Le Figaro 8 juin 2012 - Petits pas et langue des cygnes

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Petits pas et langue des cygnes
Par Ariane BAVELIER
Publié le 08/06/2012
Pour construire le spectacle, les danseuses ont
observé et tissé des liens avec les cygnes depuis leur
naissance. Crédits photo : Luc Petton
Luc Petton présente « Swan », chorégraphie
pour huit oiseaux et six danseuses, au Théâtre de
Chaillot.
Luc Petton est un Papageno new age qui aurait lu
Konrad Lorenz. Fan d'arts martiaux, émule d'Alwin
Nikolaïs et chorégraphe depuis 1986, il s'est taillé
un chemin de gloire dans le maquis de la danse
lorsqu'il a commencé à marier sa passion d'ornithologue avec son savoir des gestes et des corps. En 2004, il a créé
La Confidence des oiseaux en mettant en scène des danseurs et des oiseaux des champs, récupérés des nids tombés
au bord des routes lors des élagages de printemps.
Le succès donnant des ailes, il a rêvé Swan : «Une pièce sur la dualité noir et blanc et un hommage au Lac des
Cygnes. J'avais des milliers d'idées sur ce thème, qu'on a dû complètement revoir», dit Luc Petton qui signe la
chorégraphie avec Marilén Iglesias-Breuker. «Il me semblait finalement plus intéressant de montrer sur scène ce
qui s'est passé en répétitions: l'animalité de l'être humain plutôt que la femme éthérée.»
À Chaillot, les cygnes ont des loges en arrière-scène: une pour les blancs, l'autre pour les noirs, avec piscine
intégrée. Des néons recréent la lumière du jour pour que le noir du théâtre ne les déstabilise pas. Ils y sont arrivés
en limousine spéciale, insonorisée, ventilée et climatisée. Ce sont des stars: voilà deux ans que les danseuses ont
assisté à l'éclosion de leurs œufs pour les imprégner de leur présence, deux ans aussi qu'elles tissent un dialogue
avec eux, attentives à l'évolution de leur caractère. À 7 mois, leur adolescence les révèle orgueilleux ou colériques.
Il faut alors jouer la carte du tendre car ils recherchent la caresse et l'étreinte.
«Le cygne a un comportement très différent des oiseaux qui volent. Grâce à sa taille, il ne fuit pas, il affronte. Il
apprend moins vite que les corvidés, mais il a une mémoire immense et une grande acuité visuelle», précise Luc
Petton. Longtemps, les danseuses ont travaillé pour exécuter mouvements rapides et changements de direction sans
que les oiseaux se sentent attaqués. Elles ont aussi appris les codes des cygnes pour communiquer avec eux. «Les
cygnes ne chantent pas ou peu, ils s'expriment avec leur cou, leurs plumes et leurs déplacements: un cygne
interloqué se fige, et regarde de côté. Un cygne inquiet gonfle ses plumes pour occuper plus de volume. Un cygne
qui décompresse s'ébroue et bat des ailes», ajoute Luc Petton.
Pour construire le spectacle, les danseuses ont appris à marcher en se dandinant, à lever les fesses, à onduler des
bras et des jambes, comme le cygne ondule du col. Et attirer le cygne vers elles en le gavant de friandises.
À Chaillot, la première s'est passée sans dérapage. Les cygnes ont eu peur de l'immense noir au-dessus des
spectateurs: ils ne se sont pas envolés. Ils se sont à peine battus: juste un coup de bec de Castor agacé à Pollux. Ils
ont bien voulu nager dans la rivière de 40 cm d'eau qui coule en fond de scène. À la fin, ils ont écourté leur séance
de claquettes sous la pluie. Faudrait pas les prendre pour Gene Kelly quand même!
Théâtre de Chaillot, jusqu'au 14 juin, puis tournée en France.
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