Anthropologie et globalisation: de nouveaux espaces pour penser l

Examen de demi-licence
Sarah Widmer
Anthropologie et globalisation: de nouveaux espaces pour penser
l'anthropologie?
I Introduction
Je vais, dans le sujet ci-présent, traiter de la question de l'espace en anthropologie.
Il s'agit, pour le faire, d'aborder la question de la "globalisation" et des perspectives nouvelles
que l'étude des phénomènes sociaux "globaux" ont suscité en anthropologie, depuis environ
20 ans.
Qu'entend-on exactement par "globalisation"? Ulf Hannerz répond que, si le sens commun
associe cette notion à une "homogénéisation culturelle" croissante, la définition qu'offrent les
sciences sociales de ce phénomène est tout autre: il s'agit de la densification et l'intensification
des réseaux de communication et de relations, à travers les frontières et les océans.
La question centrale qui articulera la réflexion que je souhaite poursuivre ici est de savoir s'il
s'agit de phénomènes sociaux et spatiaux réellement nouveaux.
A cette question, les auteurs sur lesquels je m'appuie ici répondent de deux façons plus ou
moins "radicales". La première façon de répondre à cette question est de déclarer: "oui, ces
phénomènes sont nouveaux, le monde social a changé dans les dernières décennies, nous
vivons une réalité différente qu'il y a 50 ans, la mobilité et les échanges se sont accélérés et
intensifiés." Ulf Hannerz répond de cette vision et pour lui, comme on le verra par la suite,
l'ethnographie nécessite de changer ses méthodes afin d'être en accord avec les "nouveaux"
phénomènes translocaux de notre réalité. Il s'agit, par exemple, de modifier la méthode de
terrain pour en faire une pratique moins localisée.
La deuxième façon (beaucoup plus critique) de répondre à la question formulée
précédemment est de dire que "non, ces phénomènes translocaux ne sont pas nouveaux, le
monde a toujours été transnational et c'est la vision que les sciences sociales ont adoptée
pendant des années qui les empêchait d'appréhender ces phénomènes." Cette deuxième
réponse, incarnée par des auteurs tels que Andreas Wimmer, Abu-Lughod ou Gupta et
Ferguson requiert plus qu'une adaptation des méthodes de l'anthropologie à ces nouveaux
phénomènes, elle requiert une remise en question de la vision anthropologique et de ses
concepts-clés, comme ceux de "culture" et de "différence culturelle".
On peut trouver "un compromis" à ces deux positions mentionnées: il s'agirait de dire, comme
Gupta et Ferguson, que l'accélération et l'intensification des relations translocales dans les
dernières décennies a permis la réflexion de l'anthropologie sur elle-même. Pour reprendre, à
nouveau, ces deux auteurs, il s'agira pour moi de voir, dans ce sujet, comment l'espace a été le
principe organisateur de la réflexion anthropologique et est, par là même, sorti de la
perspective analytique en tant qu'objet de la réflexion anthropologique. L'espace était, ainsi,
perçu comme "naturel", "donné".
Dans ce sujet, il s'agira pour moi de voir, comme le dit James Clifford, que l'espace n'est pas
une entité ontologiquement donnée, mais qu'il est construit dans les relations, les discours et
les pratiques.
Dans un premier temps, je m'appliquerai à envisager les propositions de Ulf Hannerz pour une
application aux phénomènes translocaux d'une méthode de "terrain multi-sites".
Dans un second temps, j'aborderai les critiques plus fondamentales de la perspective
anthropologique classique et de ses concepts.
II. La remise en question des méthodes traditionnelles
1. Le terrain "traditionnel"
La pratique de terrain attribuerait à l'ethnographie et par elle à l'anthropologie une position
distincte des autres disciplines des sciences sociales. Pratique distinctive, elle est aussi, selon
Hannerz, un rite de passage pour l'anthropologue, une pratique qui lui conférera un certain
capital symbolique: l'anthropologue qui n'a pas fait de terrain serait pour Hannerz comme un
"nageur théorique" qui n'aurait jamais mis les pieds dans une piscine.
