Avril 2015 – L’A ST R ONOMIE 31
Le premier à s’y frotter est l’astro-
nome danois Tycho Brahé (1546-
1601). Pour cela, il a recours à
l’observationseule : il déduit la va-
leur de la réfraction – qui est toujours un
petit angle ne dépassant jamais le degré –
par la méthode des azimuts (Astronomiae
instauratae progymnasmata, 1602). Elle
consiste à déterminer l’azimut du Soleil ou
d’une étoile (direction de l’astre dans le plan
horizontal local) pour en déduire sa dis-
tance zénithale vraie qui, une fois soustraite
à sa distance zénithale apparente, donne
l’angle de réfraction correspondant (g. 1).
Pour le Soleil, il donne une réfraction à
l’horizon de 34ʹ; elle est nulle à partir de
45° de hauteur au-dessus de l’horizon. Pour
les étoiles, elle cesse à partir de 20° de hau-
teur. Cette erreur subsistera longtemps si
bien qu’en 1665, Riccioli supposait encore
les réfractions nulles au-dessus de 26° de
hauteur. En outre, d’après Tycho, la réfrac-
tion est diérente selon le corps considéré,
Soleil ou étoile. Tycho ne reconnaît pas le
Soleil comme une étoile parmi d’autres ;
cela n’est pas étonnant car sa conception du
monde est solidement aristotélicienne, elle
vise à enfermer l’Univers connu – Soleil et
planètes – au sein d’une «sphère des xes»,
aussi grande fut-elle, sur laquelle est accro-
chée chaque étoile.
Un siècle plus tard, les conceptions sur le
Monde ont profondément changé: Coper-
nic en 1543 place le Soleil au centre de
l’Univers, Digges en 1576 brise la sphère
des xes et emplit l’Univers d’étoiles à des
distances variables, Bruno en 1600 arme
l’innitude de l’Univers, Galilée en 1609
décortique les nébuleuses – comme la Voie
lactée par exemple – en étoiles individuelles
grâce à ses premières observations télesco-
piques du ciel, et Descartes en 1637 met au
point la loi de la réfraction de la lumière
lors de son passage dans un milieu de den-
sité diérente.
En 1662, Jean-Dominique Cassini (1615-
1712), astronome à l’université de Bologne,
va alors donner à la réfraction astrono-
mique sa première théorie. On ne peut dire
exactement dans quelle mesure il a été in-
uencé par les diverses conceptions de ses
prédécesseurs ; toutefois, ses mesures de la
hauteur du Soleil à la grande ligne méri-
dienne de l’église San Petronio, qu’il a res-
taurée quelques années auparavant, ne
s’accordent pas avec une réfraction nulle
au-dessus de 45° comme l’armait Tycho.
Contrairement à Tycho, il dispose de la loi
de la réfraction de Descartes, il va donc re-
chercher un modèle paramétrique de la ré-
fraction atmosphérique; il s’agit d’élaborer
une méthode de calcul permettant de cal-
culer directement la valeur de la réfraction
de la lumière pour chaque degré de hauteur
sans avoir recours à l’observation. Pour
cela, il modélise l’atmosphère ; il en fait une
enveloppe sphérique entourant la Terre à la
traversée de laquelle le rayon de lumière se
briserait tout net conformément à la loi de
Descartes énoncée moins de trente ans au-
paravant. Le problème induit par l’hypo-
thèse de Cassini ne peut pleinement être
résolu pour une distance zénithale quel-
conque que par la détermination de deux
constantes: l’épaisseur de l’atmosphère à
partir de laquelle la réfraction se produit et
la valeur mesurée de la réfraction à l’hori-
zon. Ces deux constantes (paramètres) se-
ront déterminées par deux observations de
la réfraction: l’une à l’horizon, qu’il déter-
mine égale à 32' 20", et l’autre à une hauteur
de 10° valant 5' 28". Cassini ne poussera ce-
pendant pas l’analyse jusqu’à obtenir une
loi immédiatement utilisable; il se conten-
tera de construire une table des réfractions
degré par degré de distance zénithale
(g.2). Il ne sera donc pas le premier à
montrer la dépendance approchée de l’an-
gle de réfraction en fonction de la tangente
de la distance au zénith. C’est Jean-Baptiste
Delambre (1749-1802) qui acheva en
quelque sorte le travail analytique engagé
par Cassini (voir encadré).
En procédant ainsi, Cassini ne fait aucune
hypothèse sur la nature de l’astre considéré,
Soleil ou étoile; il unie la réfraction en
une seule loi. La réfraction devient vérita-
blement astronomique. Il bat ainsi en
brèche les idées fortement ancrées de
Tycho Brahé, véritable monument de l’as-
tronomie à cette époque. Sa première table
des réfractions sera publiée en 1662, puis
une seconde, plus précise, en 1684. Cette
table servira jusqu’au milieu du XVIIIesiè-
cle. On la trouve dans la Connaissance des
temps jusqu’en 1765, dans l’Histoire céleste
de le Monnier, dans l’Almanach astrono-
mique de Berlin jusqu’en 1747. Les tables de
Cassini seront jugées excellentes par La-
caille depuis 15-23° de hauteur jusqu’au zé-
nith, et préférables à celles de Flamsteed et
de Newton.
La table de réfraction de Cassini nous aide
à comprendre rétrospectivement les résul-
DOUZE HOMMES EN LUMIÈRE. 9
vol.129 | 82 | 31
La première théorie
de la réfraction astronomique
1. Quadrant altazimutal de Tycho
Brahé pour la détermination des
réfractions par la méthode des
azimuts (Astronomiae instauratae
mechanica, 1602). L’intérêt de la
méthode provient du fait que la
réfraction n’agit que dans un plan
vertical et par conséquent ne
modifie pas l’azimut de l’astre
observé. Cette méthode valait à
une époque où l’on ne disposait
pas encore d’horloges à pendule
fiables. Par la suite, la méthode fut
transformée en méthode des
hauteurs égales pour la
détermination, non plus de
l’azimut, mais de l’angle horaire
directement.
En procédant ainsi,
Cassini ne fait
aucune hypothèse
sur la nature de
l’astre considéré,
Soleil ou étoile; il
unifie la réfraction
en une seule loi.