Théâtre des Marionnettes de Genève
Dossier pédagogique – saison 2009 - 2010
L’HOMME QUI RIT
Création du Théâtre des Marionnettes de Genève
( (((
Du 10 au 21 février 2010
Adultes - adolescents
Kamishibaï, conteur-diseur,
comédienne et musicienne
Du 10 au 21 février 2010
Texte : Victor Hugo
Mise en scène et manipulation :
Isabelle Chladek
Interprétation :
Gérard Guillaumat et
Isabelle Chladek
Musique : Marie Schwab
Décor : Léonor Grivel
Lumières et structure scénique :
Pascal Jodry
Le spectacle
1. La voix des sans voix
Un récit ruisselant de merveilles où l’auteur
fait s’entrechoquer les langages, la poétique
et la politique, le réel et le surréel, l’histoire et
le mélodrame. Une nuit d’hiver, un bateleur
solitaire, qui n’a pour seul compagnon qu’un
loup, recueille une petite fille aveugle. Et un
enfant mutilé, qui fut enlevé sur ordre du roi et
défiguré, la bouche fendue jusqu'aux oreilles
comme le Joker de Batman. L’enfant se
nomme Gwynplaine, le saltimbanque Ursus et
l’animal Homo. Ursus baptise la petite fille
Déa. Les deux enfants grandissent en
s’aimant dans une vie errante qu’ils mènent
avec leur père adoptif à travers l’Angleterre.
Reconnu pour le fils d’un noble proscrit à
cause de sa fidélité républicaine, Gwynplaine
devient Lord Clancharlie. Désiré puis rejeté
par une femme très belle et très étrange, la
duchesse Josiane, il se retrouve devant le
Parlement où il tente de dire la misère du peuple et la révolution à venir. On rit de lui.
Découragé par la dureté de la société aristocratique, il revient sur le bateau qui emporte
Ursus et Déa bannis, à temps pour rejoindre celle-ci dans la mort. Mort qui n’est pas fin,
mais ouverture et accomplissement de leur amour. Jusqu’au cœur secret des mots, révélant
leur âpre saveur d’eau forte, le conteur, diseur, colporteur d’essences de vies, Gérard
Guillaumat met en lumières et ombres ce poème visuel porté par le double mouvement de
l’engloutissement et de la remontée vers la lumière. Il restitue l’écume d’un texte, son dessin.
Ouvrant sur les dimensions fabuleuses du mythe, L'Homme qui rit est une oeuvre-clé, au
centre de l’univers hugolien. Ce qui domine ici, c’est la figure humaine d’un Hugo en exil,
blessé, déchiré, désenchanté et qui continue néanmoins à rêver. On peut voir dans
l’aventure de Gwynplaine, enfant défiguré devenu paria vivant en marge de la compagnie
des hommes qui l’ont abandonné, l’itinéraire initiatique d’un homme vers son salut. Récit nuit
et lumière de l’espoir, du chaos vaincu, de la prophétie révolutionnaire au-delà des défaites
apparentes.
Avec L'Homme qui rit, Gérard Guillaumat entreprend avec Isabelle Chladek une
nouvelle expérience qui consiste à chercher un autre rapport avec le public que
celui qu'il a créé dans ses spectacles précédents. Au cœur d’un petit théâtre
japonais qui voit la pulsation, la musique et le mouvement même du récit
magnifiquement palpiter sur un écran de papier immaculé et mouvant traversé de
noirs idéogrammes, Gérard Guillaumat sait de façon étonnante et avec une
intelligence des yeux restituer la musique d’un texte, nous la rendre sensible,
évidente. De choc affectif en rencontre physique avec la partition sensorielle, se
dégage une échappée belle pour secouer les imaginaires des spectateurs
assemblés.
Figure étendard de
L’Homme qui rit,
Gwynplaine, est un enfant
qui a eu une cicatrice
indélébile inscrite sur son
visage. Ce grotesque et cette
souffrance subis ne suscitent
que moqueries et
incompréhension. Sauf chez
la jeune Déa qui est d'une
poésie étrange à la Tim
Burton. Aveugle, elle est
sensible à l’âme en
lambeaux et au cœur
tourmenté du garçon au
sourire éternel.
Sur leur route, ils croisent un saltimbanque philosophe et érudit, Ursus et Homo, son loup.
Autant d’acteurs de ce roman épique d’initiation, fantastique, réaliste et social à la fois, qui
vibre d’images difficilement oubliables. Hugo l’écrit : « Je représente l'humanité telle que ses
maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé. Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain. On
lui a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence, comme à moi les yeux, les
narines et les oreilles; comme à moi, on lui a mis au cœur un cloaque de colère et de
douleur, et sur la face un masque de contentement. »
Accompagné d’un petit théâtre japonais et d’une subtile partition musicale jouée en direct,
Gérard Guillaumat fait défiler les paysages intérieurs de ce drame de l’inhumaine condition.
Celle des exclus transformés en phénomènes de foire en cette seconde moitié du 19e siècle.
Rencontre public avec Gérard Guillaumat et l’équipe artistique de
L’Homme qui rit à l’issue des représentations
du vendredi 12 février et du vendredi 19 février 2010 à 20h30
L’Homme qui rit. Peinture de Léonor Grivel pour le décor.
