L`expérience missionnaire et le fait colonial en Martinique (1760

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Préface
L’édit de mars 1685 qui définit le cadre réglementaire de ce qui deviendra ultérieurement le Code noir, se fixe pour objectif de « maintenir la discipline de l’Eglise catholique, apostolique et romaine ». Les six premiers
articles portent sur le respect des rites, des œuvres et des sacrements de la
dite Eglise aux colonies ; baptême et instruction religieuse, repos du
dimanche.
La présence missionnaire aux colonies, à cette époque, est conséquente.
Les pères Dutertre et Labat comptent parmi les premiers chroniqueurs de la
nouvelle société coloniale des îles. La cérémonie du baptême est pour les
déportés africains la matrice d’une identité nouvelle, où la symbolique chrétienne réinvestit des éléments disparates des cultures d’origine. Le récent
travail de Vincent Cousseau sur l’anthroponymie de la Martinique (Prendre
nom aux Antilles) rend compte de ces jeux identitaires. Le quadrillage
paroissial se met en place, chaque paroisse étant desservie par un curé désigné par un ordre religieux (dominicains, jésuites, capucins). Là où le peuplement se fait plus dense, il y a plusieurs desservants, et l’un d’eux est
spécialisé dans l’évangélisation des esclaves ; c’est le « curé des noirs ».
Certes, par rapport à cet élan initial, l’empreinte religieuse se relâche au
fur et à mesure que la vocation fondamentalement commerciale et utilitaire
de l’établissement esclavagiste s’affirme, au début du XVIIIe siècle. Le monopole religieux et les cadres territoriaux bien installés, les considérations
matérielles l’emportent sur les préoccupations pastorales ; gestion des habitations conventuelles sur lesquelles sont employés un grand nombre d’esclaves, exemption de taxes, spéculations financières sur les terrains
appartenant aux ordres.
Est-ce pour cette raison que l’historiographie n’a pas toujours accordé
au fait religieux aux colonies à l’époque moderne l’attention que lui portaient les contemporains? En utilisant par ailleurs les termes « fait religieux » ou « sentiment religieux », plutôt que « Eglise catholique » ou
« clergé missionnaire », nous prenons en compte les évolutions constatées
dans le champ de l’histoire religieuse, de l’histoire institutionnelle, puis
sociale, vers l’anthropologie.
Pour la Martinique, les travaux pionniers sont ceux de l’abbé Joseph
Rennard, après la Seconde Guerre mondiale (Histoire religieuse des Antilles
françaises, des origines à 1914), mais ils font encore la part belle à l’histoire
institutionnelle. Puis une série d’études, parmi lesquelles on retiendra plus
particulièrement Gabriel Debien, Antoine Gisler (L’esclavage aux Antilles
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CÉCILIA ELIMORT
françaises), et Alphonse Quenum (Les Eglises chrétiennes et la traite atlantique), vont rendre compte de la christianisation des esclaves, tandis que
Laënnec Hurbon appréhende le phénomène religieux sur l’ensemble de l’espace caraïbe, et dans la longue durée. Les histoires de la Martinique aux
XVIIe et XVIIIe siècles (Léo Elizabeth, Liliane Chauleau, Armand Nicolas) présentent l’institution religieuse comme un prisme de la société qui l’englobe.
C’est également sous cet angle que Bernard David étudie la paroisse de
Case-Pilote. Il commence cette monographie en 1760, à la même date que
le travail de Cecilia Elimort, qui s’efforce pour sa part de tenir compte de
l’ensemble de l’île, mais sur une durée plus restreinte, puisqu’elle s’arrête au
seuil du bouleversement révolutionnaire.
Le présent ouvrage n’est donc pas une compilation d’études antérieures, mais une contribution originale, appuyée sur un corpus conséquent.
Il est le fruit de deux années de recherches à l’Université Paris1 PanthéonSorbonne, dans le cadre du master « Histoire et anthropologie des mondes
médiévaux et modernes ».
La Guerre de Sept Ans marque un tournant, point d’aboutissement de
la phase de mise en place des cadres institutionnels, et reconfiguration de
ceux-ci par la remise en cause de la place des Jésuites. Les documents en
provenance des archives jésuites de la communauté de Vanves permettent de
dresser un bilan de l’expérience missionnaire dans la période antérieure, et
de suivre les méandres de l’affaire qui conduit à la disparition de l’ordre en
1763. Ces documents ont ainsi pu être croisés avec ceux des Archives nationales, la correspondance administrative de la série C8, et le fonds Moreau
de Saint-Méry. Pour les ressources locales, l’exploitation des actes notariés
et des listes des recensements, très lacunaires, qui se trouvent aux ANOM
d’Aix-en-Provence, a été bien approfondie par le dépouillement des
registres paroissiaux aux Archives départementales de la Martinique. Enfin,
ces registres, bien tenus pour les blancs et les libres de couleur, ont été complétés par des sondages dans les comptes d’habitations pour les esclaves, les
actes du Conseil Souverain portant sur les écoles et la police.
La première partie traite de la recomposition des allégeances, dans la
période d’émergence des Empires. La société coloniale (qui se résume à la
mince frange des habitants et des notables de Saint-Pierre, de Fort-Royal, et
des principaux bourgs) est traversée par de nombreux conflits, entre les
ordres missionnaires et les administrateurs, entre les ordres missionnaires
entre eux (principalement entre les jésuites et les dominicains). La volonté
des autorités coloniales d’affirmer davantage leur pouvoir régalien, donc de
subordonner l’administration des âmes aux considérations d’ordre public,
se heurte à la dépendance des ordres à l’égard du Saint-Siège, et tout particulièrement des Jésuites. Préfets apostoliques et supérieurs de missions ne
peuvent exercer leur arbitrage sans en référer à Rome, à la Congrégation
pour la Propagande de la Foi, organe de coordination des entreprises missionnaires depuis 1622. Le tableau est bouleversé par l’occupation britannique de 1762. Tout comme la société coloniale, les ordres religieux sont
L’expérience missionnaire et le fait colonial en Martinique (1760-1790)
profondément divisés quant à l’attitude à adopter face à une puissance qui
administre différemment les affaires coloniales, mais, surtout, qui est hérétique. Les religieux sont en outre coupés de leur lien tutélaire avec Rome.
C’est dans ce contexte de trouble profond que se produit l’affaire Lavalette,
du nom du supérieur de l’ordre jésuite à la Martinique, que ses spéculations
financières ont conduit à mettre son église de Saint-Pierre à la disposition
du culte anglican. Exploitée ultérieurement par les tenants du despotisme
éclairé et de l’anticléricalisme d’Etat, cette affaire conduit à la suppression
de l’ordre cinq ans plus tard. Les dominicains, qui avaient adopté une attitude beaucoup plus ferme à l’égard des Anglais, sont les principaux bénéficiaires de l’effacement de leurs rivaux, lorsque l’administration française est
de retour en 1763. C’est pourtant une victoire en trompe-l’œil, car la restauration de l’autorité française est plutôt profitable au Conseil Souverain,
représentant des habitants bien plus que des administrateurs, qui s’immisce
dans les affaires religieuses (très significative, lors du procès Lavalette, est
l’accusation de complot jésuite pour soulever les esclaves) ; et elle va surtout
mettre un terme à l’hégémonie des ordres. Pour remplir le service des cures
laissées vacantes par le départ forcé des Jésuites, le pouvoir royal nomme
des prêtres séculiers. Le nouveau préfet apostolique, et supérieur de ces missionnaires séculiers est l’abbé Pierre-Joseph Perreau, une forte personnalité
dont l’action dans la réorganisation des paroisses martiniquaises après la
Guerre de Sept Ans est ici minutieusement et clairement retracée.
