Envenimations 188
Introduction
En zone intert ropicale, toute morsure de serpent est à consi-
dérer comme grave. En effet, les serpents exotiques sont
caractérisés par la puissance de leur venin et leur abondance.
Les morsures de serpent constituent un problème de santé
p u b l i q u e; à l’échelon mondial, plus de 5 millions de personnes
en sont victimes avec 50000 décès par an et 400000 cas d’am-
putation (2). Au Gabon, l’incidence et la gravité des morsure s
de serpent sont sous-estimées, voire inconnues. Dans la région
du Haut Ogooué, on relève une morsure tous les 4 jours, soit
en moyenne 91 par an, et les décès ne sont pas rares. Entre1 9 5 0
e t 1951, au Gabon, 19 cas mortels étaient recensés, 37 au
Congo et 16 au Tchad (3).
À partir d’une étude rétrospective effectuée au Centre hos-
pitalier de Libreville, portant sur 157 patients admis en oxyo-
logie pour morsure de serpent entre1998 et2001, les auteurs
ont voulu évaluer l’incidence, la morbidiet la létalide
cette pathologie circonstancielle et définir les principes de sa
prise en charge.
C a d r e géographique et types de serpents
Au Gabon, il existe 9 gions. La gion de l’Estuaire située
à l’ouest du Gabon est celle qui a été choisie pour réali-
ser cette étude.
Comme dans tous les autres pays avoisinants, les genres de
serpents rencontrés au Gabon sont Bitis, Echis, Naja e t
D e n d ro a s p i s .
Bitis gabonica (vipère du Gabon)
Il s’agit de la plus grande et la plus grosse des espèces du
g e n re. La tête est claire avec une ligne diane sombre. La ligne
vertébrale comporte des tâches rectangulaires claires et fon-
cées en aile de papillon. On la re n c o n t re en zone fore s t i è re ou
en clairière.
Dendroaspis viridis (serpent des bananiers) ou
mamba vert
C’est un serpent long et mince (2,50 m). Le dessus du corps
et de la tête est vert avec une tache brune en V renversé au
Analyse des envenimations par morsures
de serpent au Gabon.
Summary: Analysis of venom poisoning by snakebites in Gabon.
In tropical zones, snakebites are considered serious. Exotic snakes are characterised by the poiso -
nousness of their venom and its abundance. Death is rapid in some cases and in others the sequelae
are serious. Worldwide, there are more than 5 million victims per year, with 50 000 deaths registe -
red and 400 000 amputations. The frequency and severity of snakebites in Gabon remain unknown.
It is estimated that there is an average of one snakebite every 4 days, thus some 91 snakebites per
y e a r. Through a study carried out at the Libreville Hospital, we evaluated the frequency, severity, and
fatality of this circumstantial pathology. A retrospective study conducted on 157 patients admitted
for snakebite at the Intensive Care Unit of the Libreville Hospital was carried out between 1998 and
2001. 1.32% of all admissions were for snakebites. Signs of venom poisoning were observed in 27
patients (17%), v e r s u s 130 cases without envenomation. The majority of cases were in adults (78%)
and children affected (22%) were aged mainly 6-14 years. The snakebite season usually coincided
with the rainy season. During this period, 19 cases were registered. Snakebites occurred during the
daytime (93%), in the fields in 20 cases (75%) or in the home courtyard (25%). The victims lived in
town in 25 cases (93%). Antivenom was used in all envenomation cases, and the result was favou -
rable in 23 cases (18%) but unfavourable in 4 (15%) .
Résumé :
L’incidence et la gravité des morsures de serpent au Gabon restent encore inconnues. On estime
qu’il y a en moyenne une morsure tous les 4 jours, soit 91 morsures par an. À partir d’une étude
réalisée au Centre hospitalier de Libreville, nous avons voulu évaluer l’incidence, la morbidité et la
létalité de cette pathologie circonstancielle. Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 157
patients admis en oxyologie pour morsure de serpent et menée au Centre hospitalier de Libreville
entre 1998 et 2001. Globalement, les morsures de serpent représentent 1,32 % de toutes les
admissions. Les signes d’envenimation ont été observés chez 27 patients (17 %), contre 130 cas
sans envenimation. Les adultes constituent les principales victimes (21 cas, soit 77 %); le nombre
d’enfants, en particulier dans la tranche d’âge de 6 à 14 ans, est de 6 cas. La saison de la morsure
est très souvent la saison de pluie durant laquelle 19 cas ont été enregistrés. La morsure survient le
jour dans 25 cas. Le lieu de la morsure est, dans 20 cas, le champ et la cour du domicile dans 7 cas.
La population concernée par la morsure est, dans 25 cas, une population urbaine ayant des activi -
tés rurales. Le sérum antivenimeux a été utilisé dans tous les cas d’envenimation et l’évolution a été
favorable dans 23 cas (85 %).
R. Tchoua (1), A. O. Raouf (1), A. Ogandaga (1), C. Mouloungui (1),
J.-B. Mbanga Loussou (1), M. Kombila (2) & D. Ngaka Nsafu (1)
1.Service de réanimation et urgences, Centre hospitalier de Libreville, B. P. 2 228,Libreville, Gabon ([email protected]).
2.Département de parasitologie-mycologie, Faculté de médecine et des sciences de la santé, B. P. 4 009,Libreville, Gabon.
snakebite
envenomation
reanimation
Gabon
Sub-Saharan Africa
morsure de serpent
envenimation
réanimation
Gabon
Afrique intertropicale
Bull Soc Pathol Exot, 2002, 95, 3, 188-190 189
niveau du cou. Ils sont fréquemment rencontrés en forêt, mais
aussi en savane.
Dendroaspis polylepis ou mamba noir
Cette espèce est plus longue (4m) que les précédentes et re n-
contrée en savane. Fréquente en Afrique de l’Est et du Sud,
sa présence en Afrique centrale est, en fait, douteuse. L’ap-
pellation vern a c u l a i re “mamba noir p o u rrait désigner un
a u t r e serpent venimeux de couleur sombre: Naja, Paranaja o u
Pseudohaje(1).
Patients et méthodes
Description du service
L’étude s’est déroulée dans le Service d’oxyologie du Centre
hospitalier de Libreville, dirigé par un médecin anesthésiste-
réanimateur. L’équipe médicale est constituée de 6 médecins
généralistes, 6 internes de médecine générale et de 22 infir-
mières.
La capacité d’accueil de ce service est de 11 malades répartis
de la manière suivante:
- 5 boxes de mise en observation,
- 4 lits d’hospitalisation de courte durée,
- 2 lits de déchocage avec tout le matériel de monitorage et de
traitement des détresses vitales.
Le service comprend également une salle de petite chirurgie.
Patients
Tous les dossiers de patients mordus par un serpent et hospi-
talisés dans le service d’oxyologie au cours de la période allant
d ’ a v r i l 1998 à avril2001, soit 3 ans, étaient inclus dans l’étude.
Il faut souligner que tous les cas de morsures de serpent surv e n u s
à cette période ne sont pas inclus dans cette série, car plusieurs
d ’ e n t r e eux ont été soignés par les guérisseurs ou tradiprati-
ciens. De plus, un certain nombre de dossiers n’ont pas été pris
en compte du fait de l’absence partielle ou totale des données
épidémiologiques, cliniques ou thérapeutiques.
Les signes d’envenimation recherchés étaient: l’œdème et la
douleur (syndrome local), les signes digestifs, l’hémorragie, la
nécrose, le choc ou le coma.
Méthode
Nous avons étudié les caractéristiques socio-démographiques
(âge, sexe, lieu de l’accident, saison, moment de la morsure,
espèce en cause), la localisation de la morsure, le délai moyen
d’admission à l’hôpital, le type d’envenimation et la gravité,
le traitement institué et l’évolution.
Résultats
Au cours de la période de l’étude, 157 patients ont été admis
pour morsure de serpent (1,32% des admissions); parm i
ces patients, 27 (17 %) étaient considérés comme envenimés et
présentaient au moins l’un des signes re c h e rc h é s .
Données socio-démographiques
Prévalence des cas de morsures de serpents de 1998 à 2001
L’évolution de la prévalence des cas de morsures enregistrés
et hospitalisés en oxyologie de 1998 à 2001 montre, au cours
de la 2e année, une augmentation du nombre de cas. Par contre ,
le nombre de cas d’envenimation reste constant, avec en
moyenne 9 cas d’envenimation par an (figure 1).
Répartition selon âge et sexe
L’analyse par tranche d’âge fait apparaître une égalité entrele
n o m b re d’hommes et de femmes, mais également une prédo-
minance de cas chez les sujets jeunes, les adolescents et les
jeunes adultes actifs (21 adultes) et 6 cas d’enfants âgés de 6 à
14 ans (figure 2).
Lieu de la morsure
La majorité des morsures surviennent aux champs (29%) aux
alentours de la capitale, 15 % des cas à domicile dont 6 % à
l’intérieur de la maison. Dans la moitié des dossiers, le lieu de
la morsure n’est pas précisé (56 %).
Moment de la morsure
La majorité des envenimations (70%) sont survenues en sai-
son des pluies. Tous les cas de morsures inclus dans notre
série se sont produits la nuit.
Espèce en cause
Dans notre série, 14 fois sur 27, le serpent agresseur a été
décrit comme un serpent noir, sans autre précision.
Aspects cliniques
Localisation de la morsure
La morsure est toujours périphérique, le membre inférieur
est le plus souvent atteint et c’est presque toujours le pied qui
est concerné avec 70 % des cas; la jambe est atteinte dans
1 9% des morsures, le bras dans 4 % et l’avant-bras dans 7 % .
Délai d’arrivée à l’hôpital
Le délai n’est pas précisé dans 23 % des cas; dans 43 % des
cas, le délai est inférieur à 3 heures et, dans 34 % des cas, de
plus de 3 heures, voire plusieurs jours.
Figure 1.
Figure 2.
Prévalence des morsures de serpent.
Prévalence of snakebites.
Répartition selon l’âge et le sexe.
Distribution according to age and sex.
Envenimations 190
R. Tchoua,A. O. Raouf, A. Ogandaga et al.
Type d’envenimation
Dans l’ensemble de notre série, nous avons relevé des signes
locaux et des signes généraux.
Le syndrome local, dans 18 cas (66 %), était constitué d’un
œdème avec une douleur vive et une impotence fonctionnelle.
Les traces de morsure, présentes sous forme de cro c h e t s ,
étaient facilement reconnaissables lorsqu’il existait un sai-
gnement au niveau de la plaie. Dans notre série, nous en avons
relevé 10 sur les 27 observés. Une nécrose localisée a été obser-
vée une seule fois.
Les signes digestifs à type de vomissements et diarrhées (22%
des cas) étaient peu intenses avec asthénie et sans signes de
déshydratation. Une morragie a été observée dans deux
cas; les patients étaient porteurs d’un garrot. Le bilan biolo-
gique ne montrait aucune perturbation en dehors d’une thro m-
bopénie à 12000 par mm3chez un patient.
Un patient évacué de l’intérieur du pays présentait un état de
choc à l’admission.
Aspects thérapeutiques
Le traitement institué était fonction du tableau clinique.
Tous les patients ont reçu la sérothérapie antivenimeuse (SAV ) ,
le type de sérum et la dose n’étaient pas précisés, une corti-
cothérapie ainsi qu’un antalgique de niveau 1 (paracétamol).
La sérothérapie antitétanique a été réalisée dans 25 cas et sui-
vie d’une vaccinothérapie dans six cas. Un anticoagulant a été
administré dans 17 cas, ainsi qu’une antibiothérapie.
Il n’y avait aucun cas chirurgical.
Évolution et complications
Au total, sur 27 cas, nous avons obtenu 24 évolutions favo-
rables, 2 complications à type d’insuffisance rénale aiguë et 1
décès chez un jeune de 19 ans mordu au niveau du gros ort e i l .
Ce dernier a consulté 3h e u res après la morsure avec un tableau
digestif important qui a rapidement évolué vers un coma avec
déficit moteur gauche et troubles sphinctériens. Le décès est
s u rvenu 24 h e u res après son admission, probablement consé-
cutif à une hémorragie cérébro-méningée.
Discussion
La plupart des victimes sont des sujets jeunes, avec une
f o rte incidence en saison des pluies entre les mois de
n o v e m b re et avril. L’identification du serpent est très diff i-
cile car la plupart de ces morsures ont lieu la nuit et qu’il est
alors difficile de voir le serpent.
Le syndrome cobraïque (atteinte re s p i r a t o i re) n’a pas été
o b s e rdans cette série; il est possible que ce type de patients
décèdent avant leur arrivée à l’hôpital. Le syndrome vipérin
apparaît comme le plus fréquent.
La sérothérapie antivenimeuse et le traitement symptoma-
tique dans les formesnignes étaient suivis d’un taux de gué-
rison de 85%. Dans les formes graves, des complications à type
d ’ i n s u f fisance rénale et de troubles neurologiques par hémor-
ragie cérébro-méningée probable peuvent surv e n i r, d’où l’in-
térêt d’une surveillance rapprochée et continue pendant les 24
p re m i è r es heures dans un service permettant cette surv e i l l a n c e .
Conclusion
Si, en milieu rural, la phytopharmacopée constitue l’essen-
tiel du traitement, en milieu urbain, le contexte écono-
mique impose de réduire le coût du traitement en offrant aux
victimes de morsures de serpent un traitement adapté. Celui-
ci doit être centré sur l’immunothérapie antivenimeuse et sur
le traitement symptomatique des troubles inflammatoire s
(douleur, œdème, nécrose) ou des troubles hémorragiques.
Références bibliographiques
1 . C H I P PA U XJP Les serpents d’Afrique occidentale et centrale. coll.
Faune et flore tropicale n°35, IRD, Paris, 2001 (2è m e éd.), 292 pp.
2. MIONG & OLIVEF – Les envenimations par vipéridés en Afrique
Noire. In: SAISSY JM (Ed.), Réanimation Tropicale, Arnette, Paris,
1997, pp. 349-366.
3. SWAROOP S & GRAB B – Snakebite mortality in the world. Bull
Org Mond Santé, 1954, 10, 35-76.
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