Analyse des envenimations par morsures de serpent au Gabon. R. Tchoua (1), A. O. Raouf (1), A. Ogandaga (1), C. Mouloungui (1), J.-B. Mbanga Loussou (1), M. Kombila (2) & D. Ngaka Nsafu (1) 1.Service de réanimation et urgences, Centre hospitalier de Libreville, B. P. 2 228,Libreville, Gabon ([email protected]). 2.Département de parasitologie-mycologie, Faculté de médecine et des sciences de la santé, B. P. 4 009,Libreville, Gabon. Summary: Analysis of venom poisoning by snakebites in Gabon. In tropical zones, snakebites are considered serious. Exotic snakes are characterised by the poiso nousness of their venom and its abundance. Death is rapid in some cases and in others the sequelae are serious. Worldwide, there are more than 5 million victims per year, with 50 000 deaths registe red and 400 000 amputations. The frequency and severity of snakebites in Gabon remain unknown. It is estimated that there is an average of one snakebite every 4 days, thus some 91 snakebites per year. Through a study carried out at the Libreville Hospital, we evaluated the frequency, severity, and fatality of this circumstantial pathology. A retrospective study conducted on 157 patients admitted for snakebite at the Intensive Care Unit of the Libreville Hospital was carried out between 1998 and 2001. 1.32% of all admissions were for snakebites. Signs of venom poisoning were observed in 27 patients (17%), versus 130 cases without envenomation. The majority of cases were in adults (78%) and children affected (22%) were aged mainly 6-14 years. The snakebite season usually coincided with the rainy season. During this period, 19 cases were registered. Snakebites occurred during the daytime (93%), in the fields in 20 cases (75%) or in the home courtyard (25%). The victims lived in town in 25 cases (93%). Antivenom was used in all envenomation cases, and the result was favou rable in 23 cases (18%) but unfavourable in 4 (15%). snakebite envenomation reanimation Gabon Sub-Saharan Africa Résumé : L’incidence et la gravité des morsures de serpent au Gabon restent encore inconnues. On estime qu’il y a en moyenne une morsure tous les 4 jours, soit 91 morsures par an. À partir d’une étude réalisée au Centre hospitalier de Libreville, nous avons voulu évaluer l’incidence, la morbidité et la létalité de cette pathologie circonstancielle. Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 157 patients admis en oxyologie pour morsure de serpent et menée au Centre hospitalier de Libreville entre 1998 et 2001. Globalement, les morsures de serpent représentent 1,32 % de toutes les admissions. Les signes d’envenimation ont été observés chez 27 patients (17 %), contre 130 cas sans envenimation. Les adultes constituent les principales victimes (21 cas, soit 77 %); le nombre d’enfants, en particulier dans la tranche d’âge de 6 à 14 ans, est de 6 cas. La saison de la morsure est très souvent la saison de pluie durant laquelle 19 cas ont été enregistrés. La morsure survient le jour dans 25 cas. Le lieu de la morsure est, dans 20 cas, le champ et la cour du domicile dans 7 cas. La population concernée par la morsure est, dans 25 cas, une population urbaine ayant des activi tés rurales. Le sérum antivenimeux a été utilisé dans tous les cas d’envenimation et l’évolution a été favorable dans 23 cas (85 %). morsure de serpent envenimation réanimation Gabon Afrique intertropicale Introduction Cadre géographique et types de serpents E A n zone intertropicale, toute morsure de serpent est à considérer comme grave. En effet, les serpents exotiques sont caractérisés par la puissance de leur venin et leur abondance. Les morsures de serpent constituent un problème de santé publique ; à l’échelon mondial, plus de 5 millions de personnes en sont victimes avec 50 000 décès par an et 400 000 cas d’amputation (2). Au Gabon, l’incidence et la gravité des morsures de serpent sont sous-estimées, voire inconnues. Dans la région du Haut Ogooué, on relève une morsure tous les 4 jours, soit en moyenne 91 par an, et les décès ne sont pas rares. Entre 1950 et 1951, au Gabon, 19 cas mortels étaient recensés, 37 au Congo et 16 au Tchad (3). À partir d’une étude rétrospective effectuée au Centre hospitalier de Libreville, portant sur 157 patients admis en oxyologie pour morsure de serpent entre 1998 et2001, les auteurs ont voulu évaluer l’incidence, la morbidité et la létalité de cette pathologie circonstancielle et définir les principes de sa prise en charge. Envenimations u Gabon, il existe 9 régions. La région de l’Estuaire située à l’ouest du Gabon est celle qui a été choisie pour réaliser cette étude. Comme dans tous les autres pays avoisinants, les genres de serpents rencontrés au Gabon sont Bitis, Echis, Naja e t Dendroaspis. Bitis gabonica (vipère du Gabon) Il s’agit de la plus grande et la plus grosse des espèces du genre. La tête est claire avec une ligne médiane sombre. La ligne vertébrale comporte des tâches rectangulaires claires et foncées en aile de papillon. On la rencontre en zone forestière ou en clairière. Dendroaspis viridis (serpent des bananiers) ou mamba vert C’est un serpent long et mince (2,50 m). Le dessus du corps et de la tête est vert avec une tache brune en V renversé au 188 niveau du cou. Ils sont fréquemment rencontrés en forêt, mais aussi en savane. Figure 1. Prévalence des morsures de serpent. Prévalence of snakebites. Dendroaspis polylepis ou mamba noir Cette espèce est plus longue (4 m) que les précédentes et rencontrée en savane. Fréquente en Afrique de l’Est et du Sud, sa présence en Afrique centrale est, en fait, douteuse. L’appellation vernaculaire “mamba noir” pourrait désigner un autre serpent venimeux de couleur sombre : Naja, Paranaja ou Pseudohaje (1). Patients et méthodes Description du service L’étude s’est déroulée dans le Service d’oxyologie du Centre hospitalier de Libreville, dirigé par un médecin anesthésisteréanimateur. L’équipe médicale est constituée de 6 médecins généralistes, 6 internes de médecine générale et de 22 infirmières. La capacité d’accueil de ce service est de 11 malades répartis de la manière suivante : - 5 boxes de mise en observation, - 4 lits d’hospitalisation de courte durée, - 2 lits de déchocage avec tout le matériel de monitorage et de traitement des détresses vitales. Le service comprend également une salle de petite chirurgie. Répartition selon âge et sexe L’analyse par tranche d’âge fait apparaître une égalité entrele nombre d’hommes et de femmes, mais également une prédominance de cas chez les sujets jeunes, les adolescents et les jeunes adultes actifs (21 adultes) et 6 cas d’enfants âgés de 6 à 14 ans (figure 2). Figure 2. Répartition selon l’âge et le sexe. Distribution according to age and sex. Patients Tous les dossiers de patients mordus par un serpent et hospitalisés dans le service d’oxyologie au cours de la période allant d’avril 1998 à avril 2001, soit 3 ans, étaient inclus dans l’étude. Il faut souligner que tous les cas de morsures de serpent survenus à cette période ne sont pas inclus dans cette série, car plusieurs d’entre eux ont été soignés par les guérisseurs ou tradipraticiens. De plus, un certain nombre de dossiers n’ont pas été pris en compte du fait de l’absence partielle ou totale des données épidémiologiques, cliniques ou thérapeutiques. Les signes d’envenimation recherchés étaient: l’œdème et la douleur (syndrome local), les signes digestifs, l’hémorragie, la nécrose, le choc ou le coma. Méthode Nous avons étudié les caractéristiques socio-démographiques (âge, sexe, lieu de l’accident, saison, moment de la morsure, espèce en cause), la localisation de la morsure, le délai moyen d’admission à l’hôpital, le type d’envenimation et la gravité, le traitement institué et l’évolution. Résultats A u cours de la période de l’étude, 157 patients ont été admis pour morsure de serpent (1,32 % des admissions) ; parmi ces patients, 27 (17 %) étaient considérés comme envenimés et présentaient au moins l’un des signes recherchés. Données socio-démographiques Prévalence des cas de morsures de serpents de 1998 à 2001 L’évolution de la prévalence des cas de morsures enregistrés et hospitalisés en oxyologie de 1998 à 2001 montre, au cours de la 2e année, une augmentation du nombre de cas. Par contre, le nombre de cas d’envenimation reste constant, avec en moyenne 9 cas d’envenimation par an (figure 1). Bull Soc Pathol Exot, 2002, 95, 3, 188-190 Lieu de la morsure La majorité des morsures surviennent aux champs (29 %) aux alentours de la capitale, 15 % des cas à domicile dont 6 % à l’intérieur de la maison. Dans la moitié des dossiers, le lieu de la morsure n’est pas précisé (56 %). Moment de la morsure La majorité des envenimations (70%) sont survenues en saison des pluies. Tous les cas de morsures inclus dans notre série se sont produits la nuit. Espèce en cause Dans notre série, 14 fois sur 27, le serpent agresseur a été décrit comme un serpent noir, sans autre précision. Aspects cliniques Localisation de la morsure La morsure est toujours périphérique, le membre inférieur est le plus souvent atteint et c’est presque toujours le pied qui est concerné avec 70 % des cas ; la jambe est atteinte dans 19 % des morsures, le bras dans 4 % et l’avant-bras dans 7 %. Délai d’arrivée à l’hôpital Le délai n’est pas précisé dans 23 % des cas; dans 43 % des cas, le délai est inférieur à 3 heures et, dans 34 % des cas, de plus de 3 heures, voire plusieurs jours. 189 R. Tchoua,A. O. Raouf, A. Ogandaga et al. Type d’envenimation Dans l’ensemble de notre série, nous avons relevé des signes locaux et des signes généraux. Le syndrome local, dans 18 cas (66 %), était constitué d’un œdème avec une douleur vive et une impotence fonctionnelle. Les traces de morsure, présentes sous forme de crochets, étaient facilement reconnaissables lorsqu’il existait un saignement au niveau de la plaie. Dans notre série, nous en avons relevé 10 sur les 27 observés. Une nécrose localisée a été observée une seule fois. Les signes digestifs à type de vomissements et diarrhées (22 % des cas) étaient peu intenses avec asthénie et sans signes de déshydratation. Une hémorragie a été observée dans deux cas; les patients étaient porteurs d’un garrot. Le bilan biologique ne montrait aucune perturbation en dehors d’une thrombopénie à 12 000 par mm3 chez un patient. Un patient évacué de l’intérieur du pays présentait un état de choc à l’admission. Aspects thérapeutiques Le traitement institué était fonction du tableau clinique. Tous les patients ont reçu la sérothérapie antivenimeuse (SAV), le type de sérum et la dose n’étaient pas précisés, une corticothérapie ainsi qu’un antalgique de niveau 1 (paracétamol). La sérothérapie antitétanique a été réalisée dans 25 cas et suivie d’une vaccinothérapie dans six cas. Un anticoagulant a été administré dans 17 cas, ainsi qu’une antibiothérapie. Il n’y avait aucun cas chirurgical. Évolution et complications Au total, sur 27 cas, nous avons obtenu 24 évolutions favorables, 2 complications à type d’insuffisance rénale aiguë et 1 décès chez un jeune de 19 ans mordu au niveau du gros orteil. Ce dernier a consulté 3 heures après la morsure avec un tableau digestif important qui a rapidement évolué vers un coma avec déficit moteur gauche et troubles sphinctériens. Le décès est survenu 24 heures après son admission, probablement consécutif à une hémorragie cérébro-méningée. Envenimations Discussion L a plupart des victimes sont des sujets jeunes, avec une forte incidence en saison des pluies entre les mois de novembre et avril. L’identification du serpent est très difficile car la plupart de ces morsures ont lieu la nuit et qu’il est alors difficile de voir le serpent. Le syndrome cobraïque (atteinte respiratoire) n’a pas été observé dans cette série ; il est possible que ce type de patients décèdent avant leur arrivée à l’hôpital. Le syndrome vipérin apparaît comme le plus fréquent. La sérothérapie antivenimeuse et le traitement symptomatique dans les formes bénignes étaient suivis d’un taux de guérison de 85 %. Dans les formes graves, des complications à type d’insuffisance rénale et de troubles neurologiques par hémorragie cérébro-méningée probable peuvent survenir, d’où l’intérêt d’une surveillance rapprochée et continue pendant les 24 premières heures dans un service permettant cette surveillance. Conclusion S i, en milieu rural, la phytopharmacopée constitue l’essentiel du traitement, en milieu urbain, le contexte économique impose de réduire le coût du traitement en offrant aux victimes de morsures de serpent un traitement adapté. Celuici doit être centré sur l’immunothérapie antivenimeuse et sur le traitement symptomatique des troubles inflammatoires (douleur, œdème, nécrose) ou des troubles hémorragiques. Références bibliographiques 1. 2. 3. CHIPPAUX JP – Les serpents d’Afrique occidentale et centrale. coll. Faune et flore tropicale n°35, IRD, Paris, 2001 (2ème éd.), 292 pp. MIONG & OLIVEF – Les envenimations par vipéridés en Afrique Noire. In: SAISSY JM (Ed.), Réanimation Tropicale, Arnette, Paris, 1997, pp. 349-366. SWAROOP S & GRAB B – Snakebite mortality in the world. Bull Org Mond Santé, 1954, 10 , 35-76. 190