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Georges Dimitrov, notre inoubliable guide et ami
Par Maurice Thorez
Il y a presque un quart de siècle de cela. Nous étions réunis à Moscou pour une session du Comité
exécutif de l'Internationale communiste. Au cours d'une séance, un homme grand, aux larges épaules,
au visage énergique sous l'abondante chevelure noire, monta à la tribune. C'était Georges Dimitrov. Il
parlait lentement, posément et l'interprète n'avait aucune peine à traduire un discours qui était un
modèle de clarté et de simplicité. J'ai toujours gardé à l'esprit cette image de Dimitrov qui respirait la
force, le calme et la tranquillité. C'est ainsi que je l'avais revu par la suite, dans les entretiens
personnels qu'il voulut bien m'accorder. C'est ainsi que plus tard je me le représentais dans la cellule
où les hitlériens l'avaient jeté, et à la barre de Leipzig, où il apostrophait et faisait baver de rage le
sinistre Gœring. Le monde entier eut alors la révélation de cet homme extraordinaire, de ce militant
ouvrier, digne fils du peuple bulgare en même temps que disciple incomparable de Lénine et de
Staline.
Le fascisme, venu au pouvoir en Allemagne, à la faveur de la division des travailleurs provoquée et
maintenue par la social-démocratie et sa politique de trahison, le fascisme prétendait courber l'Europe
et le monde sous sa loi de sang et de boue. Et voilà que l'humble émigré bulgare, victime de la
monstrueuse provocation montée contre le Parti communiste allemand, se dresse comme l'accusateur
du fascisme. Avec une intelligence, une ténacité, un courage admirable, Dimitrov, seul devant ses
pseudo-juges, démonte le mécanisme de la provocation. Il défend le Parti communiste allemand. Il
exalte l'Union soviétique, son système socialiste. Il se glorifie d'être un ouvrier bulgare, attaché à son
peuple, dont il célèbre la culture millénaire et les hautes traditions nationales. Le communiste
Dimitrov, pétri d'internationalisme, est un patriote exemplaire qui lutte pour l'honneur et
l'indépendance nationale de son peuple bulgare. Le combat héroïque de Dimitrov exalta partout la
volonté de lutte des travailleurs et de tous les antifascistes. Sa victoire sur le tribunal de Leipzig fut
une victoire du mouvement ouvrier international et de toutes les forces de la démocratie dans le
monde.
Avec quelle émotion je devais saluer quelques mois plus tard notre cher Dimitrov, dans le sanatorium
près de Moscou où il se remettait des dures épreuves de la captivité et du procès. Il lui avait fallu
dépenser une somme incalculable d'énergie. Sa santé en fut ébranlée. Pourtant, je retrouvai Dimitrov
aussi souriant, affable et bienveillant. Il était la bonté même. A peine délivré de ses chaînes, à peine
arrivé sur le sol de l'Union soviétique, et sans pouvoir se résigner au repos nécessaire, il s'informait de
l'état du mouvement ouvrier international, du progrès de l'unité ouvrière antifasciste. Il m'interrogeait
sur la situation en France. Nous étions en pleine bataille contre les premières manifestations fascistes.
Nous avions riposté par les grandioses manifestations des 9 et 12 février 1934. Dimitrov s'en
réjouissait. Nous faisions face également à la tentative du traître Doriot de saper de l'intérieur la lutte
des travailleurs de France sous la direction de notre Parti communiste. Dimitrov me dit : « Doriot n'a
pas confiance dans la classe ouvrière. Il est impressionné par la victoire du fascisme en Allemagne. Il
croit que le fascisme viendra aussi en France. Il se dépêche de donner des gages à l'ennemi. Mais il se
trompe. C'est à la classe ouvrière, c'est au communisme que l'avenir appartient. » La suite des
événements confirma brillamment les prévisions de Dimitrov et justifia entièrement son inébranlable
confiance dans les forces et dans la capacité de la classe ouvrière de France et des autres pays.
Le VIIecongrès de l'Internationale communiste se tint l'année suivante. Ce congrès fut dominé par
l'inoubliable figure de Georges Dimitrov. En stalinien accompli, Dimitrov formula notre programme
de lutte contre le fascisme et contre la guerre. Il appela les communistes à l'effort patient et tenace
pour refaire, malgré et contre les chefs traîtres de la social-démocratie, l'unité de la classe ouvrière et
pour asseoir sur cette unité prolétarienne, le front populaire antifasciste. Dimitrov s'était intéressé très
vivement à l'initiative de notre Parti, inspirateur et organisateur du Front Populaire. Il l'avait donné en
exemple. Il avait toutefois recommandé de consolider notre Front Populaire par l'élection
démocratique de comités larges dans les usines, les quartiers et les villages, et de le défendre ainsi
contre les attaques de l'extérieur et contre les entreprises intérieures de désagrégation. Nous ne
parvînmes pas à faire élire partout de tels comités ; le Front Populaire, quoique s'appuyant sur le
mouvement des masses, demeura surtout uni par le sommet.