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forme de l’économie des institutions et de celle dite des normes sociales, mais aussi par
la microéconomie du développement, devenue prééminente, et la psychologie
économique (‘behavioural economics’).
L’article est donc organisé de la façon suivante. La première partie présente les
principaux concepts qui seraient définitionnels de la boite à outils de l’anthropologie
économique. La seconde partie examine le reflux de cette dernière à partir des années
90 en raison de l’hégémonie croissante des concepts purement économiques. La
dernière partie montre qu’au début du 21ème siècle l’anthropologie économique a
conservé toute sa puissance explicative, en se centrant sur la thématique des institutions
d’appartenance, l’un des objets historiques par excellence de l’anthropologie.
2. L’anthropologie économique: le déclin des « grandes » théories
Bien qu’ils demeurent matière à discussion, les critères qui différencient l’anthropologie
des autres sciences sociales découlent de sa méthodologie spécifique, une participation
directe de l’observateur sur la longue durée aux situations observées, produisant une
connaissance de première main de phénomènes par nature de niveau « micro » mais
subsumables dans le concept « d’humain » - typiquement l’organisation sociale d’un
groupe (cette thématique a rendu possible l’anthropologie historique ou archéologique).
L’anthropologie est par essence fondée sur une méthode d’analyse holistique, et sur la
prémisse que la compréhension des phénomènes est intrinsèquement dépendante des
contextes, dans le temps (l’histoire) et dans l’espace : ainsi les systèmes de normes
sociales, de parenté, politiques, économiques, religieux, les décisions individuelles, les
processus cognitifs sont tous liés les uns aux autres et chacun donne aux autres leur sens
et cohérence. Ce holisme est certes interprété à l’aune de différentes théories
privilégiant différents principes fondateurs, par exemple les rapports de classe,
l’échange, etc. L’anthropologie peut s’appuyer sur des outils quantitatifs – ainsi
l’analyse des systèmes de parenté après Lévi-Strauss, ainsi l’anthropologie cognitive
située à l’interface de l’anthropologie physique, de la neurologie, etc., ainsi bien sûr
l’anthropologie économique (un exemple furent les travaux de socio-économie en
Afrique de l’ouest des années 1970-90 basés sur la réalisation de grandes enquêtes, sur
la production, la consommation, les migrations, etc.). La méthodologie holistique
demeure cependant ce qui définit l’anthropologie par rapport aux autres sciences
sociales, économie, sciences politique, sociologie ; les concepts sont qualitatifs, centrés
sur les contextes (historiques, spatiaux), fondés sur la méthodologie de l’observation
participante d’un individu extérieur « immergé » dans un autre groupe social.
L’anthropologie économique est consubstantielle à la construction de l’anthropologie,
puisque dès ses débuts à la fin du 19ème siècle celle-ci a eu pour but d’investiguer tous
les aspects de la nature humaine, la parenté, activités économiques, croyances, etc. Dès
ses pères fondateurs les phénomènes économiques des « autres sociétés » ont été son
objet – Marcel Mauss, Bronislaw Malinowski, E. E. Evans-Pritchard, Meyer Fortes,
Edmund Leach, Clifford Geertz, Marshall Sahlins, Jack Goody…, tous explorant
l’échange, de biens ou de personnes, l’organisation du travail, les effets économiques
des règles de parenté, la coexistence de marchés avec des normes sociales organisant
des circuits situés hors de ceux-ci, etc.