Manon Jules Massenet (1842-1912) Manon est un opéra en 5 actes, créé à l'Opéra-Comique le 19 janvier 1884. Livret d'Henri Meilhac et Philippe Gille, d'après le roman de l'Abbé Prévost, L'Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. Manon est un ouvrage qui bouscule les schémas de l’opéra-comique français, dans le sens où il ne s’agit pas d’une comédie, ni d’une tragédie comportant des éléments comiques, mais d’un opéra comprenant des passages parlés et critiquant les moeurs de l’époque (une France décadente, vouée aux plaisirs sans lendemain). Ces passages parlés se présentent soit a cappella, sans accompagnement instrumental, soit en mélodrame, avec une voix parlée sur fond musical. Cependant, Massenet ne renonce pas pour autant à doter son oeuvre de passages concertants traditionnels, ceux-ci intervenant à des moments stratégiques du drame. Bien accueillie par la critique, Manon permet à Massenet d'accéder au rang très convoité de compositeur le plus célèbre de son époque. Massenet a été très touché par le personnage de Manon Lescaut, au point que dix ans après son triomphe, le compositeur souhaite produire un opéra en un acte, Le portrait de Manon, qui lui permet de revenir vers son personnage fétiche. Les personnages Manon Lescaut – soprano Le Chevalier des Grieux ténor Lescaut, le cousin de Manon - baryton Guillot de Morfontaine, un noble – ténor Monsieur de Brétigny baryton Le Comte des Grieux, le père du Chevalier – basse Poussette, une comédienne soprano Javotte, une comédienne mezzo-soprano Rosette, une comédienne mezzo-sorpano Dans les intrigues de Massenet, les héroïnes jouent toujours un rôle central. Belles et sensuelles, elles sont avant tout des femmes libres, émancipées des dictats de la condition féminine de l’époque. On dit de Massenet, qu’il est le compositeur qui a le mieux traduit en musique, la complexité psychologique des personnages féminins. Manon est une héroïne partagée entre son désir d’avoir une vie ordinaire, fidèle à l’homme qu’elle aime, et une vie faite de légèreté et de liberté, à laquelle sa beauté l’invite chaque jour. Courtisée par tous, elle cèdera finalement aux plaisirs futiles de l’argent et aux fêtes abondantes. C’est au seuil de la mort, rongée par les remords, qu’elle regrettera d’avoir cédé aux tentations… Massenet fait de Manon un personnage pour qui l’on éprouve beaucoup de sympathie, voire de compassion, mais elle reste pour lui une tentatrice qui mérite en partie son sort puisqu’elle choisit le plaisir aux dépens d’une morale puritaine. Regard de la metteur en scène, Renée Auphan « Avec Manon, la cantatrice aborde le rôle le plus complet, l’un des plus longs et certainement le plus complexe du répertoire français. Passant d'une ingénuité presque comique au 1er acte, elle devient rapidement sensuelle et rouée au 2nd, éclatante de panache au 3eme, d'une féminité exacerbée à Saint-Sulpice, futile et comme enivrée à l'Hôtel de Transylvanie, puis déchue, honteuse, épuisée mais enfin sincère au dernier tableau. Des Grieux, quant à lui, doit donner l'image d'un jeune homme un peu naïf mais à l'imagination exaltée, bien élevé, profondément honnête et faisant preuve dans l'adversité d'un courage auquel l'on aurait pu ne pas s’attendre. Reste Lescaut, le soudard sans scrupules et cependant extraordinairement sympathique, volontiers proxénète avec sa cousine, roublard, buveur, joueur et, pour finir, lucide dans son repentir. » Synopsis L’action a lieu en France, en 1721 Acte I Dans la cour d'une auberge d'Amiens, Guillot et Brétigny, accompagnés de trois jeunes femmes, Javotte, Poussette et Rosette demandent à dîner. Arrivent Lescaut et ses amis. Lescaut déclare attendre sa cousine Manon qu'il doit mener au couvent. La diligence arrive. Manon en descend - Air : Je suis encore toute étourdie. Lescaut part chercher ses bagages. Pendant ce temps, le vieux Guillot, Brétigny, et leurs trois amies arrivent dans la cour. Guillot entreprend de séduire Manon en lui promettant de combler tous ses désirs. Il lui dit qu'une voiture viendra le chercher dans quelques instants. Elle n'aura qu'à y monter et l'attendre… Lescaut revient mais il veut rejoindre ses amis partis boire et jouer aux cartes. Il fait alors croire à Manon qu'il doit retourner à la caserne et la laisse seule après lui avoir demandé de bien se tenir - Air : Regardez-moi bien dans les yeux. Restée seule Manon rêve au luxe et aux plaisirs dans lesquels vivent les actrices. Le jeune Chevalier Des Grieux, qui a raté la diligence, arrive. C'est le coup de foudre immédiat - Duo : A vous ma vie, à vous mon âme. La voiture commandée par Guillot arrive. Des Grieux et Manon profitent de l'occasion et s'enfuient - Duo : Nous vivrons à Paris tous les deux. Acte II Dans leur petite mansarde parisienne, Manon et des Grieux filent le parfait amour, mais Brétigny a envoyé des fleurs à Manon. Des Grieux écrit une lettre à son père dans laquelle il lui demande la permission de l'épouser – Air : On l'appelle Manon. La bonne entre et annonce l'arrivée de Lescaut et Brétigny. Lescaut interroge des Grieux sur ses intentions à l'égard de Manon - Air : La chose est claire… . Celui-ci le rassure en lui faisant lire la lettre écrite à son père. Un peu à l'écart, Brétigny annonce à Manon, que le père de Des Grieux va faire, ce soirmême, enlever son fils afin de l'arracher à ses bras. En échange de son silence, Brétigny offre à Manon une protection et le luxe dont elle a toujours rêvé. Brétigny et Lescaut s'en vont. Des Grieux sort pour poster la lettre destinée à son père. Manon, qui ne lui a rien dit au sujet de l'enlèvement, reste seule. Grisée par les promesses de luxe, elle prend, non sans un sincère regret, la décision de suivre Brétigny - Célèbre air : Adieu, notre petite table… . Des Grieux revient, il évoque innocemment les bonheurs à venir avec Manon - Air : En fermant les yeux, je vois là-bas… . Puis, on frappe avec violence à la porte, des Grieux va ouvrir, il se fait enlever. Manon s'écrie : « Il est parti! ». Acte III Au Cours-la-Reine. C'est la fête. Parmi les badauds, on croise Javotte, Poussette et Rosette – Air : Ah la charmante promenade et Lescaut chantant une certaine Rosalinde – Air : Ma Rosalinde, il me faudrait gravir le Pinde. Manon arrive au bras de Brétigny. Elle évoque les plaisirs d'une vie luxueuse et de la jeunesse - Célèbre air : Je marche sur tous les chemins… suivi de la gavotte Obéissons quand leur voix appelle. Puis Manon surprend une conversation entre Brétigny et des Grieux père qui lui apprend que le Chevalier va entrer dans les ordres au séminaire de SaintSulpice. Guillot, qui ne désespère pas de séduire Manon, lui offre le Ballet de l’Opéra que lui avait refusé Brétigny car trop cher. Après le ballet, Manon fait appeler une voiture pour se faire conduire à Saint-Sulpice. Dans la chapelle Saint-Sulpice. Des paroissiennes louent l'éloquence du nouveau prêtre Chœur : Quelle éloquence, Des Grieux s'apprête à célébrer l'office. Son père arrive et tente de le dissuader de rentrer dans les ordres - Air: Épouse quelque brave fille mais renonce rapidement et s'en va. Des Grieux reste seul et tente d'oublier Manon - Célèbre air Ah! Fuyez douce image. Manon fait son entrée. Elle prie un moment seule – Air : Pardonnez-moi.. . Puis des Grieux arrive. Il lui reproche sa trahison et montre sa résolution à entrer dans les ordres. Mais après les supplications de Manon – Air : N'est-ce plus ma main que cette main presse, il succombe à ses avances – Duo : Ah! Viens Manon, je t'aime !. Acte IV À l'hôtel de Transylvanie. On joue, les paris grimpent. Guillot, Brétigny, Lescaut, Javotte, Poussette et Rosette sont là. Des Grieux entre avec Manon – Duo : Manon, sphinx étonnant. Ils sont presque ruinés. Manon pousse des Grieux à jouer ce qui lui reste contre Guillot. La chance lui sourit à un point tel que Guillot l'accuse de tricher et fait chercher la police qui arrête Des Grieux et Manon. Acte V Sur une route qui mène au Havre. Des Grieux a été libéré grâce à l'intervention de son père, mais Manon a été condamnée pour prostitution à la déportation en Louisiane. Des Grieux et Lescaut, cachés au bord de la route, attendent le convoi des prisonniers. Des Grieux veut faire évader Manon, mais Lescaut l'en dissuade, car l'escorte armée qu'ils avaient mis en place s'est débandée. Le convoi arrive. Lescaut paie un des gardes pour permettre à Manon de rester un instant avec le Chevalier. Celui-ci veut fuir avec elle, mais Manon, trop épuisée par le voyage, meurt dans ses bras - Reprise de N'est-ce plus ma main…. Au moment de s'éteindre, voyant une étoile dans le ciel, elle s'exclame : « Ah! quel beau diamant! ». Quelques airs à écouter pour mieux comprendre l’héroïne Acte I - Je suis encor’ toute étourdie Première apparition de Manon. Enivrée par l’aventure qu’elle vient de vivre, elle nous raconte qu’elle est encore toute « étourdie », « engourdie » par son « premier voyage ». Acte I – Voyons, Manon, plus de chimères Manon, attirée par une vie luxueuse, se met à rêver après avoir vu des femmes richement apprêtées… Elle tente de renoncer à ses tentations… Cet air souligne la difficulté pour l’héroïne de renoncer à une vie fastueuse et amusante. Acte II – Adieu, notre petite table Manon se laisse charmée par les belles paroles de Brétigny, qui lui promet d’être « reine par la beauté », et prend la décision de quitter Des Grieux. Acte III – Je marche sur tous les chemins Manon, épicurienne et infidèle, est parvenue à mener une vie dans l’abondance. Cet air révèlent le côté superficiel et vaniteux du personnage. Pour aller plus loin Comparaison de l’oeuvre avec Manon Lescaut de Puccini De la Manon Lescaut de l’Abbé Prévost à la Manon de Massenet... Après avoir déserté l'armée, l’Abbé Prévost se réfugie dans un monastère où il deviendra prêtre. Il se consacre alors à l'écriture. En 1731, sont publiés les tomes V, VI et VII de son œuvre, Mémoires d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde. Le tome VII contenait, l’histoire de Manon Lescaut. En 1733, il fut l’objet d’une seconde édition portant pour la première fois le titre du roman : Les Aventures du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. L’histoire semble inspirée de faits réels : Manon, qui s’appelait en réalité Marie, aurait réellement existé. Née en Picardie en 1689, elle aurait à peu près eu le destin de l’héroïne de l’Abbé Prévost, qui en avait appris l’histoire par son dernier amant. Jugé scandaleux, le livre est censuré. L’auteur écrit alors une nouvelle version en 1753. Manon est ici égoïste et complètement immorale. Jeune et belle, elle aime sincèrement le chevalier des Grieux mais ne voit aucun mal à soutirer de l’argent à d’autres hommes. Manon Lescaut a inspiré de nombreuses oeuvres musicales avant Massenet : un ballet de Jacques Fromental Halévy (1830), un opéra de Michael William Balfe (1836) et surtout l’opéra-comique de Daniel Esprit Auber (1856). Massenet décida d’écrire à son tour un ouvrage lyrique d’après le roman de Prévost à l’automne 1881, en se rendant chez Meilhac, dans la bibliothèque « Manon ! m’écriai-je, en montrant du doigt le livre à Meilhac. Manon Lescaut, c’est Manon Lescaut que vous voulez ? – Non ! Manon, Manon tout court ; Manon, c’est Manon ! ». « L’idée de faire cet ouvrage me hantait depuis longtemps. C’était le rêve réalisé… ». La première représentation eut lieu à l’Opéra-Comique, le 19 janvier 1884. Mais comme pour Carmen de Bizet ou Faust de Gounod, Manon de Massenet ne souleva pas l’adhésion enthousiaste des critiques ; leur jugement fut sévère. Bien que certain de la valeur de son ouvrage, Massenet procéda à divers remaniements (composition du menuet du Cours-laReine, Gavotte du Cours-la-Reine…). S’en suivi un succès retentissant et l’ouvrage entra au répertoire de l’Opéra-Comique. Bio express du compositeur : Jules Massenet est un compositeur français de la deuxième moitié du XIXème siècle. Il acquiert une grande popularité pour ses opéras (au nombre de 25), mais s’illustre aussi dans la musique orchestrale (suites symphoniques, ballets, musique de scène). Il a une influence sur plusieurs de ses contemporains, comme Leoncavallo, Puccini ou encore Debussy. Massenet est initié au piano par sa mère, puis intègre très jeune le Conservatoire de Paris. Son professeur de composition, Ambroise Thomas, devient par la suite son protecteur et accélère sa carrière. La progression de Massenet est rapide : après avoir obtenu deux premiers prix (piano et fugue), il remporte en 1863 le prestigieux Grand Prix de Rome avec sa cantate David Rizzio, puis séjourne à la villa Médicis où il a l’occasion de composer de nombreuses œuvres (Suite pour orchestre, Requiem). En 1867, il crée un premier opéra à Paris, La Grand’ Tante, puis connaît le succès avec la suite symphonique Pompéïa, l’oratorio MarieMadeleine, et deux opéras (Don César de Bahan et Le roi de Lahore), ce qui lui vaudra d’être nommé professeur de composition au Conservatoire de Paris deux ans plus tard, fonction qu’il occupe jusqu’en 1896. On compte parmi ses élèves Reynaldo Hayn, Charles Koechlin, Gabriel Pierné, Florent Schmitt. Les opéras les plus appréciés de Massenet voient le jour dans la décennie 1880 : Manon, Hérodiade, Le Cid, Le Jongleur de NotreDame, Werther. Au début du XXème siècle, ce sont les opéras Thaïs (créé en 1894) et Don Quichotte qui enthousiasment le public. Le style très français de Massenet le rapproche de Charles Gounod, avec qui il a en commun un goût prononcé pour les sujets religieux et un sens naturel de la mélodie. Ces deux compositeurs ont une importance décisive pour l’évolution et le rayonnement de l’opéra français. Beaucoup des opéras de Massenet se déroulent dans des décors exotiques et leur musique colorée et descriptive s’accorde très bien au cadre. Il voulait plus que tout autre chose plaire et être aimé. Il y parvint tout au long de sa carrière qui s’étendit sur trois décennies au cours desquelles il composa 27 opéras.