Cassini: la première théorie de la réfraction

BIEN QUE PTOLÉMÉE OU ALHAZEN AIENT COMPRIS QUE LA
LUMIÈRE PROVENANT DES ASTRES DEVAIT SUBIR UNE
RÉFRACTION LORS DE SA TRAVERSÉE DE LATMOSPHÈRE
TERRESTRE  CESTÀDIRE UNE DÉVIATION DE SON TRAJET
INITIAL  AUCUN D’EUX N’A ENTREPRIS DE LA DÉTERMINER
QUANTITATIVEMENT.
Jean-dominique
Cassini
HISTOIRE | Pascal Descamps | Observatoire de Paris
La première théorie
de la réfraction astronomique
30 L’A ST R ONOMIE Avril 2015 vol.129 | 82 | 30
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Le premier à s’y frotter est l’astro-
nome danois Tycho Brahé (1546-
1601). Pour cela, il a recours à
lobservationseule : il déduit la va-
leur de la réfraction qui est toujours un
petit angle ne dépassant jamais le degré
par la méthode des azimuts (Astronomiae
instauratae progymnasmata, 1602). Elle
consiste à déterminer l’azimut du Soleil ou
dune étoile (direction de lastre dans le plan
horizontal local) pour en duire sa dis-
tance zénithale vraie qui, une fois soustraite
à sa distance zénithale apparente, donne
l’angle de réfraction correspondant (g. 1).
Pour le Soleil, il donne une fraction à
l’horizon de 34ʹ; elle est nulle à partir de
45° de hauteur au-dessus de l’horizon. Pour
les étoiles, elle cesse à partir de 20° de hau-
teur. Cette erreur subsistera longtemps si
bien quen 1665, Riccioli supposait encore
les réfractions nulles au-dessus de 26° de
hauteur. En outre, d’après Tycho, la réfrac-
tion est diérente selon le corps considéré,
Soleil ou étoile. Tycho ne reconnaît pas le
Soleil comme une étoile parmi d’autres ;
cela nest pas étonnant car sa conception du
monde est solidement aristotélicienne, elle
vise à enfermer l’Univers connu – Soleil et
planètes au sein dune «sphère des xes»,
aussi grande fut-elle, sur laquelle est accro-
chée chaque étoile.
Un siècle plus tard, les conceptions sur le
Monde ont profondément changé: Coper-
nic en 1543 place le Soleil au centre de
l’Univers, Digges en 1576 brise la sphère
des xes et emplit l’Univers d’étoiles à des
distances variables, Bruno en 1600 arme
l’innitude de l’Univers, Galilée en 1609
décortique les nébuleuses – comme la Voie
lactée par exemple – en étoiles individuelles
grâce à ses premières observations télesco-
piques du ciel, et Descartes en 1637 met au
point la loi de la réfraction de la lumre
lors de son passage dans un milieu de den-
sité diérente.
En 1662, Jean-Dominique Cassini (1615-
1712), astronome à l’université de Bologne,
va alors donner à la fraction astrono-
mique sa première théorie. On ne peut dire
exactement dans quelle mesure il a éin-
uencé par les diverses conceptions de ses
prédécesseurs ; toutefois, ses mesures de la
hauteur du Soleil à la grande ligne ri-
dienne de l’église San Petronio, qu’il a res-
taurée quelques années auparavant, ne
s’accordent pas avec une réfraction nulle
au-dessus de 45° comme l’armait Tycho.
