Parallèlement aux aspects précédents, un autre enjeu
important pour obtenir des MTJs plus performantes
concerne la recherche de matériaux ferromagnétiques
capables de donner une plus forte polarisation en spin que
les métaux ferromagnétiques classiques. Quelques ferroma-
gnétiques sont prédits être polarisés à 100 %, c’est-à-dire
avoir des états électroniques d’une seule direction de spin à
leur niveau de Fermi (on les appelle demi-métaux). On a
effectivement trouvé une TMR de 1 800 %, correspondant à
une polarisation de 95 %, avec des électrodes en manganite
conducteur et ferromagnétique La2/3Sr1/3MnO3(LSMO).
Cependant la température de Curie du LSMO ne dépasse
guère la température ambiante, sa TMR disparaît pratique-
ment vers 300 K et le matériau ne peut être considéré pour
des applications. D’autre oxydes comme NiFe2O3apparais-
sent plus prometteurs. Le problème principal de l’utilisation
de ces alliages reste la très grande sensibilité du caractère
demi-métallique à la structure et à la stoechiométrie de l’al-
liage, qui sont difficiles à préserver en couche ultramince et
à une interface.
On peut aussi rendre actif le matériau de la barrière :
c’est le concept de filtre à spin, c’est-à-dire l’utilisation
comme barrière tunnel d’isolants ferro- ou ferri-magné-
tiques, où les bandes de conduction des deux directions de
spin présentent un décalage suffisant en énergie. Un tel
décalage doit se traduire par une hauteur de barrière dépen-
dant du spin, qui induit une transmission très différente pour
les deux directions de spin. Des expériences de transmission
tunnel à travers des barrière d’EuS ont déjà mis en évidence
l’efficacité de l’effet filtre à spin. La température de Curie
d’EuS (16 K) exclut des applications, mais certains oxydes
isolants à température de Curie élevée, comme par exemple
BiMnO3, ont donné récemment des résultats encourageants.
Un problème des dispositifs
magnétiques aux très hautes densités :
la stabilité de l’information
La miniaturisation accélérée induite par l’accroissement
spectaculaire de la densité de stockage des disques durs, et
par l’avènement des MRAM, a rendu encore plus critique le
vieux problème de la limite super-paramagnétique à l’enre-
gistrement magnétique. En simplifiant, l’information est
stockée sur l’orientation de l’aimantation d’une nanostruc-
ture magnétique de volume V. La non-volatilité du stockage
est assurée par l’anisotropie de l’énergie magnétique, qui est
minimale suivant les deux orientations parallèles à un axe de
facile aimantation. Pour passer d’une orientation à l’autre,
l’aimantation doit franchir une barrière d’énergie
EB=KV, où Kmesure la force de l’anisotropie. A la tem-
pérature T, la stabilité de l’enregistrement est régie par la
probabilité Pque l’aimantation n’ait pas changé d’orienta-
tion au bout d’un temps tsous l’effet de l’énergie d’activa-
tion thermique kBT. C’est la loi de Néel-Brown :
P(t)=exp(−t/τ), avec τ=τ0exp(KV/kBT). Pour une
valeur réaliste τ0=1ns, un taux d’erreur statistique « rai-
sonnable » de 10−12 (une erreur sur 125 Goctets) sur 10 ans
requiert KV >68 kBT. Parallèlement, il faut pouvoir conti-
nuer à écrire les bits. Traditionnellement, on applique un
champ magnétique Hà l’aide d’un circuit électrique exté-
rieur, qui peut être soit un micro-électroaimant intégré à la
tête de lecture dans les disques durs, soit une ligne conduc-
trice séparée dans les MRAM. Le champ d’écriture doit
annuler la barrière d’énergie, donc sa valeur minimale aug-
mente avec K. On aboutit ainsi à une frustration majeure :
la miniaturisation conduit à augmenter Kpour pallier à la
diminution de V, donc le champ d’écriture augmente aussi,
alors que la diminution de taille des circuits qui créent ce
champ limite sa valeur maximale accessible.
Le disque dur se heurte à ce problème depuis longtemps.
Déjà, le taux d’erreur magnétique des produits actuels serait
inacceptable (∼10−6)s’il n’était compensé par des codes
de traitement d’erreur de plus en plus sophistiqués, objets
d’un intense effort de recherche. Le passage annoncé à l’en-
registrement perpendiculaire est en partie justifié par la pos-
sibilité qu’il offre de générer des champs d’écriture plus éle-
vés. On voit enfin apparaître de nouveaux concepts. Dans
l’enregistrement thermomagnétique, on chauffe localement
le média magnétique par une impulsion laser pour diminuer
le champ d’écriture, comme dans l’enregistrement magnéto-
optique (le minidisc par exemple). A plus long terme, on
vise un média nanostructuré, où les bits seront physique-
ment séparés et organisés en réseau régulier. Plusieurs
équipes Françaises sont à la pointe des recherches sur ce
domaine.
Dans les MRAM, le problème est d’emblé critique du fait
de l’extrême miniaturisation déjà atteinte par les circuits
semiconducteurs (90 nm de taille de ligne dans les circuits
actuels). De plus, la décroissance spatiale relativement lente
du champ créé par une ligne conductrice pose problème
dans un réseau dense de cellules (cf. figure 1) : les cellules
voisines des cellules « adressées » ressentent un champ
parasite important, qui peut conduire à des erreurs d’écri-
ture. Le concept d’écriture par champ n’est cependant pas
remis en cause pour les premières générations de MRAM,
et la recherche vise d’abord à optimiser la structure des cel-
lules et le procédé d’écriture. Une équipe de Grenoble a
ainsi repris et breveté le principe de l’enregistrement ther-
momagnétique : une impulsion de courant à travers la cel-
lule adressée chauffe celle-ci pour minimiser temporaire-
ment son champ d’écriture, alors que les cellules voisines
gardent une stabilité maximale.
Un nouveau phénomène de spintronique, le transfert de
moment de spin, semble tenir la corde pour les miniaturisa-
tions extrêmes (cf. encadré 1). Cet effet permet, pour la pre-
mière fois, d’écrire une information magnétique sans appli-
quer de champ extérieur, mais seulement en transfusant des
spins amenés par un courant à travers le nanodispositif.
Dans le cas des MRAM, l’action devient proportionnelle à
une densité de courant, point très favorable à la miniaturisa-
tion, et seule la cellule adressée ressent une interaction. Au-
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