rapport PDF - 1 - Université de Poitiers

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L’articulation entre vie professionnelle et vie
personnelle des salariés en horaires atypiques
Le cas des salariés des Centres d’appels de la Technopole du Futuroscope
Marine Leclerc
Etude commandée par l’Agence des
Temps de Grand-Poitiers
Chloé Sauquet
Dimitri Paraskévaïdis
Directeur de recherche : Eric Gilles
Université de Poitiers
Master 2 professionnel de Sociologie
Promotion 2011-2012
1
Sommaire
Introduction _________________________________________________________________ 7
Méthodologie _______________________________________________________________ 12
A.
La pré-enquête_______________________________________________________________ 12
B.
Méthodes et outils utilisés pour l’étude ___________________________________________ 13
1.
Le questionnaire___________________________________________________________________ 13
2.
Les entretiens_____________________________________________________________________ 14
Des salariés soumis à la flexibilité et aux horaires décalés ___________________________ 16
A.
Le travail en Centre d’appels ____________________________________________________ 18
1.
Profil social des salariés des centres d’appels ____________________________________________ 18
a.
Un secteur d’activité féminin ______________________________________________________ 19
b.
Des emplois occupés par une population jeune ________________________________________ 20
c.
Un taux d’emploi à temps partiel comparable à celui du secteur industriel __________________ 20
d.
Une plus grande précarité pour les plus jeunes ________________________________________ 21
e.
Une majorité d’employées pour une minorité de cadres féminins _________________________ 22
2.
Le parcours professionnel des salariés : des études aux périodes d’incertitude __________________ 23
a.
Des salariés non « qualifiés » mais fortement diplômés__________________________________ 23
b.
Les parcours professionnels : petits boulots et périodes de chômage _______________________ 24
3.
B.
L’entrée dans les centres d’appels : du CDI au Turn-over ___________________________________ 25
a.
La recherche de stabilité grâce à l’obtention d’un CDI ___________________________________ 25
b.
Le recrutement : ________________________________________________________________ 26
c.
Conséquences de cette méthode de recrutement : de nombreux départs ___________________ 28
d.
Un travail qui reste souvent temporaire du fait de conditions de travail difficiles ______________ 29
Rationalisation optimale du temps _______________________________________________ 31
1.
Optimisation du temps dans le travail __________________________________________________ 31
a.
La pointeuse comme outil de contrôle _______________________________________________ 31
b.
Le chronométrage des tâches ______________________________________________________ 32
2.
Les temps de pause soumis au contrôle ________________________________________________ 34
a.
Les pauses courtes ______________________________________________________________ 34
b.
La pause de midi ________________________________________________________________ 35
3.
L’annualisation du temps de travail favorise la flexibilité ___________________________________ 36
4.
Les centres d’appels : un modèle taylorien ?_____________________________________________ 36
2
C.
Les horaires atypiques des salariés en centre d’appels _______________________________ 40
1.
Cadre et définition des horaires « standards» et « atypiques » ______________________________ 40
2.
Cumul des contraintes plus important pour les plus jeunes en CDD ___________________________ 41
3.
Des horaires atypiques et contraignants liés à la saisonnalité. _______________________________ 43
D.
Les stratégies de défense ______________________________________________________ 46
1.
Des principes d’entraide difficiles dans un milieu opaque __________________________________ 46
2.
Les stratégies individuelles __________________________________________________________ 47
a.
Les stratégies d’adaptation ________________________________________________________ 47
b.
Stratégies de déviation ___________________________________________________________ 48
3.
Stratégie de résistance collective______________________________________________________ 49
a.
L’action collective _______________________________________________________________ 49
b.
La syndicalisation dans les centres d’appels ___________________________________________ 50
c.
Conclusion _____________________________________________________________________ 51
Le temps de la vie quotidienne __________________________________________________ 52
Introduction _____________________________________________________________________ 53
A.
Horaires atypiques de travail et sociabilité ________________________________________ 55
1.
Le temps de sociabilité chez les salariés des centres d’appels s’apparente à la tendance générale ? _ 55
2.
Des temps de sociabilité variables selon les situations familiales _____________________________ 56
a.
Les couples sans enfant : des temps de sociabilité importants ____________________________ 56
b.
Les salariés ayant des enfants : repli sur la sphère familiale_______________________________ 57
3.
B.
La qualité du temps de sociabilité impacté par le travail____________________________________ 59
La répartition des tâches domestiques au sein du couple liée aux horaires atypiques ______ 62
1.
Temps domestiques et horaires atypiques : une conciliation impossible ?______________________ 62
2.
Un temps parental rythmé par le travail ________________________________________________ 64
3.
Quand les salariés adaptent leur travail en fonction de leur vie familiale_______________________ 65
4.
Quand les salariés adaptent leur organisation familiale en fonction de leur travail _______________ 66
a.
Une répartition des tâches au sein du couple plus égalitaire ______________________________ 66
b.
Lorsque la vie de famille ne permet pas de travailler dans les centres d’appels _______________ 67
Conclusion_______________________________________________________________________ 68
Les « espaces-temps » de la mobilité _____________________________________________ 70
Introduction _____________________________________________________________________ 71
A.
Des déplacements induits par les lieux d’habitation _________________________________ 72
1.
Répartition des communes d’habitation des salariés ______________________________________ 72
a.
Une majorité de lieux de résidence appartenant ou étant limitrophes de la Technopole. _______ 72
3
b.
Plus d’un Tiers des salariés dispersés sur le département et éloignés de la Technopole. ________ 73
c.
Des distances domicile-travail plus élevées que la moyenne nationale ______________________ 73
2.
Trois profils sociaux des salariés en fonction de leur CdC de résidence ________________________ 75
3.
Le « choix » du lieu de résidence ______________________________________________________ 76
B.
a.
Un choix lié à la capacité à se projeter durablement dans l’entreprise ______________________ 77
b.
Habiter la Technopole : une situation impossible à envisager ? ____________________________ 77
c.
Un compromis qui se fait en fonction du conjoint ______________________________________ 78
d.
Habiter dans une maison individuelle ________________________________________________ 79
e.
Etre près de son réseau de connaissances ____________________________________________ 80
Des modes de déplacements quotidiens contraints par le travail ? _____________________ 82
1.
Bilan des modes de transport utilisés __________________________________________________ 83
2.
L’accessibilité : des horaires aléatoires limitant la possibilité de l’utilisation des modes de déplacement
collectif ______________________________________________________________________________ 85
a.
Des horaires de passages des bus mal adaptés aux contraintes horaires des centres d’appels ____ 85
b.
Des horaires différents d’un salarié à l’autre limitant la possibilité de covoiturage _____________ 86
3.
Les compétences : un temps omniprésent limitant la motivation à organiser son trajet ___________ 87
4.
L’appropriation : les représentations des transports collectifs _______________________________ 88
C.
Des modes de déplacements induits par l’organisation de la vie familiale _______________ 91
1.
Des trajets non-linéaires ____________________________________________________________ 91
2.
Les déplacements : un indicateur d’inégale répartition des tâches au sein du couple _____________ 93
3.
Des déplacements induits par la spécialisation des territoires _______________________________ 94
D.
La Technopole, un quartier comme les autres ? _____________________________________ 96
1.
L’utilisation des services rythmée par la pause déjeuner ___________________________________ 96
2.
Peu de services disponibles ?_________________________________________________________ 98
a.
Les courses : ___________________________________________________________________ 98
b.
Services publics _________________________________________________________________ 98
c.
Autres services de proximité _______________________________________________________ 99
d.
Garde d’enfants_________________________________________________________________ 99
Conclusion :_____________________________________________________________________ 101
CONCLUSION : ______________________________________________________________ 102
Bibliographie _______________________________________________________________ 106
4
Remerciements
Nous souhaitons, tout d’abord, remercier l’ensemble des chargés de clientèle qui ont accepté
de nous consacrer une partie de leur temps si précieux et sans qui l’étude n’aurait pu être
réalisée.
Merci à l’ensemble des élus et techniciens des collectivités territoriales actifs sur la technopole
pour nous avoir éclairés sur le contexte territorial de la zone.
Nous remercions les services de l’INSEE Poitou-Charentes, et particulièrement Jean-François
Bigot, grâce à qui nous avons pu obtenir des données essentielles à la réalisation de l’étude.
Nous remercions également, notre enseignant, Eric Gilles, qui nous a conseillés et qui nous a
apporté son soutien tout au long de la réalisation de ce mémoire. Nous tenions à le remercier
également pour sa disponibilité durant toute l’année de Master. Merci aussi à Laurent
Willemez, Wenceslas Lizé, Laure, Mélanie, Samantha, Edwige, Florent pour leurs
questionnements et leurs conseils lors des intergroupes.
Merci à Clémence Thiévant, Mireille Terny et Dominique Royoux pour leur collaboration
efficace.
Enfin, un très grand merci à Monique, et Nelly pour leurs relectures attentives et à Jean pour
les conseils informatiques.
5
« En fait, quand on travaille dans un centre d’appels, tout est lié au
temps. Le Temps c’est LE mot. Pour tout. On est chronométré quand on
est au téléphone, le temps qu’on passe à faire un mail. Tout. Quand on
prend une pause. Pour aller manger, c’est vite, vite, vite… »
Sylvie, Chargée de clientèle.
6
Introduction
Les évolutions qui ont eu lieu ces dernières années dans les sphères du travail et de la famille
ont engendré l’apparition de tensions temporelles à l’échelle des individus et de la gestion des
politiques publiques.
L’augmentation de plus en plus importante de la flexibilité du travail (différentes formes de
contrats, d’horaires, de temps de travail, travail en flux tendu) a abouti à la déstructuration de
l’organisation temporelle traditionnelle de la société. Une étude de la DARES datant de 2009
nous indique que les deux tiers des travailleurs ont des horaires dits « atypiques ».
« Arriver à son travail le matin, en repartir en fin d’après-midi, à des horaires prévus à
l’avance, et se reposer le week-end : telle est la norme sociale implicite d’organisation
des horaires de travail, à laquelle s’opposent les horaires dits « atypiques ». 1
Au regard de ces chiffres, travailler en « horaires atypiques » deviendrait donc la norme. Pour
autant, les évolutions des rythmes dans la sphère du travail n’ont pas nécessairement engendré
d’évolutions dans la sphère publique. L’accès à certains services publics devient donc difficile,
pour une partie de la population travaillant en horaires atypiques.
Conjointement à l’augmentation de la flexibilité du travail, l’arrivée massive des femmes sur le
marché de l’emploi a fortement participé à modifier l’organisation sociale de la société. Au
travail des femmes, jusqu’alors caractérisé essentiellement par un travail domestique, rythmé
par la vie de famille, s’ajoute le temps de travail hors sphère privée, rythmé par les exigences
des entreprises. En effet, le fait que leur rôle dans la sphère du travail ait changé, n’a pas
engendré mécaniquement une évolution de leur rôle dans la sphère privée.
L’espace du travail se dissocie progressivement de l’espace familial. La tendance est alors à la
spécialisation des espaces (zones résidentielles, zones d’activités, zones de loisirs, espaces de
consommation, etc.) qui, en augmentant le nombre et les temps de déplacements participent
aussi à l’accroissement des tensions liées à l’articulation des différents temps de vie.
1
DARES, « Horaires atypiques et contraintes dans le travail, une typologie en 6 catégories », Premières synthèses,
n° 22.2, Mai 2009
7
C’est alors que, dans un contexte de flexibilité accrue du travail, de spécialisation des espaces
et de modes de vie tournés vers une individualisation des pratiques, la question de l’articulation
des temps de vie quotidiens apparaît de plus en plus prégnante sur la scène publique.
Dans les années 80 en Italie, sous l’impulsion d’un groupe féministe, la désynchronisation des
temps fait l’objet de revendications sociales. Leur action a permis de mettre au jour la
responsabilité des pouvoirs publics face à cette question, engendrant la mise en place de
« politiques temporelles », une dizaine d’années plus tard, dans de nombreux pays Européens 1
(Boulin 2004). Dans le même temps, un champ de recherche s’est développé visant à
comprendre les raisons et les effets d’une désynchronisation croissante des temps de vie
quotidiens et les marges de manœuvre des pouvoirs publics pour remédier aux difficultés
sociales émergentes (Boulin 1997, Bonfiglioli 1997).
C’est dans ce champ de recherche que s’inscrira notre étude qui s’articulera autour de trois
axes principaux : les évolutions du temps et des rythmes de travail, l’organisation temporelle
urbaine et le temps individuel. Nous nous intéresserons alors à la problématique de la
temporalité à travers le prisme du travail des chargés de clientèle en centre d’appels sur la
technopole du Futuroscope.
La technopole du Futuroscope émerge en 1986. Le concept de technopole vise à allier sur un
même territoire développement économique et recherche/ innovation. Cette conception de
l’aménagement du territoire correspond à la mouvance des années 80 qui voit, partout en
France, dans les métropoles comme dans les grandes villes, émerger des « zones
technopolitaines » (Fache 2006). A l’initiative de René Monory, président du Conseil Général de
la Vienne à cette époque, la technopole permet avant tout de développer l’emploi. Pour lui, le
but était alors de « créer les conditions les plus favorables au développement d'un département
rural en perte de vitesse ». La particularité de cette technopole est d’accueillir un parc de loisirs,
le Futuroscope, attirant un grand nombre de touristes, d’où l’implantation de plusieurs dizaines
d’hôtels-restaurants.
1
Italie, France Pays-Bas, Allemagne, Espagne, ces politiques ont été majoritairement mis en œuvre à l’échelle des
collectivités territoriales, notamment par le biais de la mise en place de bureaux de temps (D. Royoux 2007)
8
Aujourd’hui, la technopole comptabilise près de 7 000 salariés et 2 000 étudiants. De 1999 à
2006, la croissance des emplois de la commune de Chasseneuil du Poitou est de 40%1. C’est la
plus importante croissance enregistrée dans le département de la Vienne.
Les trois secteurs d’activité qui recensent le plus grand nombre de salariés sont : le secteur de
la relation client (ou Centre d’appels 2), celui de l’hôtellerie restauration, et les structures
institutionnelles (Conseil général, Chambre de commerce et d’industrie etc .). Accueillant
aujourd’hui plus d’un tiers des emplois de la zone, le secteur de la relation client assure le
dynamisme de l’emploi sur la technopole. Olivier Bouba-Olga souligne le fait que les centres
d’appels permettent de compenser la diminution des emplois du secteur industriel en perte de
vitesse. Trois zones économiques s’organisent à Chasseneuil-du-Poitou : une zone industrielle,
une zone commerciale et la zone d’activité de la technopole (Bouba Olga 2008, Bruno et
Morisset 2005).
Tableau 1 La répartition des salariés en fonction du secteur d'activité sur la technopole en 2010
Graphique effectué par nos soins
1
INSEE « Aire urbaine de Poitiers, concentration des emplois et mobilité professionnelle accrue », Décimal, Insee
Poitou-Charentes, n° 298, Décembre 2009
2
« Les centres d’appels sont les plates-formes téléphoniques auxquelles ont recours entreprises et administrations
afin de pouvoir multiplier les contacts avec la clientèle. L’éventail des services rendus par les centres d’appels est
très large : il va des sondages d’opinion aux services de réclamation, aux campagnes promotionnelles de biens ou
de services, aux réservations de billets, aux prises de rendez-vous, etc. En France, cette activité occupe 250 000
personnes en 2003 contre 60 000 en 1996 et connaît une croissance annuelle d’environ 20 à 30 % (Lechat et
Delaunay, 2003). Les centres d’appels représentent en somme une forme de travail inédite, hétérogène et
importante » CALDERON José, « Le travail face à la restructuration productive : le cas d’un centre d’appels »,
Formation emploi, 96 | 2006, 11-24.
9
Le premier Centre d’appels s’installe sur la technopole en 1998. Depuis, 12 entreprises du
secteur de la relation client se répartissent sur 3 téléports de la zone (1 ; 2 et 4). En moins de six
ans, le secteur est passé de 1391 emplois en 2003 à 3116 au 31 décembre 2009.
Le choix d’implantation de ces entreprises sur cette zone s’explique par plusieurs facteurs.
D’une part, la localisation de la technopole semble expliquer l’attractivité du territoire pour ces
dernières. En effet, la facilité d’accès à Paris (1h30 en TGV), où se trouve la plupart des sièges
sociaux des entreprises, explique en grande partie leur implantation. La figure ci-dessous
témoigne de l’effet non négligeable des attributs du territoire.
Carte 1 : Les centres d'appels en France : cumul des positions par aires urbaines (dans les limites de 1990)
Source : B.D.TMC.infograhie : Olivier Chareire, CRGA, université Jean Moulin-Lyon III
10
D’autre part, l’implantation des centres d’appels a fortement été encouragée par les
collectivités territoriales dans la mesure où elle offre un moyen de dynamiser le marché de
l’emploi (Morisset et Bonnet 2005). Des villes comme Poitiers et Niort présentent alors pour ces
entreprises des facilités d’installation (bureaux disponibles à faible coût) mais aussi des viviers
de potentiels salariés.
A partir du constat de la désynchronisation des temps sociaux et des temps professionnels, on
se demandera comment les salariés des centres d’appels du Futuroscope articulent leur vie
professionnelle et leur vie familiale ? Quelles sont concrètement les difficultés rencontrées
dans leur travail et de quelles manières peuvent-elles influer sur leur vie quotidienne ? Dans
quelle mesure le territoire de la Technopole participe-t-il à l’augmentation des tensions
temporelles dans la vie quotidienne des salariés ou au contraire représente-t-il un espace clef
pour l’articulation vie professionnelle et vie privée ?
Nous verrons dans une première partie en quoi l’organisation du travail en centre d’appels
impose une flexibilité et des contraintes de travail importantes menant à l’élaboration de
stratégies de résistance et d’adaptation des salariés ou à un important turn-over.
Il s’agira ensuite de comprendre et d’analyser les effets du travail en horaire décalés sur
l’organisation de la vie de famille. Nous verrons alors que, dans un contexte sociétal où la
charge du travail domestique revient encore dans une large mesure aux femmes, la conciliation
du travail en horaires atypiques peut soit s’avérer impossible pour une partie des enquêtés, soit
mener à une meilleur répartition des tâches au sein du couple.
Enfin, l’implantation des centres d’appels sur un territoire principalement dédié à des activités
économiques engendre une multiplication des déplacements sur les territoires de Grand
Poitiers, et plus généralement du département de la Vienne, caractérisés par l’étalement
résidentiel. Plus largement, l’implantation massive d’emplois en horaires atypiques, sur un
espace restreint, représente un défi pour les pouvoirs publics en matière de gestion des
services publics et d’aménagement du territoire.
11
Méthodologie
A. La pré-enquête
Pour débuter notre enquête, nous avons récolté des données sur la technopole afin de
connaître les différentes activités économiques et sociales de cette zone. Grâce à la publication
mensuelle du « Technopolitain », journal spécialisé sur ce territoire, aux premières lectures
notamment universitaires en économie et géographie (Robinier 1994, Blandin 2000, Poyaud
2010), nous avons obtenu des informations sur les acteurs intervenant au cœur des activités de
la technopole et nous avons eu accès à un certain nombre de données. Ces données ont été
essentielles puisqu’elles nous ont aider à faire un rapide état des lieux et à mieux appréhender
le rôle des centres d’appels en tant que secteur économique majeur sur cette zone d’activité
d’une part et en tant que moteur pour le dynamisme économique du département d’autre
part.
Ensuite, nous avons souhaité nous entretenir avec les acteurs ayant un rôle sur la technopôle.
Nous avons ainsi pu récolter des données en matière d’emploi, d’habitation, de mobilité, de
services disponibles, etc. Pour obtenir toutes ces informations nous avons rencontré différents
interlocuteurs membres de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Vienne et des
Entrepreneurs du Futur (association d’entrepreneurs de la technopole), Vitalis (réseau de
transports en commun de la communauté d’agglomération de Poitiers), des élus et techniciens
de la commune de Chasseneuil, Jaunay-Clan, du Conseil-Général et de Grand-Poitiers ainsi
qu’un journaliste du « Technopolitain » (soit 9 entretiens au total). Nous avons établi pour
chacun d’entre eux un guide d’entretien spécifique car ces acteurs n’ont pas tous le même rôle
sur ce territoire.
Ces premières démarches nous ont aidé à bâtir notre pré-enquête et à acquérir les
connaissances nécessaires afin de construire et de définir les contours de notre objet de
recherche. Nous nous sommes donc arrêtés sur la question des conséquences de la
désynchronisation des temps sociaux liés aux horaires atypiques et à flexibilité du travail dans
les centres d’appels de la technopole du Futuroscope puisqu’ils concentrent la majorité des
individus soumis aux contraintes horaires plus importantes.
12
Pour connaître le profil des salariés des centres d’appels, nous avons eu accès à des données
quantitatives produites par l’INSEE provenant des données issues du recensement 2008. Grâce
à celles-ci, nous avons fait émerger les caractéristiques sociales des salariés des centres
d’appels en 2008 (telles que l’âge, le sexe, le lieu de résidence, le nombre d’enfants à charge,
les modes de transport etc.).
Toutes ces données nous ont guidé lors de l’élaboration de notre guide d’entretien et de notre
questionnaire à destination des salariés des centres d’appels.
B. Méthodes et outils utilisés pour l’étude
1. Le questionnaire
Le questionnaire nous paraissait être l’outil le plus approprié pour récolter des données
détaillées concernant les horaires de travail des salariés mais également leurs caractéristiques
sociales et ce, afin d’en percevoir les évolutions. La structure du questionnaire a été élaborée
conjointement avec le service de mobilité du Grand Poitiers. Ce service avait pour objectif de
récolter des données concernant les pratiques de mobilité de l’ensemble des salariés de la
technopole. Le questionnaire a donc été principalement orienté vers la problématique de la
mobilité. Une dizaine de questions concernant les caractéristiques sociales ont été ajoutées à
l’attention des salariés des centres d’appels, c’est-à-dire l’échantillon que nous avons choisi
d’analyser. Dans le but de récolter un maximum de réponses, le mode de passation du
questionnaire a été celui du questionnaire en ligne. Il a été diffusé vers la quasi-totalité des
entreprises de la technopole. Le taux de retour des salariés des centres d’appels n’a pas été
celui escompté au départ. Sur plus de 1 100 réponses obtenues, nous avons pu comptabiliser
232 individus travaillant dans 10 centres d’appels alors qu’ils représentent environ 3000
salariés sur la technopole. Les taux de réponses n’étaient pas proportionnels aux nombres de
salariés de l’entreprise. Ainsi, nous estimons que les taux de réponses varient entre 0,5% et
80% suivant l’entreprise. Les données quantitatives recueillies ne sont donc pas représentatives
mais permettent néanmoins de dessiner une tendance relative à l’impact des contraintes
horaires sur les chargés de clientèle dans les centres d’appels.
Nous nous sommes heurtés à différents problèmes concernant la passation des questionnaires.
En effet, les entreprises ne se sont pas toutes rendues accessibles ce qui explique, dans un
premier temps, le faible taux de retour. De plus, il nous a été signalé que les salariés des centres
13
d’appels, malgré le fait qu’ils travaillent sur des postes informatiques, ne pouvaient pas se
connecter au site internet sur lequel se trouvait le questionnaire en ligne. Nous avons alors
entrepris de faire passer des questionnaires sur support papier pour les distribuer au plus
grand nombre. Il y a donc eu deux modes de passation : l’un en ligne et l’autre par
questionnaire papier.
La difficile accessibilité de certaines entreprises du secteur de la relation client a révélé des
leurs principes d’organisation interne. En effet, les entretiens qualitatifs ont montré que ces
mêmes
entreprises
avaient
une
communication
interne
plutôt
développée
mais
essentiellement tournée vers la vie de l’entreprise. Les salariés avaient alors une bonne
connaissance des principes de l’entreprise et du développement de celle-ci (nouveaux clients,
développement de la firme à l’international par le biais notamment de la diffusion d’un journal
interne. A contrario, ils ont démontré une très mauvaise connaissance de la vie de la
technopole, comme par exemple du journal « Le Technopolitain » ou encore des activités
d’animation proposées sur le site (galette des rois, pique-nique géant, chasse aux trésors etc.)
Le faible taux de réponse n’a pas permis d’établir un état des lieux des profils sociaux des
salariés des centres d’appels. Cependant, grâce aux données issues du recensement 2008
réalisé par l’INSEE, nous avons pu effectuer des comparaisons et parfois des redressements de
données. De cette manière, les données INSEE nous ont donc permis d’avoir des données de
cadrage.
L’enquête quantitative a donné lieu à l’élaboration de cinq indicateurs de contraintes horaires
au regard des emplois du temps des salariés sur deux semaines de travail consécutives. Nous
nous sommes appuyés sur des données de cadrage de la DARES1 et de l’INRS2 pour avoir des
critères précis en matière de définition des horaires atypiques.
2. Les entretiens
L’utilisation des entretiens semblaient être également un outil indispensable quant à la
compréhension de l’articulation des temps de vie des salariés, de leurs modes de déplacements
ainsi que de leurs conditions de travail (concernant notamment la question des horaires
atypiques ainsi que celle de la flexibilité dans le travail). La complexité de l’articulation des
temps de vie ne pouvait pas être appréhendable quantitativement.
1
2
Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques
Institut National de Recherche et de Sécurité
14
Nous avons mené 17 entretiens auprès de 10 femmes et 7 hommes qui travaillent dans 5
centres d’appels différents. Les enquêtés sont âgés de 21 ans à 52 ans et 7 d’entre eux ont des
enfants à charge (de 6 mois à 4 ans).
Le choix des personnes de l’échantillon étudié s’est effectué en fonction des caractéristiques
sociales. Nous souhaitions avoir des personnes de différents âges, sexes et ayant ou non des
enfants à charge afin de pouvoir mettre en relief les points communs ou les points divergents.
Dans un premier temps, nous avons utilisé nos réseaux de connaissance pour trouver des
salariés susceptibles de répondre à nos questions. Dans un deuxième temps, afin d’élargir notre
échantillon, nous avons demandé à chaque salarié enquêté s’ils avaient des collègues qui
accepteraient de faire un entretien, notamment des salariés ayant des enfants.
Après une dizaine d’entretiens, nous avons observé une certaine similitude dans les discours.
Nous avons donc décidé d’arrêter les entretiens à 17. Des extraits d’entretiens apparaissent
tout au long de ce mémoire. Dans un souci de maintien de l’anonymat, chaque prénom a été
changé.
15
Partie I
D
es salariés soumis à la flexibilité et aux horaires décalés
16
Introduction
La désynchronisation des temps provient en grande partie de l’injonction à la flexibilité dans de
nombreux secteurs d’activité. Le secteur de la « relation client » s’apparente aux activités de
services aux personnes, qui dans une large mesure, nécessitent la présence de salariés dans des
tranches horaires qui ne correspondent pas à celles des horaires standards de travail. Il ne
s’agira pas ici de mettre en avant les difficultés des employés à concilier différentes sphères de
leur vie quotidienne, mais plutôt de comprendre quel type de population travaille dans les
centres d’appels. Nous nous intéresserons également à leur parcours jusqu’à leur arrivée dans
le milieu. Nous relèverons les principales caractéristiques du travail en centre d’appel mais
aussi dans quelle mesure ce type d’emploi est soumis aux principes de flexibilité et « d’hyper
taylorisation » (di Ruzza 2003, Buscatto 2002).
17
A. Le travail en Centre d’appels
Grâce à des données issues du recensement de 2008 de l’INSEE, nous avons pu dresser les
principales caractéristiques sociales des salariés des centres d’appels.
1. Profil social des salariés des centres d’appels
Sexe
 Plus de 2/3 de femmes
Age
 Un salarié sur deux a moins de 30 ans
9/10 des salariés ont moins de 40 ans
Les femmes sont légèrement plus âgées que les hommes
Niveau d’étude
 80% des salariés ont un niveau de diplôme égal ou supérieur au
baccalauréat
Les hommes apparaissent légèrement moins diplômés que les femmes
Structure des
 43% des salariés ont un enfant ou plus de moins de 18 ans
Environ 5% de familles monoparentales
80% des salariés ayant un enfant à charge ont entre 25 et 39 ans
19% des salariés sont des personnes vivant seules
ménages
Type de contrat
 2/3 des salariés occupent un CDI
Près de la moitié des 15 -24 ans occupent un CDD
90% des 30-39 ans occupent un CDI
Temps partiel
 8,5 % de temps partiel
10% des femmes sont à temps partiel
5% des hommes sont à temps partiel
PCS
 75% des salariés sont des employés
Les femmes occupent moins que les hommes des postes à responsabilités
5,7% des hommes sont cadres
Seulement 2,8% des femmes sont cadres
18
a. Un secteur d’activité féminin
Conformément à la tendance relevée dans le secteur tertiaire 1, les CA emploient une majorité
de personnel féminin (72,5% de femmes en 2008) 2. La spécificité de l’emploi féminin en centres
d’appels tient en partie au fait qu’il appartient au domaine du service aux entreprises. La
tendance nationale montre qu’au contraire, « les femmes sont surtout recrutées dans le
secteur des services aux particuliers et moins souvent dans celui des services aux
entreprises »3.
Cependant, les qualités attendues pour le travail en CA correspondent à celles exigées dans les
métiers du service. La part la plus importante du travail se fait en lien direct avec une personne
extérieure à l’entreprise (lorsqu’il s’agit d’effectuer du démarchage ou de répondre à une
demande de service). Entre métier de service et exécution de tâches répétitives, l’emploi en CA
semble profiter pleinement des compétences dites féminines et « jeunes ».
L’une des principales qualités demandées est la capacité d’écouter le client. En effet, en tant
qu’emploi non qualifié, le travail en CA semble pouvoir s’analyser comme tel, à l’aune des
travaux effectués par Madeleine Guilbert au sujet du travail des ouvrières. « Les employeurs,
expliquait-elle, utilisent dans l’univers de la production industrielle des compétences que les
femmes ont acquises dans la sphère familiale par le travail domestique. C’est parce que les
femmes ont la capacité d’effectuer plusieurs opérations à la fois qu’elles ont de la dextérité, de
la rapidité et de la minutie, qu’on les embauche pour des travaux parcellisés et répétitifs. Ces
qualités sont donc à la fois repérées et niées : ce sont des qualités féminines dites « naturelles »
et donc précisément pas des qualifications professionnelles » 4.
 Les compétences et le savoirs-être des femmes acquis dans la sphère familiale
correspondent aux exigences que requiert le travail en CA. Par conséquent ces
entreprises emploient davantage de femmes.
1
« Le secteur tertiaire (74 % du total des emplois) concentre 86,8 % de l’emploi féminin contre seulement 60 % de
l’emploi masculin ». Solveig Vanovermeir « Regard sur la parité, de l’emploi à la représentativité politique », INSEE
Première, n°1226, Mars 2009
2
Voir annexe Tableau 1 : Répartition homme/femme sur 100 salariés des centres d'appels en 2008
3
Ibid. Solveig Vanovermeir « Regard sur la parité, de l’emploi à la représentativité politique », INSEE Première,
n°1226, Mars 2009
4
Madeleine Guilbert, Les fonctions des femmes dans l’industrie, Mouton, Paris, 1966
19
b. Des emplois occupés par une population jeune
Le secteur de la relation client est, comme dit précédemment en introduction, relativement
récent. Le premier centre de relation client a vu le jour en 1998, 11 ans après la naissance du
parc du Futuroscope ; la Technopole compte aujourd’hui 12 centres d’appels. Les salariés
recrutés sont alors massivement des personnes jeunes. En effet, 90% des salariés ont moins de
40 ans.1
Nous avions fait l’hypothèse qu’il y aurait une part massive d’employés âgés entre 18 et 25 ans,
ce qui serait justifié par un grand nombre d’étudiants employés à temps partiel, en parallèle de
leurs études. En réalité, les chiffres montrent que l’âge ne paraît pas être une variable
déterminante dans le fait d’occuper un emploi à temps partiel ou à temps complet. Notons que
la faible part de salariés à temps partiel (8,5% des salariés) rend ce constat peu significatif.2
 La tranche d’âge la plus représentée dans les CA est celle des 30-39 ans. Cette tranche
d’âge représente la période où le taux d’activité des femmes est le plus élevé dans la
population nationale 3.
c. Un taux d’emploi à temps partiel comparable à celui du secteur industriel
Plus largement, notre hypothèse de départ était que les CA employaient une grande part de
leur personnel à temps partiel. Les chiffres semblent démontrer l’inverse. Au regard des
données de la DARES4, les CA de la Technopole ne semble pas employer une part importante de
temps partiels, comparée à l’ensemble du secteur tertiaire qui emploie 22% des salariés à
temps partiel. Les chiffres semblent plutôt se rapprocher des secteurs industriels (6,7%
d’emploi à Temps Partiel au 1er semestre 2012)5.
1
Voir annexe Tableau 2 : âge/sexe (initiale INSEE)
2 Voir annexe Tableau 3 : La répartition des temps de travail en fonction de l'âge sur 100 salariés en 2008
3
Ibid.
DARES, « De plus en plus d’emplois à Temps partiel au cours des vingt-cinq dernières années », Premières
synthèses, informations, Septembre 2007, n°39.3
5
Insee
4
20
Bien que l’emploi à temps partiel soit relativement faible par rapport à la moyenne du secteur,
on remarque un écart entre hommes et femmes. Ainsi, les femmes sont plus souvent à temps
partiel que les hommes (respectivement 10% et 5%).1
Il est largement possible de comparer le travail en CA avec le travail dans le secteur industriel.
La course à la productivité et à la rentabilité ajoutée à des conditions de travail difficiles,
rappelle le travail en usine. L’aspect « taylorisé » du travail en centre d’appel est proche de
celui du monde de l’industrie : Concentration sur des espaces exigus, cadences et rendement
fixés par des normes strictes, absence d’autonomie, généralisation de l’externalisation. Le
couplage Téléphonie-informatique a permis de mesurer la charge de travail et donc de
Tayloriser, d’industrialiser les tâches administratives.2
d. Une plus grande précarité pour les plus jeunes
Sur 100 salariés en centres d’appels en 2008, 26,5 environ ont un emploi à durée limitée alors
que 72,5 ont un emploi sans limite de durée. Il y a donc plus d’une personne sur quatre
employées en CDD.3
Sur 100 employés en CDD, 47,2 ont entre 15 et 24 ans alors qu’ils n’occupent que 25% des
emplois totaux.4 A mesure que l’âge augmente, la part du salariat en CDD diminue. Si nous
avions dit précédemment que l’âge ne semblait pas particulièrement influer sur l’emploi à
temps partiel ou plein, il semble qu’il le soit fortement pour ce type de contrat. Cette tendance
reflète l’évolution nationale ; en effet, en France, plus de la moitié des emplois temporaires
sont occupés par des personnes ayant moins de 29 ans et un tiers ayant moins de 24 ans 5.
La forte proportion de CDD chez les 18-24 ans et chez les 40-64 ans pourrait s’expliquer par le
fait que les centres d’appels constituent un « emploi de secours » pour des personnes ayant
des difficultés à retrouver un emploi en fin de carrière ou à trouver un premier emploi.
1
2
Voir annexe : Tableau 4 : Part des temps complets et temps partiels par sexe
Renato di Ruzza « la prescription du travail dans les centres d’appels téléphoniques » Revue de l’IRES. 2004
3
Voir annexe : Tableau 5 : La répartition des types de contrat en fonction de l’âge des salariés des centres d’appels
4
Voir annexe : Tableau 6 : La répartition par âge/ par types de contrat
5
Anne Mansuy et Loup Wolff, division Emploi, Insee, Une photographie du marché du travail en 2010, n°1991,
Février 2012
21
 Pour les franges de la population des plus jeunes (moins de 25 ans) et des plus âgés (40
ans et plus), le travail en centre d’appels constituerait un « job d’appoint » alors que
pour les personnes âgées de 25 à 39 ans, l’emploi en centre d’appels semble
correspondre aux emplois stables plus « standard» et moins précaires.
Ce phénomène semble correspondre aux parcours relatés par les salariés que l’on développera
ci-après.
e. Une majorité d’employées pour une minorité de cadres féminins
Parmi les salariés des centres d’appels étudiés, 75% sont des employés, 20% sont de
professions intermédiaires et 3,5% sont des cadres.1 Ces chiffres révèlent une structure très
hiérarchisée et pyramidale des emplois dans ce secteur d’activité. Nous remarquons à cette
occasion des inégalités entre les hommes et les femmes pour l’accès aux postes à
responsabilité : moins de 70% des hommes sont des employés alors que sur 100 femmes, 78,5
sont des employées. De même, 24,5% des hommes occupent des postes de professions
intermédiaires, alors que ce n’est le cas que pour 18,8% des femmes. Pour les professions de
cadres, on voit une différence encore plus importante puisque sur 100 hommes 5,7% sont des
cadres, alors que 2,8% des femmes le sont, soit plus de deux fois moins2.
 Il existe donc une corrélation entre le sexe et le niveau de responsabilité des postes
dans les centres d’appels. Les femmes auraient donc moins de responsabilités alors
même qu’elles ont des niveaux de diplôme plus élevés.
1
Voir annexe : Tableau 7 : PSC en fonction du sexe des salariés des centres d’appels en 2008
2
Voir annexe : Tableau 8 : Répartition des PSC par sexe des salariés des centres d’appels
22
2. Le parcours professionnel des salariés : des études aux périodes
d’incertitude
a. Des salariés non « qualifiés » mais fortement diplômés
Huit salariés sur 10 ont au moins un niveau d’étude égal ou supérieur au baccalauréat. 17,7%
ont un niveau BAC+4 ou plus alors même qu’il n’y a que 5% de cadres dans l’entreprise 1. Les
formations correspondant au métier de la relation client commencent juste à apparaître sur le
marché de l’emploi. Les recruteurs n’exigent a priori aucune qualification particulière à
l’embauche. Des formations allant d’une à trois semaines sont proposées en interne, dans
l’entreprise. Là encore, le peu d’exigence de qualification demandée rappelle le travail en usine.
Le traitement d’appels téléphoniques n’est pas une profession reconnue comme nécessitant
une formation spécifique, pouvant être proposée par un établissement scolaire ou
universitaire. « Ils n’exercent pas un métier, mais mobilisent des compétences sociales. La
maîtrise de soi, savoir parler correctement, être capable d’affronter des situations de face à
face ou répondre au téléphone font partie des qualités exigées et deviennent le cœur de leur
activité »2. Comme nous le verrons ci-après, le travail des employés est guidé par des
prescriptions strictes, émanant d’un management drastique qui s’apparente au modèle de
production tayloriste/fordiste. Pourtant, le produit vendu dans ces entreprises n’en reste pas
moins un service. Le salarié est confronté au client, à ses attentes, ses humeurs et ses besoins
particuliers. Le modèle tayloriste ne peut alors s’appliquer stricto sensu (Buscatto 2002, Cousin
2002 Flichy et Zarifian, 2002, Calderon 2006).
Ces qualités exigées font l’objet de peu de reconnaissance au sein de l’entreprise. Aucune
qualification professionnelle n’est demandée ; pourtant, les salariés sont massivement
employés à des niveaux d’étude Bac+2 alors même que les salariés sont souvent jeunes. Olivier
cousin remarque que « c’est parce que les entreprises ne reconnaissent pas la professionnalité
des salariés sur les plates-formes téléphoniques que la critique se focalise sur le contrôle. Mais
elle ne peut donner lieu qu’à des stratégies défensives comme le retrait, la triche ou le turn-
1
Voir annexe : Tableau 9 : Niveau de diplôme des salariés en centres d’appels par sexe
2
Olivier Cousin, « Les ambivalences du travail : Les salariés peu qualifiés dans les centres d'appels », Sociologie du
travail, Elsevier, 2002
23
over. Le désarroi est d’autant plus important qu’il s’agit d’une population jeune en quête de
reconnaissance »1.
Malgré le fait qu’a priori le travail en centre d’appels ne prévoit pas de diplôme particulier pour
entrer dans l’entreprise, le niveau de diplôme des salariés est relativement élevé. Le fait que
leurs compétences et connaissances ne soient pas reconnues par les entreprises comme étant
une prérogative pour y entrer pourrait faire croire que l’accès aux postes de chargé de clientèle
est accessible à tous. En réalité, ce n’est pas le cas.
 Les salariés des centres d’appels disposent d’un niveau de diplôme souvent supérieur au
baccalauréat cependant ces diplômes ne permettent pas toujours de trouver un travail
dans le secteur d’activité escompté à la sortie des études. Il arrive également que les
individus échouent dans leurs études supérieures. Il est donc également difficile pour
eux d’accéder au marché de l’emploi. Les centres d’appels trouvent dans ces profils une
main d’œuvre souvent flexible et peu rémunérée 2.
b. Les parcours professionnels : petits boulots et périodes de chômage
Les parcours professionnels des salariés sont également assez divers. Pour beaucoup, le
parcours professionnel réalisé entre l’arrêt des études et le travail en centre d’appels se résume
à une succession de « petits boulots » et de périodes de chômage. Une petite partie des salariés
ont eu un emploi avant l’arrivée en centre d’appels qui correspondait à leur formation. Ces
divers « petits boulots », ainsi appelés par les enquêtés, sont des emplois qui nécessitent très
peu de formation, le plus souvent sur des délais courts avec des contrats précaires.
La majorité des personnes rencontrées ont connu des périodes de chômage plus ou moins
longues (de quelques semaines à plusieurs années), avant d’entrer dans un centre d’appels et
même dans les périodes de transition entre deux centres d’appels. Ces périodes peuvent être
prises volontairement par les personnes qui les considèrent comme des phases transitoires.
Parfois elles sont perçues comme un temps de repos pendant lequel les personnes trouvent
1
2
Ibid p513
Patrice Flichy et Philippe Zarifian « Présentation », Réseaux 4/2002 (no 114), p. 9-19.
24
aussi du temps pour chercher un emploi dans d’autres secteurs d’activité ; mais elles sont
surtout, le plus souvent, en attente d’intégrer une autre plateforme.
Cette population de salariés se trouve souvent dans l’obligation de prendre un travail en centre
d’appels par défaut, comme nous l’avons dit plus haut. Beaucoup souhaiteraient reprendre
leurs études ou faire des formations permettant d’accéder aux métiers désirés, mais leur travail
au sein des centres d’appels occupe une grande partie de leur temps. Par conséquent, il est
difficile pour eux de se réorienter, par manque de temps mais aussi à cause du coût des
formations.
 Le parcours des salariés est souvent ponctué de « petits boulots » et de périodes
chômage. Les individus ayant des difficultés à s’insérer sur le marché de l’emploi entrent
souvent dans les centres d’appels pour subvenir à leurs besoins, pour ne pas se
retrouver en situation de précarité.
3. L’entrée dans les centres d’appels : du CDI au Turn-over
a. La recherche de stabilité grâce à l’obtention d’un CDI
Nous avons recensé, grâce à l’enquête qualitative, un certain nombre de raisons avancées par
les interviewés qui justifient leur entrée, leur choix de travailler en centre d’appel. Comme nous
l’avons compris, c’est le besoin crucial de revenus qui semble être la motivation première des
salariés. C’est donc dans un premier temps un contexte de marché de l’emploi difficile qui
conduit au travail en Centre d’appel.
Antoine (26 ans, un enfant à charge, en couple, 6 ans d’ancienneté)
« Très concrètement, les centres d'appel c'est un des rares métiers qui embauchent même si
ces derniers mois c'est moins le cas, mais depuis de longues années, si tu regardes les offres
d'emploi, si t’as pas de qualifications et pas d'expérience c'est un des rares boulots que tu peux
trouver et qui propose assez facilement des CDI ».
Travailler dans un centre d’appels représente, en premier lieu, l’entrée dans la vie active et
l’obtention, bien souvent pour la première fois, d’un contrat à durée indéterminée. Les
conseillers de clientèle, comme les chargés d’assistance, rompent ainsi avec ce que Georges
Friedmann appelait l’errance, c’est- à-dire avec l’instabilité chronique des jeunes faiblement
25
qualifiés qui cumulent les expériences, les petits boulots, les emplois précaires et les contrats
à durée déterminée (Friedmann, 1963).
 Ces emplois sont apparus dans un premier temps comme des emplois temporaire, aux
yeux des recruteurs mais aussi des recrutés. Mais la raréfaction des emplois tend à faire
de ceux-ci un emploi pérenne, qui permet, au même titre qu’un autre de « s’installer »
et de construire un foyer.
 Dans une période de fort chômage pour les jeunes entrant sur le marché du travail, ce
caractère d’emploi « stable » est largement valorisé par les salariés. Souvent embauchés
après des périodes de galère (emplois précaires, chômage), ils apprécient la garantie de
l’emploi et les avantages qui l’accompagnent.
Lors des entretiens, les chargés de clientèles mettent régulièrement en avant leurs
compétences techniques ou commerciales classiques mais aussi des capacités d’adaptation,
d’ouverture d’esprit, de remise en question de leur propre travail.
Dès lors, la stabilité dans l’emploi apparaît comme le ciment qui justifie une implication forte
des salariés dans leur activité de travail et dans l’apprentissage constant des nouveaux savoirs
demandés pour assurer la bonne marche de l’entreprise.
b. Le recrutement :
Les centres d’appels sont régulièrement à la recherche de salariés. Pour optimiser le temps de
recrutement, Pôle Emploi et le Conseil Général les aident en présélectionnant des candidats et
en leur prêtant des salles pour l’occasion. Les centres d’appels prévoient des journées
spécialement dédiées au recrutement et font passer des entretiens de groupe pour voir le plus
de postulants possible.
Il arrive que Pôle Emploi laisse un message vocal standard aux candidats pour qu’ils se rendent
à l’entretien en leur donnant les horaires et le lieu de l’entretien. Cependant, lorsqu’ils arrivent,
certains sont surpris par l’organisation, la « violence symbolique »1 du recrutement et ce qu’il
représente.
1
Dans cette situation les CA choisissent parmi les demandeurs d’emploi ceux qui sont les plus à même de servir
leurs intérêts. Ils sont donc en position de domination vis-à-vis des demandeurs d’emplois. Les inégalités sociales
26
Sylvie (52 ans, en couple, 5 ans d’ancienneté)
On était très, très nombreux. La salle des fêtes était pleine. Et on se retrouve avec tous les
demandeurs d’emploi. Toutes catégories confondues. Du jeune au moins jeune, du diplômé au
sans diplôme, femme, homme, toutes races confondues. Et on prend ça dans la figure. […]Moi
ce qui m’a choquée c’est… enfin on se rend compte que c’est des emplois qui sont… c’est l’usine
du XIXème siècle. Tout gens confondus. Moi je travaille avec des gens qui ont Bac +5, Bac+7. […]
Je suis rentrée chez moi, je me suis sentie sale. Du fait qu’il y ait une masse de gens. Et on prend
en pleine figure le fait d’être demandeur d’emploi….
Il se passe généralement très peu de temps entre l’entretien d’embauche et l’embauche ellemême. Beaucoup commencent à travailler quelques jours après l’entretien et parfois même le
lendemain.
Juliette (24 ans, en couple, 1 an et demi d’ancienneté)
Donc voilà j’ai été prise direct, j’ai commencé dès le lendemain, enfin ça c’est fait vraiment
précipitamment, ouais, ben parce qu’en CA c’est ça, ça bouge tout le temps, c’est par vague.
Donc y a en a qui peuvent embaucher une semaine après, mais tu vois moi les 3 CA que j’ai fait,
j’embauchais soit le lendemain ou alors là pour X [nom du centre d’appels] j’ai fait mon
entretien le lundi, j’ai commencé le mercredi matin à 8h. Formation d’une semaine, enfin bon
toujours un peu à l’arrache, puis ils t’expliquent vite, ils veulent te mettre tout de suite en prod.
Ceci implique que les personnes doivent faire un choix rapide pour décider si elles veulent y
travailler, elles n’ont pas forcément l’opportunité de postuler dans d’autres entreprises ou de
faire d’autres entretiens. Nous supposons que cette manière de procéder permet aux centres
d’appels de garder les candidats choisis et de ne pas leur laisser le temps de postuler dans
d’autres centres d’appels.
Les institutions publiques communiquent énormément pour que les demandeurs d’emploi se
dirigent vers les centres d’appels, régulièrement à la recherche d’employés. Le Conseil-général
et Pôle Emploi organisent plusieurs fois par an des forums et des rencontres entre les
demandeurs d’emploi et les centres d’appels. Ils proposent des visites des centres d’appels, de
faire découvrir les métiers de la relation client. Ils ont un rôle d’entremetteur entre les futurs
salariés et les entreprises1.
sont clairement établies entre les deux populations (les recruteurs tentent de préserver au mieux les intérêts de
l’entreprise, et les candidats) dans ce type de situation.
1
Entretien CG
27
 Le recrutement se fait souvent par groupe grâce à des techniques de management
permettant d’être efficace et d’optimiser du temps parfois au détriment des futurs
salariés.
c. Conséquences de cette méthode de recrutement : de nombreux départs
Cette méthode de recrutement n’est pas sans conséquences puisqu’un certain nombre de
salariés quittent les centres d’appels rapidement après leur arrivée. Du fait d’une formation
insuffisante, ils ne connaissent pas très bien le travail qu’ils vont faire et sont soumis d’emblée
à des impératifs de rendement, une efficacité de production importante, une cadence de
traitement précise.
Sylvie (52 ans, en couple, 5 ans d’ancienneté) :
En général nous quand il y a un recrutement le taux d’échec sera de 50% dans la semaine qui
suit et par exemple là on avait des seniors et ils sont partis. Le rythme était trop dur. Le rythme
de travail. La pression, les attentes, la rapidité, la productivité. […]
Juliette (24 ans, en couple, un an et demi d’ancienneté) :
En fait, depuis le début je me retrouve qu’avec 1 de mes collègues avec qui je m’entends très
bien heureusement. Et là ouais ça a tourné, comme mes 6 collègues ils ont démissionné, y en a 4
qui sont entrés et 3 qui sont partis tout de suite au bout de 2 jours, ils ont démissionné. Donc ils
ont fait la formation et au bout de 2 jours de prod. , ils sont partis. Là y en a 4 autres qui sont
arrivés, y en a une qui est déjà partie au bout de 15 jours. Ça tourne ben ouais. Là y en a 3 qui
sont arrivés jeudi en production. Donc là j’ai un week-end de 3 jours, du coup je sais pas trop où
ça en est…
Les centres d’appels téléphoniques et notamment ceux du Futuroscope se voient soumis à un
fort turn-over surtout dans les établissements qui proposent beaucoup de CDD. En effet, la
majorité des personnes rencontrées avaient déjà travaillé dans un autre centre d’appels. Soit
les personnes ne renouvelaient pas, volontairement, leurs contrats avec une entreprise au sein
de laquelle elles ne se sentaient pas bien, soit c’est l’entreprise qui ne souhaitait pas renouveler
le contrat. On estime le turn over à environ 30% par an en moyenne dans les centres d’appels
français1
On remarque une certaine différence dans les propositions de contrats selon les entreprises.
Certaines (peu) ne proposent en effet que des CDI avec des horaires plus fixes (voir point sur les
1
Sylvain Bonnafoux, Paul el Gammal, Stéphane Roux –« Le travail dans les centres d’appels » 2005
28
horaires). Ces entreprises semblent plus prisées par les téléopérateurs. Ce sont des entreprises
qui généralement semblent offrir des conditions de travail meilleures que les autres.
 Ce phénomène de turn-over s’explique par plusieurs facteurs : très peu d’investissement
au niveau de la formation des employés de la part des entreprises, un salaire minimum,
et des conditions de travail difficiles.
d. Un travail qui reste souvent temporaire du fait de conditions de travail difficiles
Dans les contraintes spécifiques aux centres d’appels, on retrouve le bruit, travail statique,
rythme de travail et résultats imposés, absence d’autonomie, contrôle omniprésent, procédure
rigide, répétitivité et absence de soutien collectif.
La cadence soutenue du travail, la répétitivité, les contrôles réguliers par les supérieurs
hiérarchiques sont sources d’une charge mentale importante. Ainsi, l’enquête quantitative a
révélé la présence de TMS, de troubles auditifs et de troubles du sommeil.
« C’est ça qui nous explose les oreilles à longueur de journée. T’as des migraines horribles après
3 heures de boulot. Ta durée de vie dans un centre d’appels c’est 5 ans maximum. Quand tu vas
au-dessus, soit tu prends des cachets, soit tu te drogues. » « Si on n’a pas les stat et ben là on
est dans le collimateur de la superviseure et la ça devient pas gérable »
Concernant les TMS (troubles musculo-squelettiques) des médecins du travail ayant mené une
étude sur les centres d’appels ont remarqué une forte souffrance physique chez les salariés au
niveau de la nuque, de la région dorsale et de la région Lombaire. 1
«J’ai jamais eu autant de migraines depuis que je travaille dans ce centre d’appel. J’ai au moins
une migraine par semaine. Devant des écrans, on est assis, on est courbés. C’est l’usine
moderne. On peut dire ça. On est pas à la chaine, on est pas en train de mettre nos trucs dans
nos cartons mais on est « allo…allo…allo » avec un discours à respecter, si tu ne le respectes pas,
tu te fais taper sur les doigts. T’entends que l’autre il tire la gueule au téléphone. C’est assez
oppressant. »
Le profil social des salariés de la Technopole est donc assez homogène. Un secteur caractérisé
par une population jeune, plutôt féminine avec des contrats à peine légèrement plus précaire
que la moyenne du secteur tertiaire. Cependant, le niveau de formation des salariés est
relativement haut, ce qui ne les protège pas de conditions de travail difficiles, d’un emploi où la
1
Dossier INRS 2011
29
rationalisation des tâches et la flexibilité des horaires est largement poussée. De plus,
nombreux sont les salariés à avoir des enfants en bas âge. Le travail en horaires décalés étant
courant, ces jeunes parents doivent user de stratégies pour surmonter des contraintes de garde
et donc de déplacement, en plus des nombreuses autres contraintes que procure le travail en
centre d’appel.
La contrainte temporelle est permanente dans les centres d’appels. Le principe est que
l’interlocuteur ne doit pas trop attendre, ni pour avoir un téléopérateur en ligne, ni pour
obtenir une réponse à l’objet de son appel. La communication doit être circonscrite dans le
temps pour des raisons de productivité ou pour ne pas donner à l’interlocuteur un sentiment
de harcèlement. Pour cela, le script est un outil essentiel de régulation du temps « reposant sur
un dialogue très « bordé » et un traitement rapide qui demande un suivi strict du script »1.
1
Renato di Ruzza « la prescription du travail dans les centres d’appels téléphoniques » Revue de l’IRES. 2004
30
B. Rationalisation optimale du temps
Le rapport au temps est omniprésent dans le travail des chargés de clientèle. Leur activité
productrice est perpétuellement soumise à l’optimisation temporelle, du chronométrage des
appels à celui des temps de pauses.
Ces salariés sont constamment tenus par des impératifs de temps. Ce qui pour l’employeur est
considéré comme un principe de rationalisation du temps est perçu par les employés comme
des contraintes ayant un impact direct sur la santé.
1. Optimisation du temps dans le travail
a. La pointeuse comme outil de contrôle
Dans le travail en centre d’appels, le chronométrage des tâches fait partie intégrante de
l’organisation du travail. Il permet aux entreprises de contrôler la productivité et les activités
des salariés.
Tout commence à l’arrivée des salariés sur leur poste de travail. Les centres d’appels utilisent
un système de pointeuse pour contrôler l’heure d’arrivée (mais aussi de départ) des salariés.
Ainsi, s’ils arrivent en retard, les supérieurs en sont avertis automatiquement.
Simon (30 ans, en couple, un enfant à charge, 3 ans d’ancienneté) :
L’année dernière c’était marrant, entretien annuel parce que étant donné que je fais des
horaires décalés et que je finis très tard le soir, y a des matins au lieu d’arriver à 8h comme je
suis fatigué j’arrive à 8h30-9h. Et ça m’arrive souvent, 3 ou 4 fois dans l’année. Et à mon
entretien annuel ils m’ont ressorti les 4 fois où j’étais arrivé en retard, alors ça sur 1 ans, et ça
m’a pénalisé.
Pour inciter les salariés à être ponctuels et à respecter les temps de pause, certains centres
d’appels ont mis en place des primes de ponctualité. S’ils ne respectent pas les horaires, les
salariés peuvent être sanctionnés.
Certaines lignes managériales demandaient aux salariés d’arriver une dizaine de minutes en
avance pour pouvoir commencer la prise ou l’émission d’appels. Cependant, l’arrivée sur son
poste de travail ne signifie pas commencer le début de l’émission ou de réception d’appels. Il
est nécessaire avant de pouvoir effectuer cette tâche d’allumer l’ordinateur et de se connecter
31
au logiciel gérant les appels. Les salariés arrivaient donc en avance pour éviter le temps de
latence entre l’arrivée dans l’entreprise et le pointage effectif sur l’ordinateur.
Simon (30 ans, en couple, un enfant à charge, 3 ans d’ancienneté)
A l’époque dans mon entreprise le discours c’était vous embauchez à 8h mais vous êtes là 15
min avant pour pouvoir prendre le premier appel à 8h. Donc c’était un combat de tous les jours.
La direction disait que c’était des comportements managériaux déviants parce qu’ils savaient
qu’on pouvait pas prendre le premier appel à 8h. Ils ont essayé sur un site de voir combien de
temps les gens se connectaient avec 4 ordinateurs différents, pour voir l’ordinateur qui était le
plus rapide à brancher, maintenant ça va mieux. Mais c’était des revendications assez
importantes.[…] Donc on arrivait dans un système fou parce que quand on fait le calcul du
nombre de minutes en une année, c’est énorme.
 Dès l’arrivée du salarié dans l’entreprise, l’optimisation du temps se fait ressentir, à tel
point que ce n’est pas la présence du travailleur qui détermine le temps de travail mais
la preuve informatique de son activité.
b. Le chronométrage des tâches
Les activités menées par les salariés des centres d’appels peuvent être de différentes natures.
Les deux opérations principales des centres d’appels sont les appels entrants (réception par les
téléopérateurs des appels téléphoniques) et les appels sortants (les téléopérateurs appellent
les potentiels clients ou clientes). La majeure partie d’entre eux n’effectue qu’un des deux
types d’opération. Le chronométrage des appels entrants engendre alors des difficultés
particulières pour les employés. « Les appels sortants peuvent en effet être programmés de
manière précise en fonction de la durée moyenne des appels et de la plage horaire visée et font
appel à des techniques d’entretien orientées vers la vente ou la persuasion. À l’inverse, les
appels entrants sont caractérisés par l’imprévisibilité des intentions des consommateurs et de
leurs demandes, les comportements attendus des télé conseillers étant dans ce cas davantage
de l’ordre de l’aide, du support, de la prise en charge ou encore du conseil. 1»
La norme managériale de rationalisation du temps entraine une situation paradoxale du fait
qu’il y a d’un côté un chronométrage des opérations et de l’autre une qualité du service
demandé aux salariés. « Les télé-conseillers se trouvent alors régulièrement confrontés à
l’exigence d’articuler des impératifs contradictoires de productivité et de personnalisation de
l’échange. L’organisation révèle ici la mise sous tension d’une double tendance à « l’hyper
1
PICHAULT François et ZUNE Marc, Une figure de la déréglementation du marché du travail : le cas des centres
d’appels, Revue Management et conjoncture sociale, n°580, 2000, p3
32
taylorisation » et à « l’hypo fordisation 1 » [Di Ruzza, 2003], exigeant localement de dépasser les
injonctions paradoxales dans la construction de la relation avec le client. »2.
Selon le type de tâches, le chronométrage ne permet pas d’effectuer le travail « réel ». Il
semble y avoir un certain décalage entre les objectifs managériaux (le travail prescrit) et les
conditions d’une bonne exécution des tâches (le travail réel) (Caldéron, 2006). Le moindre
temps de latence est soumis à une rationalisation. Le temps de réception ou d’émission
d’appels est soumis à une cadence imposée limitant les « temps morts », calculé en secondes.
En effet, il est stipulé, dans les conventions collectives relatives aux centres d’appels, que tous
les centres d’appels doivent appliquer cette « temporisation » entre 2 appels.
Tableau 1 : la temporalisation des appels 3
Emission d’appels Réception d’appels
Pour les opérations dites « simples »,
8 secondes
4 secondes
Pour les opérations dites « complexes »,
10 secondes
6 secondes
Des outils techniques sont aussi mis en place pour favoriser « le management à la minute ».
L’un des plus utilisés est le système de distribution des appels aux téléopérateurs appelé ACD
(Automatic Call Distribution). Ce système aiguille, en continu et en temps réel, les appels
entrants et sortants du trafic téléphonique grâce à un outil intelligent et programmable. Celui-ci
dirige l’appel vers un opérateur en fonction de plusieurs critères : « disponibilité, compétences
en adéquation avec la demande du client, nombre d’appels déjà pris, durée de ces appels… »4.
L’ACD peut être configuré par le superviseur et a plusieurs fonctions. Du point de vue du client,
il permet de réduire le temps d’attente et de sélectionner l’opérateur en fonction de sa
demande. Du point de vue de l’entreprise, il évite, là encore, la multiplication des temps morts
et autorise la gestion des appels en flux tendu.
1
Désigne un travail finalement contre-productif
CIHUELO Jérôme, Le cas d’un modèle hybride de centre d’appels, entre rationalisation et réappropriation
professionnelle, la découverte/réseaux, 2010 n°164, P172
3
Livret d’accueil des salariés des centres d’appels prestataires, CGT
4
Sylvain Bonnafoux, Paul el Gammal, Stéphane Roux « Le travail dans les centres d’appels » 2005
2
33
 Le chronométrage et les outils techniques permettent de calculer l’ensemble des temps
de travail pour rendre la productivité optimale. Les salariés sont donc soumis à des
rythmes extrêmement cadencés dans leurs tâches quotidiennes de travail et contrôlés à
tous les niveaux de production.
Les contraintes liées au temps sont omniprésentes dans les revendications syndicales des
organisations de la branche. « Les contraintes liées à la gestion du temps et à l’intensité du
travail ont été largement mises en avant, ce qui a abouti à une liste de propositions
revendicatives parmi lesquelles figurent la question de la temporisation (8 secondes entre les
appels entrant et 15 secondes entre les appels sortants») mais aussi la question des pauses »1.
2. Les temps de pause soumis au contrôle
a. Les pauses courtes
Les temps de pause ne sont pas les mêmes dans tous les centres d’appels ; ils dépendent des
conventions collectives. Les pauses sont chronométrées, les salariés doivent indiquer sur leur
poste de travail lorsqu’ils partent en pause. Si les salariés dépassent de quelques minutes, les
superviseurs en sont avertis.
Dans certains centres d’appels, les pauses ne se prennent pas à heure fixe. Il est nécessaire que
les employés ou que la hiérarchie s’organisent. Il arrive que les employés soient obligés de
prendre leur pause une heure après être arrivés à leur travail. Ce sont les prévisions des flux
d’activité qui conditionnent ces temps de pause. « Les temps de pause et de retrait
(déconnexion temporaire) s’inscrivent dans des temps limités et contrôlés. […] Le tableau
lumineux installé sur chaque plateau comptabilise en temps réel le nombre de personnes
« déloguées » ou en retrait, le taux de contribution de chaque centre d’appels et l’accessibilité
globale. Il constitue un repère commun et une source de pression. Il renseigne les téléconseillers sur l’intensité du flux et l’opportunité d’un désengagement temporaire. »2
Le temps de la pause qui a pour fonction de laisser un espace de temps libre à l’employé
devient en fait un temps délimité par la production. A tel point que les raisons pour lesquelles
les pauses sont obligatoires tentent d’être rationalisées elles aussi.
1
Renato di Ruzza « la prescription du travail dans les centres d’appels téléphoniques » Revue de l’IRES. 2004 n1
2
CIHUELO Jérôme, Le cas d’un modèle hybride de centre d’appels, entre rationalisation et réappropriation
professionnelle, la découverte/réseaux, 2010 n°164, P171
34
Antoine (26 ans, en couple, un enfant à charge, 6 ans d’ancienneté)
Il y a deux semaines, ils ont demandé aux agents d’avoir un avis médical comme quoi ils
devaient aller plus souvent aux toilettes que les autres ».
 Si le code du travail prévoit des réglementations pour les temps de pause 1, ce sont plus
les outils informatiques qui semblent donner la cadence dans l’entreprise.
Pourtant, les pauses sont indispensables car celles-ci jouent un rôle préventif en matière de
santé. Celles-ci rythment également la journée des travailleurs, notamment les repas le midi.
b. La pause de midi
Il existe une grande disparité de la durée de la pause déjeuner en fonction des entreprises et en
fonction du poste occupé par l’employé(e).
La pause de midi a une durée minimale de ¾ d’heure, entre 11h et 16h (Article 5 de l’Avenant
relatif aux salariés des Centres d’appels non intégrés du 20 juin 2002). Elle peut être d’ 1
heure, 1h 15, voire 1h30 selon l’établissement. Si l’embauche est tôt le matin, la pause va être
aux alentours de midi. Si la personne est « de fermeture » c'est-à-dire qu’elle embauche à partir
de 10h-10h30, la pause de midi va être reculée. La pause « midi » peut être repoussée jusqu’à
16h, au bout de 3 heures de travail effectives dans les cas où le salarié commence à 13h et finit
à 22h.
Pour la plupart des salariés des centres d’appels (80%) le temps de pause déjeuner est d’une
heure, ce qui laisse peu de temps pour faire autre chose que manger. Le temps libre est alors
restreint, de fait, à un temps physiologique.
Antoine (26 ans, en couple, un enfant à charge, 6 ans d’ancienneté)
Et au niveau des repas tu as une heure en général pour manger ? Où est ce que tu vas
manger, le plus souvent ?
Chez moi, je suis juste à côté. Mais voilà, c’est tout le temps la course. Tu peux pas t’asseoir sur
le canapé sinon tu peux plus bouger. C’est tout le temps la course. En continu.
1
Les temps de pause, tout comme le temps de travail est régit par le code du travail. Lorsque les CA sont rattachés
aux conventions collectives des CA, ils doivent appliquer la loi suivante : article 6 de l’Avenant relatif aux centres
d’appels non intégrés du 20 juin 2012 stipule : « Les séquences de travail ne peuvent être supérieures à 3 heures de
travail effectif. Ces séquences de travail doivent être séparées par une pause obligatoire de 10 minutes au bout de
2 heures de travail effectif et 15 minutes au bout de 3 heures de travail effectif. Certaines entreprises appliquent 5
minutes au bout de 1 heure de travail effectif, au libre choix de l’employeur. Ces pauses sont rémunérées mais sont
exclues du travail effectif ; ces pauses ne peuvent pas être cumulées pour être prises en fin de journée de travail. »
35
 Les salariés, en fonction de leurs cycles horaires, n’ont pas les mêmes pauses déjeuner
toutes les semaines. Ils subissent donc une fluctuation de leurs horaires de repas, ce qui
peut engendrer des perturbations de leur rythme physiologique.
3. L’annualisation du temps de travail favorise la flexibilité
Pour les centres d’appels travaillant pour des prestataires, la charge de travail est fluctuante. En
effet, les centres d’appels n’ont pas toujours le même nombre de contrats avec leurs
prestataires. De plus, en fonction des périodes commerciales, les flux d’activités ne sont pas les
mêmes. L’annualisation du temps de travail sert alors à augmenter ou à diminuer les heures
de travail des salariés en fonction du flux d’activité. « Le volume horaire varie généralement
entre 28 et 42 heures par semaine. Selon la convention collective des prestataires de services,
les horaires hebdomadaires de travail effectif ne peuvent être inférieurs à 20h et ne peuvent
excéder 42 h. 1»
L’autre recours pour répondre à la hausse de la charge de travail est de faire appel à des CDD.
Ainsi, l’annualisation, pour les entreprises, semble nécessaire pour ajuster leur production en
fonction des besoins de la commande. Dans les centres d’appels, 1/3 des salariés sont en CDD
ce qui est nettement supérieur à la moyenne nationale, 15% en 2007 2. Par conséquent, les
centres d’appels doivent recourir à une main d’œuvre flexible pour répondre aux impératifs
commerciaux liés à leur activité.
 Les centres d’appels répercutent donc ces fluctuations de travail sur les salariés en
adaptant le temps de travail au plus près de leurs besoins. Par conséquent, le temps de
travail devient un outil d’ajustement, contraignant les salariés à s’adapter sans cesse à
ces exigences.
4. Les centres d’appels : un modèle taylorien ?
L’environnement technologique favorise cette traçabilité qui aide les superviseurs à planifier et
à intensifier l’activité tout en individualisant le contrôle des performances. Les procédures
automatisées de la performance des salariés ainsi que des évaluations de la qualité de leurs
prestations sont multipliées. Il est souvent fait référence à la notion de taylorisation pour
qualifier cette situation qui reste basée sur des critères quantitatifs tout en se voulant axée sur
le qualitatif. Il est apparu dans notre enquête que certains salariés se comparent à des
1
2
Livret d’accueil des salariés des centres d’appels prestataires, CGT, p83
INSEE, 2007 URL http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=2&ref_id=15508
36
machines qui ne doivent pas être défaillantes. Ainsi, les rapports humains qui sont au centre de
leur travail ne sont pas en adéquation avec la manière de travailler. Il s’agit d’appeler ou d’être
appelé par des clients et de répondre le mieux possible à leurs attentes ou de leur vendre le
plus de produits possible dans un laps de temps bien défini.
Le paradoxe est qu’ils ne
travaillent pas dans le secteur secondaire, dans une usine sur une chaine de travail, mais dans
le secteur des services en relation avec leur clientèle.
Sylvie (52 ans, en couple, 5 ans d’ancienneté) :
Moi ce qui m’a choquée c’est… enfin on se rend compte que c’est des emplois qui sont… c’est
l’usine du XIXème siècle. […] C’est l’usine des temps modernes, tout simplement.
Les salariés ont des difficultés à appliquer ce schéma dans leur travail, ce qui peut créer parfois
chez eux un sentiment d’inaboutissement/inachèvement du travail et de dévalorisation de soi
(ne pas être capable de faire le travail demandé).
Simon (30 ans, en couple, un enfant à charge, 3 ans d’ancienneté) :
Ça veut dire que quand on prend un appel on a un temps minimum de traitement, ce qui est à
peu près logique parce qu’on peut pas passer 15-20 minutes avec un client sauf qu’au moment
où vous raccrochez avec le client y a pas de suivi du dossier.
Vous avez fait votre travail, vous avez envoyé un message à une personne que vous ne
connaissez pas lui indiquant que cette personne là a un problème sur sa ligne réseau et donc il va
falloir la régler. Mais derrière, vous avez pas de suivi du travail. Vous avez vraiment le travail en
miettes, vous savez pas du tout à quoi vous servez véritablement à part répondre au téléphone,
vous n’avez pas d’utilité vous ne voyez pas l’achèvement du travail.
Les clients également, au téléphone, leur rappellent les limites de cette manière de procéder.
Là encore, cela vient renforcer ce sentiment. De plus, ils n’ont pas les moyens de pouvoir
changer la situation, d’où un sentiment d’impuissance dans leur travail. « Cette sorte
d’hybridation de la forme organisationnelle articule donc deux principes contradictoires : la
standardisation des procédés et l’introduction massive des procédures de fonctionnement pour
maîtriser les coûts d’une part, et la personnalisation des produits pour créer de la valeur,
d’autre part. Ce modèle de maîtrise des coûts/création de valeur ajoutée est une réponse aux
contraintes liées à un environnement incertain (technologie instable et forte concurrence). »1
Cette rationalisation taylorienne passe par une accentuation de la division du travail, un
système de salaire au rendement et un système de contrôle qui doivent ensemble concourir à
1
AGHOUCHY Kenza, Les procédures comme forme de contrôle des comportements et des valeurs : le cas d’un
centre d’appels téléphoniques, érès/connexions, 2003, n°79, p53
37
une meilleure efficacité de l’organisation. Jacquot et Balzani distinguent cinq grands thèmes
dans l’idéologie taylorienne : Diviser le travail et ses responsabilités en séparant la conception
et l’exécution, rationnaliser le travail, augmenter la productivité en amenant le salarié à
atteindre son plus haut niveau d’efficience, briser les résistances par une nouvelle manière de
gouverner les hommes, garantir l’harmonie sociale et se préserver des conflits en préconisant
la coopération. 1
D’autres caractéristiques du travail en centre d’appels sont construites dans une logique
taylorienne. Le CTI (couplage téléphonie-informatique) permet une gestion informatisée et
automatisée des appels. Les informations et les procédures nécessaires au traitement d’appel,
(« script ») sont automatiquement affichées sur l’écran. Même si indéniablement cette
automatisation des tâches possède un aspect pratique, le chargé de clientèle perd une partie
du contact avec sont interlocuteur.
Tous les centres utilisent des supports écrits qui s’affichent sur l’écran, dès émission ou
réception d’appel, qui prennent la forme de consignes, d’argumentaire, de plan de dialogue.
« Cependant les supports écrits n’ont pas tous la même vocation ni la même utilisation. Dans
certains centres, ils peuvent décrire concrètement la démarche à suivre pour répondre à un
interlocuteur : prescription fine du dialogue, de la formule d’accueil. Dans d’autres cas, ils n’ont
aucune fonction relative au dialogue mais sont utilisés comme des référentiels de procédure ou
de recherche des informations nécessaires au traitement de l’appel »2. Ces supports écrits sont
conçus par le manageur, superviseur ou responsable de plateau. Ce script suit un « modèle
opératoire » précis, utilisant des techniques commerciales répondant à des normes de
comportement, de personnalisation de l’appel, de dialogue constamment recentré sur le
service que doit rendre l’opérateur, avec des objectifs toujours quantifiés.
« Dans les centres d’appels, le travail des téléopérateurs est minutieusement minuté,
strictement encadré et contrôlé avec l’aide d’instruments technologiques toujours plus
performants, les prescriptions sont drastiques et leur non respect peut avoir des effets fâcheux
sur les téléopérateurs (« délogage », perte de rémunération. La séparation est nette entre les
téléopérateurs qui exécutent le travail préalablement défini par d’autres et une hiérarchie qui
supervise, contrôle et sanctionne. Ces caractéristiques se traduisent, comme dans les modèles
1
2
Jacquot Lionel et Balzani Bernard : « Sociologie du travail et de l’emploi » Ellipses 2010
Renato di Ruzza « la prescription du travail dans les centres d’appels téléphoniques » Revue de l’IRES. 2004
38
productifs tayloriens traditionnels, par des conditions de travail où la répétitivité, les
séquences, les cadences, l’intensité, le stress, les postures induisent des conséquences néfastes
en termes de santé. »1
1
Renato Di Ruzza « la prescription du travail dans les centres d’appels téléphoniques » 2004
39
C. Les horaires atypiques des salariés en centre d’appels
1. Cadre et définition des horaires « standards» et « atypiques »
Comprendre la flexibilité dans le travail des salariés, nous a amenés à étudier leurs horaires de
travail. Pour définir ces horaires, nous nous sommes appuyés sur les critères produits par
l’INRS1, concernant les horaires standards de travail.
Les critères de l’INRS pour définir une semaine standard
La semaine standard est définie juridiquement par 4 critères :
Les horaires effectués entre 5h et 23h,
Cinq jours de travail pleins à raison d’au moins 5h de travail par jour)
La durée hebdomadaire comprise entre 35h et 44h
Deux jours de repos consécutifs
Compte tenu des pratiques sociales les plus courantes, dans le domaine du temps de travail, les
précisions suivantes sont apportées, pour définir la semaine standard :
5 jours travaillés : du lundi au vendredi
Les horaires sont compris entre 7h et 20h
Régularité des jours et heures travaillés
Absence de travail les jours fériés
« L’expression « horaire atypique » s’applique donc selon ces critères à tous les aménagements
du temps de travail situés en dehors du cadre de la semaine « standard ».2 » Signalons que,
selon les données de la DARES, seuls 37% des salariés en France ont des horaires standards de
travail. Ceci signifie donc qu’une majorité des salariés français ont des horaires atypiques de
travail. Nous pouvons nous demander alors si cette norme est toujours valable étant donné que
la majorité des travailleurs ont des horaires « atypiques ».
Le cadre des horaires « atypiques » étant posé, nous avons pu repérer les éléments qui
semblaient récurrents dans les horaires des salariés des centres d’appels. Nous avons donc
produit des données quantitatives permettant de voir où se situaient les salariés des centres
d’appels au regard de cette norme.
A partir des récurrences observées dans notre échantillon, nous avons élaboré quatre types de
contraintes horaires3 (première partie du tableau) :
1
INRS, Points des connaissances, Les horaires atypiques, ED 5023
INRS, Points des connaissances, Les horaires atypiques, ED 5023
3
Il existe dans notre échantillon des salariés travaillant la nuit ou le dimanche, cependant l’effectif apparait trop
faible pour que nous puissions traiter ces données.
2
LES CONTRAINTES HORAIRES DES SALARIES DES CENTRES D’APPELS
1. Variation horaire d’une semaine à l’autre1
 71% des salariés
2. Les horaires décalés dans la journée2
 un salarié sur deux (48,7%)
3. Travail le samedi3
 38,7% des salariés
4. Irrégularité des horaires durant la semaine4
 16% des salariés
Cumul des contraintes
(Parmi les 4 contraintes citées ci-dessus)
Aucune contrainte horaire
 16,4%
des
salariés
n’ont
aucune
contrainte
Contraintes horaires faibles
 1/4 des salariés ont une contrainte
83,6% ont au moins une contrainte
Contraintes horaires moyenne
 1/4 des salariés ont 2 contraintes
57% ont au moins 2 contraintes
Contraintes horaires forte
 1/4 des salariés ont 3 contraintes
30,3% ont au moins 3 contraintes
Contraintes horaires très forte
 3,6% des salariés ont les 4 contraintes
2. Cumul des contraintes plus important pour les plus jeunes en CDD
En moyenne, plus de 8 salariés sur 10 de notre échantillon ont au moins une contrainte
horaire de travail. Comparativement à la moyenne des salariés français n’ayant pas de
contraintes horaires, les centres d’appels apparaissent comme un secteur particulièrement
1
Lorsque le salarié n’a pas les mêmes horaires de travail d’une semaine à l’autre.
Lorsqu’un salarié commence le travail avant 8h ou après 11h ou termine le travail avant 16h30 ou à partir de 20h.
3
Lorsque les salariés travaillent le samedi.
4
Lorsque le salarié n’a pas les mêmes horaires de travail durant la semaine, hormis le samedi. En effet, pour tous
les salariés les horaires du samedi sont différents des autres jours de la semaine.
2
41
soumis à la flexibilité horaire (37% des salariés français ont des horaires standards alors qu’ils
sont 16,4% en centres d’appels). Mais à l’intérieur des centres d’appels, des inégalités existent.
Parmi les salariés prés de 7 sur 10 changent d’horaires chaque semaine. Ceci peut être imputé
à l’organisation du temps de travail qui est constitué sous forme de cycle. Un cycle équivaut
généralement dans les centres d’appels à une semaine. Mais ce n’est pas le cas pour tous les
centres d’appels puisque parfois il peut correspondre à plusieurs semaines 1.
Concernant l’irrégularité des horaires sur une semaine de travail, 16% des salariés subissent
cette contrainte2. Nous avons noté une corrélation entre cette variable et la profession. Les
Cadres et professions assimilés ont davantage tendance à sortir de leur travail de manière plus
irrégulière. 3 Les décalages représentent un volume d’heures assez restreint, allant de 15 min à
2h. En effet, les cadres ne sont pas rémunérés à l’heure comme les chargés de
clientèles/téléopérateurs. Ont-ils une meilleure maitrise de leur temps ? Est-ce du temps subi
ou choisi ?
Les salariés soumis à des horaires décalés pendant une journée de travail représentent près
de la moitié (48,7%) des salariés des centres d’appels4. On constate qu’il y a un lien entre le
fait d’avoir entre 18 ans et 29 ans et le fait d’avoir des horaires qui ne correspondent pas à
une journée standard de travail. Cette population est surreprésentée par rapport aux
personnes ayant 30 ans et plus.5
Plus d’un tiers des salariés travaillent le samedi (38,7%) 6. Ce sont là encore les plus jeunes (1829 ans) qui travaillent le plus souvent le samedi 7 mais également les salariés qui sont en CDD8.