Contrairement à Tycho, il dispose de la loi
de la réfraction de Descartes, il va donc re-
chercher un modèle paramétrique de la ré-
fraction atmosphérique; il s’agit d’élaborer
une méthode de calcul permettant de cal-
culer directement la valeur de la réfraction
de la lumière pour chaque degré de hauteur
sans avoir recours à l’observation. Pour
cela, il modélise latmosphère ; il en fait une
enveloppe sphérique entourant la Terre à la
traversée de laquelle le rayon de lumière se
briserait tout net conformément à la loi de
Descartes énoncée moins de trente ans au-
paravant. Le problème induit par l’hypo-
thèse de Cassini ne peut pleinement être
résolu pour une distance zénithale quel-
conque que par la termination de deux
constantes: l’épaisseur de l’atmosphère à
partir de laquelle la réfraction se produit et
la valeur mesurée de la réfraction à l’hori-
zon. Ces deux constantes (paramètres) se-
ront déterminées par deux observations de
la réfraction: l’une à l’horizon, qu’il déter-
mine égale à 32' 20", et lautre à une hauteur
de 10° valant 5' 28". Cassini ne poussera ce-
pendant pas l’analyse jusqu’à obtenir une
loi immédiatement utilisable; il se conten-
tera de construire une table des réfractions
degré par degré de distance nithale
(g.2). Il ne sera donc pas le premier à
montrer la dépendance approchée de l’an-
gle de réfraction en fonction de la tangente
de la distance au zénith. C’est Jean-Baptiste
Delambre (1749-1802) qui acheva en
quelque sorte le travail analytique engagé
par Cassini (voir encadré).
En procédant ainsi, Cassini ne fait aucune
hypothèse sur la nature de l’astre considéré,
Soleil ou étoile; il unie la réfraction en
une seule loi. La réfraction devient vérita-
blement astronomique. Il bat ainsi en
brèche les ies fortement ancrées de
Tycho Brahé, ritable monument de las-
tronomie à cette époque. Sa première table
des réfractions sera publiée en 1662, puis
une seconde, plus précise, en 1684. Cette
table servira jusqu’au milieu du XVIIIesiè-
cle. On la trouve dans la Connaissance des
temps jusquen 1765, dans l’Histoire céleste
de le Monnier, dans l’Almanach astrono-
mique de Berlin jusquen 1747. Les tables de
Cassini seront jugées excellentes par La-
caille depuis 15-23° de hauteur jusquau zé-
nith, et préférables à celles de Flamsteed et
de Newton.
La table de réfraction de Cassini nous aide
à comprendre rétrospectivement les résul-
DOUZE HOMMES EN LUMIÈRE. 9
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La première théorie
de la réfraction astronomique
1. Quadrant altazimutal de Tycho
Brahé pour la détermination des
réfractions par la méthode des
azimuts (Astronomiae instauratae
mechanica, 1602). L’intérêt de la
méthode provient du fait que la
réfraction n’agit que dans un plan
vertical et par conséquent ne
modifie pas l’azimut de l’astre
observé. Cette méthode valait à
une époque où l’on ne disposait
pas encore d’horloges à pendule
fiables. Par la suite, la méthode fut
transformée en méthode des
hauteurs égales pour la
détermination, non plus de
l’azimut, mais de l’angle horaire
directement.
En procédant ainsi,
Cassini ne fait
aucune hypothèse
sur la nature de
l’astre considéré,
Soleil ou étoile; il
unifie la réfraction
en une seule loi.
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La théorie de la réfraction de Cassini I
HISTOIRE | 12 HOMMES EN LUMIÈRE : JEAN-DOMINIQUE CASSINI
tats de Tycho. Cassini déduit de sa loi une
réfraction de 59ʺà 45° de hauteur et de
2ʹ39ʺà 20° de hauteur; l’imperfection re-
lative des instruments de Tycho Brane
lui permettait pas de mesurer des écarts de
position plus petits que 2ʹde degré pour les
étoiles et d’une minute de degpour le So-
leil, c’est pourquoi il ne pouvait détecter
aucun eet dû à la réfraction pour des hau-
teurs d’astre au-dessus de 20°. Mais qu’en
aurait-il fait avec des instruments encore
trop imprécis, nutilisant pas encore la lu-
nette de visée mais simplement l’œil nu?
