Spintronique : le spin s`invite en électronique

La spintronique est déjà dans
votre ordinateur
Le principe de base de l’enregistrement magnétique n’a
pas changé depuis l’invention du magnétophone dans les
années 1920-30 jusqu’au disque dur actuel. L’information
binaire est stockée sur la direction de l’aimantation de petits
domaines (les bits) inscrits dans un film magnétique et lus
par un dispositif indépendant (tête de lecture/écriture). La
lecture, qui détecte les variations de champ magnétique
créées par ces domaines à la surface du film, s’est long-
temps faite par une mesure de flux magnétique avec une
micro-bobine, méthode peu sensible et surtout difficile à
miniaturiser. En cela, le passage en 1991 à la lecture par des
têtes à magnétorésistance anisotrope classique a marqué une
première rupture. Mais la véritable révolution apparaît en
1997 avec l’introduction des têtes de lecture à « vanne de
spin » (VS), qui marque véritablement l’irruption de la spin-
tronique dans les applications. Beaucoup plus sensibles aux
champs magnétiques, ces têtes ont permis de réduire forte-
ment la dimension des bits magnétiques, conduisant à une
augmentation vertigineuse de la densité d’information stoc-
kée sur un disque dur. Cette densité est ainsi passée de
0,15 Giga-bit/cm2juste avant l’apparition des têtes VS à
13 Giga-bits/cm2dans les meilleurs disques actuels (soit
l’équivalent d’environ 2 500 romans de taille moyenne par
cm2). La capacité de certains disques durs atteint mainte-
nant 400 Gigas-octet, ce qui leur donne accès à de nouveaux
marchés grand public, tels que le magnétoscope de salon.
En parallèle, des micro-disques (2 cm de diamètre) ont pu
être développés pour des applications nomades comme la
photographie numérique.
Les racines de la spintronique
La mise au point de la vanne de spin a suivi la découverte
en 1988 de la magnétorésistance géante (GMR) des multi-
couches ferromagnétiques.
L’influence du spin sur la mobilité des électrons dans les
conducteurs ferromagnétiques est connue depuis long-
temps. L’existence de courants polarisés en spin, initiale-
ment suggérée par Mott, a été démontrée par des expé-
riences et décrite par des modèles théoriques il y a environ
30 ans, essentiellement par des chercheurs européens, ini-
tialement à Orsay puis à Strasbourg et Eindhoven. Dans des
métaux ferromagnétiques comme le fer ou le cobalt, les
électrons de spin « majoritaire » et de spin « minoritaire »
transportent des courants qui peuvent différer de plus d’un
facteur dix, essentiellement du fait de libres parcours
moyens très différents. Cette différence a pour origine le
décalage en énergie des bandes d’états électroniques des
deux directions de spin sous l’effet de l’interaction
d’échange.
Une multicouche magnétique est un empilement de
couches de métaux alternativement ferromagnétiques et
non-magnétiques, cobalt et cuivre par exemple. A travers les
effets de transport dépendant du spin décrits ci-dessus, la
192
Spintronique : le spin s’invite
en électronique
Les électrons ont une charge et un spin mais, pendant longtemps, charge et spin ont été utilisés séparément.
L’électronique classique ignore le spin et déplace les électrons en agissant seulement sur leur charge. Le spin
apparaît traditionnellement à travers sa manifestation macroscopique, l’aimantation d’un matériau magnétique,
utilisée pour stocker de l’information. Sous l’impulsion de plusieurs découvertes récentes une nouvelle
électronique émerge, qui associe contrôle de courants de spins et de charges dans des nouveaux dispositifs
intégrables aux circuits haute densité de la microélectronique. Les mémoires RAM magnétiques en sont un
premier exemple. Cette « Electronique de Spin » ou « Spintronique », aujourd’hui en pleine expansion, évolue
vers les nanodispositifs hybrides associant semiconducteurs et ferromagnétiques, et promet des applications à
l’enregistrement, l’électronique, l’optoélectronique et l’information quantique.
Article proposé par :
Claude Chappert, claude.c[email protected], Institut d’électronique fondamentale, CNRS/Université Paris-Sud.
Albert Fert, [email protected], Unité mixte de physique CNRS/Thales
Quanta et photons
193
Quanta et photons
résistance d’une telle multicouche dépend fortement de
l’orientation relative des aimantations de couches ferroma-
gnétiques voisines, c’est l’effet GMR. La « vanne de spin »
est, quant à elle, une multicouche sophistiquée, travaillant
en courant parallèle au plan des couches, et conçue pour
optimiser un fonctionnement de type capteur.
