Quand l`électronique s`inspire de l`optique - Institut NÉEL

publicité
LUMIÈRE SINGULIÈRE
Quand l’électronique
s’inspire de l’optique
Les expériences d’optique quantique dans lesquelles un photon est placé
dans une superposition d’états peuvent-elles être transposées dans la
matière ? C’est ce que cherchent à faire les physiciens. Premiers succès.
PAR Tristan
Meunier ET
Christopher
Bäuerle, chercheurs au CNRSInstitut Néel, membres
du Labex LANEF
L
’
imagination des physiciens de la
matière condensée a toujours été
excitée par les prouesses expérimentales accomplies en optique
quantique, notamment la capacité à
contrôler des objets quantiques uniques. Mais à
l’époque des premières expériences réalisées avec
des photons [1], celles-ci paraissaient impossibles
à concevoir avec des systèmes aussi complexes et
difficiles à maîtriser que la matière condensée. Et
ce, même si le déplacement d’un électron dans
un métal peut être, à première vue, assimilé à
celui d’un photon dans le vide.
Ce rêve est aujourd’hui accessible. L’avènement
des nanotechnologies et de nouveaux outils ont
rendu possible le contrôle des constituants de
la matière, en particulier celui des électrons. Les
expériences d’optique quantique utilisant les
photons sont alors devenues une source d’inspiration pour la nanoélectronique quantique.
L’objectif : les reproduire avec des électrons.
L’ambition : leur donner une nouvelle dimension
grâce aux propriétés spécifiques des électrons
« volants ». En effet, au contraire des photons, les
particules chargées que sont les électrons interagissent fortement entre elles. Cette propriété
L’essentiel
>>LES PHYSICIENS CHERCHENT À CONTRÔLERprécisément
le déplacement d’un électron dans un circuit.
>>LES EXPÉRIENCES D’OPTIQUE QUANTIQUEleur ont fourni
un cahier des charges pour y parvenir.
>>DES CIRCUITS QUANTIQUESsont déjà obtenus, dans lesquels
des électrons volants sont contrôlés à l’échelle de l’électron unique.
40 • Hors-série • La Recherche | 2015 • Nº 14
ouvre de nouvelles perspectives aux protocoles
de manipulation de l’information quantique avec
des particules volantes.
Isoler les électrons.Le cahier des charges de
telles expériences a été établi par la communauté
spécialisée en photonique quantique. Il faut
d’abord définir un circuit composé de plusieurs
chemins dans lesquels la particule quantique
pourra se déplacer, isolée de ses semblables et de
manière contrôlée. Cette particule – et elle seule –
devra ensuite être lancée à la demande dans le
circuit, à l’aide d’une source à particule unique.
Pour mettre la particule dans un état de superposition quantique*, on utilisera l’équivalent
d’une lame séparatrice semi-réfléchissante, sorte
de miroir qui, en optique quantique, réfléchit la
lumière dans 50 % des cas et la transmet avec la
même probabilité. Enfin, une fois que la particule aura traversé le circuit quantique, sa présence dans un des chemins possibles du circuit
devra être testée à l’aide d’un détecteur à particule unique.
Ce cahier des charges étant établi, comment
forcer un électron à se déplacer, isolé des autres
électrons de la structure, dans un chemin prédéfini ? Ce n’est pas une mince affaire ! De fait, l’environnement solide de l’électron est loin d’être
comparable au vide dans lequel circulent les photons : toute impureté présente dans la structure
détourne l’électron de son chemin. Pour éviter
cet écueil, il faut utiliser des métaux bidimensionnels dans lesquels les électrons peuvent se
déplacer à très basses températures, sur plusieurs
centaines de microns, sans rencontrer une seule
impureté. Le circuit obtenu [Fig.1] est constitué
de canaux asséchés d’électrons, sculptés dans la
structure semi-conductrice bidimensionnelle à
l’aide des tensions électriques appliquées aux
Fig.1 Circuit quantique élémentaire pour des électrons volants
Guide d’ondes
électroniques
Boîte quantique
Électromètre
CE CIRCUIT EST CONSTITUÉ DE DEUX CANAUX ÉLECTRONIQUESavec, à chaque bout, des boîtes quantiques individuelles utilisées comme source et détecteur d’électrons individuels. À l’endroit où les canaux se
rapprochent, les électrons ont la possibilité de passer d’un canal à l’autre par un processus dit « tunnel cohérent ».
