LE DICTIONNAIRE DES COLLOCATIONS EN LIGNE
Antonio González Rodríguez
Département de traduction, interprétation et langues modernes
Universidad Europea de Madrid
Espagne
sumé : les dictionnaires reprenant des structures binaires existent depuis fort longtemps et dans différentes
langues. Le dictionnaire des collocations en ligne, disponible sur l’Internet, repose sur six combinaisons récurrentes
de la langue française, puisées dans la presse, dans des romans et des essais. Cet outil est destiné aux traducteurs, aux
interprètes, aux apprenants et à toute personne qui doit produire un texte en français.
Mots-clés : dictionnaire, collocations, traduction, français langue étrangère (FLE).
1. INTRODUCTION
Le dictionnaire des collocations en ligne suit les brisées d’ouvrages similaires publiés dans différentes
langues et pays. Un petit tour d’horizon de ces productions permettra de dégager les similitudes et les
différences afin de mieux souligner l’originalité de ce dictionnaire des collocations en ligne.
2. DICTIONNAIRES DE COLLOCATIONS MONOLINGUES
En 1759, le Révérend Père Daire publie à Lyon, chez Pierre Bruyset Ponthus,
Les Épithètes françoises
rangées sous leurs substantifs, ouvrage utile aux Poëtes, aux Orateurs, aux jeunes gens qui entrent dans la
carrière des Sciences, & à tous ceux qui veulent écrirent correctement, tant en Vers qu’en Prose
. L’auteur
propose une liste de substantifs accompagnés des adjectifs qui les qualifient. L’ouvrage n’aborde qu’une
seule combinaison, à savoir « substantif + adjectif ». On retiendra que l’auteur a prévu un système de
renvoi qui permet au lecteur de voyager utilement dans le dictionnaire.
En 1999, Georges Charles et Mauricette Lecomte, père et fille, publient à compte d’auteur le
Dictionnaire des épithètes françaises. À l’usage de tous ceux qui écrivent et qui aiment les mots
. D’un
point de vue formel, les auteurs ont classé les substantifs par ordre alphabétique tout comme les épithètes
qui les accompagnent. Il est à signaler qu’ils ont également ajouté quelques segments récurrents. Ainsi,
sous l’entrée « immeuble », on pourra lire, outre les adjectifs, des segments tels qu’« immeuble de belle
apparence », « immeuble mis sous séquestre », « immeuble mis en vente » et « immeuble de rapport ».
Formellement, les auteurs ne font pas la différence et classent donc ces segments avec les adjectifs. Un
système de renvoi est également prévu, même sil n’est pas systématique.
Jacques Beauchesne publie, en 2001,
Le dictionnaire des cooccurrences
, riche de quelque 4 200 entrées
ou substantifs. L’auteur propose systématiquement trois types de combinaisons : « substantif + adjectif »,
« verbe ou locution verbale + substantif » et « substantif + verbe ». Ces catégories sont lâches, car il est
difficile, et cest là le problème majeur des collocations, de classer ces dernières dans des structures
intangibles. Ainsi, dans la combinaison « substantif + adjectif », on pourra lire, sous l’entrée
« imagination », les segments suivants : « en délire », « (jamais) prise en défaut », « qui fonctionne
bien/rapidement » « sans cesse renouvelée », « sans bornes/frein/limites ». Cet ouvrage est, pour l’heure, le
dictionnaire le plus complet en langue française.
Javier Boneu publie, en 2001,
El diccionario euléxico para expresarse con estilo y rigor.
Les substantifs
espagnols, qui tiennent lieu de base ou de mot-clé, sont classés par ordre alphabétique. Lauteur propose
trois combinaisons : « substantif + adjectif », « verbe + substantif » et « substantif + verbe ». Un système
de renvoi est également prévu.