Jonctions tunnel magnétiques et MRAM
La jonction tunnel magnétique (Magnetic Tunnel Junc-
tions ou MTJ) est le second type de dispositif de spintro-
nique qui aura bientôt des applications importantes. Une
MTJ (figure 1) est composée de deux couches d’un conduc-
teur ferromagnétique (les électrodes) séparées par une très
fine couche d’un isolant (la barrière), tel que l’alumine
Al2O3par exemple. Les électrons peuvent franchir par effet
tunnel la couche isolante. Parce que la probabilité de fran-
chissement dépend du spin de l’électrode ferromagnétique,
la résistance de la MTJ dépend de l’orientation relative des
aimantations des électrodes. Pour des électrodes d’alliages
ferromagnétiques classiques (alliages de cobalt ou nickel
avec du fer, par exemple) avec une barrière d’Al2O3, le
changement relatif de résistance entre les orientations paral-
lèle et antiparallèle des aimantations dépasse 50 % à tempé-
rature ambiante. On nomme ce changement de résistance
TMR pour « Tunnel Magneto-Resistance ».
La MTJ est le premier dispositif spintronique en courant
vertical (courant perpendiculaire aux couches). Cette géo-
métrie verticale permet de l’insérer dans des circuits de très
haute densité de la microélectronique. Ainsi, des MTJs de
petite taille (quelques centaines de nanomètres) sont à la
base d’un nouveau type de circuits mémoire, les MRAM
(Magnetic Random Acces Memory). Comme représenté
dans la figure 1, les états « 0 » et « 1 » d’un élément
mémoire peuvent être stockés sur les configurations paral-
lèle et antiparallèle d’une MTJ. La partie inférieure de la
figure schématise une MRAM composée d’un réseau de
MTJs connectées à une matrice de « bit lines » et « word
lines » qui permettent l’écriture et la lecture d’une cellule
mémoire donnée. Les MRAM annoncées par les industriels
devraient avoir des densités et des temps d’accès semblables
à ceux des mémoires semiconducteurs actuelles à accès
rapide, de type DRAM ou SRAM, mais avec l’avantage
considérable d’être « non volatiles », c’est-à-dire de conser-
ver l’information même quand l’ordinateur (ou le téléphone
portable) n’est pas sous tension. Les MRAM permettront
d’éliminer, par exemple, le temps aujourd’hui nécessaire
pour charger (« booter ») le système d’exploitation à la mise
en marche des ordinateurs actuels. Elles seront également
moins gourmandes en énergie que les DRAM actuelles dont
il faut « rafraîchir la mémoire » environ tous les millièmes
de seconde. Elles seront donc très intéressantes pour l’élec-
tronique nomade, les ordinateurs ou les téléphones por-
tables, les agendas électroniques, etc.
Plusieurs industriels ont annoncé la commercialisation de
MRAM pour 2004 ou 2005. La France est bien présente
dans cette course. Par exemple, Freescale (ex-Motorola
Semiconductors) s’est allié à ST-Microelectronics et Philips
pour un développement industriel à Crolles, prés de Gre-
noble. Infineon a choisi l’usine d’Altis Semiconductors à
Corbeil-Essonnes pour un développement industriel de sa
technologie mise au point en commun avec IBM. De plus,
deux startup ont été créées récemment, Spintron à Aix et
Crocus à Grenoble. Les autres acteurs du secteur sont asia-
tiques ou américains.
Bien que les applications des MTJ soient donc pratique-
ment déjà sur le marché, la physique de l’effet tunnel pola-
risé en spin est encore loin d’être bien comprise. Les pre-
miers travaux étaient toujours interprétés dans le « modèle
de Jullière », qui ne prend en compte que la polarisation de
la densité d’états au niveau de Fermi des électrodes ferro-
magnétiques. Il est clair maintenant que la TMR dépend
aussi du matériau isolant de la barrière et de la structure
électronique à l’interface entre électrode et barrière. Ainsi le
cobalt peut avoir une polarisation positive (c’est-à-dire une
émission tunnel préférentielle d’électrons de spin majori-
taire) avec une barrière d’alumine et une polarisation néga-
tive avec une barrière de titanate de strontium ou d’oxyde de
lanthane. De même, on découvre depuis peu que la TMR
peut être nettement plus élevée avec une barrière de MgO à
la place de l’habituel Al2O3: les derniers résultats affichent
une TMR de plus de 200 % (contre 50 %) ! Prendre en
compte les détails des liaisons entre métal et isolant à l’in-
terface entre électrode et barrière, prendre en compte égale-
ment l’influence de la rugosité de cette interface, n’est pas
une tache facile pour la théorie, et il n’existe pas encore de
calcul de caractère réellement prédictif de la TMR.