La mer qui englouti tout
2. L’art de dire
Deux questions à Gérard Guillaumat, comédien
Hugo aime les mots pour le pouvoir évocateur d’une sonorité. Et vous ?
Gérard Guillaumat : Oui,
mais l’on confond souvent
la diction et l’articulation. Je
suis très attaché à L’Art de
dire écrit en 1889 par le
poète et romancier français
Ernest Legouvé qui se
montre attentif à la
technique, à la sonorité
différenciée des voyelles :
ici les a fermés, là les o
ouverts. Embrayeuse de
pensées, la musique de la
langue shakespearienne
tire sa richesse de la
profusion des voyelles.
Quand on articule trop
bien, le spectateur s’ennuie, car il se dit in petto « comme il parle bien », « comme il dit bien
son texte ». Seule une pure diction peut faire passer des images et une pensée dans une
image, l’intelligence du texte. Les mots de Victor Hugo sont pareils aux objets. Il faut faire
entendre la sonorité des mots, jouer leur beauté et non le sentiment. Le texte doit en devenir
une pensée et une transposition concrètes qui parle directement aux gens, sans que cela
transite par le filtre culturel. Le théâtre est certes un lieu technique, privilégié, où l’on voit et
entend mieux. Mais le vrai théâtre, la vraie poétique de dire, c’est en nous que nous les
portons.
Qu’avez-vous retenu, entre autres, de L’Homme qui rit ?
G. G. : L’apparence voulue des choses et les faux-semblants sont mis à mal chez Hugo.
Dans L’Homme qui rit, oeuvre de l’exil et de l’engloutissement, Gwynplaine, enfant au
sourire scarifié, au visage saccagé par les comprachicos (ou acquéreurs d’enfants) pour être
exposé dans les foires, grandit aux côtés d’une jeune fille, Déa, aveugle aimée, qui sans le
voir, trouve sa beauté. Gwynplaine est beau car elle l’écoute, le découvre, ressent qui il est
vraiment et glisse sur son apparente difformité. Tant la rencontre est fragile, le public devrait
être aveugle quelque part pour être en disposition d’écouter. La dimension sociale et
utopique de ce récit m’a également intéressé, lorsque Gwynplaine devenu Lord Clancharlie,
déclare être le peuple. En riant de son visage, les nantis se gaussent du paupérisme et des
monstruosités qu’ils ont engendrées par leur richesse.
3. Un roman-univers
Commencé à Bruxelles le
21 juillet 1866, continué à
Guernesey, puis achevé à
Bruxelles le 23 août 1868,
L'Homme qui rit est la
dernière grande œuvre d'exil
de Victor Hugo (1802-1885).
Sa rédaction, souvent
interrompue, est marquée
par le double deuil qui frappe
l'auteur en 1868 : Georges,
son petit-fils, et sa femme,
Adèle. Nul doute qu'il ait
exercé une influence sur le
sens du roman et développé
sa dimension métaphysique, notamment avec la conception de la mort comme
transfiguration. Cette dimension est en partie cause de l'échec que l'ouvrage rencontra à sa
parution : « J'ai voulu abuser du roman, concluait Hugo ; j'ai voulu en faire une épopée. J'ai
voulu forcer le lecteur à penser à chaque ligne. De là une sorte de colère du public contre
moi. »
Drame de l'âme, L'Homme qui rit est d'abord un roman d'initiation, celle d'un enfant
abandonné dans le labyrinthe du monde, symbolisé tour à tour dans le récit par la presqu'île
de Portland et par le palais d'Oxford. Peu à peu, grâce à l'éducation prodiguée par Ursus et
à l'amour illuminant de Déa, il va trouver sa voie et sa vérité : la passion pure et non la
pulsion charnelle, l'élévation spirituelle dans la chute et non la perte de soi dans l'ascension
sociale.
Fenêtres multiples sur le réel
Mais Gwynplaine ne cherche pas que son salut. Il est également investi d'une mission : être,
auprès de ceux d'en haut, « celui qui vient des profondeurs » et faire entendre la voix des
opprimés. Devant les lords incrédules, il prophétise les révolutions à venir : « Tremblez. Les
incorruptibles solutions approchent (...) ; les paradis bâtis sur les enfers chancellent (...), ce
qui est en haut penche, et ce qui est en bas s'entrouvre, l'ombre demande à devenir lumière
(...) ; c'est le peuple qui vient vous dis-je, c'est l'homme qui monte, c'est la fin qui commence,
c'est la rouge aurore de la catastrophe. » Au roman philosophique se superpose un roman
politico-historique que Hugo songeait à inscrire dans une trilogie dont le second volet,
consacré à la monarchie absolue, ne vit jamais le jour. L'Homme qui rit aurait ainsi été « ce
livre où est peinte l'ancienne Angleterre, avant le livre où est peinte l'ancienne France qui
aura pour conclusion la Révolution et sera intitulé : Quatrevingt-Treize ».
Un roman d’initiation,
celle d’un enfant
abandonné dans le
labyrinthe du monde.
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