, le principe est le même,
à ceci près que l’œil n’émet pas lui-même de lumière. Un rayon
infrarouge est donc envoyé puis réfléchi par le fond de l’œil en
direction de l’analyseur qui corrige les aberrations oculaires.
J. B.
L’OPTIQUE ADAPTATIVE, COMMENT ÇA MARCHE?
CONTACTS
Lésia, Meudon
Marie Glanc
François Lacombe
Les patients atteints d’une maladie de la rétine pourront bientôt bénéficier d’un nouvel
imageur tout droit inspiré d’une technique issue de l’astronomie : l’optique adaptative.
À terme, l’instrument aidera les ophtalmologistes à affiner leur diagnostic.
L’astronomie entre à l’hôpital
La plateforme du Very Large Telescope
de l’ESO, à Paranal, au Chili.
Sur cette image de 300 µm de diamètre prise au bord de la fauvéa (partie
centrale de la rétine), on discerne les cônes (comme des « grains »).
© LESIA/Obs. de Paris
© ESO
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