De cette manière, l’électron pourra se retrouver à la fois dans les deux canaux et l’interaction entre deux électrons
se propageant chacun dans l’un des canaux pourra être contrôlée. © ÉQUIPE COHÉRENCE QUANTIQUE, INSTITUT NÉEL
fines grilles d’or déposées en surface. Pour contrôler précisément le déplacement de l’électron, ce
dernier est transporté dans une boîte quantique
en mouvement défini par l’excitation des ondes
acoustiques de surface des canaux. Cela permet
de réaliser des guides d’ondes électroniques, dans
lesquels l’électron se propagera à la vitesse du son
du matériau (3 micromètres par nanoseconde).
Afin d’injecter des électrons à la demande
dans ces guides d’ondes électroniques, on utilise une boîte quantique statique, source à électron unique. À l’instar des canaux du circuit, le
potentiel de piégeage électrique nécessaire au
confinement des électrons est obtenu par des tensions appliquées sur des grilles nanométriques.
Un électron peut ainsi être isolé dans une boîte
quantique, puis injecté à la demande dans une
boîte quantique en mouvement. Tout cela grâce
au contrôle du potentiel de piégeage de l’électron sur une durée inférieure à la nanoseconde.
La distance, facteur limitant.Une fois lancé
dans le circuit, l’électron peut se retrouver dans
une superposition quantique entre tous les
canaux du circuit grâce à l’équivalent d’une lame
séparatrice pour les électrons. Pour réaliser cette
fonctionnalité, il suffit de rapprocher deux canaux
et de contrôler électriquement la barrière tunnel
qui les sépare. Ce dispositif permet à l’électron
d’occuper quantiquement deux canaux de propagation. Mais il sera aussi employé pour contrôler
l’interaction entre deux électrons se propageant
côte à côte, chacun dans l’un des canaux du circuit.
Reste à y détecter la présence de l’électron. Pour
cela, la particule est arrêtée dans une boîte quantique statique après son déplacement. Sa présence est induite en quelques centaines de nano­
secondes, grâce à un électromètre placé à quelques
centaines de nanomètres de la boîte de réception.
À l’aide de ces différentes briques élémentaires inspirées de l’optique quantique, nous pouvons donc concevoir des circuits électroniques
similaires à ceux utilisés pour les photons et
« intriquer » plusieurs électrons volants, de telle
manière que leurs propriétés apparaissent corrélées quand on les mesure [2]. Un préalable à la
réalisation de réseaux permettant le transport
et l’échange d’informations.
La seule limite à la complexité de ces circuits est
alors la distance au bout de laquelle la cohérence
quantique est perdue. De fait, quand le système
quantique interagit avec son environnement, il
perd très rapidement ses propriétés quantiques
et évolue vers un état classique. Cette distance
peut atteindre plusieurs dizaines de microns
pour les degrés de liberté de charge, ou plusieurs
centaines de microns si on utilise pour stocker
l’information des propriétés tels que le degré de
liberté de spin de l’électron ou l’équivalent de la
polarisation du photon pour l’électron. n
*La
superposition
quantique
exprime le fait
qu’une des
propriétés de la
particule peut avoir
simultanément deux
valeurs différentes.
La particule peut
se trouver à deux
endroits en même
temps, par exemple.
[1] A. Aspect et al., Phys. Rev. Lett., 47, 460, 1981.
[2] S. Hermelin et al., Nature, 477, 435, 2011.
Nº 14 • 2015
| Hors-série • La Recherche • 41
Téléchargement