On peut trouver "un compromis" à ces deux positions mentionnées: il s'agirait de dire, comme
Gupta et Ferguson, que l'accélération et l'intensification des relations translocales dans les
dernières décennies a permis la réflexion de l'anthropologie sur elle-même. Pour reprendre, à
nouveau, ces deux auteurs, il s'agira pour moi de voir, dans ce sujet, comment l'espace a été le
principe organisateur de la réflexion anthropologique et est, par là même, sorti de la
perspective analytique en tant qu'objet de la réflexion anthropologique. L'espace était, ainsi,
perçu comme "naturel", "donné".
Dans ce sujet, il s'agira pour moi de voir, comme le dit James Clifford, que l'espace n'est pas
une entité ontologiquement donnée, mais qu'il est construit dans les relations, les discours et
les pratiques.
Dans un premier temps, je m'appliquerai à envisager les propositions de Ulf Hannerz pour une
application aux phénomènes translocaux d'une méthode de "terrain multi-sites".
Dans un second temps, j'aborderai les critiques plus fondamentales de la perspective
anthropologique classique et de ses concepts.
II. La remise en question des méthodes traditionnelles
1. Le terrain "traditionnel"
La pratique de terrain attribuerait à l'ethnographie et par elle à l'anthropologie une position
distincte des autres disciplines des sciences sociales. Pratique distinctive, elle est aussi, selon
Hannerz, un rite de passage pour l'anthropologue, une pratique qui lui conférera un certain
capital symbolique: l'anthropologue qui n'a pas fait de terrain serait pour Hannerz comme un
"nageur théorique" qui n'aurait jamais mis les pieds dans une piscine.
James Clifford exprime les normes qui établissent quels types d'expérience (durée, lieu,…) et
d'interactions particuliers vont être constitués en tant que "terrain". Pour lui, on lie l'idée de
terrain à la notion de "profondeur": le terrain doit avoir une certaine durée, l'anthropologue est
supposé apprendre la langue locale et faire recours à ce mode d'interaction particulier qu'est
"l'observation participante".
Hannerz et Clifford montrent combien l'image de Malinowski "hante" cette représentation du
"terrain". La photographie de la tente de Malinowski plantée au milieu du village des Iles
Trobriands aurait fondé l'image classique du terrain.