Structure syntagmatique et structure lexical en basque

683
Pour une representation syntaxique duale:
Structure syntagmatique et structure lexical en basque
Georges REBUSCHI
CERETYL (Universite de Nancy
11)
&CNRS (UA 04-1055)
Dans
ce
bref
essai~
je voudrais faire
le
point sur
l'
hypothese non-
configurationnelle de la structure syntagmatique (anglais constituent structure)
de la phrase basque, dissiper quelques malentendus concernant cette
question~
et, au passage, corriger quelques erreurs que
j'
ai moi-meme commises a
ce
sujet*.
le
commencerai par montrer que
Ies
asymetries entre sujet et objet, souvent in-
voquees pour justifier l'existence
d'
un
SV
en basque, procedent objectivement
d'un
raisonnement entache de circularite
1.),
les
arguments proprement struc-
turaux
"ne
donnant, eux, aucun resultat decisif
2.). Ensuite, je montrerai que
les
anaphores du basque sont redevables de deux niveaux distincts de represen-
tation (dont
l'
un
doit necessairement etre non-configurationnel)
3.), et, dans
le
§4., que
les
alternances diathetiques
qu~
offre cette langue exigent
aussi~
pour
le
moins, une telle distinction. Dans
le
§5., j'examinerai enfin quelques don-
nees concernant I'interference des variables, des pronoms et des operateurs, pour
montrer
qu'
anouveau les tests de configurationnalite sont au mieux inopera-
toires, ou meme, en ce qui concerne certains locuteurs, des indicateurs directs
de non-configurationnalite. Dans la conclusion,
j'
essaierai de tirer quelques con-
sequences de cette analyse, et proposerai quelques directions de recherche
ulterieure.
1.
De la dissymetrie entre sujets
et
objets.
1.1. Quelques exemples.
Le
fond du probleme de la configurationnalite est clair: il s'
ag~t
de savoir
ou, quand et jusqu'aque1degre
se
code dans la g'rammaire
l'
asymetrie que l'
on
observe,
dans
toutes
les
langues,
entre
les
deux
actants,
par
definition le sujet
Faute de temps,
il
ne m'apas ete possible de faire circuler une version prcmminaire de eet article. Cependant, la pIu
part
des idees qui y
sont developpees
ou
esquissees adeja ete mise en forme ailleurs (Rebuschi 1985a,b, 1986, apar. a,b),
si
bien que la
fa~on
dont elles sont exprimees
id
doit beaucoup aux remarques que
Ies
personnes suivantes (entre autres)
m'ont
adressees au sujet de
ees
textes: J. Abaitua, A. Eguzkitza. L.K.
Maracz,1. Ortiz de Urbina et
B.
Oyhar~aba1;
qu'ils soient tous remercies.l'entiere responsabilite des erreurs comme des opinions restant evidem-
ment de mon fait.
AbreviatioDS.
abl: abIatif; aux: auxiliaire;
C:
complementeur; E: enonce (prpjection maximaLe de P); F: flexion;
FL:
forme logique; gen: genitif; intr: intransitif;
m.t.: marqueur de topicalisation;
neg:
negation; P: phrase;
p:
personne;
pI:
pluriel;
S:
syntagme; SC: syntagme du
co~plernenteur
(=E);
SF:
syntagme
flexionnel
(=P);
sg:
singulier; SN: syntagme nominal; S.S.: structure syntagmatique;
SV:
syntagme verbal;
V:
verbe; WCO:
'Cweak
crossover".
ASJU XX-3.
1986,
pp.
683-704
684
ANUARIO
DEL
SEMINARIO
"JULIO
DE
URQUIJO
H
(XX·3·1986)
et l'objet, des constructions transitives. Concretement, l'hypothese non-
configurationnelle revient adire que, dans certaines langues, la structure syntag-
matique (dorenavant S.S.) de la phrase ne represente ni cette dissymetrie ni, par
consequent, la dichotomie sujet-predicat, que l'on doit donc postuler comme
etant codee autrement. Par suite, .pour une phrase comme
(1),
la question est
de savoir
si
"la
bonne" parenthetisat'ion est celle de (2a): c' est
l'
hypothese con-
figurationnelle,
ou
celle de
('2b):
c' est
l'
hypothese non-configurationnelle -
les
variantes (b) etant la representation arborescente equivalente des notations (a):
(1)
Arantxak Miren ikusi du
Arantxa-k
M.-0
vu aux(tr)
Arantxa avu Miren
(2) a. [p [SN Arantxak] [sv [SN Miren] [v ikusi]](du)]l
b. p
~
SN
SV
~
SN
V
II
Arantxak Miren ikusi
(3) a. [p [SN Arantxak] [SN Miren]
[v
ikusi]](du)]
b. p
SN
I
Arantxak
SN
I
Miren
V
I
ikusi
11
importe de souligner que les partisans de I' hypothese non-
configurationnelle ne doutent pas de l'existence de certaines dissymetries entre
le
sujet et l'objet.
En
basque, la premiere manifestation de cette dissymetrie est
evidemment
d'
ordre morphologique: c' est l'opposition entre
les
suffixes
-k
et
_0
2sur
les
SN, et; au present du"moins,
le
fait que la personne et
le
nombre des
I.
Pour simplifier, je laisse l'auxiliaire
et/ou
la flexion de cote en (2) comme en
{3).
2.
Les
questions soulevees
id
ne sont pas directement reliees al'analyse traditionnelle
du
systeme casuel comme etant ergatif, ou
it
sa reeva-
luation comme "actif-inactif" (Levin 1983, Ortiz de Urbina 1986); voir cependant
le
§
6.
pour quelques remarques entre assignation
du
cas et
type(s) de representation concerne(s). .
STRUCTURE
SYNTAGMATICA
ET
STRUCTURE
LEXICAL
EN
BASQUE
685
sujets soient indiques par
un
suffixe sur la forme verbale flechie (FVF), tandis
que ceux de l'objet ysont marques
par
des prefixes3
Mais, bien entendu, il ya
d'
autres arguments,
d'
ordre syntaxique.
Un
des
plus ala mode al'heure actuelle est celui qui consiste aremarquer que le sujet
(transitif
ou
intransitif
d'
ailleurs), ne peut pas etre instancie
par
le
pronom reci-
proque elkar '1' un l'autre' (cf. Salaburu
1985,
1986),
l'
ordre lineaire des mots
ne changeant strictement rien aux donnees:
(4)
a. [Arantxak eta Mirenek] elkar ikusi dute
A.-k
et M.-k
e.-ca
vu aux(tr)
Arantxa et Miren
se
sont vues, lit.:
ont
vu l' un(e) l'.autre
b.
*elkarrek ikusi ditu Arantxa eta Miren
(5)
a. [Arantxa eta Miren] elkarrengandik urrundu dira
e.ablatif eloigne aux(intr)
A. et M.
se
sont eloignees
l'
un(e) de
l'
autre
b.
*elkar urrundu da Arantxaren eta Mirenengandik
Un autre argument est fourni
par
le
fait que seul
un
sujet doit etre sous-
entendu dans les interrogatives non conjuguees (cf. Ortiz de Urbina 1986), ou
dans
les
completives des verbes de perception (Eguzkitza
1985):
(6)
a. nik -
ez
dakit [nondik has] I-[*Patxi/*neroni nondik has]
moi-k
neg je-sais oll-abl commencer P.-0 moi-meme-0
je ne sais
par
Oll
PROI*Patxi/*moi commencer
b.
Mirenek
ez
daki [zer kanta] I[*Patxik/*berak
zero
kanta]
quoi-0 chanter elle-meme-k
Miren ne sait pas PROI*Patxi/*elle-rpeme quoi chanter
(7)
a. Arantxak Miren ikusi du [sagarrak jaten]
A.-k
M.,0 vu aux pommes-0 manger-te-n
Arantxa avu Miren manger
les
pommes
b.
*Arantxak
sagarr~k
ikusi ditu [Mirenek jaten]
*A.
avu les pommes Miren manger
1.2.
Un
raisonnement circulaire.
En fait, tout
le
debat tourne autour de la question suivante: ces trois asy-
metries (et quelques autres de meme nature) sont-elles la preuve de ce que la re-
-presentation en constituants inmediats des phrases independantes comme
(1)
ou
(4) et des propositions enchassees de (6a,b) ou (7a) est celle donnee en (2)?
11
me semble
qu'
il ya
la
un
malentendu, car
ce
que ces exemples nous
disent~
fina- -
lement, peut
se
ramener aceci:
il
existe une hierarchie fonctionnelle comme:
(8)
sujet...
...objet direct ... ... circonstant
3.
Peu importe ici que
le
d- de present soit analyse comme une marque purement temporelle, ou comme indiquant ala fois la 3epet
le
tern,s.
686
ANUARIO
DEL
SEMINARIO
"JULIO
DE
URQUIJO"
(XX-3-1986)
telle que:
(9)
une anaphore comme elkar doit avoir pour antecedent un element dont
la fonction est superieure ala sienne sur
(8)
dans la proposition mini-
male qui les contient4;
(10)
seull'
element
le
plus
haut
place
Sur
(8)
doit etre sous-entendu
dans
les
propositions denuees de marque aspectuelle,
ou
en -t(z)e-n5
Si
l'
on
arrive ajustifier independamment la structuration de (2),
il
est
evi-
dent que
l'
onpeut alors faire appel ala notion de c-commande pour rendre compte
des phenomenes observes en
(4)
ou
(5)
-mais
voir 3.2.
infra-,
ou
a
eel
le
de
m-commande6qui determine la rection ou gouvernement, et par suite
l'
appa-
rition
d"
un
sujet phonetiquement non-realise dans
(6)
et
(7)7.
Mais s'
il
n'existe pas de justification independante,
le
raisonnement devient
circulaire. On peut en effet considerer que
(3)
est,
d'
un certain point
-de
vue, la
solution optimale pour rendre compte de la structure
d'
une phrase: trois mots,
trois constituants. Par contre,
(2)
introduit un surplus de structure, sous la
forme
d'
un quatrieme constituant,
le
SV.
L'existence de cette entite' supplemen-
taire doit done etre prouvee
par
le
recours a
d'
autres tests que ceux qui mon-
trent qu'
il
y a une certaine asymetrie syntaxique entre
le
SN suffixe de
-k
et celui
suffixe de
-0.
Sinon,
on
ne fait que transcrire en termes structuraux
ou
graphi-
ques cette asymetrie, mais on ne l'explique pas.
Prenons
le
probleme de l'anaphore elkar. Dans les langues dans lesquelles
(2)
est independamment justifiee, la theorie du liage peut effectivement etre cons-
4. Les anaphores basques ne sont pas orientees vers
le
sujet; cf.:
gurasoek elkarrekin ikusi gaituzte
parents-k
elkar-avec
vu ils-nous
ont
les parentsjnousj
ont
vus ensemble*j/j
(Euskaltzaindia 1985,
p.
109).
En consequence, elles
ne
sont jamais liees alongue distance.
5.
Les marqueurs aspectuels (de perfectif ou d'imperfectif), lorsque
le
cas de la proposition nominalisee est autre que l'inessif archa'ique
-n, permettent la realisation des sujets, cf.:
(a) guk lan egi-te-an
nous-k travail-QJ faisant-Iocatif
quand nous travaillons
(b) zuk lan egi-te-a-k
vous-k
sg-0
le
fait que vous travailliez
Dans certains cas cependant, un sujet
r~alise
est rendu possible meme
s'il
n'y
apas de marque aspe.ctuelle:
(c) ehungarren urteburukari, guk aldiz zer
egin?
centieme anniversaire+temps nous-k m.t.
quoi-QJ
faire (radical)
alors que nous fetons ce centenaire, nous, que (pouvons)-nous faire? (Emile Larre,
Herria
N.O
1883,
p.
1)
(d) heldu-den igandean, [...]zertako ez guk ere [...]gogoz bederen eskualde hetako itzuli bat
egin?
prochain dimanche-locatif pourquoi neg nous-k m.t. par-l'esprit au-moins region ces-gen
tour
un-0
faire (radical)
dimanche prochain, pourquoi n'entreprendrions pas nous (aussi), en esprit
du
moins, un voyage dans ces regions? (Jean
,Hiriart-Urruty, Herria
N.o
1884,
p.
5)
Noter que
le
dialecte de ces auteurs (le bas-navarrais), interdit d'interpreter
egin
ici comme la forme perfective
du
verbe, bien qu'eHe soit identique
ala forme radicale dans ce cas precis.
La question se pose alors de savoir s'il yadans de tels cas troncation de toutes les marques temporo-aspectueHes et d'accord,
ou
si
le
verbe
lui-meme gouverne
ou
regit
le
sujet...
De toute maniere, je m'ecarte
id
de l'analyse
d'Ortiz
de Urbina (op.
CiL),
pour qui
le
cas dans (a) et (b) serait
donnt~
par
le
verbe nominalise
reinterprete comme un nom.
6. Xc-commande Y
si
et seulement si, Xne dominant pas
Y,
le
premier noeud branchant qui domine Xdomine aussi
Y.
Les lieurs doivent
c-commander les lies (anaphores) dans un certain domaine.
Par
ailleurs, Xm-commande Y
si
et seulement si, X
ne
dominant pas
V,
la premiere projection maximale (SN,
SV,
Petc.) qui domine X
domine -aussi
Y.
Les
elements regissants ·ou gouverneurs doivent m-commander les elements
qu'ils
regissent.
7.
Rappelons que PRO,
le
sujet sous-entendu, ne peut par definition occuper
qu'une
position non gouvernee.
STRUCTURE
SYNTAGMATICA
ET
STRUCTURE
LEXICAL
EN
BASQUE
687
truite en termes de c-commande -c' est dLailleurs ce qui s'est passe dans l',his-
toire meme de
l'
elaboration de
ce
pan
de la theorie linguistique. Mais, apriori,
tant
que'
l'on
n'a
pas demontre l'existence
d'un
SV
en basque, la c-commande
asymetrique entre
le
sujet et l'objet ne peut pas etre invoquee pour expliquer
l'agrammaticalite de (4b). Par exemple, on pourrait avancer que la structure
(3)
de la phrase basque est lineairement ordonnee
"en
profondeur", et que
les
prin-
cipes qui nous interessent ici sont
les
suivants, censes s'appliquer a
ce
niveau
profond:
(11)
a. Elkar doit avoir un antecedent sur sa gauche.
b.
Une expression referentielle ne doit avoir
d'
antecedent ni agau-
che ni adroite.
Quel que soit
l'
ordre
"de
surface"
d'une
phrase basque (obtenu par "scram-
bling",
extrapositions successives agauche
ou
adroite, etc.),
(11)
decrit en fait
aussi bien que la theorie orthodoxe ce qui bloque
(4b)8.
Qui plus est,
si
l'ordre "profond" etait inverse, comme en
(12),
nous pou-
rrions adapter notre hypothetique principe
de
liage
(11a)
en
(13),
(lIb) restant stable:
(12)
[pVaux
SN-0
SN-k]
(13)
Elkar doit avoir un antecedent sur sa droite.
La circularite alaquelle
j'
ai fait allusion devrait maintenant etre evidente:
avec (3a) ordonne et
(11),
ou
(12)
et (13), on a
d'
abord traduit la constatation
(9)
en termes de linearite, et ensuite utilise des principes adaptes acette proprie-
te de la traduction pour "expliquer" (9), alors· que l'on n'arien explique du
tout9
Un raisonnement identique pourrait
d'
ailleurs rendre compte tout aussi bien
des donnees de
(6)
et (7),
par
le
recours a
(14)
ou
(15):
(14)
Lorsqu'une proposition non conjuguee est en -l(z)e-n ou sans mar-
que aspectuelle,
le
premier [respectivement,
le
dernier] SN de cette pro-
position doit etre PRO.
(15)
Seule une marque aspectuelle non suffixee de -n peut regir
le
premier
[resp. le dernier] SN de
(3)
[resp. de
(12)].
Peut-on donc trouver des arguments independants des principes qui font
appel ala c-commande et ala m-commande pour justifier (2)?
Si
l'
on en
trouve,
(2)
pourra alors effectivement etre consideree comme la S.S. des phrases
basques. Mais
si
l'on n'en trouve pas, et surtout
si
I'
on peut montrer que (3)
est (independamment de l'ordre lineaire de
ses
elements), une representation ne-
cessaire de leur structure, il faudra alors poser que ces phrases sont redevables
de
deux
representations syntaxiques distinctes:
(3)
notera la
S.S.
proprement
dite,
Oll
les SN et le V
se
c-commandent reciproquement, et
Oll
la hierarchie (8)
8.
En ayant comme ordre profond: SN sujet, SN objet, Circonstant,
V,
on
pourrait etendre
le
raisonnement a(5a,b). La question du
mouve~
ment et du "scrambling" sera reprise rapidement au §
3.
9.
Noter aussi que
si
I'ordre de (3a) est en un sens non marque,
den
ne
prouve
qu'il
soit le bon en structure profonde, qui est par definition
une construction abstraite.
1 / 22 100%

Structure syntagmatique et structure lexical en basque

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !