Sauve qui peut ! n°5 (1993) Engagement des citoyens concernant la biodiversité (Traité des organisations non gouvernementales) Préambule Le concept de biodiversité doit être une expression de la vie comprenant la variabilité de toutes les formes de vie, leur organisation et leur interrelation, depuis le niveau moléculaire jusqu'à celui de la biosphère, y compris la diversité culturelle. La biodiversité englobe toutes les formes de vie et toutes les zones servant d'habitat à des formes de vie naturelles ou domestiquées. Les dangers qui menacent la biodiversité menacent aussi toutes ses composantes. Nous rejetons le traitement fragmentaire de la biodiversité. Nous proposons de plus que le concept de biodiversité se situe au point d'équilibre entre la compréhension spirituelle de l'unité de la vie et la compréhension scientifique de l'interrelation de la diversité de la vie. Reconnaissant la valeur intrinsèque de la diversité de toute vie, le fait que les formes de vie ont le droit d'exister et que la biodiversité est une condition essentielle de la préservation et de l'évolution de la vie elle-même sur notre planète ; Insistant sur le fait que la préservation de la biodiversité est essentielle à la mise en valeur de la capacité des collectivités de maintenir leur propre culture et sur le fait que l'influence de la biodiversité sur le développement culturel, économique, social et spirituel et sur la qualité de vie des peuples est déterminante, et préoccupés par le fait que les modes actuels d'exploitation, de protection et de partage des bénéfices perpétuent les inégalités au sein des nations, entre elles et entre les nations et la Terre ; soulignant que l'ordre économique mondial actuel est injuste et que les inégalités graves qui en découlent ne constituent pas un réseau propice au maintien de la biodiversité ; Soulignant que l'exploitation des espèces et des écosystèmes - par le biais de politiques commerciales de développement et de systèmes économiques qui ne reconnaissent pas la valeur sociale, culturelle, économique et spirituelle intrinsèque de la biodiversité et ne l'évaluent pas - menace la biodiversité par la destruction et la pollution d'habitats naturels ; Principes 1. La conservation de la biodiversité est une responsabilité pressante, et elle a la responsabilité de tous, particuliers et institutions. La préservation de la biodiversité comprend l'utilisation durable de ses composantes, surtout lorsqu'elles sont utilisées à des fins de développement. A notre sens, l'utilisation durable est celle qui s'abstient de nuire à l'intégrité écologique de tout être vivant ou de l'écosystème de tout être vivant et celle qui est socialement équitable, ce qui signifie : - qu'une part socialement équitable des bénéfices issus des ressources naturelles échoit à tous les membres des générations actuelles et à venir et que ceux-ci doivent avoir accès à ces bénéfices ; - que l'utilisation des composantes de la structure de base des ressources génétiques et de leurs écosystèmes ne doit pas appauvrir la structure elle-même ; - et que toutes les formes de vie doivent être abordées dans le respect de leur propre valeur sociale, esthétique, culturelle, traditionnelle, spirituelle et de toute autre valeur intrinsèque et que nos activités ne doivent pas occasionner de souffrance à quelqu'autre être vivant. 2. La préservation de la biodiversité exige la modification fondamentale des modes et pratiques de développement socio-économique partout au monde et celle de l'attitude des particuliers envers la question d'un partenariat plus équitable avec la Terre. II est inacceptable .que la nature puisse servir de monnaie d'échange contre la dette extérieure. 3. La préservation de la biodiversité exige tout d'abord le respect de l'intégrité des différents écosystèmes et des liens qui existent entre eux ainsi que la préservation de cette intégrité. 4. Tous les groupes sociaux, les gouvernements et les entreprises doivent être tenus pleinement responsables des dommages causés par leurs technologies et leurs actions à la diversité biologique et culturelle sur le plan social et écologique, et ils doivent en répondre. On doit tenir compte des répercussions des projets d'infrastructure sur l'équilibre écologique au niveau local. II est essentiel de réhabiliter les écosystèmes dégradés. II faut renforcer l'éducation au niveau international et local concernant les répercussions du commerce de plantes ornementales, exotiques et endémiques et celui des espèces animales. 5. Le rôle important que jouent les femmes dans la gestion, le soin et la compréhension des composantes de la nature mérite une attention et un respect particuliers. 6. Le savoir, les traditions culturelles, les innovations, la spiritualité et les pratiques de gestion des peuples indigènes ainsi que les pratiques traditionnelles des agriculteurs et d'autres communautés rurales relativement à la biodiversité sont un fondement essentiel de la pérennité de la biodiversité et celle de la vie humaine. 7. Les ressources génétiques domestiquées sont des créations culturelles qui tirent essentiellement leur origine des cultures indigènes, paysannes et agricoles. Les collections et les résultats de travaux de recherche versés dans des centres de recherche agricole, des banques de gènes et d'autres institutions nationales ou internationales ne doivent pas faire l'objet de restrictions ni être considérés de quelque façon comme propriété intellectuelle. Aucun être vivant ni aucun produit dérivé d'un être vivant ne devrait pouvoir être breveté, sans toutefois que cette disposition puisse porter préjudice au droit des peuples indigènes ou à celui des agriculteurs et des pêcheurs traditionnels de garder le contrôle exclusif de l'utilisation de leur savoir, leurs innovations, leurs traditions culturelles et leurs pratiques de gestion relatifs à la biodiversité ni à leur droit d'y avoir accès ou à celui d'une juste compensation pour la mise en commun de ce savoir. 8. Un accroissement des ressources et de l'aide technique et. des ressources supplémentaires s'imposent afin d'appuyer les groupes et les pays qui ne sont pas en position de le faire à procéder aux investissements nécessaires à la préservation de la biodiversité. Un accroissement du financement destiné à la biodiversité ne peut en soi, réduire la perte de biodiversité. Des réformes en matière de politiques et des réformes institutionnelles, communautaires et individuelles s'imposent au niveau national et local afin d'améliorer les conditions dans lesquelles un accroissement des ressources peut être efficace et, par conséquent, sensibiliser le public davantage aux questions relatives à la biodiversité. 9. Nous nous opposons à ce que la Banque mondiale, et en particulier le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), administrent les fonds destinés à l'environnement. Nous proposons l'établissement d'une institution intergouvernementale chargée de la gestion transparente et démocratique de l'aide financière à la préservation de la biodiversité. 10. Une participation accrue du public, le respect des droits humains, celui de la planète, un meilleur accès à (éducation et à l'information .et imputabilité institutionnelle accrue sont des conditions préalables essentielles à la préservation efficace de la biodiversité. La préservation de la biodiversité exige la collaboration entre les organisations et les particuliers de toutes les régions. Cette collaboration doit être fondée sur la solidarité, (indépendance, la transparence, l'imputabilité et le respect de la diversité culturelle. Par conséquent, nous rejetons toute initiative qui aurait pour but de diviser la société en cherchant à établir des alliances partielles entre gouvernements et secteurs du pouvoir. La consultation et le consentement de tous les groupes populaires en cause sont essentiels dans le cadre d'actions pour la préservation de la biodiversité. Actions Nous entreprendrons toutes les actions possibles en vue de préserver la biodiversité tout en respectant les droits indépendants des peuples indigènes et des tenants de cultures traditionnelles à l'égard des efforts qu'ils déploient eux-mêmes pour réaffirmer les rapports de leurs propres collectivités à (environnement en fonction des principes énoncés ci-haut. Nous collaborerons avec d'autres particuliers et d'autres organisations en vue de la préservation de la biodiversité, en mettant à contribution les structures et les réseaux établis et ceux qui seront crées, en procédant activement à des échanges et à la mise en commun : - de toute information disponible, dérivée des sciences naturelles et sociales, du travail de groupes de pression et d'expériences pratiques en particulier, mais toujours dans le respect du contexte d'origine de cette information ; - des ressources financières ; - de l'aide technique axée sur les concepts traditionnels de la gestion des ressources naturelles ; - des ressources et du potentiel humains ; -de toute autre ressource pertinente ou appropriée ; - les particuliers qui font oeuvre de préservation in situ s'efforceront par ailleurs, de manière concrète et selon leurs capacités, d'établir un réseau de préservation in situ, lorsque de telles ressources ont un effet sur la préservation de ta biodiversité et que leur usage appuie le droit à l'autodétermination des collectivités indigènes ou autres qui vivent en harmonie avec leur milieu. Nous, citoyens indépendants d'une gamme étendue de pays, de cultures et de domaines d'expertise, réunis au Forum international des ONG, à Rio de Janeiro, le 12 juin 1992, souscrivons aux principes énoncés ci-haut. Nous insistons sur le fait que nous ne prétendons pas représenter ce qu'il est convenu d'appeler la " communauté des ONG ", car l'indépendance et la diversité constituent l'essence même des organisations non gouvernementales. Nous rejetons toute tentative d'en venir à un compromis global des ONG sur certaines questions, ce qui contredirait une qualité particulièrement précieuse, sur Terre, à notre sens : la célébration et l'appréciation de la diversité biologique et culturelle. Cependant, il est important de souligner que nous convenons, en tant que groupe diversifié de particuliers, des principes et des engagements énoncés ci-haut, et nous invitons tous les autres délégués à signer le présent document ; les principes énoncés y gagneront en signification. Nous les invitons aussi à mentionner, à des fins d'identification seulement, à quelle organisation ils appartiennent. Les sous-signés considèrent que ces principes constituent une norme minimale devant servir de guide à leurs actions en rapport avec la biodiversité.