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Prologue
« Le goût du déguisement, c’est le besoin d’échapper à soi-même et
de devenir un autre, de se faire passer pour un autre, de se croire
un autre... tout en n’y croyant d’ailleurs pas. »
(Roger Caillois)
Voyager avec Isabelle Eberhardt c’est en tout temps être prêt à
se mettre en route ; c’est rêver de partir « sans plan fixe »,
armé « du bâton et de la besace symboliques1 » avec l’idée du
nomadisme, du cheminement, comme passage de la pensée
elle-même. Aussi écrit-elle :
« Un droit que bien peu d’intellectuels se soucient de
revendiquer, c’est le droit à l’errance, au vagabondage. Et
pourtant, le vagabondage, c’est l’affranchissement et la vie
le long des routes, c’est la liberté2. »
Pour cette heimatlos (apatride en allemand), l’identité est à
faire, à refaire en permanence et le geste autobiographique
y contribue. L’acte de l’écriture la porte tout naturellement
au voyage, au mouvement. Car écrire, pour elle, ce n’est
jamais accomplir mais toujours tendre vers... c’est être en
route vers l’inconnu, s’avancer dans son devenir « autre »...
On est à la mi-temps du XIXème siècle. Face à un monde en
pleine mutation, avec l’évènement du capitalisme et de
l’industrialisation, les « Désenchantés » de tous les rêves de
progrès comme Pierre Loti réagissent par « la fuite du
présent méprisable et mesquin3. » La partance loin des
régions familières, le projet littéraire, le fol espoir de
trouver le bonheur, ces trois motifs se superposent pour les
mener vers un ailleurs paré des attraits du romantisme et de