Figure 1 - (En haut) Une jonction tunnel magnétique peut stocker l’infor-
mation sur l’orientation de l’aimantation de sa couche « mémoire », et sa
résistance est différente selon cette orientation. (En bas) Schéma d’une
MRAM : les jonctions tunnels sont placées aux nœuds d’une matrice de
lignes conductrices. Pour « écrire » une cellule (retourner l’aimantation
de sa couche mémoire), on envoie des impulsions de courant synchronisées
suivant les deux lignes qui se croisent sur cette cellule : la conjonction des
deux impulsions est nécessaire pour l’écriture. Pour la lecture, il est néces-
saire d’inclure un transistor d’adressage (non représenté sur le schéma) en
série avec chaque cellule afin de supprimer les circuits parasites.
Parallèlement aux aspects précédents, un autre enjeu
important pour obtenir des MTJs plus performantes
concerne la recherche de matériaux ferromagnétiques
capables de donner une plus forte polarisation en spin que
les métaux ferromagnétiques classiques. Quelques ferroma-
gnétiques sont prédits être polarisés à 100 %, c’est-à-dire
avoir des états électroniques d’une seule direction de spin à
leur niveau de Fermi (on les appelle demi-métaux). On a
effectivement trouvé une TMR de 1 800 %, correspondant à
une polarisation de 95 %, avec des électrodes en manganite
conducteur et ferromagnétique La2/3Sr1/3MnO3(LSMO).
Cependant la température de Curie du LSMO ne dépasse
guère la température ambiante, sa TMR disparaît pratique-
ment vers 300 K et le matériau ne peut être considéré pour
des applications. D’autre oxydes comme NiFe2O3apparais-
sent plus prometteurs. Le problème principal de l’utilisation
de ces alliages reste la très grande sensibilité du caractère
demi-métallique à la structure et à la stoechiométrie de l’al-
liage, qui sont difficiles à préserver en couche ultramince et
à une interface.
On peut aussi rendre actif le matériau de la barrière :
c’est le concept de filtre à spin, c’est-à-dire l’utilisation
comme barrière tunnel d’isolants ferro- ou ferri-magné-
tiques, où les bandes de conduction des deux directions de
spin présentent un décalage suffisant en énergie. Un tel
décalage doit se traduire par une hauteur de barrière dépen-
dant du spin, qui induit une transmission très différente pour
les deux directions de spin. Des expériences de transmission
tunnel à travers des barrière d’EuS ont déjà mis en évidence
l’efficacité de l’effet filtre à spin. La température de Curie
d’EuS (16 K) exclut des applications, mais certains oxydes
isolants à température de Curie élevée, comme par exemple
BiMnO3, ont donné récemment des résultats encourageants.
Un problème des dispositifs
magnétiques aux très hautes densités :
la stabilité de l’information
La miniaturisation accélérée induite par l’accroissement
spectaculaire de la densité de stockage des disques durs, et
par l’avènement des MRAM, a rendu encore plus critique le
vieux problème de la limite super-paramagnétique à l’enre-
gistrement magnétique. En simplifiant, l’information est
stockée sur l’orientation de l’aimantation d’une nanostruc-
ture magnétique de volume V. La non-volatilité du stockage
est assurée par l’anisotropie de l’énergie magnétique, qui est
minimale suivant les deux orientations parallèles à un axe de
facile aimantation. Pour passer d’une orientation à l’autre,
l’aimantation doit franchir une barrière d’énergie
EB=KV, où Kmesure la force de l’anisotropie. A la tem-
pérature T, la stabilité de l’enregistrement est régie par la
probabilité Pque l’aimantation n’ait pas changé d’orienta-
tion au bout d’un temps tsous l’effet de l’énergie d’activa-
tion thermique kBT. C’est la loi de Néel-Brown :
P(t)=exp(t), avec τ=τ0exp(KV/kBT). Pour une
valeur réaliste τ0=1ns, un taux d’erreur statistique « rai-
sonnable » de 1012 (une erreur sur 125 Goctets) sur 10 ans
requiert KV >68 kBT. Parallèlement, il faut pouvoir conti-
nuer à écrire les bits. Traditionnellement, on applique un
champ magnétique Hà l’aide d’un circuit électrique exté-
rieur, qui peut être soit un micro-électroaimant intégré à la
tête de lecture dans les disques durs, soit une ligne conduc-
trice séparée dans les MRAM. Le champ d’écriture doit
annuler la barrière d’énergie, donc sa valeur minimale aug-
mente avec K. On aboutit ainsi à une frustration majeure :
la miniaturisation conduit à augmenter Kpour pallier à la
diminution de V, donc le champ d’écriture augmente aussi,
alors que la diminution de taille des circuits qui créent ce
champ limite sa valeur maximale accessible.
Le disque dur se heurte à ce problème depuis longtemps.
Déjà, le taux d’erreur magnétique des produits actuels serait
inacceptable (106)s’il n’était compensé par des codes
de traitement d’erreur de plus en plus sophistiqués, objets
d’un intense effort de recherche. Le passage annoncé à l’en-
registrement perpendiculaire est en partie justifié par la pos-
sibilité qu’il offre de générer des champs d’écriture plus éle-
vés. On voit enfin apparaître de nouveaux concepts. Dans
l’enregistrement thermomagnétique, on chauffe localement
le média magnétique par une impulsion laser pour diminuer
le champ d’écriture, comme dans l’enregistrement magnéto-
optique (le minidisc par exemple). A plus long terme, on
vise un média nanostructuré, où les bits seront physique-
ment séparés et organisés en réseau régulier. Plusieurs
équipes Françaises sont à la pointe des recherches sur ce
domaine.
Dans les MRAM, le problème est d’emblé critique du fait
de l’extrême miniaturisation déjà atteinte par les circuits
semiconducteurs (90 nm de taille de ligne dans les circuits
actuels). De plus, la décroissance spatiale relativement lente
du champ créé par une ligne conductrice pose problème
dans un réseau dense de cellules (cf. figure 1) : les cellules
voisines des cellules « adressées » ressentent un champ
parasite important, qui peut conduire à des erreurs d’écri-
ture. Le concept d’écriture par champ n’est cependant pas
remis en cause pour les premières générations de MRAM,
et la recherche vise d’abord à optimiser la structure des cel-
lules et le procédé d’écriture. Une équipe de Grenoble a
ainsi repris et breveté le principe de l’enregistrement ther-
momagnétique : une impulsion de courant à travers la cel-
lule adressée chauffe celle-ci pour minimiser temporaire-
ment son champ d’écriture, alors que les cellules voisines
gardent une stabilité maximale.
Un nouveau phénomène de spintronique, le transfert de
moment de spin, semble tenir la corde pour les miniaturisa-
tions extrêmes (cf. encadré 1). Cet effet permet, pour la pre-
mière fois, d’écrire une information magnétique sans appli-
quer de champ extérieur, mais seulement en transfusant des
spins amenés par un courant à travers le nanodispositif.
Dans le cas des MRAM, l’action devient proportionnelle à
une densité de courant, point très favorable à la miniaturisa-
tion, et seule la cellule adressée ressent une interaction. Au-
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195
Quanta et photons
Transférer le moment des spins transportés par un courant, ou comment renverser une
aimantation sans appliquer de champ magnétique
Le concept dit de « transfert de spin» a été introduit indépen-
damment par J.Slonczewski et L.Berger en 1995. Il est illustré
par la figure 1. On envoie sur la couche ferromagnétique de
droite F2 un courant d’électrons qui, après avoir traversé la
couche ferromagnétique de gauche F1, a une polarisation de
spin oblique par rapport à l’axe (vertical) de l’aimantation de
la couche F2 ; la polarisation de ce courant incident a donc des
composantes longitudinale (verticale) et transverse dans le
repère de la couche. Le courant d’électrons, en pénétrant dans
la couche, se polarise rapidement selon l’axe de l’aimantation,
en particulier par précession des spins électroniques autour du
« champ d’échange » issu de l’interaction d’échange entre le
spin des électrons de conduction et l’aimantation de F2. A la
sortie de la couche, les électrons ont donc perdu la composan-
te transverse de leur polarisation. Une interaction d’échange
conservant le spin, le spin total du système a été conservé, ce
qui signifie qu’une composante transverse a été gagnée par
l’aimantation de la couche. Ce transfert de spin transverse du
courant vers la couche peut, dans certaines conditions, induire
un renversement de l’aimantation.
Des expériences convaincantes ont été réalisées depuis
quelques années dans des tricouches magnétiques. Ces tri-
couches, par exemple du type Co/Cu/Co, sont découpées en
forme de pilier de section submicronique,voir figure 2, ce qui
permet d’atteindre les densités de courant nécessaires avec des
courants d’intensité raisonnable. En simplifiant, on peut dire
que la couche de cobalt épaisse est chargée de créer le courant
polarisé en spin qui induit le renversement de l’aimantation de
la couche fine. Dans la plupart des expériences, les aimanta-
tions initiales des deux couches sont dans un état d’équilibre
stable sur un axe d’anisotropie magnétique, et dans une orien-
tation relative parallèle (P) ou antiparallèle (AP). Pour une
direction donnée du courant et au delà d’un certain seuil d’in-
tensité, le couple généré par transfert de spin amplifie tout petit
mouvement de l’aimantation autour de la direction d’équilibre
initiale, jusqu’à ce que l’équilibre devienne instable et que le
moment magnétique de la couche fine se renverse. Un exemple
de résultat expérimental est montré sur la figure 2, où on voit
qu’un courant négatif fait transiter de P à AP cependant qu’un
courant positif fait repasser de AP à P, le renversement étant
détecté par l’effet GMR dans la tricouche.
Ce mode « d’écriture » d’une orientation d’aimantation est très
étudié dans la perspective d’une application à la commutation
de micro-dispositifs magnétiques, MRAM par exemple.
Toutefois, l’application à la commutation des MTJs nécessite
une forte diminution des densités de courant, ce que devrait
permettre une meilleure compréhension des mécanismes fonda-
mentaux qui gèrent le transfert de spin.
Le transfert de spin peut aussi être utilisé pour déplacer une
paroi séparant deux domaines magnétiques. Le mécanisme
serait ici le transfert à l’aimantation du moment de spin cédé
par les électrons qui traversent la paroi. Des expériences
récentes (collaboration entre l’UMR CNRS/Thales et l’IEF) ont
montré que les densités de courant nécessaires sont raison-
nables, et que des déplacements importants peuvent être obte-
nus avec des impulsions de durée inférieure à la nanoseconde,
deux points prometteurs pour les applications.
Encadré 1
Figure 1 - Principe des effets de transfert de spin : un courant d’élec-
trons, après avoir traversé la couche ferromagnétique F1, arrive sur la
couche ferromagnétique F2 avec une polarisation de spin oblique par
rapport à l’axe de l’aimantation dans F2. Dans F2, la polarisation de
spin du courant s’aligne sur l’axe de l’aimantation de F2 (axe vertical)
et le courant de spin perd donc sa composante transverse. Le spin total
du système se conservant, cette composante transverse a été transféré
au spin global de F2, S, ce qui peut s’exprimer par l’introduction d’un
couple proportionnel au courant de spin transféré dans l’équation du
mouvement de S.
Figure 2 - Variation de la résistance d’un nanopilier (section
100 ×400 nm2) de la tricouche Co(15 nm)/Cu(10 nm)/Co(2.5 nm)
(cf inséré), en fonction du courant qui le traverse. En partant d’une
configuration d’aimantation parallèle (P) à courant nul et arrivé à un
courant seuil négatif d’environ 15 mA, l’aimantation de la couche
fine de cobalt se renverse et la résistance de la tricouche saute à sa
valeur haute RAP caractéristique de la configuration antiparallèle. Un
courant positif d’environ 16 mA ramène la tricouche à une configura-
tion parallèle.
delà, ce nouvel effet ouvre la possibilité d’un aller/retour
direct entre information magnétique et signal électrique :
tandis que, en GMR ou TMR, un courant détecte une confi-
guration magnétique, en transfert de spin, au contraire, un
courant crée une configuration magnétique.
Dynamique ultrarapide de l’aimantation
en nanomagnétisme
La nécessité de s’adapter aux débits modernes du traite-
ment de l’information ajoute une nouvelle contrainte
majeure. Ces débits atteignent ou dépassent le GHz dans les
disques durs et les mémoires RAM, et, comme pour les den-
sités de stockage, ils sont en augmentation constante. Les
processus magnétiques doivent donc être sub-nanoseconde.
