Si  certaines  parties  de  ladite  population  prétendent  pouvoir  s’accommoder  de  moindres 
prestations  publiques  et  collectives,  force  est  toujours  de  constater  que  la  demande  de 
prestations les  plus variées demeure exprimée par la plus grande partie des habitants2. En 
atteste  par  exemple  le  besoin  d’assurer  une  protection  maximale  des  consommateurs,  en 
particulier domestiques, d’énergie pendant que les coûts de celle-ci flambent, complètement 
en porte-à-faux avec les miracles de la baisse généralisée des prix prêtés à la libéralisation du 
secteur  entamée  en  1996.  Ou  le  débat  sur  l’instauration  d’une  8ème  branche  de  la  sécurité 
sociale apte à remplir les besoins d’autonomie des personnes âgées. Le tout, avec en toile de 
fond,  la  nécessaire  constitution  de  réserves  financières  colossales  en  vue  de  faire  face  au 
vieillissement3. 
 
N’en  déplaise  aux  tenants  de  l’efficacité  en  soi,  il  s’agit  là  de  la  mise  en  œuvre  d’une 
idéologie4, notamment formalisée par les multiples courants, parfois même contradictoires5, 
qui animent ce qu’on appelle communément en français « l’analyse économique  de droit », 
piètre  traduction  de  l’anglais  « Law  &  Economics ».  Comme  s’il  n’y  avait  qu’une  seule 
« analyse  économique  du  droit »6…  Comme  si  toutes  les  conceptions  de  la  société  qui 
peuvent  exister  dans  des  démocraties  pluralistes devaient  plier  face  à l’exigence  d’un  Etat 
mais  aussi  d’un  droit  minimal,  seule  étant  acceptable  par  application  du  principe  de 
l’autonomie contractuelle qui ne laisserait qu’à la loi qu’une place infiniment subsidiaire7. Il y 
a déjà là rupture fondamentale avec la conception de la Révolution française selon laquelle la 
loi  est  l’expression  de  la  volonté  générale,  rupture  dont  il  faut  bien  mesurer  les 
conséquences. 
 
Sous les oripeaux de la scientificité8, de l’objectivité, du chiffre roi… se cache bel et bien une 
idéologie  qui,  dans  le  domaine  qui  nous  occupe  ici,  prend  notamment  les  habits  du  New 
Public Management.  
                                                 
2 La contribution du professeur Rusen ERGEC, par ailleurs ancien contributeur du think tank de la très libérale 
Fondation Atlantis, au présent atelier conclut que si les  gens veulent  légitimement moins d’impôts, ils  doivent 
accepter un moindre niveau de prestations. Etonnamment, les choses sont peut-être un peu plus compliquées que 
cela. Il est sans doute vrai qu’un Etat qui ferait peu serait économe. Serait-il pour autant efficace ? 
3 Un  socialiste invétéré comme le rédacteur a d’ailleurs la faiblesse  de penser que l’instauration  d’une sécurité 
sociale  forte  est  le  signe  d’une  efficacité  globale  de  l’Etat,  elle  qui  a  constitué  le  cadre  de  solidarité  qui  a 
notamment  permis  que  les  fruits  du  progrès  scientifiques,  de  la  médecine  au  premier  chef,  soient  plus 
équitablement disponibles pour toutes les couches de la population.   
4 Cette réflexion sur le rôle idéologique du droit comme sur l’idéologie juridique doit évidemment beaucoup à O. 
CORTEN et A. SCHAUS, Le droit comme idéologie – Introduction critique au droit, Bruxelles, Kluwer, 2004. 
5 V. VALENTIN, Les conceptions néo-libérales du droit, Paris, Economica, 2002. 
6 Pour une présentation succincte de ces diverses approches : B. FRYDMAN, « Les nouveaux rapports entre droit 
et économie : trois hypothèses concurrentes », in M. CHEMILLIER-GENDREAU et Y. MOULIER-BOUTANG dir. 
Le droit dans la mondialisation, Paris, Actuel Marx et Presses Universitaires de France, 2001, p. 57. 
7 Cette approche néo-libérale du droit affleure de plus en plus en France chez les juristes comme en atteste par 
exemple l’article de Ph. TERNEYRE, « Secteur public et concurrence : la convergence des principes. A propos de 
la liberté contractuelle », Actualité Juridique – Droit Administratif  2007, p. 1906 (également B. du MARAIS, Droit 
public  de  la  régulation  économique,  Paris,  Presses  de  Science  Po,  2004).  Elle  n’est  plus  l’apanage  de  certains 
économistes  francophones  comme  Henri  LEPAGE,  Demain  le  capitalisme,  Paris,  Le  Livre  de  Poche,  1978  ou 
Pascal SALIN, Libéralisme, Paris, Odile Jacob, 2000. 
8 Ainsi, un des plus fameux auteurs de l’école Law & Economics, même s’il n’en est pas l’inventeur, n’hésite pas à 
reprendre  à  son  compte  l’étiquette  dite  du  « théorème  de  Coase » que  ses  commentateurs  ont  collée  sur  son 
célèbre article de 1960 traduit en  français comme « Le  problème  du  coût social »  : Ronald COASE, Le  coût du 
droit,  Paris,  Presses  Universitaires  de  France,  2000,  p.  77. Ledit  théorème  affirme  que  dans  des  conditions  de 
concurrence  parfaite, les coûts privé et  social seront égaux.  En l’absence de coûts de transaction, les droits tels 
qu’ils  sont  initialement  attribués  par  le  droit  positif ne  sauraient  faire  obstacle à  une  répartition  efficiente des 
ressources  entre  acteurs  négociant  librement  sur  le  marché.  Autrement  dit,  les  producteurs  concluraient  dans 
cette hypothèse tout un ensemble de contrats nécessaires à la maximalisation de la valeur de leur production. S’il 
est  possible  que  certaines  actions  reviennent  meilleur  marché  que  la  réduction  des  dommages  qu’elles  sont 
censées causer et qu’elles s’avèrent moins chères que toute autre mesure destinée à réduire le dommage, alors ce 
sont  ces  actions  qui  seraient  entreprises.  D’après  ledit  « théorème »,  le  droit  est  donc  prié  d’engendrer  un