En 2004, Ignacio Bosque, professeur à l’universiComplutense de Madrid, publie
Redes, diccionario
combinatorio del español contemporáneo
. Cette somme, qui compte 1 839 pages et une introduction de
174 pages, est sans conteste l’ouvrage le plus complet et le plus complexe. Tous les ouvrages cités ci-
dessus ne présentaient que des substantifs en guise d’entrée. L’auteur a prévu cinq types d’entrées, le
substantif, le verbe, l’adverbe, l’adjectif et des locutions, ce qui donne quelque 10 combinaisons :
« substantif + adjectif », « substantif + locution adverbiale », « adjectif + substantif », « verbe + adverbe »,
« verbe + substantif », « verbe + locution adverbiale », « adverbe + adjectif », « adverbe + verbe »,
« locution prépositive + substantif », « locution adverbiale + verbe ». Cet ouvrage est doté d’un système de
renvoi et de nombreux exemples puisés dans la presse espagnole et hispano-américaine.
En 1997, Morton Benson, Evelyn Benson et Robert Ilson publient
The BBI Dictionary of English
Word Combinations.
Cette édition remaniée, riche de 18 000 entrées et de 90 000 collocations, propose
trois types d’entrées ou bases : le substantif, ladjectif et le verbe. Les auteurs considèrent 9 combinaisons :
« verbe + substantif », « verbe + préposition », « substantif + adjectif », « substantif + préposition »,
« substantif + substantif », « substantif + verbe », « locution prépositive + substantif », « adjectif
+ préposition », et des expressions idiomatiques. Les auteurs nont pas prévu de système de renvoi.
3. DICTIONNAIRES DE COLLOCATIONS BILINGUES
Outre les dictionnaires monolingues, on trouvera aussi dans le commerce des dictionnaires de
collocations bilingues. C’est le cas du
Dictionnaire des collocations chinois-français
, publié en 2002. Les
substantifs, qui tiennent lieu d’entrée, sont classés par ordre alphabétique et alimentent les combinaisons
suivantes : « locution verbale + substantif », « verbe + substantif », « substantif + adjectif » et les
traductions correspondantes en chinois. Il n’y a pas de système de renvoi.
En 1979, Boris Vassilievitch Bratous publie le
Slovosotchetania rousskovo iasika
, un dictionnaire
reprenant les collocations les plus usuelles en russe et leurs traductions en français. Chaque entrée,
toujours un substantif, présente une structure ternaire : « substantif + adjectif », « substantif + substantif »
et « verbe + substantif ». Il n’y a pas de système de renvoi.
4. MANUELS DAPPRENTISSAGE
Qui veut apprendre une langue étrangère doit en maîtriser les collocations et les apprendre par cœur. En
1970, Gak et Lvin publient le
Kyrs perevoda – fransuskie iasik
. Ce manuel, destiné aux apprentis
traducteurs russes, se compose de 53 leçons qui obéissent toutes à une même structure : un texte en
français ou en russe sur un sujet bien précis, par exemple des négociations commerciales entre deux États.
Des phrases-types en français et en russe portant sur lesdites négociations. Un commentaire grammatical
sur le texte et sur les structures utilisées dans les deux langues. Et toute une batterie d’exercices qui
tournent autour du sujet étudié. En fin de leçon, les auteurs proposent un petit glossaire. Il ne s’agit pas
d’une liste de mots, mais de combinaisons ayant pour base un mot-clé de la leçon. Les auteurs proposent 6
structures : « substantif + substantif », « substantif + adjectif », « verbe + substantif », « locution verbale
+ substantif », « substantif + verbe » et « locution prépositive + substantif ».
En 2003, Gak et Grigoriev publient
Teoria y praktika perevoda, fransuskie iasik
.
Bien que ce manuel
présente beaucoup de points communs avec l’édition de 1970, le dictionnaire en fin de leçon ne repose
plus sur un seul mot-clé, mais sur plusieurs mots étudiés dans la leçon. Pour autant, les mots sont souvent
présentés avec leurs collocatifs.
Bouscaren et Lab publient, en 1998,
Les mots entre eux, words and their collocations.
Ce vocabulaire
regroupe par thèmes (le corps, l’enseignement, la santé, les courses, etc.) environ 30 000 mots et leurs
collocatifs. Dans chaque chapitre, les mots anglais sont suivis de la traduction française et des collocations
anglaises. Afin de bien les fixer, les auteurs ont prévu des exercices d’application.