A ces fréquences élevées, la dynamique de l’aimantation
d’une nanostructure ferromagnétique est régie par les méca-
nismes précessionnels. Par exemple, en réponse à une varia-
tion instantanée du champ magnétique appliqué, l’aimanta-
tion se met à précesser (mouvement de l’axe d’une toupie)
autour d’un champ effectif Heff qui représente à la fois le
champ appliqué et toutes les énergies magnétiques du sys-
tème. Cette précession est amortie par les phénomènes de
dissipation de l’énergie, et l’aimantation finit par se stabili-
ser suivant la nouvelle direction d’équilibre. Mais, dans de
nombreux cas, il est possible d’écrire sur une nanostructure
magnétique (i.e. de retourner son aimantation) en une seule
demi-précession, par un choix optimisé de la configuration
du champ appliqué et de sa durée d’application. Des temps
d’écriture inférieurs à la ns sont aisément accessibles par
cette méthode. Ce résultat est illustré sur la figure 2, qui
montre l’écriture d’une cellule MRAM classique de taille
micrométrique par une impulsion de champ de durée
176 ps. Nous avons aussi récemment obtenu des retourne-
ments sub-ns en utilisant l’effet de transfert de spin.
Ce domaine de la dynamique ultrarapide de l’aimantation
a récemment connu des succès considérables, et son intérêt
va bien au-delà de l’application potentielle décrite ci-
dessus. La physique de l’amortissement par exemple, ou les
phénomènes de retournement aux temps pico- et femtose-
conde, sont encore mal connus. Enfin, l’entretien d’une pré-
cession par le mécanisme de transfert de spin dans des nano-
dispositifs GMR ou TMR permet d’envisager la réalisation
de sources hyperfréquences intégrables dans des circuits
semiconducteurs.
Spintronique avec semiconducteurs, vers
une fusion avec l’électronique classique
Au-delà des MRAM, la recherche sur des hétérostruc-
tures combinant directement matériaux ferromagnétiques et
semi-conducteurs est actuellement en expansion rapide.
Dans ce mariage, chacun amène des qualités différentes.
Les matériaux magnétiques amènent la caractéristique de
mémoire permanente et ré-inscriptible ainsi que certaines
possibilités de contrôler les courants en manipulant des
aimantations ou parfois directement les spins. Les semicon-
ducteurs amènent tout ce qu’utilise déjà l’électronique, les
possibilités de moduler le nombre de porteurs : la non-linéa-
rité, le couplage avec l’optique et des propriétés typiques de
puits ou boites quantiques comme, par exemple, l’effet tun-
nel résonant. On peut ainsi imaginer combiner sur un même
composant des fonctions de stockage et détection d’infor-
mation, de logique et de communication. Les MRAM ne
représentent à ce titre qu’un début d’intégration assez
limité, puisque les jonctions tunnel magnétiques sont sim-
plement montées en série avec des transistors qui permettent
un adressage individuel des cellules mémoires. L’évolution
va vers une intégration plus poussée, et par exemple des cir-
cuits logiques reconfigurables « magnétiques » ont déjà été
proposés. Mais l’exploitation du spin peut être intéressante
pour de pures fonctions d’électronique comme l’amplifica-
tion. On voit souvent apparaître l’argument, pas toujours
bien justifié, que renverser un spin doit coûter moins d’éner-
gie que déplacer une charge. Autre argument, plus justifié,
en terme de vitesse : dans certains dispositifs conçus avec
seulement des courants de spin (courants de sens opposée
pour les deux directions de spin), il n’y a pas d’effet capa-
citif (type RC) limitant la vitesse de fonctionnement.
Deux voies sont suivies pour l’injection électrique de
spin dans un semiconducteur, soit à partir d’un métal ferro-
magnétique classique (cobalt, permalloy), soit à partir d’un
semiconducteur ferromagnétique. En fait ce sont les diffi-
cultés de l’injection de spin à partir d’un métal (voir enca-
dré 2) qui ont fortement poussé à rechercher des semicon-
ducteurs ferromagnétiques et à conduction polarisée en
196
Figure 2 - Ecriture ultrarapide d’une cellule mémoire de taille micromé-
trique. Une impulsion de champ transverse H est appliquée pendant
176 ps (en haut à droite). Elle déclenche un mouvement de précession de
l’aimantation, qui renverse l’orientation de l’aimantation en environ
100ps, comme l’indique la mesure de la résistance de la cellule (en bas à
droite).
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