Cassini adopte donc une méthode analy-
tique scientique, il molise un phéno-
mène pour en déduire une loi; c’est encore
ce que tout chercheur fait de nos jours en
face dun phénomène nouveau. Son modèle
d’atmosphère extrêmement simplié lui
permet imdiatement d’accéder à la
connaissance de la réfraction pour toute
distance zénithale à partir de seulement
deux mesures! Ignorait-il que latmosphère
était de densité variable avec la hauteur et
que, par conséquent, le chemin de la lu-
mière dans l’atmosphère ne pouvait être
une simple ligne brisée mais au contraire
une trajectoire curviligne ? Nicole Oresme
(1323-1382) (voir l’Astronomie 73) l’avait
pourtant montré dans son De visione
Stellarum ainsi que Robert Hooke (1635-
1703) lors de la publication de son ouvrage
Micrographia en 1665. Cest possible, mais
la modélisation en aurait été beaucoup plus
complexe. Cassini est un pragmatique; il
convoque sa loi « au tribunal de lobserva-
tion la rité se fait reconnaître » ; par
diérentes observations prises à diérentes
hauteurs,il compare la mesure au calcul.
Laccord est tout à fait susant compte tenu
des possibilités instrumentales de lépoque,
alors pourquoi rechercher un modèle plus
complexe d’atmosphère dont le niveau de
précision est absolument inaccessible par la
mesure! À chaque époque sut sa peine.
Cassini est donc le créateur de la première
théorie de la réfraction astronomique, un
précurseur que d’autres suivront ensuite
tels Newton, Bradley, Bernoulli, Laplace…
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2. Table des réfractions de Cassini
publiée dans Les Éléments de
l'astronomie vérifiés par Monsieur
Cassini par le rapport de ses
tables aux observations de
M. Richer en l'ile de Cayenne,
1684.
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Laréfraction tend à surélever artificiellement la position des
étoiles, et ce d’autant plus que l’on est près de l’horizon.
Sur la figure, l’étoile bleue est vue à l’horizon bien que
située sous celui-ci. La différence entre la direction vraie
(flèche) et la direction apparente (flèche en trait plein) est égale
à l’angle de réfraction. Celui-ci décroît avec la diminution de la
distance zénithale z(cas général repésenté par l’étoile bleue).
Dans sa théorie, Cassini considère l’atmosphère comme une
couche sphérique enveloppant la Terre, au travers de laquelle
le trajet de la lumière va être brisé selon la loi de Descartes.
Son modèle simple comporte deux paramètres : la fraction
horizontale Ret l’épaisseur de l’atmosphère h(ou ce qui
revient au même la valeur de l’angle u). Ces deux paramètres
seront déterminés au moyen de deux observations, l’une à
l’horizon qui donnera directement la grandeur de R= 32ʹ20" et
l’autre à une distancenithale z= 8 pour laquelle il mesure
une réfraction r= 5ʹ28". Dans son modèle, Cassini termine
la valeur de l’épaisseur de l’atmospre en unités de rayon
terrestre : , ce qui
correspond à u= 0ʹ12". Cela aboutit à une épaisseur de ps
de 4 km. Il en déduit également la valeur de l’indice de
fraction de l’atmosphère par la formule suivantecoulant de
la combinaison de la loi de Descartes et de la géométrie du
problème liée à son hypotse. Il est étonnant de constater
combien l’hypothèse de Cassinine à une estimation
correcte de l’ordre de grandeur de la troposphère, qui s’étend
jusqu’à 8-15 km d’altitude et qui contient près de 90 % de
l’atmospre, et de l’indice de fraction de l’air à une
température de 0 °C. La
théorie analytique de Cassini se présente sous la forme de
plusieurs équations àsoudre afin d’obtenir la valeur de rpour
chaque degré de distancenithale zet en tirer une table
complète des réfractions (fig. 2). Jean-Baptiste Delambre
poussera l’analyse de Cassini à son terme (Astronomie
théorique et pratique, vol. 1, 1814) pour obtenir la formule
nérale suivante : .
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