la conscience réfléchie. Mais il reste qu’il ne saurait jamais être publié s’il écrivait son propos
dans un ordre plus explicitement fidèle à sa démarche véritable.
Il y a dans le geste cartésien un fondement la science moderne, puisque d’un côté
Descartes ouvre la voie de ce que l’on peut appeler, par anachronisme, un phénoménisme. En
effet, désormais, la science doit s’attacher à considérer non plus les choses selon un ordre
extérieur à l’homme mais selon une inspection de l’ordre intérieur de l’esprit humain. A ce
titre les Méditations Métaphysiques ont une structure tout à fait étonnante.
D’un côté, dès la préface, nous trouvons une forme apologétique somme toute très
classique puisque la preuve par les effets ressemble à s’y méprendre à la preuve cosmologique
de Lactance au livre I, chapitre 2, paragraphe 5 des Institutions Divines où ce dernier montre
qu’il ne se peut concevoir un ordre si admirable dans la nature sans concevoir du même coup
un ordre plus admirable encore qui en soit la cause. Descartes semble reporter cette analyse au
niveau d’une causalité non plus entre la nature et Dieu, certes, mais formellement équivalente
en ce qu’il situe le même lien entre notre nature de sujets pensant l’ordre admirable auquel
nous rapportent les idées innées de l’infini et de la perfection. De plus, à cette même fin il
utilise une distinction conceptuelle elle-même issue de la scolastique médiévale, à savoir la
différence entre la réalité formelle de l’idée et la réalité objective de l’idée lorsque, toujours
dans la Troisième Méditation il entend démontrer l’existence de Dieu par le fait que toute idée
en moi (réalité formelle de l’idée) est toujours la représentation d’un objet (réalité objective
de l’idée) lequel doit détenir éminemment autant de réalité que ce qu’il place causalement en
mon esprit comme une forme.
Or Descartes, dans la première méditation ainsi que dans la première section du
Discours de la Méthode, fonde toute sa recherche sur la remise en cause de toute forme
d’opinion reçue, alors qu’il se servira plus loin de modes de pensée reçus de l’éducation
scolaire pour résoudre les problèmes issus de la découverte du cogito, à savoir le solipsisme et
la pérennité de notre conscience au-delà de l’instant du cogito.
Ce qui est d’autant plus étonnant que la méthode qu’il propose par ailleurs pour
conduire la raison, dans le Discours de la Méthode, se fonde sur la règle de l’évidence qui est
non seulement directement déduite de l’expérience du cogito mais qui, toutefois, semble
discrètement réhabiliter une conception stoïcienne non seulement antérieure à la théologie
médiévale, servie par la scolastique, mais de surcroît antagoniste de celle-ci. En effet
l’apologétique s’est construite sur la rupture avec le débat entre les néoacadémiciens et les
stoïciens sur l’évidence. Pour les stoïciens la vérité tenait dans la force et la netteté de la
phantasia (représentation) et elle donnait ainsi à saisir les propriétés essentielles des choses.
Pour les néoacadémiciens il n’y avait aucun moyen, en revanche, de distinguer la phantasia
du Phantasma (l’illusion) qui nous affecte dans le rêve ou dans la folie.
Descartes va jusqu’à répondre dans le cadre de ce débat lorsque dans la seconde
Méditation il radicalise le doute jusqu’à supposer qu’il puisse être tels ces insensés qui croient
voir des choses qui n’existent pas pour finalement conclure que l’argument du rêve le
préserve de conclure que son doute ne soit fondé sur un état normal de la conscience, à savoir
l’état onirique qui nous donne l’illusion de la réalité.
Donc d’un côté il y aurait un Descartes emprunt du geste apologétique qui argumente
l’ordre des choses sur la base de l’essence bonne de Dieu, et d’un autre côté, dans les deux
mêmes œuvres et principalement dans les Méditations, un Descartes héritier de l’authentique
démarche rationaliste de l’antiquité.
On note ici que la démarche scientifique moderne, dans son acte de naissance, s’inscrit
dans une imbrication à la fois formelle et objective avec un environnement idéologique tout à
fait hétérogène, celui qui succède la renaissance et, partant, il est très difficile de se prononcer
sur le rapport entre science et religion sans noter d’un côté des tensions évidentes et d’un
autre côté, comme nous l’avons souligné au départ, une cohabitation rendue nécessaire par la