10 VIE DES LABOS IMAGERIE MÉDICALE L’astronomie entre à l’hôpital Q uel rapport y a-t-il entre l’observation d’une étoile au télescope et celle de la rétine par imagerie médicale? Eh bien, dans les deux cas, il est difficile d’obtenir une image nette. Pour l’étoile, la turbulence de l’atmosphère joue les trouble-fêtes et rend le cliché flou. Pour l’œil, c’est sa composition même qui donne une image trouble. « La lumière doit traverser plusieurs zones de notre organe visuel, dont le film lacrymal, la cornée, le cristallin, avant d’atteindre la rétine. Sans oublier la pression sanguine, qui fait sans cesse varier la taille de l’œil », précise Marie Glanc, ingénieur en optique au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (Lésia) 1. En astronomie, le problème a été résolu dès les années quatre-vingtdix grâce à la technique d’optique adaptative (voir encadré). Des chercheurs 2 ont alors eu l’idée d’utiliser la même méthode pour l’imagerie de la rétine. Leur but : améliorer la finesse de l’image pour que les ophtalmologistes y discernent des détails aussi petits que les cellules rétiniennes. Et diagnostiquer plus rapidement des maladies dégénératives de ce tissu oculaire. Ainsi est né le projet Œil. C’est le Lésia qui a été chargé de concevoir un tel appareil. Il y a peu, un premier prototype est sorti du laboratoire pour rejoindre l’hôpital des Quinze-Vingt, où il sera testé cette année sur deux cents malades. Mais l’instrument a déjà fait ses preuves. « Avant d’obtenir l’autorisation des autorités hospitalières, mes collègues et moi-même avons servi de cobayes pour réaliser les premières images », se rappelle Marie Glanc, qui a fait sa thèse sur l’imageur et continue aujourd’hui de l’améliorer. Au vu des premiers résultats, les médecins sont enthousiastes. Et pour cause : jamais la rétine d’une personne vivante n’avait été dévoilée à ce point. Les chercheurs peuvent regarder des détails de 3 µm, contre quelques dizaines pour les appareils classiques. Sur les photos, on distingue parfaitement les cônes, l’un des deux types de cellules photoréceptrices qui tapissent le fond de la rétine. Ce sont elles qui sont touchées dans le cas d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge ou d’une rétinopathie diabétique, maladies pouvant conduire à la cécité. Sur cette image de 300 µm de diamètre prise au bord de la fauvéa (partie Ainsi, le nouvel instrument centrale de la rétine), on discerne les cônes (comme des « grains »). sera l’outil idéal pour détecter plus vite ces pathologies, suivre leur évolu- par l’œil. Ils photographient ensuite la rétine en tion et les effets d’un traitement, voire guider lumière verte par séries de flashs. Pour le patient, c’est moins de lumière et pendant un une intervention chirurgicale. Pourtant, passer du monde des étoiles à celui temps plus court qu’avec les autres imageurs. de la médecine n’est pas chose aisée. François Mais l’instrument n’en est encore qu’à ses Lacombe, astronome au Lésia, qui a participé à débuts. Pour le moment, on ne peut pas obtel’installation de l’optique adaptative du VLT 3 et nir d’images pour les personnes myopes ou se consacre aujourd’hui entièrement au pro- astigmates. Ces défauts sont trop importants jet sur la rétine, explique : « L’optique adaptative pour que le miroir déformable, pièce maîtresse a d’abord fonctionné pour des étoiles brillantes et sur de l’optique adaptative, puisse les corriger. Un une petite surface du ciel. Avec les progrès, on arrive nouveau miroir devrait bientôt y remédier. Touaujourd’hui à le faire sur des objets de plus faible che finale du projet : dans un peu plus d’un an, luminosité. Pour l’œil, il a fallu d’emblée commen- les chercheurs prévoient d’ajouter une autre cer avec la situation la plus difficile : peu de lumière partie à l’appareil. Il s’agit d’un nouvel instruet une grande zone à visualiser. » Il faut dire que ment de tomographie développé par l’École les normes concernant l’imagerie de la rétine supérieure de physique et de chimie indussont drastiques. C’est pourquoi les chercheurs trielles. Quand les deux parties seront réunies, utilisent de la lumière infrarouge, moins néfaste les médecins pourront choisir avec précision à à dose égale que la lumière visible, pour, dans quelle profondeur réaliser l’image de la rétine 4. un premier temps, analyser la lumière réfléchie Et affiner encore davantage leur diagnostic. Julien Bourdet L’OPTIQUE ADAPTATIVE, COMMENT ÇA MARCHE? © ESO La plateforme du Very Large Telescope de l’ESO, à Paranal, au Chili. L’optique adaptative consiste à corriger les déformations de l’image dues à la turbulence de l’atmosphère. La lumière des étoiles est analysée par un détecteur qui transmet en continu les informations à un miroir déformable. Celui-ci s’oriente pour compenser les défauts de l’image. Pour l’imagerie de la rétine, le principe est le même, à ceci près que l’œil n’émet pas lui-même de lumière. Un rayon infrarouge est donc envoyé puis réfléchi par le fond de l’œil en direction de l’analyseur qui corrige les aberrations oculaires. J. B. 1. Laboratoire CNRS / Observatoire de Paris / Universités Paris-VI et VII. 2. Pierre Léna du Lésia, Claude Boccara de l’ESPCI et Jean-François Le Gargasson, qui était à l’époque à l’hôpital Lariboisière. 3. Very Large Telescope de l’ESO au Chili. 4. C’est la société Mauna Kea Technologies (voir p. 14) qui fabriquera et commercialisera l’appareil. CONTACTS Lésia, Meudon ➔ Marie Glanc [email protected] ➔ François Lacombe [email protected] Le journal du CNRS n° 183 avril 2005 © LESIA/Obs. de Paris Les patients atteints d’une maladie de la rétine pourront bientôt bénéficier d’un nouvel imageur tout droit inspiré d’une technique issue de l’astronomie : l’optique adaptative. À terme, l’instrument aidera les ophtalmologistes à affiner leur diagnostic.