LE JEUNE AMPÈRE ET LE ROMANTISME

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Le jeune Ampère et le romantisme
MARTIN MORUNO, Dolorès
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MARTIN MORUNO, Dolorès. Le jeune Ampère et le romantisme. Ampère et l'histoire de
l'électricité, 2007
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@. Ampère et l'histoire de l'électricité
LE JEUNE AMPÈRE ET LE ROMANTISME
par Dolores Martín
André-Marie Ampère fut une des gloires des mathématiques et de la physique française du début du 19e siècle. Il a souvent été caractérisé comme un
homme appartenant au monde des Lumières, le mouvement culturel qui a traversé le 18e siècle et qui se fondait sur la raison, l’objectivité et la science.
Mais cette image est un peu superficielle. Si on regarde de plus près la vie d’Ampère, on voit qu’il ne fut pas seulement un mathématicien et un héritier de
l’esprit de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, mais aussi un personnage passionné et inspiré par les nouveaux idéaux romantiques de la Nature. Ces
idéaux commençaient à être influents dès la fin du 18e siècle dans toute l’Europe.
Tout d’abord, on peut déceler le caractère romantique d'Ampère dans sa vision de la connaissance comme un tout, qui unit parfaitement chacune de ses
parties. A la différence des philosophes des Lumières, les philosophes romantiques ou "philosophes de la nature" comme Hans-Christian Oersted, Humphry
Davy ou Michael Faraday ont essayé d’unifier différentes branches du savoir qui, à l'époque, étaient indépendantes : l’électricité, le magnétisme, les affinités
chimiques, la lumière ou la chaleur.
Ampère s’est intéressé à toutes ces sciences auxquelles il faut ajouter l’histoire naturelle, la botanique, la poésie ou la métaphysique. Il poursuivait, avec un
état d’âme souvent exalté et romantique, la recherche d'une vérité qui engloberait tous les savoirs. Cette perspective, qui a marqué l'ensemble de son
œuvre, s´est cristallisée dans ses recherches philosophiques qui ont abouti à son Essai sur la philosophie des sciences ou Exposition analytique d’une
classification naturelle de toutes les connaissances humaines (1834-1843), ou il prétend offrir une classification naturelle de toutes les sciences de la
nature, en y incluant les techniques, et les sciences de l'homme. On y voit un homme intéressé par la totalité des connaissances humaines et même par les
frontières de ces connaissances au travers de courants intellectuels peu orthodoxes, comme le mesmérisme.
Pour mieux comprendre l'influence romantique sur l'œuvre d'Ampère, nous allons nous centrer sur trois aspects de sa jeunesse. L'influence de la pensée de
Jean-Jacques Rousseau sur son éducation, la nature de ses premiers apprentissages avec la bibliothèque de son père et enfin l'influence de la Révolution
française pendant laquelle son père fut guillotiné, éclairent la facette indiscutablement romantique mais fréquemment oubliée de ce savant.
1. L’éducation rousseauiste à Poleymieux-au-Mont d’Or
André-Marie était le fils d’un négociant en soies, Jean-Jacques Ampère, qui appartenait à la haute bourgeoisie lyonnaise. Son père était un personnage
passionné par la littérature et il a lui-même écrit une tragédie. Il faut aussi souligner l’influence des écrits de Rousseau sur Jean-Jacques Ampère qui décide
en 1782 de se retirer à la campagne, dans une maison à Poleymieux-au-Mont-d’Or, pour élever lui-même ses deux enfants, en contact avec la Nature.
Dans L’Emile ou de l’Education (1762), Rousseau présente l'éducation d’un enfant comme très fortement liée à l'épanouissement de ses sentiments et pas
seulement à sa formation intellectuelle. Le père d’André-Marie est resté fasciné par cette lecture et il souhaite appliquer cette vision de l'éducation à son fils
pour faire de lui non l'homme d'un métier, mais un être humain, comme le préconisait Rousseau : "Vivre est le métier que je veux lui apprendre. En sortant
de mes mains il ne sera, j’en conviens, ni magistrat, ni soldat, ni prêtre : il sera premièrement homme"1.
André-Marie et sa sœur aînée, Antoinette, ont grandi dans un petit village des Monts d’Or, Poleymieux, à 15 km de Lyon en longeant la vallée de la Saône.
Depuis le village, on voit au nord le Mont Verdun et au sud le Mont Thoux Le climat local favorise une riche végétation et la formation de belles forêts. C’était
un endroit idéal pour se promener, faire des herborisations et se laisser aller aux rêveries sur la nature. Les années de formation du jeune Ampère à
Poleymieux ont été profondément marquées par le sentiment romantique de la Nature du penseur genevois, comme lui-même le reconnait dans son
autobiographie : "De retour à la campagne [il] lut quelques ouvrages de physique et, quelque temps après, la lecture des lettres de Rousseau sur la
botanique lui ayant inspiré une grande ardeur pour l’étude de cette science, il partagea son temps entre les herborisations et les calculs"2.
Jean-Jacques Rousseau, Lettres élémentaires sur la botanique. Paris, 1789
C'est dans ce cadre rural qu'Ampère a vécu ses années de jeunesse. Un de ses voisins décrivait un jeune homme "toujours distrait et rêveur, [il] passait
dans tout le village pour un illuminé […]. Il sautait à cloche-pied dans les chemins, allait au hasard, tandis que son esprit travaillait intérieurement"3.
Vue de Poleymieux au Mont-d’Or (Mairie de Poleymieux)
2. La source de son apprentissage : la bibliothèque de Jean-Jacques Ampère
Ampère raconte encore dans son autobiographie qu'avant même de savoir lire, il jouait à apprendre les noms des oiseaux, en les associant avec les
illustrations de L’Histoire Naturelle de Buffon. Son étonnante passion pour tous les domaines du savoir remonte à l'enfance. Dès qu'il sait lire, il parcourt les
livres de la bibliothèque bien fournie que son père a constituée à Poleymieux. Il apprend par cœur des tragédies de Racine et Voltaire, et se met au latin
avec les œuvres de Virgile. À treize ans, Les éléments de mathématiques de Rivard (1772) tombent entre ses mains et l’ouvrage le séduit tant, qu’il laisse
de côté tout le reste et se passionne pour l’algèbre et les côniques. Bientôt, son père se sent complètement dépassé par les exigences intellectuelles de son
fils et il demande de l’aide à plusieurs professeurs lyonnais pour continuer la formation scientifique de son fils.
L’intérêt d’Ampère pour le calcul infinitésimal et différentiel commence avec sa lecture de l’Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1751–1780). Il prend
plaisir à apprendre par coeur plusieurs passages de ce grand ouvrage, composé de 35 volumes, qui présente les connaissances par ordre alphabétique
mais propose dans son introduction une classification des différentes branches du savoir. L’Encyclopédie constitue un des projets les plus remarquables de
conjonction entre les sciences, les arts et la philosophie au 18e siècle, et a marqué les savants français de la fin du siècle. L’Encyclopédie a influencé la
pensée d’Ampère jusqu’à la fin de sa vie, et elle a inspiré sa propre classification des sciences qu’il considérait, à la différence de toutes les autres, comme
une classification "naturelle", c’est-à-dire, correspondant à l’ordre de la pensée et de la réalité du monde.
Son propre fils, baptisé Jean-Jacques comme son grand père, racontera plus tard que les trois événements les plus influents dans la jeunesse de son père
furent sa première communion pour sa foi chrétienne, la lecture de l'Eloge de Descartes pour son amour de la science et la prise de la Bastille pour son
aspiration à la liberté.
Dans son Eloge de René Descartes, Antoine-Léonard Thomas décrit Descartes comme une sorte de génie, incompris en son temps. La science y apparaît
comme une aventure intellectuelle démesurée, une quête de la vérité qui doit être guidée non par un esprit analytique mais par des suppositions
métaphysiques, voire par les sentiments : "un sentiment extraordinaire; cet enthousiasme sacré, c’est un sentiment religieux qui élève et remplit son âme"4.
L’Eloge de René Descartes est d’une importance capitale dans l'apprentissage du jeune Ampère, car il lui inspire une forte passion pour la science. Mais la
vérité dans l’ordre de la connaissance doit être complétée par la vérité dans l’ordre religieux et enfin la vérité dans l’ordre politique, pour reprendre les trois
vérités que Chateaubriand mentionne dans son fameux Génie du Christianisme (1801) et qui se complètent chez les romantiques pour parfaire l'unité de
l'esprit humain.
