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de critères génétiques (5) et sert à définir des formes masculines ou fémi-
nines d’intersexuation. À partir de cette binarité reconstruite, il devient
alors possible pour les médecins de parler de sous-virilisation des
organes génitaux (pour un fœtus de sexe masculin, par exemple avec un
micropénis) et de sur-virilisation (pour un fœtus de sexe féminin, par
exemple avec une hypertrophie clitoridienne) (6); les premiers cas sont
jugés « difficiles», les seconds plus « faciles».
La distinction facile/difficile dépend de considérations qui lient la
qualité de vie plus ou moins acceptable pour les enfants à naître à la possi-
bilité ou non de traiter l’intersexuation. Les médecins considèrent qu’une
hypertrophie clitoridienne n’est pas grave parce que la taille du clitoris
peut être facilement réduite par un traitement hormonal (in utero ou après
la naissance) et une génitoplastie fémininisante précoce (7). Avec ces trai-
tements, « l’enfant serafacilement reconnu comme une fille et en possè-
dera les attributs que les médecins jugent nécessaires: un vagin, un utérus
(potentiellement fertile) et un clitoris suffisamment petit. Sa qualité de vie
pourrait donc être relativement acceptable » (p. 22) ; aussi conseillent-
ils/elles le plus souvent aux femmes de poursuivre leur grossesse lors-
qu’ils/elles diagnostiquent une sur-virilisation chez des fœtus filles.
Par contraste, les médecins estiment qu’un micropénis constitue un
handicap grave dans tous les domaines de la vie sociale d’un garçon, y
compris ses relations sexuelles. Les inquiétudes des médecins et des
parents se cristallisent autour de son incapacité à uriner debout, qui
emblématise les difficultés que l’enfant à naître aura à se faire recon-
naître comme un «vrai» garçon. Celui-ci risque ainsi d’avoir de graves
problèmes psychologiques, d’être moqué, voire stigmatisé, d’être mal
intégré et malheureux. Ces considérations psycho-socio-sexuelles plutôt
(5) Voir la nomenclature DSD (Lee et al., 2006) qui s’appuie en effet sur une définition
moléculaire du sexe plutôt que gonadique (tissus testiculaires et/ou ovariens) comme
c’était le cas des anciennes catégories médicales d’hermaphrodisme (Dreger, 1998).
(6) Dans la clinique de l’intersexuation, le principe de virilisation fonctionne comme
« un seul homme », si j’ose dire, pour les deux sexes. Ce cadre clinique est parfaite-
ment consistant avec le modèle prévalent (quoique daté) de la détermination du sexe
(comprendre du sexe masculin, puisque le sexe féminin est censé se développer « par
défaut »). Ce modèle est lui-même entièrement « accroché » à la clinique de l’inter-
sexuation, puisque le matériel (génétique) pour les recherches sur la détermination du
sexe chez les humains provient de patient(e)s.
(7) En l’occurrence une réduction clitoridienne, mais aussi la reconstruction chirur-
gicale d’un vagin si celui-ci est absent ou jugé « trop petit » pour le coït. Pour une
analyse du récit de jeunes femmes concernées par la vaginoplastie et/ou les dilatations
vaginales en Suède, voir Guntram (2014).