Le doute de l'économie sociale au Québec
par Jean Panet-Raymond
Depuis la Marche des femmes contre la pauvreté «Du pain et des roses» en juin 1995, il n'est pas
un jour où l'on n'entend pas parler d'économie sociale dans les médias, les bureaux du
gouvernement et les organismes communautaires.
Faut-il s'en réjouir ou faut-il s'en inquiéter? «Entre l'espoir et le doute»...1 Voilà l'état des rapports
entre le secteur communautaire et le secteur public autour de l'enjeu incontournable de l'économie
sociale. Cet article tente de situer les enjeux et défis de ces difficiles rapports.
L'économie sociale : une définition
La Marche des femmes a soulevé beaucoup d'espoir tant par l'ampleur de sa mobilisation que par
l'intérêt suscité à travers le Québec. Mais cette marche a surtout ouvert la porte à des discussions
avec le Gouvernement du Québec pour regarder l'état de la pauvreté des femmes et de l'ensemble
de la population. Une des revendications était que le gouvernement mette en place un programme
d'infrastructures sociales représentant un investissement économique important, visant à créer des
emplois accessibles dès maintenant aux femmes. Il en résultat la création d'un comité d'orientation
et de concertation sur l'économie sociale qui publia un rapport en mai 1996, Entre l'espoir et le
doute, qui définit les fondements et caractéristiques de l'économie sociale : «...les entreprises qui
tentent de concilier impératifs économiques et impératifs sociaux et qui reposent essentiellement sur
les dynamismes des collectivités locales et donc sur une participation des citoyens ou encore des
travailleurs directement impliqués» (p. 22). La création à l'été 1996 d'un fonds de développement de
$225 millions sur cinq ans a apporté un souffle d'espoir à des initiatives d'économie sociale. En fait
ce fonds émanait en partie du Sommet socio-économique de mars 1996, qui était surtout axé sur
l'assainissement des finances publiques et la création d'emplois sous la pression des milieux
d'affaires. La décision principale de ce sommet fut le plan pour arriver au «déficit zéro» en l'an 2000.
Mais lorsque le mouvement des femmes demanda ce que l'on ferait pour lutter contre la pauvreté,
rien ne fut décidé.
Les représentants des secteurs communautaire, public et privé ainsi que du mouvement syndical ont
décidé au Sommet socio-économique d'octobre 1996 de mettre l'économie sociale au coeur du
nouveau contrat social entre l'État et la société civile. Le mouvement communautaire et le
mouvement des femmes avaient largement mobilisé leurs membres pour présenter une autre
revendication qui émanait de la marche des femmes: l'objectif «appauvrissement zéro». Le Sommet
n'a pas adopté cet objectif, qui demeure le cri de ralliement du mouvement communautaire et des
femmes (d'ailleurs leurs réprésentants ont quitté le sommet devant le refus d'en faire un objectif).
Cependant, on a créé un fonds de lutte à la pauvreté de 240 millions de dollars, sur trois ans,
financé par une taxe spéciale.
Les initiatives du gouvernement pour soutenir l'emploi et favoriser le partenariat
Déjà en 1991, la loi sur les services de santé et les services sociaux reconnaissait les organismes
communautaires comme partenaires, au moment où l'on décentralisait le système et réduisait les
dépenses de l'État. Le «virage communautaire» était doublé du «virage ambulatoire» en 19942.
Donc le secteur communautaire était déjà mis à contribution pour combler les services réduits de
l'État. Avec le virage de l'économie sociale on ajoute un élément important qui est le souci de
création d'emplois et de rentabilité économique. Parallèlement aux politiques de santé et services
sociaux, la politique de sécurité du revenu, toujours à l'étude au printemps 1998, annonce des
pressions de plus en plus fortes pour insérer dans des programmes de formation («learnfare») et de
travail («workfare»)3 les personnes dépendant de l'assistance sociale. En effet la formation
professionnelle est maintenant intégrée à la sécurité du revenu et la ministre voit dans la création
des Centres locaux pour l'emploi (CLE) et des Centres locaux de développement (CLD) une
occasion de mieux coordonner la création d'emplois et le soutien à l'entreprise (CLD), l'insertion
socio-professionnelle, l'employabilité (CLE) et la sécurité du revenu. De plus le ministère de
l'éducation et de la famille a créé des centres de la petite enfance et favorisé la création de garderies
grâce au fonds de développement de l'économie sociale. La politique familiale pousse aussi les
mères monoparentales qui vivent de la sécurité du revenu à utiliser les garderies, afin d'être