5. LE DICTIONNAIRE DES COLLOCATIONS EN LIGNE
C’est en 1990 que nous commençons à classer, dans des fichiers informatiques, les collocations que
nous rencontrons principalement dans
Le Monde, Le Monde diplomatique, Courrier international, Science
et Vie, Le Canard enchaîné, Lire, Le magazine littéraire
et, plus généralement, dans des romans et des
essais. Au fil de ces années de travail empirique, nous avons établi plusieurs catégories qui sont celles que
nous venons de voir et que nous allons présenter par le menu.
4.1. Verbe + nom
Dans un premier temps, par souci stylistique, nous avons cherché les verbes qui accompagnent
systématiquement les noms et qui remplacent les verbes dits « vides » :
[1] faire une annonce passer une annonce
[2] faire un appel lancer un appel
[3] faire ses bagages boucler, plier ses bagages
[4] faire un catalogue dresser un catalogue
[5] faire un métier exercer, pratiquer un métier
Dans certains cas, il ne s’agit plus de remplacer les verbes vides ou verbes supports, mais plus
simplement de verbaliser le nom. N’oublions pas que le traducteur est, à l’occasion, tenu de jouer, à la
hausse ou à la baisse, avec le nombre de mots pour des raisons d’espace :
[6] apporter une aide revient à dire aider
[7] pousser un aboiement revient à dire aboyer
[8] formuler une accusation revient à dire accuser
[9] accorder une amnistie revient à dire amnistier
[10]donner son approbation revient à dire approuver
Plus généralement, nous avons repris tous les verbes qui sont susceptibles, en compagnie du nom,
d’apporter un sens singulier à la collocation :
[11] contrat conclure, décrocher, dénoncer, empocher, emporter, entériner, exécuter, honorer,gocier,
passer, rédiger, remplir, renégocier, résilier, rompre, signer.
Outre la combinaison « verbe transitif direct + nom », nous travaillons également la structure « nom
+ verbe intransitif » :
[12] une flamme vacille
[13] un fleuve gronde
[14] une explosion retentit
[15] l’Histoire bégaye
4.2. Nom + adjectif
La combinaison « nom + adjectif » est probablement l’une des plus productives. On retiendra que les
dictionnaires généraux ne peuvent sanctionner tous ces usages qui relèvent bien souvent de la création
subjective. Comme le dictionnaire des collocations est, avant toute chose, un outil pour produire, il se doit
de reprendre l’ensemble des adjectifs qui accompagnent naturellement les substantifs. Le substantif
« précision » est souvent suivi des adjectifs suivants :
[16] chirurgicale, diabolique, maniaque, mathématique
,
etc.
4.3. Les segments récurrents
Il existe, au-delà des structures binaires que nous venons de voir, des segments récurrents qui répondent
à différents noms selon les spécialistes en la matière. Ces segments enchâssent une base, qui est l’élément
transparent, d’une langue à lautre ou dans sa propre langue, qui nous sert de point de référence pour le
classement dans nos fichiers ou dans notre dictionnaire sur la Toile. Mais prenons le cas de « justice » pour
éclairer notre propos.
Le traducteur qui doit traduire le mot ou le concept espagnol « justicia » pourra s’arranger des trois
structures binaires décrites ci-dessous :
verbe + nom :
[17] justice bafouer, fuir, obtenir, réclamer, rendre, saisir
nom + verbe :
[18] justice trancher
nom + adjectif :
[19] justice clémente, expéditive, réparatrice, sociale, sommaire, spectacle, tardive
Or, bien souvent, le texte exigera l’utilisation de structures plus complexes :
[20] l’exercice de la justice [29] être inquiété par la justice
[21] se frotter à la justice [30] porter une affaire en justice
[22] menacer d’un recours en justice [31] avoir maille à partir avec la justice
[23] échapper à la justice [32] une justice à sens unique
[24] la justice a la main lourde [33] la justice le rattrapera
[25] l’acharnement de la justice [34] des démêlés avec la justice
[26] une obstruction à la justice [35] comparaître devant la justice
[27] être traduit en justice [36] être en délicatesse avec la justice
[28] être blanchi par la justice [37] être épris de justice
4.4. Verbe + complément
De même que certains noms appellent systématiquement un adjectif, de même les verbes, certains plus
que d’autres, sont suivis d’un adverbe ou d’un complément. Une fois de plus, tout est question de
fréquence et, partant, d’usage. Ainsi le verbe « critiquer » se construit-il souvent avec :
[38] critiquer à mots couverts, âprement, durement, machinalement, ouvertement, sèchement, vertement,
vivement.
