Guy Debord
(1931-1994)
(1967)
La Société
du Spectacle
Troisième édition, 1992
Guy Debord, La Société du Spectacle, 3
e
édition (1992) 2
Table des matières
Avertissement pour la troisième édition française, 1992.
I. la séparation achevée
II. la marchandise comme spectacle
III. unité et division dans l'apparence
IV. le prolétariat comme sujet et comme représentation
V. temps et histoire
VI. le temps spectaculaire
VII. l'aménagement du territoire
VIII. la négation et la consommation dans la culture
IX. l'idéologie matérialisée
Guy Debord, La Société du Spectacle, 3
e
édition (1992) 3
Guy Debord (1967)
La Société du Spectacle
Avertissement pour la troisième
édition française
La Société du Spectacle a été publiée pour la première fois
en novembre 1967 à Paris, chez Buchet-Chastel. Les troubles
de 1968 l’ont fait connaître. Le livre, auquel je n’ai jamais chan-
un seul mot, a été réédité dès 1971 aux Éditions Champ Li-
bre, qui ont pris le nom de Gérard Lebovici en 1984, après
l’assassinat de l’éditeur. La série des réimpressions y a été
poursuivie régulièrement, jusqu’en 1991. La présente édition,
elle aussi, est restée rigoureusement identique à celle de 1967.
La même règle commandera d’ailleurs, tout naturellement, la
réédition de l’ensemble de mes livres chez Gallimard. Je ne
suis pas quelqu’un qui se corrige.
Une telle théorie critique n’a pas à être changée ; aussi long-
temps que n’auront pas été détruites les conditions générales
de la longue riode de l’histoire que cette théorie aura été la
première à finir avec exactitude. La continuation du dévelop-
pement de la période n’a fait que vérifier et illustrer la théorie du
spectacle dont l’exposé, ici réitéré, peut également être consi-
déré comme historique dans une acceptation moins élevée : il
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témoigne de ce qu’a été la position la plus extrême au moment
des querelles de 1968, et donc de ce qu’il était déjà possible de
savoir en 1968. Les pires dupes de cette époque ont pu ap-
prendre depuis, par les déconvenues de toute leur existence,
ce que signifiaient la « négation de la vie qui est devenue visi-
ble » ; la « perte de la qualité » liée à la forme-marchandise, et
la « prolétarisation du monde ».
J’ai du reste ajouté en leur temps d’autres observations tou-
chant les plus remarquables nouveautés que le cours ultérieur
du même processus devait faire apparaître. En 1979, à
l’occasion d’une préface destinée à une nouvelle traduction ita-
lienne, j’ai traité des transformations effectives dans la nature
même de la production industrielle, comme dans les techniques
de gouvernement, que commençait à autoriser l’emploi de la
force spectaculaire. En 1988, les Commentaires sur la société
du spectacle ont nettement établi que la précédente « division
mondiale des tâches spectaculaires », entre les règnes rivaux
du « spectaculaire concentré » et du « spectaculaire diffus »,
avait désormais pris fin au profit de leur fusion dans la forme
commune du « spectaculaire intégré ».
Cette fusion peut être sommairement résumée en corrigeant
la thèse 105 qui, touchant ce qui s’était passé avant 1967, dis-
tinguait encore les formes antérieures selon certaines pratiques
opposées. Le Grand Schisme du pouvoir de classe s’étant
achevé par la réconciliation, il faut dire que la pratique unifiée
du spectaculaire intégré, aujourd’hui, a « transformé économi-
quement le monde », en même temps qu’il a « transforpoli-
cièrement la perception ». (La police dans la circonstance est
elle-même tout à fait nouvelle.)
C’est seulement parce que cette fusion s’était déjà produite
dans la réalité économico-politique du monde entier, que le
monde pouvait enfin se proclamer officiellement unifié. C’est
aussi parce que la situation en est universellement arrivé le
pouvoir séparé est si grave que ce monde avait besoin d’être
unifié au plus tôt ; de participer comme un seul bloc à la même
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organisation consensuelle du marché mondial, falsifié et garanti
spectaculairement. Et il ne s’unifiera pas, finalement.
La bureaucratie totalitaire, « classe dominante de substitu-
tion pour l’économie marchande », n’avait jamais beaucoup cru
à son destin. Elle se savait « forme sous-développée de classe
dominante », et se voulait mieux. La thèse 58 avait de longue
date établi l’axiome suivant : « La racine du spectacle est dans
le terrain de l’économie devenue abondante, et c’est de que
viennent les fruits qui tendent finalement à dominer le marché
spectaculaire. »
C’est cette volonté de modernisation et d’unification du spec-
tacle, liée à tous les autres aspects de la simplification de la
société, qui a conduit en 1989 la bureaucratie russe à se
convertir soudain, comme un seul homme, à la présente idéo-
logie de la démocratie : c’est-à-dire la liberté dictatoriale du
Marché, tempérée par la reconnaissance des Droits de
l’homme spectateur. Personne en Occident n’a épilogué un
seul jour sur la signification et les conséquences d’un si extra-
ordinaire événement médiatique. Le progrès de la technique
spectaculaire se prouve en ceci. Il n’y a eu à enregistrer que
l’apparence d’une sorte de secousse géologique. On date le
phénomène, et on l’estime bien assez compris, en se conten-
tant de répéter un très simple signal – la chute-du-Mur-de-
Berlin –, aussi indiscutable que tous les autres signaux démo-
cratiques.
En 1991, les premiers effets de la modernisation ont paru
avec la dissolution complète de la Russie. s’exprime, plus
franchement encore qu’en Occident, le résultat désastreux de
l’évolution générale de l’économie. Le désordre n’en est que la
conséquence. Partout se posera la même redoutable question,
celle qui hante le monde depuis deux siècles : comment faire
travailler les pauvres, l’illusion a déçu, et la force s’est
défaite ?
La thèse 111, reconnaissant les premiers symptômes d’un
déclin russe dont nous venons de voir l’explosion finale, et en-
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