La deuxième partie va donc s’efforcer de présenter l’action de nouveau
clergé confronté à un environnement social et culturel en pleine mutation
après la Guerre de Sept Ans. Le clergé séculier est soumis à une tutelle administrative renforcée, alors que la formation qu’il a reçue en séminaire vise à
lui donner un profil distinct de celui des réguliers. Il doit tout à la fois être
un rouage essentiel de l’ordre public, remplir son ministère paroissial, évangéliser la masse des esclaves, en augmentation constante avec l’accélération
des rythmes de la traite négrière. Ces objectifs sont profondément minés par
la sourde opposition des capucins et des dominicains.
Le clergé subit fortement l’influence de la mentalité dominante dans
l’île, marquée par l’affairisme ; à la différence des réguliers qui étaient établis à demeure aux colonies, le nouveau clergé ne fait qu’un séjour provisoire, et il entend que ce séjour lui soit profitable. Mais il est souvent perçu
par les paroissiens comme « intrus » ; les assemblées de paroisses dominées
par les habitants blancs les voient comme les agents de la puissance administrative. L’étude des conseils de paroisses, les fabriques, du rôle du marguillier qui gère les biens, révèle les mille et une frictions quotidiennes entre
les clercs et les laïcs. Elle souligne également la conception instrumentale
des maîtres quant à l’évangélisation des esclaves ; une soumission absolue
au pouvoir domanial, une acceptation de leur condition. Les lettres de supplication sont en forte hausse, multipliant les griefs à l’égard des nouveaux
prêtres, idéalisant le rôle des réguliers, mieux intégrés à l’environnement
colonial. Les paroissiens finissent par obtenir le renvoi de l’abbé Perreau.
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CÉCILIA ELIMORT
L’action du clergé se traduit par un effort de scolarisation, l’ouverture
du Collège Saint-Victor et la Maison de la Providence étant choisis pour des
études de cas plus poussées. Il s’agit de retenir sur place les jeunes créoles
envoyés en métropole par leurs familles, tout particulièrement pour la
Maison de la Providence. Cecilia Elimort accorde également une grande
attention à la pastorale des esclaves ; un catéchisme, des messes, leur sont
plus spécialement destinés. La question de l’acculturation est bien présente
dans l’analyse, à travers les attitudes du clergé envers l’africanité, attitudes
de combat le plus souvent, mais parfois d’accommodements. L’Église
s’efforce de recontextualiser le message chrétien pour l’adapter à la condition servile. Mais la finalité reste la même que celle des autorités administratives ; maintenir le statu quo esclavagiste.
Pourtant, le regard porté sur la société des maîtres est pessimiste ; le
clergé ne cesse d’en déplorer le matérialisme, le libertinage, l’anticléricalisme.
A la veille de la Révolution, se dessine un nouvel élan missionnaire.
C’est l’objet de la troisième partie. Les autorités administratives répondent
aux vœux des paroissiens et redonnent une place importante aux réguliers,
Capucins et Dominicains. Les paroisses sont réorganisées géographiquement pour leur redonner de l’importance. Les visites paroissiales, réalisées
par les préfets apostoliques, sont plus fréquentes ; l’insistance est mise sur
l’état matériel des édifices du culte, la tenue des registres paroissiaux.
L’Église adopte les codes d’une société marquée par le préjugé de couleur,
adaptant la pastorale et la distribution des sacrements selon la stratification
des groupes socio-ethniques. Pour illustrer cette vie religieuse diversifiée,
l’auteur étudie spécialement les cérémonies de baptême, de mariage, et les
sépultures. Mais l’un des moments forts de cette partie, ce sont les pénitences publiques des esclaves. Par cette pratique qui cherche à atteindre, et
donc à briser, la réserve de force spirituelle des esclaves, l’Église seconde
comme jamais la domination coloniale. La réduction des fêtes religieuses,
très prisées des noirs, est envisagée au nom des impératifs de l’ordre public.
Cet assujettissement au pouvoir colonial provoque cependant une crise
profonde de l’encadrement missionnaire, prélude à la suppression des
ordres impulsée par l’Assemblée Constituante.
Cet ouvrage, qui présente la crise religieuse dans les trois décennies prérévolutionnaires, est ainsi un jalon important dans la connaissance des
sociétés coloniales, martiniquaise en l’occurrence. Il incite en creux à un
prolongement pour la période révolutionnaire, et surtout impériale, encore
bien mal connue, pour faire le lien avec les perspectives tracées pour le XIXe
siècle par Philippe Delisle (Catholicisme, esclavage et acculturation au XIXe
siècle). Mêlant histoire institutionnelle, histoire sociale et histoire culturelle,
cette très jeune chercheuse s’inscrit avec brio dans le renouvellement à
l’œuvre de la recherche en histoire de la colonisation moderne.
Bernard GAINOT
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Avant-propos
L’étude du rôle du christianisme dans la traite des Noirs est un champ
qui ne cesse d’être développé. La complexité de ce sujet, les nombreuses
interprétations résultant des représentations historiques, en sont les principales difficultés. Analyser le fait religieux nécessite aussi de nombreuses
connaissances dans le domaine. Le choix que j’ai fait d’étudier l’expérience
missionnaire en Martinique n’est pas totalement innocent. En effet, de nos
jours, l’étude de la colonisation et plus particulièrement la traite des Noirs
rejoint certaines préoccupations actuelles. De nombreux « créoles » ont
besoin de savoir d’où ils viennent, de comprendre leur histoire. Moi-même
étant antillaise, j’ai ressenti ce besoin de m’identifier à autre chose que nos
« ancêtres les Gaulois ». Savoir d’où l’on vient est aujourd’hui une question
majeure. Par ailleurs, les nombreuses études traitant de l’esclavage ont suscité de nombreux débats tant auprès de la société civile qu’auprès des historiens. Ce sujet reste polémique ; et les recherches de nombreux historiens
tant francophones qu’anglophones, ne cessent de se multiplier. L’analyse
que j’essaierai de développer restera néanmoins attachée à la démarche historique et non mémorielle.
En se penchant plus particulièrement sur l’étude que je tente de mener,
nous verrons que celle-ci se place résolument en marge des préoccupations
contemporaines. L’approche du fait religieux n’a pas toujours été aisée.
Aujourd’hui encore, l’étude des missionnaires et des religieux dans les colonies reste un sujet compliqué et sensible. Cette grande autorité, qu’est
l’Eglise se dévoile petit à petit, et cela grâce aux nombreux travaux d’historiens et d’étudiants, qui comme moi se sont intéressés à ce sujet.
L’étude de l’expérience missionnaire dans les colonies antillaises ; et
spécialement en Martinique n’a pas véritablement fait l’objet d’études
approfondies. Analyser l’imbrication de l’expérience missionnaire et du fait
colonial est quelque chose de novateur dans l’histoire des espaces coloniaux
français. La plupart des recherches ayant pour objet le fait religieux sont
orientées sur le continent africain ou américain. Le manque d’études sur
l’action missionnaire en Martinique a suscité en moi un intérêt profond.
Comprendre cette histoire si particulière qu’est celle de la colonie martiniquaise ; mais aussi, le rôle que l’Eglise a pu tenir dans ces îles sera l’axe
que je développerai. A travers ce mémoire, j’essayerai d’analyser l’expérience missionnaire et le fait colonial à la Martinique de 1760 à 1790. Je
tenterai de mener à bien cette recherche, et espère contribuer à mieux faire
connaître un phénomène historique qui est loin d’être mineur.
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PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Analyse du sujet
Le fait religieux en Martinique est un sujet qui reste de nos jours très
peu connu. Traiter de l’expérience missionnaire et du fait colonial de 1760
à 1790, nous permet de mettre en corrélation différents aspects qui sont
intrinsèquement liés à cette époque. En effet, la religion et la politique ne
cessent de s’entremêler et interviennent toutes deux dans la vie des colons,
mulâtres1 et esclaves. Trois aspects sont donc à prendre en compte à cette
période : les faits institutionnels, religieux et principalement anthropologiques.
En parlant d’expérience missionnaire, je veux mettre l’accent sur le fait
religieux ; et plus particulièrement, sur la présence missionnaire. En
Martinique, les missions apostoliques sont très nombreuses. La mission religieuse consiste dans la plupart des cas à évangéliser un peuple2 soumis à une
nouvelle autorité européenne. Mais cette notion de mission doit être éclairée suivant différents aspects.
Elle n’est pas uniquement liée au cadre purement territorial, mais plutôt au voyage, à la découverte. Les religieux partant à la conquête de nouveaux fidèles ont donc en tête la découverte d’un inconnu, du dehors. La
mission évangélisatrice n’est alors active qu’après ce voyage, sur le nouveau
territoire et en connaissance des peuples à convertir à la religion catholique.
La christianisation des peuples colonisés par une puissance tutélaire s’appuie donc sur la connaissance de ces derniers, la maîtrise d’une langue commune pour établir des relations. La colonisation d’un nouvel espace
nécessite un certain nombre de dispositions, dont en découle l’établissement
des missions. En premier lieu, il faut découvrir et s’approprier l’espace
auparavant inconnu. Les puissances européennes tendent par la suite à s’imposer sur les populations autochtones et ainsi diffuser leur culture. C’est à
ce moment précis qu’interviennent les missionnaires. La mission est essentielle pour l’imposition de cette nouvelle culture dans les espaces colonisés.
Ces dominateurs extérieurs remettent en cause l’espace et la manière dont
les autochtones les avaient mis en valeur.
Il y a donc la mise en place d’un processus de déculturation qui se crée
par les colonisateurs sur les autochtones et les colonisés. Par ailleurs,
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Si l’on ensuit les définitions de l’époque, le mulâtre est issu de l’union d’un blanc et
d’une « négresse », ou d’une blanche et d’un « nègre ».
Il s’agit là de mettre l’accent sur le salus animarum (le salut de l’âme) qui est la base
de toute mission apostolique.
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CÉCILIA ELIMORT
l’espace dans lequel intervient l’exercice missionnaire n’est pas figé. Il subit
diverses mutations et est sans cesse en expansion. La mission catholique aux
colonies permet notamment d’établir un lien plus concret entre le SaintSiège de Rome et la puissance tutélaire.
Cette notion de découverte est attestée dans de nombreux récits de missionnaires de l’époque. Le père jésuite Jean Mongin, le révérend père Labat
et bien d’autres encore en font référence. Ils ressentent tous une certaine
excitation face à cet inconnu.
Dès les premières expéditions de découverte, nous avons la présence
d’aumôniers qui devaient protéger le voyage des hommes embarqués sur les
navires. Ces aumôniers faisaient la prière et tentaient de les rassurer. Le rôle
des missionnaires commence ainsi dès la traversée.
Le second enjeu de ces missions colonisatrices concerne la rivalité des
puissances. Il y a un enjeu majeur de frontières et de délimitations des territoires dans les espaces internationaux. Imposer l’ordre par la religion est
ce qui prédomine dans ces périodes colonisatrices.
Les missionnaires partis pour la majorité d’entre eux du Royaume de
France s’implantent peu à peu dans les îles du vent de possession française.
Ces religieux s’étendent tout le long de la côte ouest de la Martinique. En
effet, cette zone est la plus facile d’accès et la plus connue dans les prémices
de la colonisation de l’île. Diverses chapelles sont érigées dans les villes de
Saint-Pierre, Fort-Royal, Trinité. Les principaux bourgs longeant la côte littorale ouest deviennent les lieux de diffusion de la religion catholique en
Martinique. L’est de l’île est mis en valeur plus tardivement, tout d’abord
car celui-ci est inconnu dans les débuts de la colonisation de l’île, et parce
que les implantations de colons ne sont pas effectives de ce côté.
Pour s’implanter, les missionnaires ont besoin d’un espace attesté et
reconnu par les autorités coloniales, et donc par le Roi. En effet, la
Martinique est rattachée au domaine du Roi en 1674. Durant la période
allant de 1674 à 1683 environ (date de la délimitation des paroisses) il n’y
a que des églises ouvertes dans lesquelles tous les chrétiens pouvaient venir
se recueillir et y suivre la messe.
La question de la délimitation des paroisses en a logiquement découlé.
Les administrateurs locaux cherchaient à regrouper les différentes chapelles
entre elles et ainsi à créer une certaine unité du groupe. L’église se devait
d’être le noyau des divers bourgs de l’île.
La date de la création de la paroisse est néanmoins complexe à saisir.
Certains s’attachent à la placer dans les années 1683. Il est précisé par
Joseph Rennard que la décision a été prise le 3 septembre 16833, afin de
délimiter équitablement les quartiers de l’île.
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La date de 1683 nous est donnée par Joseph Rennard, et Moreau de Saint-Méry
fixerait celle-ci en 1697. La date donnée ci-dessus est donc à considérer de manière
hypothétique.
L’expérience missionnaire et le fait colonial en Martinique (1760-1790)
La paroisse est donc au cœur des décisions prises concernant l’établissement des missions. En effet, celle-ci évolue en même temps que le développement de son bourg. C’est par elle que l’église se diffuse et accroit son
influence. L’église fait donc office de noyau conducteur de la cure, et permet ainsi sa délimitation en fonction des fidèles recensés. Les quartiers de
ces paroisses sont donc le « creuset culturel » de la présence missionnaire et
française en Martinique. C’est notamment autour d’elle que se crée la circonscription administrative. La paroisse est donc un point de repère pour
toute la population, et est le principal relais de la métropole. Obtenir la desserte de ces cures à grande influence telles que Saint-Pierre, Fort-Royal, le
Carbet et bien d’autres est fondamental pour les différentes missions présentes sur place.
Les paroisses font partie des principaux enjeux des autorités locales et
métropolitaines tout au long de la période traitée.
Après cette délimitation bien précise, les différents ordres présents sur
l’île se partagent la desserte des cures de ces paroisses. Les ordres en présence sont au nombre de trois. L’ordre des Carmes, issu de la province de
Touraine en métropole a tenté de s’imposer en Martinique. Ils s’installent
tout d’abord sur l’île de Saint-Christophe4 dans les années 1646-16475.
C’est par une lettre patente du Roi en mai 16506, que le droit de s’établir dans toutes les Antilles françaises est accordé aux Carmes. Toujours à
Saint-Christophe, ils se voient concéder la desserte des cures de « l’église de
la Montagne […] et celle de Cayonne ». Les Carmes demeurent à SaintChristophe jusqu’en 1690, date à laquelle les Britanniques prennent possession de l’île. En 1651, ils arrivent en Guadeloupe. La desserte des cures
du port ainsi que celle de la partie de la Basse-Terre réservée aux Blancs leur
est confiée. Néanmoins, la présence des Carmes en Martinique7 n’a pu être
recensée dans aucune archive.
Seuls les Jésuites, les Dominicains et les Capucins ont établi leurs missions en Martinique. Ces trois ordres qui ont la primauté de desservir les
paroisses de la colonie martiniquaise sont soumis à la politique religieuse
très stricte mise en place par les administrateurs locaux. Toutefois, ils se distinguent par leur fortune ainsi que par les relations qu’ils entretiennent avec
les esclaves.
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Illustrations : Carte n° 1 p. 239.
La date précise de leur installation reste elle aussi confuse. En effet, nous pouvons
supposer que celle-ci a eu lieu entre le début du mois de septembre 1646 et l’année
1647.
Joseph Rennard, Histoire religieuse des Antilles françaises des origines à 1914 :
d’après des documents inédits, Paris, Société des Colonies françaises, 1954, p.58.
La présence jésuite en Martinique rend impossible cette installation des missionnaires de l’ordre des Carmes. De plus, l’île attire déjà les Dominicains qui font tout
pour obtenir le droit de s’installer en Martinique.
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