James Clifford exprime les normes qui établissent quels types d'expérience (durée, lieu,…) et
d'interactions particuliers vont être constitués en tant que "terrain". Pour lui, on lie l'idée de
terrain à la notion de "profondeur": le terrain doit avoir une certaine durée, l'anthropologue est
supposé apprendre la langue locale et faire recours à ce mode d'interaction particulier qu'est
"l'observation participante".
Hannerz et Clifford montrent combien l'image de Malinowski "hante" cette représentation du
"terrain". La photographie de la tente de Malinowski plantée au milieu du village des Iles
Trobriands aurait fondé l'image classique du terrain.
Clifford cite également l'une des premières phrases de Malinowski dans son ouvrage:
"imaginez-vous, soudain, débarquant, entouré de tout votre attirail, sur une grève tropicale
avec, tout à côté, un village d'indigènes." Cette phrase en dit long sur la pratique classique du
terrain, elle illustre parfaitement ce qu'Appadurai cherche à exprimer en affirmant que
l'ethnographie était l'étude par l'anthropologue volontairement délocalisé des indigènes
involontairement localisés.
Le village "d'indigènes" a ainsi pendant longtemps été l'image rêvée du lieu parfait pour
mener un terrain, le lieu qui correspondait à cette norme particulière de "profondeur" énoncée
par Clifford.
Le village était, ainsi, une unité "maniable" pour l'anthropologue : un point précis sur lequel il
pouvait centrer sa perspective, tout en l'élargissant par la suite à un espace plus large.
Comme j'ai essayé de le démontrer ici, la pratique traditionnelle du "terrain" est foncièrement
locale et territorialisée. Comme nous le dit Clifford, par sa pratique du "terrain",
l'anthropologue a longtemps privilégié les situations de résidence ("dwelling") aux situations
de voyages. Le terrin équivaut à une "mini-immigration".
2. Hannerz et le terrain multi-sites
Pour quel type de phénomènes sociaux le terrain traditionnel est-il fait? s'interroge Hannerz.
Pour des localisations spécifiques, des relations face à face, des personnes qui ne se déplacent
pas ou peu et qui peuvent rester sous le regard de l'anthropologue, nous répond-t-il.
Mais aujourd'hui on est dans un monde de flux translocaux, de diasporas, de marchés
globalisés, de flux monétaires, de migrations, etc. Le terrain traditionnel correspond-il à ces
phénomènes?
La notion de "réseau" est fondamentale dans cette conception d'un terrain multi-sites. Les
sites sont en relation les uns aux autres dans une structure cohérente. Il s'agit ainsi d'un terrain,
mais regroupé en plusieurs sites.
Le terrain multi-local pose néanmoins problème par rapport aux normes du modèle
traditionnel: la durée du terrain ne saurait être équivalente dans chacun des sites à la durée
d'un terrain "normal". A ce problème, Hannerz répond que les phénomènes étudiés ont eux-
mêmes une temporalité différente des phénomènes du terrain traditionnel qui nécessitait
parfois de saisir toutes les activités saisonnières d'une société.
Hannerz tente ainsi d'attester de la légitimité du terrain multi-local en anthropologie, malgré
les critiques de "superficialité" qu'on peut lui attribuer.
III. L'anthropologie et ses territorialisations.
Dans cette partie, je souhaite aborder les auteurs plus critiques qui remettent en question non
plus seulement les méthodes mais également les concepts-clés de l'anthropologie que sont les
concepts de culture et de différences culturelles.
Dans un premier temps, j'aborderai, outre la pratique de terrain dont on a déjà parlé, les autres
"territorialisations" dont a souffert l'anthropologie. Dans un second temps, je parlerai du
problème que pose la territorialisation de la notion de culture. Dans un troisième temps je
présenterai les points de vue de Lila Abdu-Dag et de Gupta et Ferguson.