4.5. Adjectif + nom
Le traducteur doit à l’occasion se raccrocher au terme le plus transparent, une manière de planche de
salut. Or, dans certains cas, cest l’adjectif qui l’aidera à rendre correctement le nom. Il nous souvient du
titre d’un article paru dans le
New York Times
début 2002 : « Nuclear Posture Review ». La consultation
d’un dictionnaire bilingue ne sera pas d’un grand secours en pareil cas.
Et pour cause, ces dictionnaires sont utiles dans l’apprentissage des langues. Or le « traducteur est
supposé les connaître avant que de traduire »
,
selon les termes de Valéry Larbaud (1973 : 88). L’adjectif
français « nucléaire » est souvent précédé du nom « doctrine ». En d’autres termes, « nucléaire » appelle
« doctrine », et l’on parle bien d’une « doctrine nucléaire ». Nous avons donc repris ces adjectifs et les
noms qui les accompagnent systématiquement et qui sont moins transparents, à l’heure de traduire ou de
rédiger, que l’adjectif lui-même.
Les adjectifs espagnols
presupuestario
,
mediático
,
tecnológico
ne posent aucun problème de
traduction : « budgétaire », « médiatique » et « technologique ». En revanche, les noms qui les précèdent
peuvent donner du fil à retordre à moins que l’on ne connaisse ce qui suit :
[39] budgétaire arbitrage, assainissement, austérité, choix, contrainte, coupe, dérapage, discipline,
rallonge, restriction, rigueur, trou ;
[40] médiatique acharnement, battage, conditionnement, couverture, déballage, emballement,
relais, retentissement, sirène, tapage, tintamarre ;
[41] technologique avancée, bijou, bond, fossé, gouffre, innovation, pari, percée, prouesse,
raffinement, retombée, saut, tour de force.
Nous avons donc établi 6 catégories ou combinaisons qui intéresseront tous ceux qui doivent rédiger un
texte en français :
1. verbe + nom
2. nom + verbe
3. nom + adjectif
4. segments récurrents
5. verbe + adverbe ou complément
6. adjectif + nom
4.6 LAtelier, une base de données de collocations
Ces collocations ont été enregistrées, en 2000, dans une base de données
Access
de Microsoft®
installée sur le disque dur de notre ordinateur. À rebours des différents fichiers
Word
où nous consignons
patiemment les collocations que nous glanons de-ci de-là, l’utilisation de cette base de données
Access
permet, à la faveur d’une interface utilisateur réalisée avec
Visual Basic
de Microsoft®, un accès direct et
immédiat aux collocatifs. Cette base de données est en contact direct avec le logiciel
Word
, puisqu’il nous
suffit de cliquer sur un mot d’un texte pour ouvrir la base directement et immédiatement à la bonne fiche.
L’Atelier, nom que nous lui avons attribué, car la langue est notre outil de travail, présente trois onglets
correspondant aux trois bases (substantif, adjectif et verbe) sur lesquelles reposent les six combinaisons
que nous travaillons. Conscient du fait que l’on ne traduit pas que des mots, nous avons ajouté une fenêtre
« analogies » qui propose des chemins de traverse sur la route du sens. Cette base de données, alimentée
régulièrement, tout comme les fichiers
Word
et la version en ligne, est la roue de secours qui nous dépanne
lorsque la connexion à la Toile fait défaut.
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