Les plus jeunes, outre qu’ils ont des statuts plus précaires dans les centres d’appels, sont ceux
qui cumulent le plus de contraintes horaires. Nous n’avons pas pu faire de corrélation
significative entre le fait d’avoir le plus de contraintes horaires et le fait d’être en CDD à cause
1
Voir annexe : Tableau 10 : « La variation des horaires d’une semaine à l’autre »
2
Voir annexe : Tableau 11 : « les horaires journaliers décalés dans une même semaine »
3
Voir annexe : Tableau 12 : « La variation des horaires d’un jour à l’autre dans la même semaine selon la
profession »
4
5
6
7
8
Voir annexe : Tableau 13 : « les horaires décalés dans une même journée »
Voir annexe : Tableau 14 : « Les horaires décalés selon l’âge »
Voir annexe : Tableau 15 : « Part des salariés travaillant le samedi »
Voir annexe : Tableau 16 : « Part des salariés travaillant le samedi selon l’âge »
Voir annexe : Tableau 17 : « Part des salariés travaillant le samedi selon le type de contrat »
42
du nombre trop peu élevé de CDD. Néanmoins, les CDD sont les emplois qui permettent de
pallier les besoins de l’entreprise lorsque la charge de travail est accrue au sein de l’entreprise.
Il semblerait donc qu’ils soient soumis à plus de flexibilité. Ce phénomène semble s’expliquer
par le fait que les plus jeunes ont moins de responsabilités familiales, ce sont ceux ayant le
moins d’enfants à charge. Il leur est donc moins difficile de pouvoir travailler avec des horaires
plus contraignants que les salariés ayant des enfants à charge1.
De plus, un certain nombre d’étudiants travaillent dans les centres d’appels. Leurs moments de
disponibilité pour leur emploi se situent donc en fin d’après midi-début de soirée. Ces horaires
atypiques leur permettent de travailler.
Concernant les salariés ayant des enfants à charge, nous pouvons imaginer qu’ils choisissent
leur travail en recherchant le minimum de contraintes pour permettre une meilleure
articulation entre leur travail et leur vie privée. Cette population n’est cependant pas exempte
de contraintes horaires. Des horaires atypiques de travail qui renforcent sur de nombreux point
les inégalités sociales.2
Selon les donnée de la DARES 3 , les contraintes horaires ne sont pas les mêmes pour tous les
salariés en fonction du secteur d’activité. La DARES a répertorié 6 catégories en fonction des
horaires atypiques et des contraintes de travail. Les salariés des centres d’appels correspondent
à une de ces catégories ou la durée de travail varie en fonction de la saisonnalité.
3. Des horaires atypiques et contraignants liés à la saisonnalité.
La première et principale caractéristique de cette catégorie est le fait que les salariés ont une
durée de travail plus ou moins importante en fonction des périodes de l’année. Comme nous
avons pu le voir précédemment, le fait que les centres d’appels annualisent le temps de travail
permet d’adapter le temps de travail en fonction du flux d’activité de l’entreprise.
La seconde réside dans le fait que ce sont principalement les jeunes qui sont concernés par ces
contraintes horaires. Nous avons décrit plus haut ce phénomène. Le travail en centre d’appels,
proche de l’activité industrielle de par la rationalisation de l’organisation du travail impose ces
contraintes horaires aux salariés.
1
Voir annexe : Tableau 18 : La structure des ménages des salariés des centres d'appels
2
Laurent Laisnard « flexibilité des horaires de travail et inégalité sociales » 2006
DARES, Horaires atypiques et contraintes des le travail : une typologie en 6 catégories, premières informations et
premières synthèses, n° 22, mai 2009
3
43
A cela s’ajoute d’autres critères correspondant au travail en centres d’appels :
-
Le fait que les salariés ne maitrisent pas leurs horaires de travail
-
Certains travaillent la nuit et le dimanche
-
Le travail occasionnel le samedi
-
Le travail répétitif avec peu d’autonomie caractéristique du travail industriel peu
qualifié1
En effet, ces salariés n’ont pas la maîtrise de leurs horaires, comparativement à des cadres qui
peuvent parfois adapter leur temps de travail plus facilement. Ce sont les supérieurs
hiérarchiques des salariés des centres d’appels qui fixent les horaires. Les salariés ne peuvent
donc pas les changer. Une part des salariés travaille effectivement le dimanche et la nuit mais
ils ne constituent pas la part des salariés la plus importante dans ces entreprises. Dans certains
centres d’appels, il est possible de travailler le dimanche sur la base du volontariat, tout en
étant mieux rémunéré. De même, plus d’un salarié sur trois travaille le samedi, en moyenne,
même s’il y a quelques différences en fonction du type de contrat et de l’âge des salariés. Par
conséquent, tous les critères répertoriés dans la 6ème catégorie de travail atypique de la DARES
correspondent au travail en centres d’appels.
L’INRS nous permet de situer les centres d’appels parmi deux catégories d’irrégularité des
rythmes de travail :
« Les cycliques » dont les rythmes de travail sont organisés en programmes s’étendant sur
plusieurs jours, plusieurs semaines et qui se reproduit à l’identique ». Il s’agit de la population
travaillant dans le secteur industriel.
« Les irréguliers » dont le nombre de jours travaillés et/ou les horaires de travail changent de
manière irrégulière2 ». Ce rythme concerne davantage les jeunes entrant sur le marché du
travail et tendent à se réduire avec l’âge.
Nous pouvons avancer plusieurs hypothèses pour expliquer cette capacité des jeunes à
accepter davantage les horaires atypiques de travail.
-
La situation économique difficile explique en partie l’exigence en matière de conditions
d’emploi revue à la baisse par les jeunes chercheurs d’emploi.
1
DARES, Horaires atypiques et contraintes des le travail : une typologie en 6 catégories, premières informations et
premières synthèses, n° 22, mai 2009, p 4
2
INRS, Points des connaissances, Les horaires atypiques, ED 5023, p2
44
-
Les jeunes sont plus à même d’accepter des horaires atypiques du fait qu’ils ont moins
de contraintes familiales.
-
L’emploi en centre d’appel est perçu par les jeunes comme temporaire et ils sont donc
moins exigeants sur les horaires.
-
On peut penser également que la population des centres d’appels est jeune du fait que
les personnes plus anciennes ne restent pas très longtemps parce que la pression est
trop lourde et les conditions de travail trop dures.
-
Certains salariés sont étudiants ou occupent une activité annexe. Le travail à temps
partiel avec des horaires atypiques est pour eux un choix.
Annie (26 ans célibataire, un an et demi d’ancienneté)
« Très concrètement, les centre d'appel c'est un des rares mét iers qui
embauchent même si ces derniers mois c'est moins le cas, mais depuis de longues
années, si tu regardes les offres d'emploi, si t as pas de qualifications et pa s
d'expérience c'est un des rares boulots que tu peux trouver et qui propose assez
facilement des CDI ».
Un travail en centre d’appel est parfois choisi pour ces horaires atypiques, mais souvent
accepté « par défaut », faute de trouver mieux. . « Ce qui prime avant tout c’est la sécurité de
l’emploi que procure un CDI, la nature du travail est alors secondaire. »1
1
Dominique Méda « Travail, la révolution nécessaire » éditions de l'Aube 2010
45
D. Les stratégies de défense
Contrairement à d’autres secteurs, notamment ceux du service public où le rapport de force
imposé par les syndicats est plus important, le secteur du tertiaire souffre du faible pouvoir
syndical. Il est donc difficile de comparer les relations professionnelles de secteurs où le poids
des organisations syndicales est sensiblement différent. Dès lors, d’autres stratégies sont
inventées et utilisées pour alléger les difficultés au travail, sans toutefois nier l’importance et
l’implication des syndicats dans les stratégies de résistances collectives.
1. Des principes d’entraide difficiles dans un milieu opaque
Les relations se créent essentiellement pendant les temps accordés où les salariés se
retrouvent, comme les pauses, les trajets ou les repas.
De nombreux salariés rencontrés sont très critiques quant aux relations entre collègues et
parlent de « logique individualiste » d’une majorité d’entre eux. Une logique qu’il est difficile de
comprendre et d’analyser si une étude plus précise sur le sujet n’est pas menée.
Ces relations restent difficiles à construire dans un contexte ou l’activité se résume à prendre
des appels : rares sont les échanges pendant le temps de travail. Les centres d’appels ont un
turn-over important, ce qui laisse peu de temps aux salariés pour construire des relations en
dehors de l’activité professionnelle.
L’entraide entre salariés se remarque surtout au niveau des arrangements concernant les
horaires de travail (même si l’échange d’horaire est assez souvent réalisé lorsqu’elle arrange les
deux parties). Ces demandes d’échanges doivent cependant être exceptionnelles. En abuser est
souvent mal vu par les collègues et par la hiérarchie.
Un délégué syndical nous racontait que, pour lui, l’entraide se manifeste surtout lors de
débrayages ou de grèves à l’appel des délégués du personnel ou des délégués syndicaux. Les
mouvements sociaux aident à renforcer la communauté productive et l’identité collective de
cette dernière. Le conflit social n’est d’ailleurs pas l’ennemi de la négociation. Il peut se lire
comme « l’expression d’intérêts ou de valeurs antagonistes de façon que les deux parties soient
gagnantes »1. De plus, il existe parfois une cohésion très forte entre les personnes syndiquées
d’un même établissement. Des personnes qui ont l’occasion de se retrouver pendant les temps
extra-professionnels et qui souvent créent, par ce biais, des liens d’amitié.
1
Michel Lallement « sociologie des relations professionnelles » l’Harmattan 2010
46
2. Les stratégies individuelles
Deux grands types de stratégies sont utilisés par les salariés. Les stratégies dites « douces » qui
consistent à s’adapter ou à contourner la rigidité des prescriptions établies. D’autre part, les
stratégies de résistance collective qui se traduisent davantage par l’opposition voire la
confrontation dans lesquelles les organisations syndicales ont toute leur importance.
a. Les stratégies d’adaptation
« L’adaptation » correspond aux situations dans lesquelles les chargés de clientèles donnent
l’impression de respecter les modalités prescrites du travail mais de façon désengagée. « Une
« mise en veille » comme s’il existait une sorte de démission de soi dans la réalisation de son
activité»1. Le principe est de répéter machinalement son script sans porter aucun intérêt,
surtout émotionnel, à la discussion. Ces pratiques peuvent constituer une ressource pour
résister à la pénibilité du travail de l’activité, mais elles peuvent être également pénibles pour
le salarié voire dévalorisantes.
-
Les congés payés
Une autre stratégie de défense consiste à adapter ses congés payés en fonction de ses besoins
voire de ses envie personnelles sans justification valable.
Légalement un salarié en 35 heures dispose de 30 jours de congés payés : « Tout salarié a droit
à des congés payés, dès lors qu’il a travaillé, chez le même employeur, pendant un temps
équivalant à un minimum de 10 jours de travail effectif ; chaque mois de travail ouvre droit à un
congé de deux jours et demi ouvrables. C’est l’employeur qui organise, selon certaines règles,
les départs en congés. »2
Certains centres ont une activité beaucoup moins soutenue à certaines périodes de l’année.
Ainsi les congés sont accordés plus facilement lors de ces périodes. Mais parfois ces périodes ne
correspondent pas à celles habituellement accordées dans la majorité des secteurs. Cela peut
être problématique pour les personnes en couple qui se voient accorder des congés en
septembre ou octobre.
« Les congés payés je ne peux pas les poser, ils me sont donnés en fin de contrat.
Productivité oblige, il n’y a que les CDI à part ir d’un an qui peuvent négocier. »
1
José Calderón « Le travail face à la restructuration productive : le cas d’un centre d’appels » revue française de
sciences sociales 2006
2
Guide pratique du droit du travail La documentation française 2011
47
Pour les salariés parents, les congés payés sont demandés auprès des employeurs
généralement pendant les périodes de vacances scolaires. Les manageurs et les responsables
(ou directeurs) de ressources humaines semblent prendre en considération cet élément dans
l’attribution des périodes de congés. Les autres salariés sont par ailleurs conciliants et
compréhensifs quant au fait de se voir accorder des congés en fonction de ceux des salariés
parents.
-
Les RTT
Pour allonger la durée d’un congé, les salariés utilisent parfois les « RTT » qui leur sont
accordés.
« En fait on a un RTT (un jour de RTT) par mois et deux CP (jours de congé payé)
donc trois jours de congés par mois qu’on cumule et en fonction de ce que t’as
par mois, tu poses, mais c’est tout un calcul ; on s’y perd un peu d’ailleurs, mais
en général je fais un petit mix je pose des RTT en même temps que mes vacances
mais j’en garde quand même un petit peu. »
Les congés sont parfois utilisés par « défaut » de manière spontanée pour répondre à certaines
exigences familiales comme la garde d’un enfant malade ou pour pallier l’absence du conjoint
ou de la nourrice pour la garde de l’enfant par exemple. Cependant, il arrive que les salariés
« utilisent » leurs congés payés pour se reposer, ou se consacrer un moment à des activités
annexes. Dans ce sens, les salariés adaptent leurs temps de repos aux exigences de leur vie
personnelle.
b. Stratégies de déviation
Parmi les stratégies de défense, on peut apercevoir comme le souligne Olivier Cousin, des
stratégies de « déviations » ou « stratégie défensive de détournement ». Ces stratégies se
manifestent sous forme de « comportement atypique déviant » (Di Ruzza 2001). « Les
stratégies observées et relatées par les salariés s’échafaudent à l’insu de l’organisation et visent
à récupérer clandestinement de l’autonomie. Elles sont plus proches des conduites de sabotage
que d’un compromis social entre direction et exécutant. La triche est une des ressources. Les
retards chroniques et l’absentéisme appartiennent aussi à ces stratégies »1.
1
Olivier Cousin « Les ambivalences du travail : les salariés peu qualifiés dans les centres d’appels » Sociologie du
travail, Octobre-Décembre 2002
48
Une autre forme de déviation consiste à tourner en dérision les tâches prescrites. Certains
téléopérateurs « jouent les appels comme des comédiens…des sortes de compétitions
s’organisent et couronnent les appels les mieux interprétés. »1 Ces stratégies défensives que
beaucoup de salariés déploient pour essayer de vivre mieux ce qu’ils sont obligés de vivre ne
doivent rien au hasard. Ces stratégies mettent un peu d’intérêt dans un travail extrêmement
répétitif.
La prescription est omniprésente et contraignante mais, autant que possible, contournée,
tournée en dérision et fait l’objet de stratégies de résistance et d’interprétation libre. (O.
Cousin 2002)
3. Stratégie de résistance collective
a. L’action collective
Une autre stratégie considérée comme « stratégie de résistance » consiste à développer une
coopération active à la vie de la plateforme, alors que les politiques managériales tendent à
individualiser la vie au travail. « Ces stratégies minent et transforment l’action managériale et
aboutissent à un « compromis social implicite », négocié au quotidien par les salariés, les
dirigeants et les syndicats »2.
Le faible pouvoir des syndicats du secteur rend difficile la bataille syndicale dans le rapport de
force qui oppose les chargés de clientèles aux directions d’entreprises. Cependant, les
revendications syndicales des organisations de salariés de ce secteur sont nombreuses comme
le respect des temps de pauses et le respect par les employeurs des conventions. Les questions
relatives aux temps (temps de pause, temps de travail, congés etc.) sont des enjeux très
importants pour les salariés ainsi que les revendications concernant les salaires.
Ces négociations sont au centre des relations professionnelles entre représentants du
personnel, représentants syndicaux et les directions d’entreprises. Cependant, le niveau
d’activité syndical et les compétences des délégués est différent selon les établissements.
1
Marie Buscatto « Les centres d’appels, usines modernes ? Les rationalisations paradoxales de la relation
téléphonique » Sociologie du travail 2002
2
Renato di Ruzza « la prescription du travail dans les centres d’appels téléphoniques » Revue de l’IRES. 2004 n1
49
Dans certains centres, les délégués syndicaux sont perçus par les salariés comme inefficaces et
« à la botte de l’employeur 1».Dans d’autres, l’action syndicale est saluée par les employés. Les
syndicats majoritaires ont l’occasion de signer de nombreux accords avec les directions
d’entreprises. En centre d’appels, les accords concernent en grande partie les règles
protectrices réglementant l’activité de travail. L’objectif principal de ces négociations pour les
employeurs est de tendre au maximum vers la flexibilité du temps de travail. L’enjeu pour les
représentants des salariés devient alors d’exiger le maximum de contreparties. Ces stratégies
de résistances syndicales sont aussi appelées stratégies de « freinage » (Buscatto 2002)
Dans certains centres, les salariés reconnaissent la qualité du travail effectué par les délégués
du personnel et les délégués syndicaux.
On a des personnes qui sont syndiquées et on a un Comité d’Entreprise avec des
personnes qui sont vraiment au top. Ils se démènent vraiment pour nous, ils ont
fait un boulot énorme sur la périod e difficile qu’on vient de passer. Ils on t
toujours été là.
L’enquête révèle aussi que certaines personnes n’ont pas nécessairement l’occasion de
rencontrer les délégués syndicaux surtout quand ils se font discrets ; ils peuvent être également
très critiques vis-à-vis de leur délégué syndical qui n’agit pas de manière combative/
revendicative auprès de la direction.
Peu de ces salariés ont l’idée ou la possibilité d’agir de façon collective. La précarité des
contrats, l’idée qu’ils ne resteront pas, la politique des entreprises expliquent la faible
syndicalisation. Les revendications pour la création ou la défense d’un statut sont par ailleurs
limitées par le rattachement à une multiplicité de conventions collectives différentes.
b. La syndicalisation dans les centres d’appels
On estime le taux de syndicalisation dans les centres d’appels à environ 2% mais il est difficile
de se procurer des chiffres exacts. Il est cependant très faible pour plusieurs raisons. D’une part
le secteur est jeune et il ne dispose que de peu de « tradition syndicale ». D’autre part la
pression exercée sur les employés du secteur n’aide pas à la syndicalisation qui peut être
perçue comme un risque pour l’emploi et l’évolution dans la hiérarchie.
1
Entretien
50
L’adhésion syndicale peut se faire par solidarité avec certains collègues menacés et par
sentiment de défense des droits et des intérêts des salariés. Se syndiquer peut être perçu
comme une assurance, une protection vis un vis d’un éventuel licenciement.
La stabilité dans l’emploi d’une partie des salariés permet d’expliquer le développement d’une
résistance syndicale visant à protéger les intérêts des salariés ; le soutien d’un syndicalisme
protecteur est rendu doublement possible par une relation d’emploi stable.
c. Conclusion
Les organisations syndicales considèrent le travail en centre d’appels proche des
caractéristiques du secteur industriel et donc, problématisent et analysent le travail en centre
d’appels en tant que tel. « C’est en privilégiant cette tendance à l’industrialisation, à la
rationalisation, à la taylorisation des centres d’appels que les organisations syndicales mènent
leurs analyses et formulent leur revendications »1
Ces stratégies de déviations et de résistances permettent aux salariés de limiter et de freiner les
contraintes matérielles et personnelles liées à un contexte de travail jugé stressant, répétitif et
fatigant. Elles permettent aussi de s’investir à leur manière dans une situation de travail vivante
et basée sur l’entraide.
1
Renato di Ruzza « la prescription du travail dans les centres d’appels téléphoniques » Revue de l’IRES. 2004 n1
51
Partie II
L
e temps de la vie quotidienne
52
Introduction
Au vu de la flexibilité et des contraintes horaires des salariés des centres d’appels, l’articulation
des temps de vie quotidiens apparait complexe. Les termes de « conciliation » et/ou
d’« articulation » sont décrits par certains chercheurs (Hélène Périvier, Rachel Silvera, 2010)
comme relevant du rôle de la mère et de la travailleuse1.
« Dans les milieux féministes, le débat sur l’utilisation du terme conciliation est sujet à plusieurs
critiques. Pour elles, ce terme dissimule une inégalité entre les hommes et les femmes. En
effet, les données quantitatives montrent que cette « conciliation » incombe en majeure
partie aux femmes (nous le verrons dans la seconde partie). Une autre critique formulée est
que « ce terme revêt une image positive, harmonieuse, […] qui masque les difficultés, les
renoncements et compromis que la gestion des temps familial et professionnel implique. 2 »
Figure 1 : Temps obligés et temps résiduel3
Source : schéma effectué par nos soins à partir de la lecture de l’article de Danièle Touchart et
Michelle Kergoat : « La ville et le temps des femmes : l’exemple de la ville de Rennes »
Les individus organisent leur temps autour de temps qui peuvent être qualifiés d’ « obligés » : le
temps physiologique (manger, dormir, se laver, se nourrir…), professionnel, domestique (taches
ménagères, soins prodigués aux enfants, …) et de sociabilité (temps en famille, avec les enfants,
les amis…) qui détermineront la part du temps résiduel/choisi. Ce dernier pourra être investi
1
PERIVIER Hélène et SILVERA Rachel, « Maudite conciliation », Travail, genre et sociétés, 2010, n°24, URL :
http://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2010-2-page-25.htm, paragraphe 1
2
PAILHE Ariane, SOLAZ Anne, « Concilier, organiser, renoncer : quel genre d’arrangement ? », Travail, genre et
sociétés, 2010, n°24, paragraphe 2
3
TOUCHARD Danièle, KERGOAT Michelle, « La ville et le temps des femmes : l’exemple de la ville de Rennes »,
Espace, Populations, Sociétés, 2007.2-3 pp. 411-420
53
dans diverses activités qu’elles soient culturelles, de loisirs, citoyennes, associatives,
domestiques, professionnelles. Nous expliquerons dans la seconde partie en quoi la répartition
de ces temps n’est pas équivalente pour les hommes et les femmes.
Pour les salariés en horaires atypiques, le temps de travail réduit les possibilités permettant
de profiter de certaines activités. En effet, « […] l’existence des rythmes sociaux font que, dans
la vie familiale et sociale, il y a un temps pour chaque chose : un bon nombre d’activités de la
vie quotidienne sont socialement programmées dans des plages horaires déterminées. Ces
rythmes sociaux sont réglés en fonction des horaires ordinaires du travail de jour […]. Les
heures de temps libre dont ils disposent se situent dans une large mesure à des moments de la
journée où une bonne part des activités hors travail ne sont pas réalisables, ou ne peuvent être
accomplies que dans des conditions mal appropriées. 1 »
Dans ce cadre, nous nous sommes demandés, dans quelle mesure les contraintes horaires
régissent les temps de sociabilité des salariés et de quelles manières les salariés trouvent-ils
des arrangements leur permettant d’articuler le temps de travail et le temps domestique ?
1
GADBOIS Charles, « les discordances psychosociales des horaires postés : questions en suspens », Le travail
humain, Vol 67, 2004, n°1, URL : http://www.cairn.info/revue-le-travail-humain-2004-1-page-63.htm, paragraphe
6
54
A. Horaires atypiques de travail et sociabilité
Les temps de sociabilité des salariés des centres d’appels ne sont pas tous de la même nature.
Le fait d’avoir des horaires plus ou moins atypiques, d’avoir ou non des enfants à charge sont
des variables permettant d’expliquer la manière dont les salariés utilisent leur temps de
sociabilité.
1.
Le temps de sociabilité chez les salariés des centres d’appels s’apparente
à la tendance générale ?
Le temps passé à voir la famille et les amis est vécu différemment en fonction du travail que
faisaient les salariés auparavant. En effet, comme nous l’avons vu, les salariés des centres
d’appels ont souvent occupé des emplois précaires où les horaires étaient parfois plus
atypiques que dans les centres d’appels. Le fait d’intégrer un centre d’appels constitue, pour
certains d’entre eux, une alternative à ces emplois précaires peu compatibles avec la vie
familiale et amicale (Dominique Meurs et Pascal Charpentier, 1987).
Bertrand (31 ans célibataire, 2 ans d’ancienneté) :
T’arrives par rapport à ton emploi du temps à voir tes amis, ta famille ?
Oui plus qu’avant. Parce que quand j’étais livreur de pizza je travaillais tous les samedis, tous les
soirs, tous les midis. Là c’était galère. Là le soir je vois les potes. La famille je les vois le weekend, le dimanche généralement ou le samedi quand je travaille pas. Je trouve pas qu’il y ait trop
de contraintes. Par rapport à livreur de pizza, je suis épargné. J’ai l’impression que c’est mieux
que ce que j’ai connu avant.
Le fait de ne pas avoir d’enfants à charge permet aux salariés de passer davantage de temps
avec leurs amis et leur famille au sens large. L’explication ne tient pas entièrement au fait que
les individus travaillent dans les centres d’appels. Le type de ménage joue un rôle important
dans le fait d’avoir plus ou moins de sociabilité avec leurs amis. « C’est donc lorsque l’individu
se dégage des relations familiales sans s’engager immédiatement dans la formation d’une
nouvelle unité familiale qu’il cumule le plus de relations amicales. Par contre, à partir du
moment où le couple se forme, le temps passé entre amis s’effondre au profit des relations
entre membres du ménage. La sociabilité se recentre sur le « foyer » et les échanges en son
sein. De ce point de vue, la phase de jeunesse est terminée. 1»
1
GALLAND Olivier, « L’entrée dans la vie adulte en France. Bilan et perspectives sociologiques », Sociologie et
sociétés, vol. 28, 1996, n°1, p45
55
Il semble que pour les salariés des centres d’appels, le temps de sociabilité diminue
considérablement avec l’arrivée du premier enfant alors qu’il diminue dans une moindre
mesure lorsque les salariés sont en couple sans enfant. Cependant, nous ne disposons pas de
chiffres précis nous permettant de quantifier le temps passé entre amis ou en famille.
Les horaires de travail influencent le temps de sociabilité familiale et amicale. « Le travail de
nuit, le travail du samedi et du dimanche accentuent sans doute les difficultés de la vie
quotidienne, s’il est vrai que les temps sociaux quotidiens restent encore organisés autour de la
« journée » de travail et de la norme des cinq jours de travail par semaine. Ils éloignent les
salariés concernés des rythmes de la majorité, de la norme sociale en quelque sorte ; ils les
contraignent à une organisation du temps différente. Ils réduisent leur sociabilité. 1 ». Pour les
salariés des centres d’appels, le travail le samedi est une caractéristique mais la grande
majorité ne travaille pas le dimanche ou la nuit. Leurs horaires ne sont pas totalement à
l’opposé de la « norme ». Ils se situent dans un entre-deux qui leur permet d’avoir du temps
pour voir leurs amis notamment le samedi soir ou le vendredi soir.
2. Des temps de sociabilité variables selon les situations familiales
a. Les couples sans enfant : des temps de sociabilité importants
Pour les salariés sans enfant, la variabilité des horaires et des jours travaillés compliquent
l’organisation du temps pour voir famille et amis. Ils peuvent avoir des difficultés à prévoir les
moments de disponibilité. Lorsqu’ils n’ont pas d’enfants, il est plus aisé pour eux d’organiser
des moments de sociabilité de façon improvisée et parviennent à consacrer du temps à leur
sphère familiale et amicale.
Jeanne (23 ans, célibataire, 3 ans d’ancienneté)
Maintenant je sais que quand j’étais à A [un autre centre d’appels], je les voyais peut être un
peu moins mais tout autant quand même parce que même si je pouvais pas prévoir quelque
chose, quand même, le week-end ou dès que j’avais des jours de repos, j’en profitais pour aller
voir mes amis ou ma famille[…] Puis même c’est vrai qu’on peut prévoir, avant je pouvais pas
dire à l’avance, je peux venir te voir là. Puis c’était des fois des jours de repos en pleine semaine,
et donc forcément les gens travaillent, ils ont pas leur dispo en même temps. Mais là c’est super,
on profite de toutes les personnes qui sont en week-end, non c’est cool.
1
COTTRELL Marie, LETREMY Patrick, MACAIRE Simon, MEILLAND Christèle, MICHON François, « Le temps de travail
des formes particulières d’emploi », économie et statistique, vol 352, 2002, n°352-353, p177
56
Jeanne a connu deux centres d’appels dans lesquels les horaires étaient différents. Avant, elle
avait des horaires variables et elle n’avait pas tous ses week-ends. Elle indique, pour autant
dans les deux cas de figure, que son temps de sociabilité n’a pas diminué.
 Pour les couples sans enfants, même si les horaires des salariés sont décalés, ils ne sont
pas complètement à l’opposé de la norme de travail, ce qui laisse des temps de
sociabilité aux salariés en dehors du travail.
b. Les salariés ayant des enfants : repli sur la sphère familiale
Pour les couples avec enfant, le temps de sociabilité est davantage tourné vers la famille. La
perte de sociabilité amicale serait donc compensée par la famille.
Les jours de repos, notamment le dimanche puisqu’il s’agit du jour de repos de la majorité des
salariés enquêtés, sont ceux leur permettant de passer le plus de temps avec leurs enfants et
leur conjoint durant la semaine. Dans les centres d’appels, peu de salariés travaillent le
dimanche, représentant un « repère temporel 1» dans leur emploi du temps. Il s’agit du seul
jour de repos dont ils aient connaissance à l’avance. C’est également souvent celui de leur
conjoint.
Simon (30 ans, en couple, 1 enfant à charge, 3 ans d’ancienneté) :
Sachant qu’on a aussi des impératifs familiaux aussi maintenant parce que ben j’ai ma fille, il
faut qu’on aille voir les grands-mères. Donc c’est la famille en premier. Si la famille passe pas, on
voit avec les amis. Et voir nos amis c’est compliqué. Ça nous laisse un samedi par mois pour voir
l’ensemble de ma famille. Et puis en plus eux aussi ont leur vie familiale à coté.
Les jours de repos constituent pour les salariés des temps de sociabilité parentale importants.
Le fait d’avoir des jours de repos variables dans la semaine et peu de week-ends entiers (soit le
samedi et le dimanche), ne permet pas de disposer de leur temps comme ils le souhaiteraient.
Ce sont « […] les femmes travaillant à temps plein et ayant des enfants de moins de douze ans,
qui sont les plus nombreuses à déclarer « manquer toujours ou souvent de temps. […] Il s’agit
plutôt de personnes n’ayant pas la maitrise de leurs horaires, dont la variabilité et
l’imprévisibilité est forte, et qui peuvent donc avoir du temps mais à des moments non choisis,
1
Simon, entretien
57
non utilisables, non prévus. […] Leur souci est, plus que de récupérer des quantités de temps,
d’obtenir une meilleure maitrise et prévisibilité de leur temps. 1 »
La perception d’avoir plus ou moins de temps est inégale entre les salariés qui ont la
possibilité de maitriser leurs horaires et ceux pour lesquels les horaires sont imposés (à
temps de travail égal). En centres d’appels les salariés n’ont pas, en général, la maitrise de
leurs horaires. Ils ont alors l’impression de « courir après le temps », « d’être prisonnier de
l’horloge… »2.
Les salariés avec un ou des enfants à charge qui subissent de fortes contraintes temporelles ont
des difficultés lorsqu’il s’agit de rendre visite à leurs amis notamment lorsque ces derniers
habitent loin. Certains salariés ont donc été contraints de réduire leur réseau amical.
Simon (30 ans, en couple, 1 enfant à charge, 3 ans d’ancienneté) :
Sortir le soir en semaine c’est compliqué. Comme on était dans le milieu étudiant on a pas mal
d’amis qui sont à droite à gauche sur Paris. Moi, par exemple, je pouvais monter un week-end à
Paris quand on était tous les deux, et quand j’étais pas dans ce centre d’appels. Quand j’étais
dans mes autres boulots, j’avais mes week-ends donc on partait le vendredi soir et on revenait
le dimanche soir. Là, c’est pas possible, je peux pas partir le samedi soir. L’investissement
voyage par rapport au temps passé sur Paris c’est pas bon. Donc j’irai pas passer une journée sur
Paris. Donc nos amis de Paris on les voit une fois tous les 6 mois. […]Et maintenant avec bébé
c’est pire.
Pour Sylvie, la distance avec ses enfants vivant dans d’autres départements ne lui permet pas
de les voir aussi souvent qu’elle le souhaiterait. Le fait d’avoir une seule journée de repos
durant le week-end n’est pas suffisante pour effectuer le trajet et leur rendre visite
régulièrement. Elle doit attendre de cumuler trois jours de repos consécutifs pour les voir.
Lorsque leurs plannings prévoient des horaires de sorties après 19h, une fois additionné le
temps de trajet, les salariés ayant des enfants expliquent avoir peu de temps à leur consacrer.
Ces cycles de travail sont ceux dont les salariés sont les plus mécontents puisqu’ils réduisent
considérablement les moments de sociabilité.
Simon (30 ans, en couple, 1 enfant à charge, 3 ans d’ancienneté)
Ce qui est compliqué pour moi c’est les semaines de 20h parce que les semaines de 20h on va
dire émotionnellement avec ma fille. C’est très dur parce que le matin elle dort, je lui donne
1
MEDA Dominique, ORAIN Renaud, « Transformation du travail et du hors travail : le jugement des salariés sur la
réduction du temps de travail », Travail et Emploi, 2002 n°90, p 24 Il s’agit d’un étude menée après la réduction du
temps travail auprès de salariés de différents secteurs d’activités, afin de connaitre les éléments de satisfaction et
d’insatisfaction, en fonction de caractéristiques sociales différentes.
2
Entretien Anna ; Entretien Simon
58
juste son biberon et ensuite elle retourne se coucher. Le soir je rentre, je lui donne son biberon
et faut que j’aille la coucher. En fait je la vois sur deux repas, sur ces semaines là si je la vois une
heure par jour c’est le maximum.
Alexandre (33 ans, en couple, 1 enfant à charge, 2 ans d’ancienneté)
J’embauche à 9h, le petit est levé à 8h30 donc je le vois une demi-heure le matin ; et le soir à
19h, et j’ai plus qu’une heure avant qu’il aille se coucher. […]Disons clairement que quand je fais
40 heures, je n’ai pas de vie de famille. J’embauche à 8H30, si mon amie est du soir je la vois une
heure maximum à sa débauche.
3. La qualité du temps de sociabilité impacté par le travail
Tous les horaires ne sont pas équivalents en termes de qualité de temps, aussi bien dans le
cadre professionnel que celui de la vie privée. Des études ont été menées sur le travail posté
(3x8). Bien que le caractère atypique de leurs horaires présente des différences, les salariés
subissant ces rythmes de travail rencontrent aussi des problématiques horaires. Des similitudes
se dessinent entre ces salariés et ceux des centres d’appels, lesquelles vont nous permettre
d’éclairer notre analyse. « Les recherches sur le travail posté ont conduit à développer l’analyse
de ces rythmes sociaux, à travers la notion de valeur d’utilité sociale des différentes heures du
cycle de la journée et de la semaine. Les différents moments de la journée ne sont pas
équivalents, certains ont une utilité et une valeur sociale plus fortes que d’autres, soit parce
qu’ils représentent un moment privilégié pour accomplir des activités importantes, soit parce
qu’ils constituent une période où il est possible d’exécuter de nombreuses sortes d’activités. De
ce fait, l’ensemble du temps hors travail circonscrit par un horaire de travail donné a une valeur
variable selon la façon dont il se distribue sur les heures du jour et de la semaine […] les heures
les plus valorisées sont celles de la soirée et du week-end, ce qui confirme l’idée que nous
sommes an evening society et que le temps libre du week-end a pour la majorité des gens
davantage de prix que le temps libre en semaine.1 »
L’auteur met en avant ici une dimension éminemment sociale de la temporalité. Malgré un
temps de repos équivalent en heures à des salariés en horaires standards, les salariés en
centres d’appels disposeraient de manière inégale de temps de sociabilité. En effet, pour les
salariés en horaires atypiques, l’utilisation de temps libre n’est pas envisageable de la même
manière.
Un certain nombre de salariés expliquent que leur activité professionnelle peut impacter de
manière négative leur temps hors travail. Ils sont moins aptes à sortir, à voir des amis, à
1
Op Cit. GADBOIS Charles, 2004, paragraphe 8 et 11
59
s’occuper des taches quotidiennes. « La « contamination » du temps personnel par le travail a
été largement décrite dans les services néo-taylorisés et le travail répétitif et sous cadence. 1».
Les salariés décrivent avoir le sentiment de perdre leur « efficience intellectuelle », une
conséquence de la répétitivité des taches et du peu d’initiatives dont ils peuvent faire preuve
(P. Molinier, 2009).
Simon (30 ans, en couple, 1 enfant à charge, 3 ans d’ancienneté) :
La première année où j’étais conseillé, le soir on rentre on est bêtifié. On veut rien faire, on est
mou. Y a tellement d’appauvrissement intellectuel que ça donne envie de rien faire. Ma femme
vous direz à l’époque que j’étais devenu un vieux con. Parce que voilà, les initiatives étant pas
valorisées, on a pas envie de se bouger derrière. […] c’est pas de sorties, pas envie de bouger,
être planplan. On est tellement sur une routinisation de la vie professionnelle qu’on est aussi
dans une routinisation de la vie personnelle. Ça se prolonge dans la vie familiale.
Le temps hors travail devient un moment où est privilégié le temps physiologique, pour
«récupérer», se reposer, au détriment de la vie sociale. « Les horaires postés, et ce, quel que
soit le système horaire choisi (4x6h, 3x8h, 2x12h et tout autre système de rotation), entrent en
contradiction avec les dimensions temporelles du fonctionnement des individus. Ce conflit de
temporalités du travail posté a des répercussions au niveau de la santé des opérateurs
concernés, au niveau de leur vie sociale et familiale et au niveau du travail accompli durant ces
horaires.2 » Ceci est d’autant plus vrai pour les salariés des centres d’appels dont la période de
travail se termine en début de soirée (après 19h).
Juliette (24 ans, en couple, un an et demi d’ancienneté) :
Je vois je suis fatiguée, je débauche soit à 19, soit à 19h45 j’arrive chez moi il est 20h15, j’ai rien
envie de faire, je suis pressée d’être dans mon lit. Le matin certes j’embauche à 10h mais tu vois
je me lève à 9h enfin je profite pas, je profite pas, je fais rien.
La qualité du temps passé en famille peut être altérée et le nombre de sorties réduite. Olivier
David indique que le travail en horaires atypiques crée plus de tensions au sein des familles,
plus de conflits. Cela pourrait alors engendrer une certaine instabilité au sein des couples.
Cependant, nous ne disposons pas de données quantitatives (notamment le nombre de
divorces ou de séparations) clairement établies concernant les salariés aux horaires atypiques.
1
MOLINIER Pascale, « Temps professionnel et temps personnel des travailleuse du CARE : perméabilité ou
clivage ? Les aléas de la bonne distance », Temporalités, 2009, n°9, p 6
2
BARTHES Béatrice, « les 2 X 12 : une solution au conflit de temporalité du travail posté ? », Temporalités, n°10,
2009, URL http://temporalites.revues.org/1137, paragraphe 18
60
Les caractéristiques particulières imposées par le travail en centres d’appels comme la capacité
d’écoute et une bonne humeur constante peuvent avoir des effets sur leur sociabilité privée. Le
fait de travailler dans un endroit bruyant ou de passer la plupart de leurs journées au téléphone
n’incite parfois pas les salariés à passer une soirée avec plusieurs amis ou à appeler leurs
proches. Les interactions au sein de la sphère familiale ou amicale sont donc parfois rendues
difficiles.
Juliette (24 ans, en couple, un an et demi d’ancienneté)
Une fois par semaine on essaie d e se faire un petit apéro dinatoire avec des
copines et puis on se fait un petit hammam [..]On essaie de se faire des trucs
détente. Et, ouais, elles ont déjà commencé à discuter de pleins de trucs, je suis
pas au courant de la discussion, je suis claquée, j’ai l’impression de pas être sortie
du boulot. Je sors d’un endroit où y a du bruit, je rentre dans ma voiture je suis au
calme pendant 20min le temps de faire la route. E t je rentre dans un endroit o ù
mes copines elles jactent alors y a des fois où j’en ai marre, enfin, j’en ai marre. Et
y a des fois où au contraire, en fait ça me fait du bien. Elles sont là des fois elles
rigolent, c’est cool, tant mieux. Après le soir ça me fatigue, par exemple vendredi
soir où avait prévu un hammam ben moi j’y suis pa s allée parce que je travaille le
samedi, en fait c’est pas que, c’est que la journée elle est dure.
Il arrive parfois que les salariés se trouvent isolés socialement du fait de leurs horaires de
travail. On imagine alors que la sociabilité amicale se fait davantage avec les collègues de
travail. « Les travailleurs postés rencontrent en effet de sérieuses difficultés dans leur vie
personnelle, familiale et sociale, du fait du peu de temps qu’ils ont la possibilité de partager
avec leur famille et leurs amis. Les effets négatifs de la pratique de tels horaires sur la vie hors
travail sont connus et reconnus : altération des relations conjugales, altération des relations
parentales, isolement social1 .» Les contraintes horaires les plus importantes (le travail de
nuit,par exemple) peuvent engendrer pour les salariés de lourdes répercussions sur leur
sociabilité.
1
Ibid BARTHES Béatrice, paragraphe 23
61
B. La répartition des tâches domestiques au sein du couple liée aux horaires atypiques
L’augmentation du travail des femmes n’a pas engendré un mécanisme d’égale répartition des
tâches domestiques au sein du couple. Nous pouvons alors nous demander si pour les femmes
salariées des centres d’appels (qui représentent près de 70% de l’ensemble des salariés des
centres d’appels), la répartition des rôles au sein du couple est différente du fait de la
désynchronisation des temps engendrée par les horaires atypiques de travail.
1. Temps domestiques et horaires atypiques : une conciliation impossible ?
Dans un contexte d’inégale répartition des tâches au sein du couple, les horaires atypiques
deviennent une contrainte difficile à assumer. Le temps passé à s’occuper des tâches
domestiques est conditionné par le type de ménage (célibataire, en couple, couple avec enfant,
etc.) mais également par le genre. Si nous prenons la population des célibataires actifs, les
femmes (en moyenne en France) passent déjà 40 minutes1 (enquête « Emploi du temps »
1998/1999) de plus par jour que les hommes à s’occuper des tâches domestiques (ménage,
courses, soins aux enfants, jardinage, bricolage…).
C’est au sein du couple qu’apparaît nettement une division sexuée des rôles. Parmi les
couples biactifs, les femmes passent 39 min de plus à s’occuper des taches domestiques que
lorsqu’elles étaient célibataires. Parmi les couples biactifs sans enfant, les femmes augmentent
le temps passé à s’occuper des taches domestiques de 39 min par rapport à leur situation de
célibataire (et leur temps professionnel commence à diminuer), alors que pour les hommes il
diminue de 21 min (en revanche leur temps professionnel augmente) 2.
En moyenne (parmi la population française des 15-60 ans, hors étudiants et retraités en 2010),
le temps domestique pour les femmes représente 5,07h/jour et celui des hommes 2,17h/jour
soit 2,4 fois moins de temps3. Le « temps parental » (compris dans le temps domestique) est
également, en moyenne, plus souvent assumé par les femmes (45 minutes par jour pour les
femmes contre 19 minutes pour les hommes)4.
A l’arrivée du premier enfant, cette tendance se renforce et le temps de travail des femmes
continue à diminuer, du fait de la pénibilité engendrée par la « double journée». « L’arrivée
1
Op Cit. TOUCHARD Danièle, KERGOAT Michelle, 2007, voir annexe tableau 20
Ibid, , 2007, données issues de l’enquête « Emploi du temps » de 1998/1999, voir annexe tableau 20
3
Tableaux annexes, Source INSEE, Enquête emploi du temps 1986, 1999, 2010
4
Ibid, INSEE
2
62
d’un enfant s’accompagne en effet non seulement d’un surcroît de quantité de tâches
(spécifiques de soins mais aussi domestiques) et d’une rigidification de l’emploi du temps
(rythmes biologiques de l’enfant, rythmes des institutions ou des services d’accueil et de garde,
puis de l’école). Cet accroissement des tâches est assumé principalement par les mères,
augmentant ainsi d’un cran la spécialisation des rôles qui s’était mise en place lors de la
formation du couple. 1 »
Figure 2 : Le temps parental2
Source : schéma effectué par nos soins à partir de la lecture de l’article d’Olivier David : « Vie familiale, vie
professionnelle : une articulation sous tension »
Le temps domestique ajouté aux contraintes horaires du travail en centre d’appels laisse aux
femmes peu de place pour le temps résiduel. En effet, le temps libre dont dispose les hommes
et les femmes n’est pas identique. Les femmes disposent de 3,58 heures/jour tandis que les
hommes disposent de 4h28/jour. Dans l’enquête qualitative, les salariés sans enfant
expliquent avoir du temps pour pratiquer des activités sportives ou de loisirs. Cependant,
certains mettent en évidence le fait que les contraintes horaires peuvent constituer un frein
quant à la pratique d’une activité. L’imprévisibilité des horaires peut amener les salariés à
renoncer à ces pratiques, calquées sur les horaires standards de travail. Les salariés finissant le
travail régulièrement tard (à partir de 19h) trouvent souvent peu d’activités correspondant à
leurs horaires. Les salariés ayant des enfants ont moins d’activités et préfèrent consacrer du
1
GARNER Hélène, MEDA Dominique, SENIK Claudia, « Conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, les
leçons des enquêtes auprès des ménages », Travail et Emploi, 2005, n°102, p57-67
2
DAVID Olivier, « Vie familiale, vie professionnelle : une articulation sous tension », Espace, Populations, Sociétés,
2007, n°2-3, http://eps.revues.org/index2080.html
63
temps à leur famille. Ceci est plus particulièrement vrai pour les femmes. Les hommes (que
nous avons rencontré à l’occasion des entretiens) ayant des enfants avaient tous une activité
syndicale et certains y consacraient du temps en dehors du travail.
2. Un temps parental rythmé par le travail
Dans notre enquête qualitative, 6 salariés avaient des enfants en bas âge (de 6 mois à 4 ans).
« Les parents de très jeunes enfants (moins de 6 ans) constituent sans aucun doute ceux qui ont
le plus de difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale. Leurs enfants ont besoin
d’être pris en charge, du fait de leur dépendance à l’égard de l’adulte, soit dans une structure
collective, soit par une tierce personne, durant la totalité du temps d’activité professionnelle et
des déplacements qui y sont associés. Sur ce dernier point cependant, les politiques nationales
françaises ont davantage ciblé les mères, pour qu’elles puissent mieux concilier vie
professionnelle et vie familiale, perpétuant un modèle de ségrégation sexuée du marché de
l’emploi1 ». C’est donc à cette période de la vie des enfants que les contraintes pour les salariés
sont les plus importantes. Ces contraintes d’ajoutent à celles liées au rythme de travail. Les
contraintes de temps sont présentes quotidiennement dans la vie des salariés.
Céline (30 ans, un enfant à charge, en couple, 2 ans d’ancienneté)
Et votre journée type à quoi elle ressemble ?
Le matin je me lève avant elle pour me préparer. Je la lève ; mais bon le soir c’est difficile pour
elle de s’endormir. Elle met beaucoup de temps à se lever, donc après c’est la course. Après je la
dépose. Elle est déjà prise dans l’engrenage du temps, je pense. En même temps elle n’a pas le
choix, moi non plus, et le soir soit j’arrive à 19h, et c’est vrai que je dois déjà préparer à manger.
Si c’est moi, avant je prends ma douche, 19h30 on mange, on se couche pas trop tard. Donc
c’est la course, on court toujours après le temps. On est pris dans une machine infernale. On se
pose que quand on a 3 semaines, là on fait un break. Mais sinon il faut tout le temps courir, si on
rate une heure, ça décale sur tout.
Cette cadence entraine donc des difficultés d’organisation. La charge « mentale » que
représente la coordination des différentes taches à effectuer dans la journée/semaine est
relativement lourde. Elle peut être un facteur de stress important dans la vie quotidienne. Les
imprévus (par exemple lorsque les enfants sont malades) sont le plus souvent gérée par les
mères de famille. Ceci constitue une charge « mentale » supplémentaires et les contraints à
réorganiser leur temps.
1
Ibid., 2007,p 195
64
Dans ces conditions, des tensions s’opèrent entre vie familiale et professionnelle, menant à des
mécanismes d’adaptation plus ou moins forts dans la sphère professionnelle ou dans la sphère
privée.
3. Quand les salariés adaptent leur travail en fonction de leur vie familiale
En fonction de leur vie familiale, les salariés ont recours à différentes stratégies d’adaptation
par rapport à leur travail pour tenter de satisfaire au mieux leurs impératifs familiaux.
En centre d’appels, la proportion de salariés à temps partiel reste assez faible (8,5% en 2008 1)
comparée aux tendances nationales (17,6%2). Cependant, un autre mécanisme d’aménagement
du temps semble à l’œuvre pour les salariées des centres d’appels. Il semblerait que l’arrivée
d’un enfant conduise les femmes à demander des horaires standards. Il semblerait que, de
façon plus ou moins formelle, cette tendance soit acceptée socialement par une partie des
employeurs. Le fait d’avoir des enfants donnerait alors une « priorité » aux salariés pour
disposer des conditions de travail les moins contraignantes. Le fait que les femmes ayant des
enfants bénéficient de cet avantage laisse penser qu’il est « socialement » admis, notamment
de la part des employeurs. Les enfants représenteraient donc une contrainte acceptable dans
la vie professionnelle des femmes et non prise en compte dans celle des hommes.
Nous avons pu observer dans l’enquête qualitative que lorsque qu’il était impossible d’adapter
les horaires de travail, certains salariés préfèrent parfois changer de centre d’appels. Les
horaires proposés dans certains centres d’appels sont moins décalés et permettent de mieux
conjuguer vie familiale et vie professionnelle.
Dans ce cas de figure, les horaires de travail des femmes salariées des centres d’appels
redevenant standards, nous pouvons imaginer que la division sexuée du travail domestique
correspondra aux tendances nationales. Si elles ont moins de contraintes horaires d’un côté,
elles auraient alors plus de travail domestique de l’autre. L’inégalité de répartition des taches
domestiques au sein du couple et la spécialisation des rôles seraient maintenues.
1
2
Données INSEE, recensement 2008
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=CMPTEF03204&reg_id=98
65
4. Quand les salariés adaptent leur organisation familiale en fonction de leur
travail
Dans le cas où les femmes travaillent avec des horaires atypiques, la répartition des tâches
domestiques et les soins prodigués aux enfants au sein des couples sont quelque peu
différents. Ceci peut, en partie, être imputé aux horaires décalés. C’est la présence du conjoint
qui permet alors de pallier ces contraintes horaires.
Céline (30 ans, un enfant à charge, en couple, 2 ans d’ancienneté) :
Mon conjoint a des horaires fixes et moi quand je finis à 18h30 lui il finit à 18h et il va la
chercher. Par contre c’est vrai qu’il l’emmène pas le matin parce qu’il embauche à 8h. Moi je la
lève un peu plus tard et je l’emmène après. Mais le fait d’avoir des horaires fixes lui permet le
soir (il débauche à 18h30) même si la garderie est encore ouverte, d’aller la chercher un peu
plus tôt alors que le soir la garderie ferme à 19h et il ne peut pas parce qu’il est pris par son
travail, il va à 18h45, 18H50 la chercher. Sinon je demande à mes parents d’aller la chercher.
a. Une répartition des tâches au sein du couple plus égalitaire
Dans certains cas, le fait d’avoir un conjoint ayant des horaires fixes permet de répartir les
soins accordés aux enfants au sein du couple. « […] la désynchronisation des horaires de travail
du père et de la mère constitue un moyen d’ajustement pour accroître la présence parentale
auprès des enfants et faire face aux charges éducatives. Nous sommes face à deux processus
contradictoires, qui montrent bien la difficulté d’articuler vie professionnelle et vie familiale.
D’ailleurs, plus l’activité de la mère est importante, plus la présence paternelle auprès des
enfants est élevée. Les horaires atypiques ou décalés de la mère semblent également accroître
l’investissement paternel dans les charges familiales. Ainsi, les changements en cours ont sans
doute contribué à une plus grande égalité de la disponibilité parentale, et à une plus grande
complémentarité entre les parents, du fait des horaires de travail différents.1 » Etant donné
que la majorité des salariés des centres d’appels sont des femmes, nous pouvons supposer que
la répartition des tâches et notamment les soins procurés aux enfants sont en moyenne
répartis de façon plus égalitaire au sein des couples, notamment lorsque le conjoint a des
horaires fixes.
Dans ce cas de figure, où la vie de famille s’adapte aux contraintes horaires, le rôle du conjoint
prend toute son importance. Ces arrangements permettent aux femmes salariées de
1
Op Cit. DAVID Olivier, 2007, p 194
66
compenser les contraintes des horaires atypiques par une répartition plus égalitaire des
taches domestiques.
b. Lorsque la vie de famille ne permet pas de travailler dans les centres d’appels
Lorsque les contraintes liées à la vie familiale sont trop fortes, nous pouvons supposer que
certains individus ne peuvent pas postuler dans ce type d’entreprise, ou ne peuvent y rester.
Le cas des familles monoparentales semble significatif. Leur nombre en 2008 dans les centres
d’appels de la technopole du Futuroscope était de 5% 1 alors qu’elles représentent 16% des
familles en France en 20052.
Le fait de ne pas avoir de crèche à proximité de son domicile ou de son lieu de travail, et/ou de
ne pas avoir un membre de la famille susceptible de garder son enfant, rend l’accès à ce type
de poste quasiment impossible pour les familles monoparentales. De même, trouver une
nourrice qui accepte de travailler jusqu’à 20h30 voire au delà ainsi que les week-ends se révèle
souvent difficile et coûteux pour une seule personne.
Les mères de familles nombreuses ont un taux d’emploi plus faible que les autres femmes.
Travailler dans les centres d’appels semble impliquer plus de difficultés d’organisation lorsqu’il
y a plusieurs enfants. L’emploi étant peu qualifié, peu rémunéré et engendrant de
nombreuses contraintes horaires, on peut imaginer qu’elles choisissent de ne pas travailler
en centre d’appels. Comme l’explique Guy Desplanques : « les femmes peu diplômées donnent
plutôt la priorité à la vie familiale. Elles vivent rarement seules et fondent des familles, en
moyenne, plus nombreuses. Lorsqu’elles ont trois enfants, elles abandonnent souvent leur
emploi, surtout s’il est mal payé et peu valorisé. Pour ces femmes, il est plus satisfaisant
d’élever elles-mêmes leurs enfants. 3» Lorsque les enfants ont l’âge d’entrer à l’école, les
femmes peuvent réintégrer plus facilement le marché du travail, le coût de l’école étant
inférieur à celui d’une crèche où d’une nourrice. Cependant, les horaires atypiques de travail
réduisent considérablement cette possibilité.
1
Données INSEE recensement 2008
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1216
3
DESPLANQUES Guy, « Activité féminine et vie familiale », Economie et statistique, Vol 261, 1993, n°261, p 29
2
67
Conclusion
Le travail en horaires atypiques entraine irrémédiablement des tensions sur le plan familial. Il
engendre parfois un rééquilibrage des rôles au sein du couple, atténuant l’effet de la double
journée pour les femmes. Dans d’autres centres d’appels, le fait de fonder une famille étant
reconnu socialement par les employeurs comme entrainant des contraintes temporelles, des
aménagements horaires sont proposés.
De manière générale, le temps de sociabilité des salariés des centres d’appels ne semble pas
souffrir quantitativement. Cependant, le travail en horaires atypiques ainsi que les conditions
de travail peuvent en réduire la qualité. Nous avons vu que certains moments sont plus
propices aux temps de sociabilité notamment le soir et le week-end. Pour la plupart, les salariés
des centres d’appels ne travaillent pas le dimanche et leurs horaires varient en fonction des
cycles de travail. Il s’agit généralement d’un cycle de travail hebdomadaire pour lequel les
horaires varient. Ces roulements, bien qu’irréguliers, leur laissent l’opportunité de disposer de
moments dont la « valeur et l’utilité sociale » sont les plus fortes. En revanche, lorsque les
cycles engendrent une sortie tardive du travail additionnée d’une journée de travail le samedi,
les salariés cumulent les difficultés durant la semaine et parfois plus longtemps (quand le cycle
de travail se renouvelle plusieurs semaines de suite).
Une enquête de l’INED menée auprès de 2673 entreprises du secteur public et privé indique
que 3/4 des employeurs estiment avoir une responsabilité dans la conciliation entre la sphère
professionnelle et familiale. « Leurs motivations sont le plus souvent d’ordre économique : les
arguments qu’ils mettent en avant sont la réduction de l’absentéisme, l’attraction de la maind’œuvre, l’amélioration de leur productivité ou encore l’image de l’entreprise. L’amélioration
du bien-être des salariés fait aussi partie de leurs préoccupations (deux tiers ont des
motivations à la fois sociales et économiques), mais c’est un argument unique pour de très
rares entreprises.1 » Bien que les entreprises aient conscience du rôle qu’elles jouent dans
l’articulation des temps de vie des salariés et des avantages qu’elles pourraient en retirer, la
mise en place de dispositifs favorisant une meilleure conciliation entre la sphère
professionnelle et la sphère familiale, tend à rester au second plan dans leurs agendas.
1
Op Cit. PAILHE Ariane, SOLAZ Anne, 2010, paragraphe 22
68
Dans les centres d’appels, le turn-over est important du fait des conditions de travail et de la
difficile conciliation vie privée et professionnelle pour les salariés. Dans certains territoires, on
assiste à des difficultés de recrutement liées à une saturation des bassins de main d’œuvre 1
Pour attirer cette main d’œuvre, les entreprises auraient donc intérêt à créer, avec la
collaboration des collectivités territoriales, des dispositifs permettant une meilleure
articulation des temps. Sans aide des entreprises et des pouvoirs publics, le travail en centre
d’appels reste quasiment impossible pour les mères ou pères de famille isolés.
1
Op Cit. BOUBA-OLGA Olivier 2008 paragraphe 31
69
Partie III
L
es « espaces-temps » de la mobilité
70
Introduction
Cette partie s’articule autour des notions « d’espace-temps » et de « mobilité ». Le terme
« d’espace-temps » a été choisi dans la mesure où l’analyse des distances entre différents lieux
ne permet pas, à elle seule, de comprendre les contraintes engendrées par la mobilité des
salariés. Le concept « d’espace-temps » permet alors de prendre en compte non seulement les
distances, mais aussi la durée des trajets (Pumain et Al 1999). Dans une toute autre mesure,
cela permet l’analyse de la mobilité à l’échelle, non seulement du temps quotidien, mais aussi
du temps des parcours de vie. La mobilité des salariés en centre d’appels est alors analysée en
fonction des différentes « temporalités sociales » produisant des « formes de mobilité »
divergentes (Kaufmann 2008).
Dans un premier temps, nous verrons qu’en fonction des parcours de vie, des origines sociales
et territoriales, les lieux de résidence des salariés ne sont pas les mêmes. C’est donc d’abord à
l’échelle des projets de vie des individus – donc de temporalités sociales longues - que nous
pouvons comprendre en quoi les déplacements domicile-travail sont plus ou moins importants.
Dans un deuxième temps, il s’agira de repérer quels sont les modes de déplacement utilisés
pour les déplacements quotidiens domicile-travail. Nous verrons alors que les modes de
déplacement dépendent en fait du « capital de mobilité » des individus (Kaufmann 2008). Celuici varie en fonction de trois facteurs, « l’accessibilité » des modes de transport, les
« compétences » des usagers pour les utiliser mais aussi de leur « appropriation » des moyens
de transport.
Nous verrons ensuite que l’analyse plus fine des trajets effectués par la population enquêtée,
permet de comprendre qu’à travers la problématique de la mobilité se jouent de réels enjeux
pour l’articulation de la vie professionnelle et de la vie familiale.
Enfin, il s’agira de repérer quelles sont les pratiques des salariés sur la Technopole et de
comprendre dans quelle mesure l’offre de services, à la fois publics et privés, participe à la
réduction des inégalités sociales et de genres.
71
A. Des déplacements induits par les lieux d’habitation
1. Répartition des communes d’habitation des salariés
Sur 232 salariés en centre d’appels enquêtés dans notre étude quantitative, nous recensons 69
communes d’habitation différentes réparties en 16 Communautés de communes du
département de la Vienne (plus 5 salariés qui habitent dans le département des Deux-Sèvres).
De prime abord, nous ne pouvons que constater l’étalement géographique des salariés en
centre d’appels. Le graphique ci-dessous met en évidence les 5 principaux lieux d’habitation des
salariés enquêtés.
Lieu de résidence des salariés par communauté de communes/communautés d’agglomération
de ladeVienne
Communautés
comm/agglo 5 MO
Autres CdC (27,2%)
CA de Poitiers (38,4%)
CA du Pays Châtelleraudais (9,8%)
CC du Neuvillois (12,1%) CC du Val Vert du Clain (12,5%)
Source : Enquête quantitative effectuée par nos soins, 2012
a. Une majorité de lieux de résidence appartenant ou étant limitrophes de la
Technopole.
Grand Poitiers accueille près de 40% des salariés dont 20% pour la seule commune de
Poitiers1. Il reste donc 60% de la population qui habite hors de l’agglomération.
Le fait qu’il y ait une majorité de personnes hors Grand Poitiers ne signifie pas nécessairement
que la population est éloignée géographiquement. Rappelons que la Technopole comporte
d’ailleurs une partie de son territoire en dehors de Grand Poitiers (la Commune de Jaunay-Clan
appartient à la Communauté de communes de Val vert du Clain). 12,5% des salariés habitent la
1
L’étude des données du recensement de l’INSEE en 2088 comptabilise 46,5% de salariés en centre d’appels
domiciliés dans la communauté d’agglomération de Poitiers.
72
Communauté de Communes de Val vert du Clain et 12,5% habitent celle du Neuvillois qui est
limitrophe de la technopole.
Cependant, l’offre de logement, notamment de maisons individuelles très prisées par les
salariés, semble faire l’objet d’une saturation dans ces Communautés de Communes 1.
 Les lieux d’habitations se trouvent donc principalement dans les communautés de
communes proches ou faisant partie intégrante de la Technopole (63% de la
population enquêtée).
b. Plus d’un Tiers des salariés dispersés sur le département et éloignés de la
Technopole.
Les salariés habitant la communauté d’agglomération du pays Châtelleraudais sont aussi
assez bien représentés (9,8%). On peut faire l’hypothèse que cela s’explique à la fois par le fait
que Châtellerault représente un vivier potentiel de salariés, du fait de la taille de la ville 2, mais
aussi par le fait que les déplacements sont facilités par l’axe autoroutier qui relie Châtellerault à
la Technopole. L’axe Poitiers-Châtellerault fait d’ailleurs l’objet d’une forte croissance
démographique3.
Un peu plus d’un quart de la population est dispersée dans le reste du département. Nous
recensons 12 autres communautés de communes accueillant le reste de la population de notre
échantillon. 27,2% soit 61 personnes sont en dehors des 4 principales communautés de
communes.
c. Des distances domicile-travail plus élevées que la moyenne nationale
La distance moyenne domicile-travail des salariés habitant dans la communauté de
communes du Neuvillois est sensiblement la même que pour les salariés de Grand Poitiers
(respectivement 14,65 km et 13,44km). Les personnes habitant la communauté de communes
1
« La commune [de Chasseneuil] présente le taux de couverture en emploi le plus élevé de toute l’aire urbaine
avec 4,5 fois plus d’emplois que d’actifs en emploi y résidant, ce taux est de 1,7 pour Poitiers. En ajoutant les 3 200
emplois de Jaunay-Clan (chiffre stable depuis 1999), ces trois communes concentrent plus de deux tiers des
emplois de toute l’aire urbaine ».(INSEE « Aire urbaine de Poitiers, concentration des emplois et mobilité
professionnelle accrue », Décimal, Insee Poitou-Charentes, n° 298, Décembre 2009)
2
33 540 habitants pour la commune et 71 140 habitants pour l’aire urbaine (Source INSEE 2008)
3
« Un modèle de croissance concentrique apparaît autour des grandes agglomérations. Cet étalement urbain tend
à former des axes de forte croissance, tels que La Rochelle-Niort, La Rochelle-Rochefort, Poitiers-Châtellerault, ou
même le triangle Rochefort-Saintes-Royan ». INSEE, « Le littoral et les grandes agglomérations, moteurs de la
croissance démographique », décimal Insee Poitou-Charentes, n°286, Janvier 2009
73
de Val vert du Clain enregistrent la distance moyenne la plus courte parmi toutes les
communautés de communes (8,25km).
En moyenne, les salariés des centres d’appels habitent à 19,68 km de leur lieu de travail pour
24,57 minutes de parcours moyen. Nous pouvons donc constater que les distances domiciletravail des salariés sont assez élevées. A l’échelle nationale, « L’aire moyenne de recrutement
des employeurs est aujourd’hui de quatorze kilomètres »1. L’étalement résidentiel des salariés
des centres d’appels est révélateur de l’évolution démographique de l’aire urbaine de Poitiers 2.
Cette distance est aussi révélatrice des caractéristiques sociales de la population recrutée : à
l’échelle nationale, « à titre de comparaison, l’aire moyenne de recrutement n’est que de 10 km
pour les personnes sans diplôme, pour les personnes sans permis, les personnes sans voiture.
Elle monte à 15 km pour les titulaires du permis et à 18 km pour les titulaires d’un diplôme du
supérieur. »3 Nous avons vu plus haut que les salariés de notre échantillon avaient, pour 80%
d’entre eux, au moins un Bac+1 et nous savons que 89% des salariés utilisent comme mode de
déplacement principal la « voiture solo ».
Il semblerait donc qu’il y ait une sélection sociale implicite des salariés en centre d’appels.
Malgré des conditions de travail difficiles et des salaires minimes, la population des salariés en
centres d’appels ne correspond pas aux franges les plus défavorisées de la population. Cela
peut s’expliquer en partie par le fait que la démocratisation de l’automobile et des transports
en commun, et l’accroissement de la vitesse de déplacement ont permis à une plus large
population, notamment celle des salariés à faible revenu, d’augmenter leur « capital de
mobilité ».
La diversité des choix résidentiels montre que si la plupart du temps, « la mobilité est
considérée comme un coût : c’est du temps et de l’argent perdus. Pourtant, les analyses qui
ont mesuré les évolutions importantes de ces dernières décennies ont montré qu’elle a des
contreparties dont les ménages se sont saisis et ont fait usage pour mener à bien leurs projets
1
ORFEUIL Jean-Pierre, « La mobilité, nouvelle question sociale ? », SociologieS [En ligne], Dossiers, Frontières
sociales, frontières culturelles, frontières techniques, mis en ligne le 27 décembre 2010, consulté le 16 juillet 2012.
URL : http://sociologies.revues.org/3321
2
INSEE « Aire urbaine de Poitiers, concentration des emplois et mobilité professionnelle accrue », Décimal, Insee
Poitou-Charentes, n° 298, Décembre 2009
3
Op cit. ORFEUIL 2010
74
de long terme »1. Comme nous le verrons ci-après, la préférence des salariés pour le périurbain
explique en partie l’éloignement entre le lieu de domicile et le lieu de travail.
2. Trois profils sociaux des salariés en fonction de leur CdC de résidence
Dans un premier temps, nous avons choisi de partir de l’étude statistique de notre enquête
quantitative pour mieux appréhender les caractéristiques sociales des travailleurs en fonction
de leur lieu de résidence. L’analyse factorielle des correspondances (AFC) nous a permis de
dégager trois profils sociaux principaux 2 :
Graphique 1 : Profils sociaux principaux en fonction du lieu de résidence
CC du Val Vert du Clain
CC du Neuvillois
Enfant à charge
40 ans et plus
Autres CdC
25-29 ans
moins de 20 min
30-39 ans
moins de 20 km
CDI, titulaire ou assimilés
Plus de 20 km
Plus de 20 min
CA de Poitiers
Pas d'enfant à charge
CA du Pays Châtelleraudais
CDD ou assimilés
18-24 ans
Source : Graphique effectué par nos soins à partir des données quantitatives de l’enquête , 2012
1
WENGLENSKi Sandrine, « Il court, il court, le salarié », Projet, 2010/1 n° 314, p. 43-51. DOI :
10.3917/pro.314.0043
2
Pour la liste des contributions principales, voir Annexe I.A) a)
75
Chaque cercle correspond donc à un « profil type », cela veut donc dire qu’il ne reflète pas la
réalité mais permet de rendre visible graphiquement les grandes tendances. Décrivons
maintenant plus en détail ces trois profils :
Les personnes habitant Grand Poitiers : Elles sont plutôt jeunes (moins de 25 ans), n’ont pas
d’enfants à charge et ont tendance à être en CDD. Le temps et la distance qui les séparent de
leur lieu de travail sont moins significatifs que pour les autres profils. Nous savons, par ailleurs,
que parmi les personnes interrogées qui répondent prendre le bus Vitalis régulièrement, toutes
mettent plus de 30 min de temps de parcours alors même qu’elles habitent à moins de 20 km.
Bien que les effectifs soient trop faibles et qu’ils ne nous permettent donc pas d’en tirer des
conclusions générales, nous observons que pour les 11 personnes interrogées, le temps moyen
de parcours est de 40 min. En voiture, en revanche, les salariés mettent en moyenne 22 min.
Les personnes habitant les communautés de communes limitrophes de Val vert du Clain et du
Neuvillois : Elles ont tendances à être légèrement plus âgées que les précédentes (entre 25 et
29 ans), sont, de fait, proches de leur lieu de travail et mettent peu de temps à s’y rendre (15
min en moyenne). Cependant, elles n’ont pas tout à fait les mêmes caractéristiques sociales.
Cette population a en général des enfants à charge et occupe plutôt des CDI.
Les personnes habitants les autres Communautés de communes : Ce profil est sensiblement le
même que le précédent, à ceci près que les personnes habitants ces communautés de
communes ont des lieux de domicile plus éloignés et des temps de parcours plus longs (ils
mettent en moyenne 30 min de temps de parcours).
 Les personnes ayant des enfants à charge sont surreprésentées, par rapport à notre
population, parmi les personnes habitant à plus de 20km de leur lieu de travail. Le fait
d’avoir des enfants à charge n’est qu’un indicateur pour comprendre la distance
domicile-travail mais cela ne permet pas d’expliquer concrètement les choix de
domiciliation.
3. Le « choix » du lieu de résidence
Il semblerait que le choix du lieu de résidence dépend de calculs qu’on pourrait qualifier de
rationnels par rapport à la situation donnée (travailler en centres d’appels sur la Technopole du
Futuroscope). Ces variables pourraient alors être, la distance, le temps de parcours, le coût et
l’offre de transport, le coût du logement. Mais ces variables ne suffisent pas à expliquer les
76
choix opérés par les salariés. Les choix de logement sont mis en tension par des variables
symboliques (valeurs accordées au travail, à la famille, aux loisirs) et par les projets de vie des
salariés à court ou long terme (Kaufmann 2008).
C’est aussi l’expérience passée qui permet de comprendre les processus résidentiels. Comme
le rappelle Josette Debroux : « Le contexte est toujours perçu subjectivement et dans cette
évaluation subjective, les expériences passées jouent un rôle déterminant. L’individu n’agit pas
en fonction d’une situation objective mais du jugement qu’il porte sur cette situation. Les
manières de gérer, de traiter cette situation sont autant le produit de la socialisation primaire,
de la trajectoire scolaire et professionnelle que du « contexte ». »1 L’enquête qualitative nous a
permis d’appréhender les choix résidentiels sous cet angle.
a. Un choix lié à la capacité à se projeter durablement dans l’entreprise
Plusieurs salariés enquêtés sont entrés dans les centres d’appels pour occuper un emploi qu’il
pensait temporaire (emploi saisonnier, estival ou suite à une période de chômage). Dans cette
perspective, les salariés n’ont pas pris en considération leur travail comme un élément décisif
dans leurs choix personnels notamment celui du lieu de domicile.
Nathalie (23 ans, en couple, 2 ans et demi d’ancienneté) :
Est-ce que c’est ce que t’imaginais faire en sortant de ton BTS ?
Non, non en fait je suis rentrée là bas parce qu'il me fallait de l'argent. Et finalement, je m'y suis
sentie bien. J'étais contente, ça m'a plu. Maintenant clairement, j'ai 23 ans, tu vois là en 2013,
2014 maximum je suis partie.
Pour autant, si beaucoup pensent leur travail comme temporaire, dans la réalité, il semble que
la majorité des personnes y restent plus longtemps qu’elles ne l’avaient envisagé. Choisir son
logement en fonction du lieu de travail vient alors après une ou plusieurs années de travail dans
l’entreprise, même quand les salariés déclarent ne pas envisager leur emploi à long terme.
b. Habiter la Technopole : une situation impossible à envisager ?
Il existe des logements disponibles sur la Technopole. A priori, étant donné la proximité que
cela offre avec le lieu de travail, le choix d’y habiter semble le plus rationnel en termes de
temps gagné et d’argent économisé dans les transports. Pour autant, aucun de nos enquêtés
n’a opté pour ce choix de résidence.
1
Op cit. DEBROUX 2010
77
Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. Premièrement, un facteur d’accessibilité en termes de
transport. Pour les personnes non motorisées, les déplacements
nécessaires à la vie
quotidienne seraient compliqués (courses, sorties, etc.) car les horaires de transports sont
calqués sur les horaires standards de travail.
Sophie (21 ans,en couple, étudiante, 1 ans d’ancienneté)
On en a eu l’idée parce qu’avant mon copain travaillait en centre d’appels. Donc pareil un centre
d’appels dans une autre entreprise. Donc on y a pensé parce que déjà c’est beaucoup moins
cher. J’avais vu en salle de pause une espèce de publicité où y avait du T1 au T2. Ça avait l’air pas
mal mais après on s’est dit que c’était assez loin du fait qu’on a pas de voiture donc pour aller
faire les courses, rien à coté quoi. Il y a vraiment rien autour. Donc si on a envie de bouger faut
faire en fonction des bus. C’est pas pratique parce que le week-end y a pas beaucoup de bus qui
passent là bas. Après ça pourrait être agréable d’habiter là bas si on avait une voiture, c’est
beaucoup moins cher. C’est assez calme donc ça pourrait être assez intéressant mais je pense
pas.
Les représentations semblent être un second facteur explicatif de ce phénomène. Les
témoignages de nos enquêtés mettent en avant une distinction franche entre deux sphères,
d’un côté le travail et de l’autre la vie personnelle.
Nathalie (23 ans, en couple, 2 ans et demi d’ancienneté)
Je préfère prioriser ma vie pers o. Enfin, je trouve qu'on passe déjà assez de temps
au travail donc si c'est pour habiter juste à côté, non. Certes ça a des avantages
mais même si y a que une quinzaine de km, c'est bien d'être à 15km parce que
voilà, ça permet de, hop là on passe la porte (elle souffle) , on va à la maison. On
ouvre la fenêtre on voit pas le travail moi ça me va très bien .
On remarque aussi que, plus les conditions de travail sont mal vécues, plus le fait de vivre sur la
Technopole apparaît comme inenvisageable. Le « choix » du lieu de domicile, effectué en
fonction de la vie personnelle, montre bien pour la plupart des salariés que les projets de vie
semblent plus être axés sur la vie familiale que sur la vie professionnelle.
c. Un compromis qui se fait en fonction du conjoint
Les « choix » ne se font seulement en fonction du salarié mais aussi et surtout en fonction du
travail du conjoint. La distance optimale serait alors celle qui minimise la distance pour les deux
personnes du couple. Cela permet d’économiser du temps pour chacun des membres du
couple, du temps pour la vie à deux, de la fatigue et aussi de l’argent. L’augmentation du travail
des femmes entraine des logiques de « résidentialisation » de plus en plus complexes du fait de
ce compromis opéré au sein du couple (Kaufmann 2008).
78
Anna (30 ans, en couple, un enfant à charge, 1 an et demi d’ancienneté)
Ça fait longtemps que vous habitez ici (autour de Poitiers)?
Ça fait un an.
Et vous avez choisis votre logement par rapport à la proximité avec Chasseneuil ?
On habitait plus loin à **** Pendant un an et ça fait vraiment loin. Parfois mon ami rentre à 2-3
heures du mat donc avec la fatigue, de se taper une demi- heure de route, ça va deux secondes.
Au final on s’est rendu compte qu’en termes de frais kilométriques, on préfère payer un peu
plus cher le loyer et être à proximité de notre travail. Sachant que mon ami travaille au ****, il
peut y aller en vélo, à pied si il faut ça ne le dérange pas, il n’y a aucun souci. Par rapport au
deux, la situation est vraiment idéale.
Cependant, cela n’explique pas non plus complètement les choix. Les choix ne se font pas
seulement en fonction du travail mais aussi en fonction des représentations liées à la qualité du
logement.
d. Habiter dans une maison individuelle
Pour beaucoup, le critère de la maison individuelle est déterminant pour le choix du logement.
Comme nous l’avons vu précédemment, les personnes ayant des enfants à charge sont
surreprésentées parmi les personnes habitant dans les communes les plus éloignées (mais aussi
les plus rurales). L’enquête qualitative montre que lorsqu’elles projettent d’avoir un enfant,
elles projettent également de quitter leur vie en appartement pour une vie en maison
individuelle.
Etant donné la priorité accordée à la vie familiale plutôt qu’au travail, habiter dans une maison
individuelle illustre encore une fois ce phénomène. « Mais ce qu’offre avant tout ce type
d’habitat, c’est un certain nombre de garanties devenues nécessaires à l’aune de la société
contemporaine : l’aspiration à se tenir à distance de toute contrainte sociale, pour ce qui touche
à la vie familiale, dans un espace privé susceptible de participer à leur réassurance et à la
protection des leurs ― la « tranquillité ».1
Ceci pourrait alors expliquer que seulement 1/5 de la population habitent à Poitiers. La
représentation que les individus se font d’un « bon » logement diffère en fonction des
caractéristiques sociales des salariés. Certains préfèrent le calme à l’activité des centres ville
mais pour d’autres, habiter le centre ville est aussi une façon de centrer sa vie quotidienne sur
une sphère d’activité autre que le travail ou la famille (activité de loisirs, culturelle, associative).
1
ROUGE Lionel, "Inégale mobilité et urbanité par défaut des périurbains modestes toulousains.",
EspacesTemps.net, Textuel, 25.04.2007
79
La demande de logement est forte dans la commune de Chasseneuil mais celle-ci concerne plus
particulièrement une population de cadres, demandeurs de pavillon « haut de gamme »1. Ce
phénomène peut alors engendrer une augmentation des prix du mètre carré, repoussant
toujours plus loin l’accès à la maison individuelle des salariés ayant des bas salaires. L’accès
sélectif aux maisons individuelles doublé d’une explosion de l’emploi en 10 ans sur la commune
de Chasseneuil (+40%) entraine mécaniquement une augmentation des déplacements dans
l’aire urbaine de Poitiers (INSEE 2009). 2
e. Etre près de son réseau de connaissances
Si nombre de nos enquêtés cherchent à quitter leur vie en appartement pour une vie en maison
individuelle, les profils ne semblent pas pour autant correspondre à ceux des nouveaux
« ruraux ». On assiste en effet à un retour de ces personnes vers les territoires ruraux, dont ils
sont originaires. Ils y reviennent alors après avoir résider en ville pour effectuer leurs études et
des emplois temporaires.
Alexandre et Nathalie par exemple, travaillent tous les deux en centre d’appels et n’ont
pourtant pas voulu s’installer sur la Technopole bien qu’ils trouvent le lieu assez agréable.
Alexandre (23 ans, en couple, un mois d’ancienneté)
On a choisi cette commune (à 16 km de la technopole) parce que la maison était libre, y avait le
jardin, avant on était dans un quartier de Poitiers. La vie en appartement commençait un peu à
m’ennuyer. Donc j’ai préféré retourner sur cette commune parce que c’est un coin que je
connais, mes parents sont d’ici, les copains à coté, le foot à coté, y a tout ici. J’ai tout à proximité
quasiment. Pour moi déjà c’était plus pratique et puis c’est vrai que c’est plaisant aussi. Même si
Chasseneuil (La technopole) c’est bien, ici c’est mieux, j’ai mon jardin. C’est une petite qualité de
vie en fait.
La présence des proches et l’attachement à un territoire semble ici un bon élément explicatif
du choix du logement. Si certaines personnes semblent plus mobiles que d’autres parce qu’elles
acceptent des déplacements domicile-travail assez importants, elles le font en fait parce
qu’elles sont fortement sédentarisées (Kaufmann 2008, p23).
1
Nous avons recueillie cette information au cours de notre enquête qualitative auprès des institutions mais nous
ne disposons pas de chiffres permettant d’affirmer cette tendance.
2
Conjointement, l’axe Paris-Poitiers, défiant l’espace-temps de mobilité notamment avec le projet de la ligne LGV
risque de repousser les catégories de travailleurs des centres d’appels toujours plus loin dans le département du
fait d’une hausse prévisible des loyers dans les zones périurbaines proche de Poitiers convoités par les cadres
parisiens. Leur « position résidentielle » risque alors d’être détériorer par la contrainte de déplacement domiciletravail toujours plus long et plus couteux. Ce que Jacques Donzelot appelle « l’effet TGV », La ville à trois vitesses,
p25
80
Si les centres d’appels recrutent massivement et diversifient leurs modes de recrutement (pôle
emploi, pouvoirs publics, agence d’intérim, etc.), les employés recrutés le sont aussi parfois par
le bouche à oreille. Dans ce cas, le logement n’est pas choisi en fonction du lieu de travail mais
c’est plutôt le travail qui est choisi en fonction du logement.
Céline (32 ans, un enfant à charge, en couple, 2 ans d’ancienneté)
Depuis combien de temps vous habitez dans cette commune de Grand Poitiers ?
Je suis native de cette commune , depuis 32 ans, depuis mon âge. Et j’ai acheté une
maison en 2006.
Ça fait donc 6 ans que vous habitez là, vous avez choisi votre travail par rapport à
votre logement ?
Ben ça influence aussi un peu, c’est vrai que j’ai pas postulé à 40 km non plus.
Après, ça fait 10 ans que je travaille ici et là c’est vrai que ça tombait bien. Il
faudrait que j’habite plus près. Mais 12 km c’est le moindre mal. Après si ça avait
été à 50 km j’y aurais réfléchi à 2 fois. Mais je suis passée d’un CDI à un autre CDI
et je n’étais pas dans la panade du chômage.
 L’accès pour une plus large population à la voiture personnelle, aux transports en
commun, et l’augmentation de la vitesse de déplacement, n’a pas engendré une
réduction du temps de déplacement mais a été utilisé par la population pour augmenter
les possibilités de choix résidentiels, entrainant ainsi une forte périurbanisation de la
population. Comme le rappelle Josette Debroux dans son article au sujet de la frange la
plus populaire des classes moyennes, « Faute de pouvoir s’assurer une position
professionnelle, elles s’achètent une « position résidentielle »1.
1
DEBROUX Josette, « Stratégies résidentielles et position sociale : l'exemple des localisations périurbaines »,
Espaces et sociétés, 2011/1 n° 144-145, p. 121-139. DOI : 10.3917/esp.144.0121 p124.
Voir aussi : CUSIN François, « Le logement, facteur de sécurisation pour les classes moyennes fragilisées ?, Espaces
et sociétés n°148-149, 2012
81
B. Des modes de déplacements quotidiens contraints par le travail ?
Dans cette partie, il s’agira d’analyser le choix du mode de déplacement des salariés pour se
rendre à leur travail. La mobilité est alors analysée dans sa dimension quotidienne, sous l’angle
des temporalités courtes. Nous analyserons les modes de déplacement utilisés par les salariés
grâce au concept de motilité ou « capital de mobilité » développé par Vincent Kaufmann.
L’utilisation de ce concept permet alors d’envisager la mobilité à partir de trois critères.
Le premier critère est celui de l’accessibilité. En ce qui concerne l’analyse des modes de
déplacements domicile-travail, « l’accessibilité renvoie à la notion de service », il s’agit donc par
exemple de l’adéquation entre horaires de travail et horaires de transport en commun, du coût
de déplacement, de l’adéquation entre desserte et lieu de résidence.
Le deuxième critère est celui des compétences. Elles « se réfèrent aux savoirs faire des
acteurs ». Dans notre enquête, cela peut correspondre au fait d’avoir le permis par exemple ou
de savoir se renseigner sur l’offre de transport collectif disponible.
Le troisième et dernier critère est celui de l’appropriation. Il renvoie alors à la notion de
représentation en sociologie mais aussi à celle d’habitude. L’appropriation a une dimension à la
fois sociale et subjective. Dans notre enquête par exemple, on constate que pour certaines
personnes, le fait d’avoir accès et d’avoir les compétences nécessaires pour l’utilisation de
transports en commun ne mènent pas nécessairement à l’utilisation de ces derniers.
82
1. Bilan des modes de transport utilisés
Parmi les répondants, 5,6% déclarent utiliser les transports en commun comme mode de
transport principal pour les trajets domicile-travail. 4,8% pratiquent le covoiturage et 89% se
rendent à leur travail avec leur voiture personnelle.
Modes de transport HABITUELS
Nb
% cit.
Voiture solo
203
89,0%
Bus Vitalis
11
4,8%
Covoiturage
6
2,6%
Voiture + bus (Ligne en Vienne+ Vitalis)
5
2,2%
Train
1
0,4%
Car Lignes en Vienne
1
0,4%
Moto
1
0,4%
Total
228
100,0%
Source : enquête quantitative effectuée par nos soins
Utilisation de la voiture solo : Les résultats de notre étude montre une prépondérance du
l’utilisation de la voiture personnelle comme mode de transport principal par rapport à la
moyenne nationale. Cette tendance parait plausible au regard du contexte régional. D’une part,
« La région Poitou-Charentes se place au 1er rang des régions françaises en matière de taux
d'équipement des ménages en automobiles (86,34 % RP 2006 - 84,69 % RP 1999) et au 3e rang
pour ce qui est de la multimotorisation (38,7 % RP 2006 et 1999) » (ARS 2010). D’autre part, ce
taux est caractéristiques des régions rurales. La région Poitou-Charentes enregistre les plus
forts taux d’utilisation de la voiture personnelle pour les trajets domicile-travail et
conjointement, les plus faibles taux de déplacement à pieds ou en vélo (Le Guennec INSEE
2010). Cependant, les salariés des centres d’appels ne résident pas majoritairement en milieu
rural, et différents modes de transport collectifs sont a priori accessibles pour une bonne partie
de la population. Pourtant, le bilan de l’enquête montre que l’utilisation des transports
collectifs est loin d’être une pratique répandue.
83
La pratique du covoiturage : Seulement 2,6% soit seulement 6 personnes de notre échantillon
utilisent le covoiturage comme mode de transport habituel. Parmi elles, 4 ont des enfants à
charge. 16 personnes soit 7% de notre échantillon l’utilisent une fois par semaine.
L’usage du réseau de bus :
Ligne en Vienne : La seule personne qui utilise « ligne en Vienne » habite à 20 km et met 60
min à se rendre sur son lieu de travail. Une autre personne utilise voiture + bus ligne en Vienne
et met 20 min pour parcourir les 16 km qui sépare son lieu de domicile de son lieu de travail.
Ces deux personnes n’ont pas de contraintes horaires de travail.
Vitalis : Les personnes utilisant la ligne 1 de Vitalis mettent en moyenne 40 min à arriver au
travail alors que les personnes utilisant la ligne 1 Express ne mettent qu’en moyenne 25 min. En
termes de temps, le mode de transport voiture+ bus semble être le plus rentable.
Le réseau de transport ferroviaire : L’usage du réseau ferroviaire pour les trajets domiciletravail en centre d’appels est quasi inexistant parmi notre population enquêtée. Pourtant, « si
l’axe Poitiers-Châtellerault a enregistré une baisse du TMJA (Trafic moyen journalier annuel)
entre 2002 et 2007 et une augmentation de la part du transport ferroviaire voyageurs (8159
voyageurs dont seulement 4 % en transport ferroviaire en 2002 et 7515 voyageurs et 6,2 % en
transport ferroviaire en 2007) la majorité des axes ont enregistré des augmentations de la
fréquentation routière » (ARS 2010, p23).
L’offre de transport en commun disponible vers la Technopole va très certainement faire l’objet
d’une refondation, étant donné le projet de BHNS ( réseau de Bus à Haut Niveau de service)
prévu pour 2016-20181. Le BHNS prévoit d’améliorer notamment les fréquences de passages
des bus à destination de la Technopole et envisage de profiter de ce nouveau projet pour
améliorer l’offre de transport ferroviaire entre Chasseneuil et Poitiers 2.
Le constat de la faible utilisation des transports en commun montre qu’il ne s’agit pas de
décrire seulement comment les personnes se déplacent mais surtout pourquoi les personnes
choisissent ces modes de déplacement.
1
Voir schéma en Annexe « projet d’ensemble et projets qui se greffent à l’arrivée du réseau BHNS »
« Le réseau ferroviaire : Il est posé la question de l’opportunité d’un BHNS sur l’axe Poitiers Chasseneuil-duPoitou et Poitiers Mignaloux-Beauvoir au regard de l’existence d’une desserte TER, qui serait alors à renforcer (à
l’occasion de la création de la LGV). Le souhait formulé est d’élargir le débat du BHNS à tous les modes ainsi qu’à
une échelle plus large du territoire (SCOT). »
ère
« Un réseau de bus à haut niveau de service pour Grand Poitiers », 1 tranche, Rapport Bilan de concertation
er
préalable, 1 au 31 Octobre 2011
2
84
2. L’accessibilité : des horaires aléatoires limitant la possibilité de
l’utilisation des modes de déplacement collectif
a. Des horaires de passages des bus mal adaptés aux contraintes horaires des
centres d’appels
A priori, l’usage des transports en commun s’avère être le meilleur choix pour les salariés des
centres d’appels en termes de coût (étant donné le prix du carburant que génère l’utilisation de
la voiture pour une seule personne, et les possibilités de remboursement des frais de
transports en commun par l’employeur à 50% 1). Le faible usage de ce moyen de transport
montre bien que la raison pécuniaire n’est, à elle seule, pas suffisante pour entraîner l’usage
des transports en commun par les salariés des centres d’appels. La principale contrainte
d’accessibilité émane, en grande partie, des horaires de travail.
Rappelons qu’une personne sur deux dans notre échantillon à une amplitude horaire qui ne
correspond pas à une journée « standard » de travail2. Or, les horaires de dessertes des
transports en commun sont calqués en grande majorité sur les horaires standards d’une
journée de travail.
Cela se vérifie plus particulièrement pour les salariés qui doivent utiliser le réseau de transport
ligne en Vienne qui propose des horaires en fonction des journées et semaines standards de
travail (globalement entre 6h30 et 9h le matin et 17h et 18h30 le soir). Nous pouvons d’ailleurs
constater que les deux personnes de notre échantillon déclarant utiliser le réseau de transport
Ligne en vienne n’ont aucune contrainte horaire.
En ce qui concerne les potentiels usagers du réseau de transport Vitalis, l’usage des transports
en commun semblent plus probable. En effet, les personnes habitant la commune de Poitiers
de notre échantillon pourraient utiliser ce réseau. Cependant, là encore, nous pouvons relever
des contraintes horaires de travail qui limitent le choix de son usage. Nous avons établi un
graphique reprenant les horaires de chaque salarié en provenance de Poitiers, et donc,
susceptible d’utiliser facilement la Ligne 1 desservant la Technopole. On peut alors remarquer
qu’il y a un pic de salariés habitant Poitiers qui finissent de travailler à 20h30. Il serait possible
pour eux de rentrer en bus, mais sous condition qu’ils soient prêts à attendre celui-ci 40 min3.
1
Voir annexe « remboursement des frais de transport dans le secteur privé ». Source : service-public.fr
Voir partie I : horaires décalés en une journée
3
Voir Annexe horaires de bus ligne 1
2
85
Le temps de trajet est aussi un frein à l’utilisation des transports en commun, comme dit
précédemment, les utilisateurs mettent près du double de temps que ceux utilisant la voiture.
Source : graphique effectué par nos soins à partir de l’enquête quantitative 2012 auprès des salariés des
centres d’appels
Si notre échantillon quantitatif ne comporte pas de travailleurs de nuit déclarés, nous savons
que certains services de centre d’appels sont ouverts la nuit. Pour ces derniers, il est impossible
d’utiliser le réseau Vitalis pour se rendre sur leur lieu de travail.
b. Des horaires différents d’un salarié à l’autre limitant la possibilité de
covoiturage
Comme dit précédemment, les horaires décalés des salariés en centre d’appels limitent les
possibilités d’utilisation des transports en commun. On pourrait donc imaginer que le
covoiturage serait la pratique alternative la mieux adaptée pour limiter les coûts de
déplacements. Pourtant, là encore intervient une contrainte horaire de travail. La principale
raison évoquée par nos enquêtés est celle-ci : « Mes horaires de travail ne sont pas adaptés à
cette pratique » (pour 36,2% d’entre eux). Ce n’est pas ici le fait d’avoir des horaires atypiques
de travail mais plutôt le fait qu’au sein d’une même équipe de travail, les salariés n’ont pas
nécessairement les mêmes horaires. Ainsi, plusieurs enquêtés disent avoir des collègues de
travail habitant dans la même commune mais précisent que ces derniers n’ont pas les mêmes
horaires de travail. La pratique du covoiturage est donc limitée par cette variable horaire.
86
3. Les compétences : un temps omniprésent limitant la motivation à
organiser son trajet
L’injonction temporelle subite par les salariés dans leur travail limite leur motivation à utiliser
des modes de transport collectifs car cela supposent de s’organiser, de se renseigner et de
programmer son trajet.
Le fait de se renseigner sur les possibilités de trajets, les arrêts, les horaires et les
changements du bus limite de prime abord l’usage des transports en commun des salariés.
Cet effet est d’autant plus fort que, pour la plupart d’entre eux, leurs horaires changent d’une
semaine à l’autre. Ils devraient donc, non pas se renseigner une fois pour connaître les horaires,
mais quasiment chaque semaine, tout en vérifiant que, suivant l’heure, le bus s’arrête bien à
leur arrêt.
Etant donné la très faible fréquence de l’offre de transports en commun dans le département
et la forte présence de contraintes horaires chez les salariés des centres d’appels, ces derniers
auraient de toute façon peu de chances de pouvoir les utiliser.
En ce qui concerne le covoiturage la problématique est la même. Pour un grand nombre des
personnes interrogées dans l’enquête qualitative, le covoiturage ne semble s’envisager qu’avec
des collègues de travail. Avoir la possibilité de voir les personnes sur son lieu de travail
faciliterait alors l’organisation des trajets et donc contribuerait à augmenter les compétences
en matière de mobilité. Mais là encore, le fait d’avoir des horaires changeants, qui peuvent
d’une semaine à l’autre correspondre ou non au potentiel covoitureur complique l’organisation
des trajets.
 Il s’agit alors pour eux, d’être encore très attentif au temps, et cette variable peut
représenter une trop grosse contrainte quand celle-ci est déjà omniprésente dans le
quotidien au travail du salarié.
Un autre paramètre ayant trait aux compétences des salariés en matière de mobilité est le fait
d’être bien informé sur l’offre disponible en matière de transport en commun.
 59% des enquêtés affirment ne pas avoir ou avoir une mauvaise connaissance du
remboursement de l’employeur sur les abonnements de transport publics et près 70%
se disent insuffisamment informés sur les alternatives à la voiture existantes sur la
Technopole.
87
4. L’appropriation : les représentations des transports collectifs
Le bus représenté comme un mode de transport citadin 1 : Une personne sur deux affirme ne
pas avoir d’arrêt à proximité ou sur le trajet. Or, il existe bien des transports en commun à
proximité de chaque ville (ligne en vienne). Il semblerait donc que les salariés ne se renseignent
pas réellement sur l’offre de transport disponible. L’explication serait alors, en partie, d’ordre
symbolique. Pour une grande part de la population, les transports en commun représentent un
mode de déplacement destiné aux citadins. Cette représentation se justifie en pratique
puisqu’il existe effectivement une offre plus restreinte pour les ruraux, mais celle-ci pas n’est
pour autant inexistante. Mais comme le rappel Jean Marie Guidez : « La mobilité urbaine, de
par son histoire et sa culture, a (peut-être) quelques décennies d'antériorité sur les autres
mobilités. Elle a été analysée et intégrée par les politiques plus tôt. Toute une culture s'est
développée chez les techniciens et les élus »2.
La pratique multimodale encore méconnue : Comme dit précédemment, le réseau
départemental offre très peu de flexibilité horaire mais comporte aussi l’inconvénient qu’il
suppose, pour la plupart, l’utilisation d’une voiture pour se rendre à l’arrêt de bus le plus
proche. Or, la multi modalité (utilisation de la voiture+ bus ou vélo+ bus par exemple) reste très
minoritairement envisagée.
L’attente : Plus que le temps de trajet des transports en commun, c’est le temps d’attente qui
est vu comme, sinon un temps de travail, du moins un temps « perdu » sur la vie personnelle.
Sylvie (52 ans, 5 ans d’ancienneté, en couple, 2 enfants de plus de 25 ans)
Pourquoi vous préférez prendre la voiture plutôt que le bus ?
Pour moi c’est un gain de temps et c’est plus pratique quand même. Avec ma voiture je vais
mettre 30 min à tout casser pour y aller. Si je prends le bus j’en ai au moins pour une heure.
Economiquement ?
Ah oui c’est sur que le bus c’est moins cher y a pas photo mais le bus c’est plus contraignant. J’ai
quand même une vie après le travail, donc plus tôt je rentre chez moi, plus vite je peux aller
faire mes balades, respirer. Voilà. Une heure de trajet le matin, une heure le soir. Sur la journée
ça fait beaucoup.
Cette représentation pousse donc les usagers des transports en commun à optimiser leur
temps de trajet. Cela veut donc dire que ces derniers doivent bien connaître les horaires de
1
Voir Extrait d’entretien en Annexe
CERTU, « La mobilité des années 2000 : Vers un découplage entre la possession et l’usage de la voiture ? »
Mobilité : faits et chiffres, Fiche n°3, Octobre 2007/58
2
88
INSEE « Les moments agréables de
passages, calculer le temps à pied pour se rendre à l’arrêt, et ne
la vie quotidienne. Une question
d’activité mais aussi de contexte »
pas « trainer » chez eux ou avec les collègues afin de prendre le
bus dont l’horaire de passage est le plus proche de leur horaire
de travail.
Les trajets à vélo sont les plus
agréables
Le caractère agréable d’un trajet,
L’automobile, un espace d’intimité : De plus, pour les salariés, le
quelle que soit sa durée, dépend
temps de transport en commun est vu comme un prolongement
fortement de son but. En effet, un
du temps de travail, quand la voiture est vue, elle, comme un
prolongement de l’espace personnel. L’apprentissage de la
déplacement n’est pas une fin en soi
mais est nécessaire à la réalisation
de nombreuses activités. Ainsi, les
conduite et la possibilité de l’utiliser apparaît aussi pour une
déplacements domicile-travail sont
partie de la population la plus jeune des salariés comme « un
jugés les plus désagréables, même si
aboutissement du processus d’autonomisation »1.
la personne peut, en même temps,
lire ou écouter de la musique.
Juliette (24 ans, en couple, un an et demi d’ancienneté)
Moi quand je suis dans ma voiture j’aime être tranquille, je
chante comme une merde et voilà. Et enfin je suis très, et
maintenant que j’ai le permis j’aime pas qu’on m’ emmène en
fait. Je me laisse conduire et tout parce que des fois j’ai la
flemme de conduire, mais j’aime pas ça. M’emmener au travail
c’est pire, je préfère avoir mon autonomie et être toute seule à
la gérer.
Malgré tout il y a des nuances. Ainsi,
les trajets pour aller au travail sont
encore moins appréciés (+ 0,7) que
les trajets pour en revenir (+ 1,5).
Les trajets ayant pour but de se
rendre à une association ou bien
d’aider d’autres ménages sont les
S’adapter au rythme de l’autre : Ces freins à la pratique
témoignent d’une représentation particulière du covoiturage.
Soit le covoiturage représente une contrainte de temps
mieux vécus.
Quel que soit le but du trajet, la
marche ou le vélo sont des modes
de
transport
nettement
plus
notamment lorsque la personne doit effectuer un détour, même
appréciés que la voiture ou les
minime pour se rendre au domicile du covoitureur. Soit parce
transports
que l’organisation du trajet (trouver un covoitureur, se
voyager à deux rend le déplacement
renseigner sur ses horaires, s’assurer de ses jours de travail
plus agréable (+ 1,5 contre + 1,2
effectués etc.) demanderait là encore une contrainte temporelle
en
commun.
pour un trajet solitaire)
trop importante. Il s’agit aussi de s’adapter au rythme de l’autre.
Chaque salarié à « son rituel », à titre d’exemple, certains
souhaitent arriver 20 minutes plus tôt au travail pour prendre le
1
Vincent Stephanie, Les « altermobilités » : analyse sociologique d’usages de déplacements alternatifs à la voiture
individuelle. Des pratiques en émergence ?, 2008
89
Enfin,
temps de s’installer quand d’autres repoussent au maximum l’heure du réveil pour profiter de
leur temps de sommeil.
S’adapter aux habitudes de l’autre : Le covoiturage régulier n’est pas non plus représenté de la
même manière que le covoiturage occasionnel. La pratique du covoiturage régulier pour les
déplacements domicile-travail ne s’envisage qu’avec des personnes quasi « familières ». Cela
semble moins s’expliquer par le fait que les personnes craignent la défaillance du covoitureur
(seulement 2,6% de notre échantillon) que le fait qu’un déplacement quotidien avec une
personne sous-tend une entente mutuelle. Le fait de choisir de le pratiquer avec un collègue de
travail élimine la peur de l’inconnu ; les personnes savent, à l’avance, qu’elles ont un travail en
commun, et un objectif de déplacement qui est le même.
 L’effort opéré par certaines entreprises pour faciliter les pratiques de covoiturage
semble alors être un bon espoir de développement du covoiturage régulier.
Cependant, le fait de travailler dans une même entreprise ne veut pas pour autant dire que les
personnes ont les mêmes habitudes. En effet, « Le partage d'un espace privé, personnel, voire
intime n'est pas simple, d'autant plus si les goûts et les habitudes des covoitureurs sont
différents. La pratique de la voiture solo ne pose pour certains aucun problème (essence, usure
du véhicule, pollution), elle apporte au contraire un sentiment de plénitude et de liberté »1.
Nombre de salariés ne sont pas prêts à renoncer à cet espace de liberté.
 Comme le rappelle Stéphanie Vincent, « le covoiturage ne doit pas nécessairement être
un mode de déplacement régulier, il est (ou il peut être) utilisé de manière plus
ponctuelle : trois fois par semaine, une fois par semaine... Le covoiturage n'est pas la
solution miracle, il doit être considéré comme une alternative possible de
déplacements »2.
1
VINCENT Stephanie, « Franchir la barrière psychologique », in Le covoiturage en France et Europe, Etat des lieux
et perspectives, Jean Christophe Ballet et Robert Clavel, CERTU, 2007, p68
2
Ibid p69
90
C. Des modes de déplacements induits par l’organisation de la vie familiale
L’analyse de la mobilité quotidienne ne peut se restreindre à celle des déplacements domiciletravail. « On considère comme relevant de la mobilité quotidienne les déplacements effectués
dans le cadre journalier ordinaire, dans un rayon de 80 km autour du domicile, avec retour au
domicile le soir »1. Les déplacements quotidiens représentent alors un temps spécifique qui
doit être pris en compte dans l’analyse de l’organisation familiale au même titre que les temps
de sociabilité, de loisirs, de travail ou de vie de famille (David, 2007). Comme chacun d’entre
eux, les temps de déplacement ne sont pas des temps « à part » qui permettraient d’accomplir
un seul but (par exemple, se rendre à son travail) mais sont soumis bien au contraire à
l’articulation des différents temps. Les temps de déplacement dépendent donc à la fois du type
de résidence, de la structure familiale, des horaires de travail, et des habitudes.
Les déplacements domicile-travail sont bien sûr une part importante dans l’emploi du temps
des ménages, nous constatons d’ailleurs que « Le temps gagné sur le travail ne s’est pas
intégralement reporté sur des activités extra-professionnelles. En effet, pour les personnes
ayant un emploi, les trajets domicile-travail en ont consommé une partie : 7 minutes en
moyenne depuis 1999. »2 Ce phénomène s’explique en partie par l’étalement urbain qui
éloigne les lieux de résidence. L’analyse plus fine des trajets permet de faire ressortir d’autres
phénomènes sociaux dépendants à la fois des logiques d’acteurs et de la structure sociale.
1. Des trajets non-linéaires
Les enquêtes « emploi du temps » montrent deux phénomènes conjoints : d’un côté les
distances domicile-travail ont fortement augmenté ces 30 dernières années, de l’autre, le
nombre de déplacements quotidiens par jour et par personne reste relativement stable
(Wenglenski 2010 ; INSEE 2009). Cette comptabilité s’effectue en fonction des motifs principaux
de déplacement, à partir du domicile. Or, cela ne permet pas de prendre la mesure des trajets
réels puisque ceux-ci ne s’effectuent que rarement d’un point A à un point B comme précisé
plus haut. Au contraire, on constaterait une augmentation des « chaînages de déplacement »
1
WENGLENSKI Sandrine, « Il court, il court, le salarié », Projet, 2010/1 n° 314, p. 43-51. DOI :
10.3917/pro.314.0043
2
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1377
91
(Kaufmann, 2008). Cette notion peut se définir par « l’enchaînement dans le temps d’activités
extérieures, sans que l’on repasse par son domicile ».1
Anna (30 ans, en couple, un enfant à charge, 1 an et demi d’ancienneté)
La seule personne avec qui je pourrai faire du covoiturage n’a pas les mêmes horaires que moi.
Et comme il y a la nourrice qui habite un peu plus loin, c’est vraiment difficile à envisager. Je dois
la déposer, je pars directement au travail. Je vais la chercher dès que je rentre. C’est vrai que les
gens qui font du covoiturage c’est point boulot à point maison, il n’y a pas d’à cotés.
Nadège (26 ans, célibataire, un an d’ancienneté)
Pourquoi tu te sens plus indépendante avec la voiture ?
Par exemple comme ça si j’ai envie de faire les courses je peux m’arrêter comme je veux. Je vais
des fois à l’Auchan de la technopole.
L’accompagnement des enfants ou l’approvisionnement en courses semblent les deux
principaux motifs produisant des chaînages de déplacements. S’arrêter chez des proches est
aussi un motif souvent évoqué. Mais les courses et les visites aux proches n’interviennent pas
systématiquement dans les déplacements. En effet, la non-linéarité du trajet dépend des
temporalités dans la journée. Ainsi, le premier déplacement effectué dans une journée de
travail en horaire « typique » est, la plupart du temps, caractérisé par un trajet direct, sauf
exception pour accompagner les enfants en garde ou à l’école.
La description des trajets montre alors que le temps du matin a des qualités différentes de celui
du soir. Le matin, le temps ne semble pas extensible, au contraire, il fait l’objet d’un timing
précis, voir tendu. Le temps du soir, lui, apparaît comme un temps laissant une marge de
liberté. Celui-ci peut alors être comblé différemment selon les jours et les besoins de la vie
quotidienne. L’utilisation de la voiture personnelle permet alors de conserver cet interstice
temporel, entre le travail et le domicile. C'est-à-dire un espace-temps permettant un
ajustement et de fait, un outil clef de l’articulation vie professionnelle et vie personnelle.
 On constate alors que les trajets domicile-travail sont rarement linéaires. Cette nonlinéarité est primordiale dans l’articulation de la vie professionnelle et familiale, c'est-àdire dans l’organisation du ménage. Le choix du mode de déplacement semble donc se
faire largement en fonction de cette logique, bien plus qu’en fonction d’une rationalité
financière.
1
KAUFMANN Vincent, Les paradoxes de la mobilité. Bouger, s’enraciner. Collection Le savoir Suisse, Presses
polytechniques et universitaires romandes. p 17
92
2. Les déplacements : un indicateur d’inégale répartition des tâches au sein
du couple
L’observation des trajets individuels font ressortir une certaine inégalité des sexes au sein de la
structure familiale. Ainsi, « C’est principalement la mère de famille qui se charge du
déplacement et de l’accompagnement des enfants entre le domicile et le lieu de garde. »1
Ce déplacement pour les mères actives est, dans la plupart du temps, combiné à celui du
déplacement domicile-travail. Concernant les autres trajets, nous remarquons encore une
tendance inégalitaire dans la répartition des tâches. Si les hommes effectueraient en moyenne
des temps de parcours domicile-travail plus long que les femmes (respectivement 45 min pour
les hommes et 37 min pour les femmes par jour en moyenne2), ces dernières enregistreraient
un temps de transport hors trajet domicile-travail plus important que les hommes (49 min pour
les femmes contre 45 min pour les hommes) 3.
Mélanie (30 ans, en couple, un enfant à charge, 4 ans d’ancienneté)
Pour aller au travail tu t’arrêtes chez la nounou ?
Oui.
Et pour revenir est ce que tu reviens le chercher ?
Non c’est mon mari qui revient le chercher, la plupart du temps. Non quand je débauche je
rentre direct.
C’est du à tes horaires ?
Oui et parce que mon mari à des horaires où il a des amplitudes horaires de 8h-16 ou 9h-17h au
maximum.
Le travail en horaire atypique engendre des difficultés de gestion d’emploi du temps particulier
pour les personnes ayant des enfants à charge, les horaires de gardes étant la plupart du temps
calqués sur les horaires de travail « standard ». Au sein des couples biactifs, un rééquilibrage
des temps de trajets est donc effectué pour les jours travaillés. Durant les jours de congé, nous
observons que c’est plutôt les mères de famille qui ont tendance à assumer les déplacements
liés aux activités des enfants. Nombre d’entre elles expriment l’importance de l’installation
d’une crèche sur leur lieu de travail pour faciliter leur quotidien et limiter les déplacements.
1
Op cit., DAVID Olivier, p198
Voir tableau en annexe
3
RICROCH Layla et ROUMIER Benoît, division Conditions de vie des ménages, Insee, « Depuis 11 ans, moins de
tâches ménagères, plus d’Internet », INSEE Première, N° 1377 - NOVEMBRE 2011
2
93
 La présence d’une crèche proposant des horaires d’ouverture en soirée serait d’autant
plus importante qu’elle permettrait l’accès au poste de familles monoparentales qui
semblent aujourd’hui être presque inexistantes dans la population des salariés des
centres d’appels, du fait d’une quasi impossibilité d’allier horaires atypiques et vie de
famille.
3. Des déplacements induits par la spécialisation des territoires
Le temps alloué aux déplacements semble particulièrement important les jours travaillés étant
donné la distance qui séparent les salariés de leur lieu de travail. Un grande partie d’entre eux
habitant dans des zones rurales ou périurbaines, la majorité des déplacements nécessite
l’utilisation de la voiture personnelle pour accomplir les tâches de la vie courante (faire les
courses, rendez-vous chez le médecin, accompagnement des enfants à l’école ou en garde etc).
Ces personnes seraient alors soumises à ce que Jacques Donzelot appelle une
« hypermobilité contrainte ». Pour lui, « Vivre dans le périurbain, c’est s’installer non
seulement « à la campagne » mais « dans le mouvement »1.
Cependant, les salariés habitant dans des zones périurbaines témoignent de motifs de
déplacement principalement centrés autour de la vie de famille et du travail. Il semblerait alors
que « les actifs peu qualifiés et qui travaillent loin de leur lieu d’emploi, ne parviennent pas à
panacher leurs déplacements dans la semaine ; leur mobilité des jours chômés est faible. Pour
ces actifs, la rationalisation de la mobilité et de l’organisation de leur mode de vie est plus
radicale : elle passe par une diminution nette de leurs activités hors domicile et hors travail. »2
Certains de nos enquêtés témoignent de ce phénomène et souhaiteraient se rapprocher du
centre, au prix du renoncement à habiter en maison individuelle. Se rapprocher du centre ville
permettrait alors d’enrichir sa vie sociale et culturelle. « Le centre gentrifié est un lieu où l’on
peut simultanément construire une carrière, élever ses enfants… et entretenir des contacts
sociaux et culturels à la différence du périurbain qui entraîne le renoncement commun à une
vie sociale intense3 ». Ce phénomène semble principalement être le cas des salariés les plus
diplômés.
1
2
3
Donezlot Jacques, la ville à trois vitesses, p14
Wenglenski Sandrine, « Il court, il court, le salarié », Projet, 2010/1 n° 314, p. 46
Jacques Donzelot, la ville à trois vitesse, p22
94
Habiter sur la Technopole du Futuroscope limiterait a priori l’ensemble des déplacements, mais
les services proposés sur cette zone semblent principalement s’adresser aux travailleurs plus
qu’à des résidents. Le territoire n’apparaît alors pas comme un espace résidentiel mais bien
comme un espace de travail.
95
D. La Technopole, un quartier comme les autres ?
L’activité de la Technopole est indéniablement rythmée par les horaires de travail. La
technopole accueillait en 2008, 3011 résidents alors même qu’elle compte près de 7 000
salariés. On peut alors se demander comment cet espace peut-être investi par les usagers. Que
se passe-t-il en dehors des bâtiments vitrés ? Dans quelle mesure peut-elle accueillir des temps
« hors travail » ?
Là encore, la mobilité apparaît comme un bon prisme de l’observation des usages sociaux du
territoire. Les déplacements jouent effectivement pour une grande part dans les choix de
restauration mais aussi dans l’utilisation des autres services sur la Technopole.
1. L’utilisation des services rythmée par la pause déjeuner
Seulement 8,6% soit 20 personnes de notre échantillon mangent à leur domicile à midi. Tous
habitent à moins de 20 km de leur lieu de travail et la moitié d’entre eux habitent à moins de 10
km. Leur mode de déplacement reste quasi-exclusivement celui de la voiture solo (seulement
une personne pratique le covoiturage et une autre la marche à pied). Le seul fait de ne pas
habiter trop loin de son lieu de travail ne suffit à expliquer le choix du lieu de restauration.
Un phénomène social de taille permet d’expliquer en partie la faible part des salariés qui
rentrent manger à leur domicile. Le travail des femmes a largement réduit le nombre de
personnes rentrant déjeuner, ce phénomène a entrainé la diminution du nombre de
déplacements de midi (Kaufmann 2008, p17).
Dans les centres d’appels, l’amplitude horaire de la pause déjeuner varie entre 11 et 16h. La
majorité de nos enquêtés ont une pause d’une heure pour déjeuner (85% des répondants). Ce
temps assez court, limite les possibilités de restauration et d’utilisation des services disponibles
dans la mesure où le temps de déplacement doit être minimisé.
Sylvie (52 ans, 5 ans d’ancienneté, en couple, 2 enfants de plus de 25 ans)
Quand on a besoin d’aller chercher des choses au comité d’entreprise c’est sur notre temps de
repas. Et après le soir de toute façon c’est fermé. Donc il faut manger faire la queue et vite
rentrer.
Un des centres d’appels met à disposition pour ses employés une salle de pause où ils peuvent
emmener leur repas. Là encore, la salle de pause est éloignée de certains bâtiments de
96
l’entreprise. Les salariés préfèrent donc manger dans leur voiture ou sur les espaces verts à
proximité de leur travail pour minimiser leur déplacement.
Tableau 2 Le temps de pause déjeuner des salariés des centres d’appels enquêtés
30 min
45 min
1h
1h15
1h30
2h
TOTAL
1
4
166
9
9
6
195
1%
2%
85%
5%
5%
3%
100%
Source : enquête quantitative réalisée par nos soins, 2012
La distance entre le lieu de travail et le lieu de restauration est donc déterminante dans le
choix des salariés. Plusieurs des enquêtés affirment que la meilleur solution qualité/prix serait
de manger au restaurant universitaire (RU). Cependant, la distance centres d’appels-RU
demande un temps de déplacement trop long pour certains (20 min A-R). De plus, le système
de self entraine un temps d’attente pouvant aller jusqu’à 10 min. Dans ce cas, le salarié a alors
le sentiment de « perdre 30 min » de pause et d’être « obligé de manger rapidement ».
Les modes de déplacements sont différents des pratiques individuelles pour se rendre au
travail. Ainsi, le covoiturage ou la marche à pied sont privilégiés. La marche à pied est donc
préférée pour les déplacements courts. Mais les salariés utilisent aussi régulièrement leur
voiture pour aller se restaurer. Le lieu de restauration est alors choisi en fonction de la facilité
qu’ils auront à se garer. Différents parkings de la Technopole sont effectivement saturés les
jours de semaines. Une fois leur voiture garée, ils ne souhaitent pas déplacer leur véhicule
notamment par crainte de perdre leur emplacement. Ce dernier point entraine une forte
pratique du covoiturage pour les déplacements travail-restauration.
Les difficultés liées au stationnement posent la question de l’utilité de mettre en place une
navette au sein de la Technopole. Une navette gratuite existe déjà reliant la gare du
Futuroscope aux hôtels. Elle effectue un trajet qui pourrait éventuellement correspondre aux
besoins des salariés mais là encore, le service est destiné aux clients des hôtels. La navette est
mise à disposition essentiellement les week-ends et les périodes de vacances scolaires et jours
fériés. En centre ville de Poitiers, une navette a été mise en place pour pallier les difficultés de
déplacement liées aux rénovations urbaines. Un service de ce type permettrait de largement
diminuer le flux de déplacement sur la Technopole, mais cela nécessiterait une fréquence de
passage très élevée et dans une tranche horaire allant de 11h30 à 14h30. Une étude plus
97
précise sur la possible fréquentation de ce type de transport mériterait d’être faite pour évaluer
le coût d’un tel dispositif.
La mise en place d’une navette permettrait l’utilisation beaucoup plus large des services
disponibles sur la Technopole, et devrait encourager leur développement.
2. Peu de services disponibles ?
L’éventail des services disponibles sur la Technopole reste relativement faible. La pratique la
plus courante semble être celle des « courses d’appoint », le soir, une fois la journée de travail
terminée. D’autres services sont utilisés plus occasionnellement. L’importante d’une crèche sur
la technopole fait, elle, l’objet de nombreuses demandes.
a. Les courses :
L’Auchan est particulièrement utilisé par les salariés de la Technopole mais quasi uniquement le
soir, à la sortie du travail, pour des courses d’appoint. Pour la plupart des enquêtés, les courses
principales doivent se faire dans « leur quartier » sous entendu dans le quartier de leur
domicile. Les courses sur la Technopole et les courses dans leur village ou quartier de résidence
ne s’inscrivent pas dans les mêmes temporalités, ni dans les mêmes rythmes.
Ainsi, les courses sur la Technopole se font « quand on n’a pas le temps », le lieu est choisi alors
pour gagner un maximum de temps, mais ce temps là ne s’apparente aucunement à du temps
libre, il entre dans le rythme du travail. Il intervient, à la sortie du travail, sur le trajet du
domicile. Le temps des courses dans le village ou quartier de résidence intervient, lui,
principalement les jours de repos ou le week-end. Le moment des courses peut alors
représenter une imbrication de temporalité (à la fois temps domestique, temps parental, temps
de loisirs (shopping)).
b. Services publics
En matière de service public, les offres sont peu nombreuses si l’on met de côté les services de
mobilité dont il a déjà été question dans cette partie. L’arrivée récente d’une poste au cœur de
la Technopole ouverte à l’heure de la pause déjeuner représente un avantage pour l’emploi du
temps de plusieurs enquêtés. La présence d’un poste de retrait d’argent et d’un distributeur
automatique de timbres est particulièrement appréciée.
98
Céline (32 ans, un enfant à charge, en couple, 2 ans d’ancienneté)
A part vos courses, ça vous arrive de profiter des services qu’il ya ici ?
Uniquement la Poste, j’ai mon salon de coiffure et ma banque ailleurs. C’est bien pratique
d’ailleurs parce que la Poste à Migne est ouverte de 9h à 17h, et comme je travaille, on peut ne
jamais y aller, sauf le samedi matin. Donc là c’est ouvert entre midi et deux ; c’est pratique
comme j’ai des pauses de 13 à 14.
c. Autres services de proximité
Les autres services types, coiffure, centre de massage sont aussi les bienvenus sur la
Technopole. Leur utilisation reste aussi occasionnelle et est en général favorisée par l’offre de
réduction pour les salariés de certaines entreprises. Certains ont fait part de l’utilité de
l’installation d’autres services tels qu’un bureau de tabac, une presse, ou un pressing. Le rachat
de bâtiment sur le téléport 1 prévoit plusieurs locaux dédiés aux services de proximité1. Cette
position, proche de plusieurs centres d’appels, pourrait alors représenter un moyen de
répondre aux besoins des salariés.
 L’utilisation des services sur la Technopole reste alors ponctuelle et garde une place
d’ajustement dans l’organisation de la vie quotidienne. Cette place est cependant
primordiale pour l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle. Les pratiques
des salariés sur la Technopole témoignent alors d’une appropriation de l’espace relative,
qui ne fait pas du territoire un espace de référence de la vie quotidienne mais plutôt un
interstice entre espace-temps professionnel et personnel.
d. Garde d’enfants
En ce qui concerne les services de gardes d’enfants, la demande apparaît beaucoup plus forte
et beaucoup plus centrale en termes de gestion du temps quotidien. Les deux entreprises
présentes sur la Technopole proposent des services à domicile ne correspondant pas aux
besoins des salariés. Une demande forte de la part des salariés des centres d’appels est
évoquée pour la mise en place de service de garde d’enfants dont les horaires seraient adaptés
à leur travail. Une crèche s’installe actuellement sur la Technopole mais ne proposera que 30
places. Bien que cela impulse une dynamique sur le site, les salariés ont peu d’espoir, du fait du
nombre de places restreint, de voir leurs demandes acceptées. Des crèches existent déjà à
Chasseneuil et Jaunay-clan mais là aussi le nombre de places disponibles est insuffisant pour
1
Voir article du Technopolitain en Annexe
99
faire face à la demande. La mise en place d’une crèche interentreprises permettrait de réduire
les inégalités d’accès et les chances de maintien en emploi.
Anna (30 ans, en couple, un enfant à charge, 1 an et demi d’ancienneté)
Quand je suis arrivée sur Buxerolles, sur 50 nourrices, j’en ai fait 30, il y en a 30
qui m’ont dit non, à un moment donné j’ai dit stop ! J’ai eu la chance d’en trouver
une qui travaille jusqu’à 19heures, 20 heures max mais qui travaillera jamais le
samedi. Quand je suis rentrée à ****, c’était l’idéal. Si je n’avais pas la petite, je
prendrais tout et n’importe quoi, je prendrais tous les boulots qui passent mais
maintenant je peux plus. Si je n’avais pas la petite je n’aurai pas quitté l’hôtellerie
déjà. C’est sûr. C’était vraiment un boulot dans lequel je m’éclatais et…ouais je ne
serais pas partie.
100
Conclusion :
Les services de restauration participent donc pour une grande partie à l’activité sur la
Technopole en dehors des grandes entreprises. Mais cette animation reste éphémère. Le
« village de salariés » que représente la Technopole à l’heure du déjeuner s’éteint une fois ce
moment terminé. Le soir, une grande partie des services de restauration sont fermés, les
espaces publics sont quasiment vides. Certaines actions sont cependant menées pour créer
une identité collective sur le territoire. L’organisation annuelle d’événements tels que la galette
des rois, le pique nique géant, la chasse au trésor ou encore les déjeuners interentreprises sont
autant de moments fédérateurs permettant de développer l’interconnaissance et
l’appropriation des lieux.
Cependant, la Technopole reste pour les salariés un espace de travail et non un espace
permettant de construire sa vie personnelle et familiale. La prise en compte des parcours et
projets de vie des salariés est indispensable pour comprendre dans quelles mesures les services
et l’aménagement d’un tel territoire sont adaptés à la demande. Ainsi, l’analyse de la mobilité
permet de comprendre qu’il ne suffit pas de construire des logements sur la zone de travail
pour réduire les déplacements, ou qu’il ne suffit pas d’adapter les horaires du bus aux horaires
de travail pour réduire la part des usagers de la voiture personnelle.
Cependant, le fait d’avoir une offre de transport et de services mal adaptée aux horaires de
travail sur cette zone d’activité entraine inévitablement une inégalité des chances d’accès à
l’emploi pour les personnes les plus fragilisées socialement. Pour les familles monoparentales
et les personnes éloignées de leur famille proche ou encore pour les personnes non motorisées,
l’accès à l’emploi en centres d’appels devient quasiment impossible. L’individualisation des
pratiques ne saurait donc justifier que le dynamisme de la zone ne puisse profiter qu’à une
partie de la population.
101
CONCLUSION :
L’enjeu de ce mémoire était, dans un premier temps, d’apporter une meilleure connaissance de
la population des salariés en Centre d’appels sur la Technopole du Futuroscope. Du fait de
l’installation récente de ces entreprises, il n’y avait, à ce jour, pas eu d’étude permettant
d’apporter une connaissance sociologique de cette population. Savoir qui sont les salariés des
Centres d’appels est indispensable pour repérer quels sont les besoins de cette population et
dans quelle mesure on peut y apporter des réponses adaptées. L’étude quantitative et l’étude
qualitative nous indiquent alors que les profils sociaux de ces travailleurs se caractérisent
essentiellement ainsi : une population féminine, jeune, de niveau d’études supérieures et
ayant, pour la moitié de la population, des enfants à charge. L’emploi de chargé de clientèle est
apparu pour beaucoup comme une solution face aux difficultés rencontrées sur le marché de
l’emploi. Le travail en Centre d’appels se révèle offrir des conditions de travail difficiles (plus ou
moins selon les entreprises) caractérisées par un chronométrage constant et des contraintes
horaires relevant principalement du fait que l’heure de début et de fin de travail change d’une
semaine à l’autre.
Le chronométrage, source de stress, et le travail en horaires atypiques ont des répercussions
sur la qualité de vie des salariés. Certains choisissent alors de démissionner assez rapidement,
ce qui génère un fort taux de Turn-over dans ces entreprises. Ces contraintes engendrent aussi
l’exclusion d’une partie de la population du marché de l’emploi dynamique des centres
d’appels. Les femmes, à qui incombe encore majoritairement la gestion du travail domestique,
les familles monoparentales, les personnes isolées et non motorisées comptent parmi cette
population. Ce phénomène participe alors au maintien des inégalités sociales.
Les difficultés éprouvées au travail conduisent une partie des salariés à s’investir davantage
dans la sphère privée que dans la sphère professionnelle. Les choix à long terme vont être
déterminés par le confort qu’ils apportent à la vie de famille. Pour le logement, cela se
caractérise notamment par le choix d’habiter en maison individuelle. Etant donné
l’augmentation des loyers en zone urbaine et périurbaine, les salariés ont tendance à habiter
dans des lieux toujours plus éloignés de la technopole. Cette tendance engendre une part
importante des temps dédiés à la mobilité et complexifie l’articulation des temps de vie.
102
L’usage de la voiture privée représente alors pour les salariés un outil de l’articulation des
temps de vie professionnelle et personnelle. La primauté accordée à la sphère privée fait de
l’espace résidentiel (le quartier, le village), l’espace de référence pour l’organisation de la vie
quotidienne. L’espace dédié au travail (la technopole) n’est alors pas investi de manière forte
par les salariés. Pour autant, l’accès ponctuel à certains services de proximité sur le lieu de
travail représente un réel outil d’ajustement des temps professionnels et des temps
personnels.
La technopole est un espace qui accueille principalement trois types de publics : les
entrepreneurs et salariés, les étudiants et enseignants, et les touristes. Cet espace n’a pas
vocation à être un espace mixte comme les centres-villes où s’articulent différentes activités
comme des lieux de travail, de résidence, de loisirs, de convivialité, de culture etc.
L’espace de la Technopole se définit avant tout par son caractère économique. Elle regroupe
plus de 270 structures publiques et privées. Des associations d’entrepreneurs se sont alors
créées sur la Technopole permettant ainsi de favoriser la collaboration entre les entreprises et
de leur donner une visibilité dans le débat public. L’association des Entrepreneurs du Futur est
aujourd’hui la plus visible sur le site.
Entretien auprès d’un membre des Entrepreneurs du Futur :
L'association a pour but d'accompagner et d'assister les entreprises sur l'aménagement du
territoire pour que des problèmes qu'elles n'auraient pas pu résoudre seules puissent se
résoudre ensemble, en commun. Et que ce soit une seule voix qui porte la demande auprès des
collectivités.
Si l’économie constitue la vocation première de la Technopole, la zone se caractérise aussi
comme un espace de formation. Les étudiants sont environ 1 000 à étudier chaque année sur
cette zone. Un certain nombre d’entre eux y vivent quotidiennement. Ils ont à disposition leur
lieu de formation, de restauration (les restaurants universitaires), de vie (les résidences
universitaires) et de loisirs (le gymnase par exemple). Les étudiants se sont organisés en
plusieurs dizaines d’associations qui leur ont permis de compenser le manque d’activités
sociales et culturelles sur la zone. A l’image des entrepreneurs, les étudiants se sont organisés
et apparaissent aujourd’hui comme des acteurs clefs du dynamisme de la Technopole.
Les salariés, quant à eux, ne sont pas des acteurs organisés. Ils ne disposent pas d’une entité les
aidant à interpeller les pouvoirs publics par rapport à leurs demandes et/ou revendications. De
103
plus, le contexte institutionnel est flou. Il est constitué d’une multitude d’acteurs ayant tous des
rôles et des compétences différents : le Conseil-Général, Grand Poitiers, Chasseneuil du Poitou,
Jaunay-Clan, La Chambre de Commerce et d’Industrie de la Vienne (CCIV), les entrepreneurs du
Futur, les syndicats, le Technopolitain…
Nous avons pu l’observer lorsque nous avons commencé notre enquête. Nous avons rencontré
une dizaine de personnes différentes pour obtenir une vision complète de l’organisation de la
technopole. Dans ce cadre, il apparait alors complexe, pour les salariés, de trouver le bon
acteur institutionnel pour émettre une réclamation. La multitude d’acteurs présents sur le
territoire rend d’ailleurs la mise en place d’actions publiques adéquates très complexe.
Institutionnel
Ça va arriver vite, c’est 2016-2017 la fin du TGV sur la ligne actuelle. Il y aura une nouvelle ligne,
des TER donc là la région est impliquée. Mais là si vous mettez autour de la table, région,
département, les 2 agglos, ça va mettre des années avant de prendre une décision. Il y a trop
d’acteurs et il n’y a pas d’acteur leader.
Pourtant l’étude montre certains faits saillants qui pourraient faire l’objet d’amélioration grâce
à des actions conjointes des entreprises, des acteurs institutionnels et des salariés.
-Une crèche inter-entreprise : L’exemple des crèches en horaires atypiques au sein des
hôpitaux permet de comprendre l’intérêt d’une crèche à proximité du lieu de travail pour des
salariés dont les horaires sont également atypiques. Ces crèches sont très attractives et
fortement utilisées par le personnel soignant. Les salariés des centres d’appels ayant de jeunes
enfants ont une forte demande en la matière. La création d’une crèche permettrait peut être à
une partie de la population de pouvoir intégrer les centres d’appels grâce à une offre de garde
d’enfants adaptée.
Institutionnel
Nous on veut que les gens se mélangent car la technopole ce n’est pas un lieu où il fait
forcément bon vivre. On ne peut pas faire ses courses, acheter son journal, aller à la
boulangerie. Il n’y a pas de crèche. […] Voilà ce sont des choses qui ne sont pas aussi faciles que
ça à mettre en place, même si on a beaucoup d’entreprises.
-Le covoiturage : Les salariés des centres d’appels mangent souvent entre collègues et utilisent
le covoiturage ou la marche pour se déplacer. Ces modes de transport leur permettent de
conserver leurs places de stationnement. La mise en place de dispositifs accompagnant ces
pratiques pourraient alors renforcer cette dynamique. La création d’une navette à l’heure du
104
déjeuner impulserait un mouvement conséquent d’utilisation des services permettant aux
salariés de mieux s’approprier le territoire et de faciliter la conciliation des temps de vie
professionnelle et quotidienne.
-Le bus : Il semblerait important de coordonner les horaires de desserte des bus Vitalis et Ligne
en Vienne par rapport, d’une part au circuit emprunté, et d’autre part aux horaires de travail
des salariés. La part des salariés résidents à l’extérieur de Grand Poitiers justifie l’importance
d’une desserte adaptée sur le département. En ce qui concerne le réseau de Vitalis, les horaires
du soir pourraient être mieux adaptés aux horaires des salariés, notamment après 20h.
-Les services : La boulangerie située en face du site du moulin et à proximité d’un centre
d’appel est utilisée par les salariés avec qui nous nous sommes entretenus. Un certain nombre
de salariés des centres d’appels mais également des résidents (entretien du technopolitain)
font part de leur besoin en matière de boulangerie sur la technopole et d’un point
presse/tabac.
-Les loisirs : Le centre-ville de Poitiers a récemment entrepris des concerts/lectures-sandwiches
le midi pour les salariés. Cette initiative leur permet d’avoir accès à la culture le midi pour ceux
qui ne peuvent pas y avoir accès le soir en raison de l’éloignement géographique mais
également parce que le soir représente un temps de sociabilité familiale. Nous avons vu que les
femmes comptabilisaient des temps de loisirs moindre que les hommes du fait d’un plus grand
temps de travail domestique. La mise en place d’événements culturels autour du lac à l’heure
de la pause déjeuner pourrait être un bon moyen pour pallier ces inégalités. Le développement
des activités culturelles ou de loisirs permettraient aussi d’impulser une dynamique de création
de lien social sur la technopole, ce qui parait un préalable à toute forme d’organisation
collective de la part des salariés.
 La création de lien social rendue possible par la mise en place de services et d’activités
de loisirs diversifiés sur la technopole, l’institution d’un acteur public référent sur le
territoire et la création d’une scène publique permettant l’expression de tous sont les
trois moteurs principaux qui permettraient de faire de la Technopole un espace
économique, universitaire, technologique, social, culturel et démocratique.
105
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