3. Les conséquences inattendues de la Révolution française : la mort du père d’André-Marie
Les années de jeunesse d’Ampère se terminent brutalement. Tout d’abord sa soeur Antoinette succombe à la maladie, puis son père est exécuté par les
troupes de la Convention pendant la Révolution française lors du siège de Lyon. Ce terrible évènement fait tomber Ampère dans une crise profonde, dont il
ne sort qu'au bout d'un an. Son père avait toujours défendu les idéaux de la Révolution, la liberté, l’égalité et la fraternité, et pourtant il fut emporté par cette
même Révolution. Cet événement fait prendre ses distances à Ampère vis-à-vis des idéaux politiques des Lumières. Il va partager ces sentiments et ces
réflexions avec ses amis les plus chers, dont plusieurs ont vu leur famille souffrir également de la Révolution, et qui composeront le groupe appelé plus tard
l’Ecole mystique de Lyon5.
La Rue Ménestrier et le lycée de Lyon où Ampère enseigna entre 1803 et 1804.
(Société des Amis d’André-Marie Ampère)
Sa famille ayant perdu une bonne partie de ses biens avec la Révolution, Ampère, âgé d'une vingtaine d'années, s'installe à Lyon en 1797 pour donner des
leçons de mathématiques, de physique et de chimie à une dizaine d’élèves. C’est à Lyon qu’il commence à se réunir avec un groupe de jeunes gens, tous
catholiques, pour discuter de multiples sujets : la philosophie, l’histoire naturelle, la littérature ou la religion. Ses amis Pierre-Simon Ballanche, Claude-Julien
Bredin et Jacques Roux-Bordier sont des esprits inquiets comme André-Marie, partageant un sentiment de désillusion envers la Révolution, leurs familles
ayant appartenu à la résistance lyonnaise.
Ce sont des personnalités révoltées, complexes et intéressées par tous les domaines de la connaissance. Ils sont sensibles à des courants intellectuels aux
marges de la science à la fin du 18e siècle comme le mesmérisme, la phrénologie ou le somnambulisme, particulièrement influents dans la vie intellectuelle
du Lyon de l’époque.
"Ils croient fortement à l’unité du dessin du monde, à la présence de l’esprit (…) dans la moindre parcelle de matière, à l’analogie des lois de l’homme (le
microcosme) et de l’univers (le macrocosme). Un immense désir de synthèse et d’universelle harmonie dirige toute leur existence"6
Le mesmérisme provenait des thèses de Franz Anton Mesmer, un médecin autrichien qui avait fait fortune à Paris avec ses cures magnétiques qu'il
appliquait en particulier aux femmes souffrant de troubles nerveux.
Le salon de Mesmer. Au centre le baquet autour duquel se tiennent les patients, à gauche, Mesmer magnétisant une patiente.
À l’époque la médecine explorait les effets thérapeutiques de l’électricité. Mesmer affirme que le magnétisme peut, lui aussi, avoir une action thérapeutique.
Ampère s’est intéressé à ces applications médicales de l'électricité et du magnétisme qui étaient souvent traitées ensemble dans la littérature, en supposant
une cause commune aux phénomènes électriques et magnétiques. Ce caractère interdisciplinaire et parfois peu orthodoxe, partagé par Ampère avec ses
compagnons de l’Ecole mystique de Lyon, a continué de marquer les recherches d'Ampère au cours de sa vie.
1 ROUSSEAU, Jean-Jacques. L’Emile ou l’Education, Paris : Gallimard, 1969, p. 88.
2 AMPÈRE, André-Marie. " Notice sur la vie et les travaux d’André Marie Ampère", Archives de l’Académie des Sciences de Paris, chem. 326.
3 VERNAY, Andrei "Histoire du village de Poleymieux pendant les années où Ampère y vécut (1782-1792)". Bulletin de la Société des Amis d’André-Marie
Ampère, N° 6, 1936, p. 159.
4 THOMAS, Léonard Thomas. L’Eloge de René Descartes, Paris, 1765.
5 BUCHE, Joseph. L’Ecole mystique de Lyon (1776-1847): Le Grand Ampère, Ballanche, Cl. Julien Bredin, Victor Laprade, Blanc Saint- Bonnet, Paul
Chevanard, Paris : Alcan, 1935.
6 BLONDEL, Christine, DESCAMPS, Philippe. "Avec Ampère… Le courant passe". Cahiers de Sciences et Vie, 67, 2002, pp. 20-27.
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