3.1 Les territorialisations de l'anthropologie
Outre l'aspect hautement territorialisé de la pratique de terrain, d'autres "espaces" propres à
l'anthropologie posent problème: je parlerai ici des "aires culturelles" et de "l'Etat-Nation".
3.1.1 Les aires culturelles
L'organisation de la discipline anthropologique a pendant longtemps été divisée en "régions"
ou en "aires culturelles": il existe des revues régionales, des chaires régionales dans les
universités.
Appadurai critique fortement cette construction d'espaces propres à l'anthropologie qui a
consisté en un cloisonnement spatial d'une région autour d'un grand thème; ce que Appadurai
appelle un gel ("freezing") métonymique, à savoir que le thème ("un contenu") est devenu
représentatif de toute une aire géographique (le "contenant"). L'Inde est "résumée" par l'idée
de hiérarchie, la Mélanésie par celle de l'échange, la Méditerranée par le thème de l'honneur.
Ces "aires culturelles" deviennent ainsi des niches théoriques en anthropologie. Appadurai
dénonce la puissance et la force d'homogénéisation spatiale d'une telle perspective.
3.1.2 L'Etat-Nation
Andreas Wimmer critique quand à lui les perspectives territorialisée sur l'Etat-Nation des
sciences sociales. Il appelle cette perspective "nationalisme méthodologique". L'Etat-Nation
structure nos vies et nos représentations du monde. Wimmer nous montre comment l'étude
des migrations en anthropologie a été influencée par cet "ordre national du monde". Gypta et
Ferguson énoncent, quand à eux, combien la cartographie du monde en Etats-Nations bien
délimités marque notre perception du monde. Ces perspectives territorialisées de
l'anthropologie sont problématiques car elles partent de certains présupposés lors de l'analyse
des phénomènes sociaux..
3.2 La critique de la notion de culture
La "culture" est une notion hautement difficile à définir, et pourtant elle constitue une notion
"clé" de l'anthropologie, nous dit Abu-Lughod. Le paysage des anthropologues a été celui de
cultures correspondant à des territoires bien délimités, comme en témoignent des cartes
ethnographiques de tribus, ou ethnies…
On accole indifféremment la notion de culture à un espace nous disent Gupta et Ferguson: on
parlera de culture américaine ou de culture indienne.
Ces auteurs critiquent alors cette vision territorialisée de la culture, ou plutôt des cultures:
celles-ci deviennent des entités pré-données que viennent découvrir les anthropologues.
La notion de "culture" fonctionne en ceci comme celle de "race". En ne se basant pas sur la
biologie, la notion de "culture" se veut non essentialiste, mais elle finit elle aussi par "geler"
les différences, les donner comme "réalités préexistantes".
Je vais maintenant revenir sur les perspectives critiques de Lila Abu-Lughod et de Gupta et
Ferguson; leurs deux points de vue sur la notion de culture et sur le problème de l'espace en
anthropologie me semblent intéressants.
Ces deux approches soulèvent la question du pouvoir qui s'inscrit dans la relation de
l'anthropolgue, producteur de connaissances, à son objet d'étude (la "culture", les identités,
l'"Autre").
3.3 Abu-Lughod: ce que le féminisme peut apporter à l'anthropologie en terme de "réflexivité"
Pour Lila Abu-Lughod, l'anthropologie s'est constituée, en tant que discipline, sur l'étude de
l'"Autre". La relation entre "soi" et "autre", entre "Occident" et "non-Occident" est donc
profondément ancrée dans l'anthropologie.
Pour Abu-Lughod, le concept de "culture" est hautement problématique car il incarne ce
rapport entre "soi" et "autre", cette constitution de l'"autre" par rapport à "soi", cette
constitution du "soi" par rapport à l'"autre".
1 / 10 100%

Anthropologie et globalisation: de nouveaux espaces pour penser l

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !