Inventé par le philosophe londonien Jeremy Bentham,
le terme de « Droit International » s’est progressivement
imposé à l’issue du XVIIIème siècle sans pour autant
que l’univocité de son sens et la clarté de sa fonction ne
soient établies, ni que le corpus de textes et les pratiques
juridiques qui l’accompagnent ne permettent d’en rendre
totalement raison.
Comment comprendre le « droit international », et, en
particulier, comment envisager son rapport à l’éthique ?
Constitue-t-il un corpus de textes juridiques indépendants
de toute problématique éthique et de toute valeur
morale? Les règles qui le composent peuvent-elles être
appréhendées d’un point de vue exclusivement juridique
ou doivent-elles ouvrir sur une réflexion éthique ? Qu’en
est-il en outre des pratiques au travers desquelles se
fabrique et se réalise le droit : ne soulèvent-elles pas
également des questionnements d’ordre moral ? Si l’on
soutient qu’il existe une relation nécessaire entre droit
international et éthique, sur quoi se fonde cette dernière,
et quelles conséquences en découlent concernant le
statut et la nature du droit international ? Réciproquement,
ne peut-on critiquer la tendance à la “moralisation”
du droit international et le “tournant vers l’éthique”
pris par ce dernier, lesquels traduisent le potentiel
d’instrumentalisation du droit international ? Telle est la
problématique générale de cette journée d’étude.
La philosophie pense majoritairement le droit international
et son fondement dans le cadre d’une réflexion que
l’on peut qualifier de normative. Le droit international
constituerait ainsi un instrument dirigé vers le bien. Cette
acception du droit international soulève cependant deux
questions : celle de son efficacité pour régler les conduites
des puissances étatiques sur l’échiquier international
d’une part, et celle de sa justification rationnelle et
de ses principes d’autre part. La réponse kantienne à
cette seconde interrogation consiste à penser le droit
international à partir de la catégorie du droit public, lequel
s’achève ultimement sur le droit cosmopolitique. Aussi la
réflexion philosophique sur le droit international tend elle
traditionnellement vers la théorie cosmopolitique, à tel
point que celle-ci est souvent mieux connue et discutée
que la question des fondements du droit international.
Or ce mouvement demande à être interrogé. Le
cosmopolitisme constitue-t-il le terminus ad quem de
toute réflexion sur le droit international, ou bien privilégie-
t-on abusivement cette approche, au détriment d’une
analyse de l’intelligibilité propre au droit international ?
Il s’agit alors de se demander si toute réflexion éthique
n’est pensable qu’en rapport avec le cosmopolitisme,
reléguant ainsi le droit international à un droit “transitoire”
(J. Habermas).
A l’encontre de cette conception qui soutient
une indissociabilité entre droit international (ou
cosmopolitisme) et morale, se tient une compréhension
d’inspiration positiviste et formaliste, qui présente le
droit international comme non-téléologique, neutre et
impartial. Le droit international serait ainsi le produit de
la science juridique et de ceux qui la font - les juristes. Le
prix à payer pour atteindre l’objectivité et l’impartialité en
droit serait donc de séparer totalement droit international
et éthique.
Pour autant, considérer que le droit international
appartient aux praticiens et aux spécialistes de la
discipline juridique ne semble pas avoir permis de mettre
un terme définitif à la discussion concernant les liens
entre droit et éthique. En effet, si on considère que le droit
international est devenu une réalité, alors cela conduit
à interroger les pratiques des acteurs qui interviennent
dans sa réalisation (juristes, organisations internationales,
Etats). Dans cette perspective, le mouvement des
« théories critiques du droit » s’illustre comme un courant
de pensée important chez les internationalistes. Ce
dernier en effet dénonce non seulement l’idée selon
laquelle le droit international pourrait être neutre et
objectif, mettant en lumière les projets politiques qu’il
a été historiquement destiné à servir, mais également
la présence de valeurs morales au sein des règles
internationales et du projet internationaliste lui-même. De
cet examen résultent deux tendances : l’une exprimant
un certain scepticisme à l’endroit du droit international,
l’autre insistant sur la nécessité de mettre au jour le
discours du droit international afin de redonner crédit à
sa destination éthique.
Les questions éthiques ainsi que celles de la définition
et du statut du droit international ne sont donc pas
écartées du simple fait que l’on considère que le droit
international est devenu une réalité, mais elles sont au
contraire redoublées et intensifiées par le surgissement
de nouvelles difficultés auxquelles les juristes se
trouvent confrontés : l’engagement éthique ou politique
doit-il conditionner l’activité des professionnels du
droit international ou ceux-ci doivent-ils (et peuvent-
ils) mettre à l’écart leur engagement pour préférer la
neutralité axiologique ? Comprendre le droit international
en prêtant attention à son histoire, ses pratiques et ses
institutions, implique-t-il pareille neutralité, ou est-ce que
toute analyse critique et déconstructionniste du droit
international ne s’inscrit pas nécessairement dans un
engagement éthique et politique ?
Les analyses développées par la théorie critique semblent
par conséquent rendre nécessaire une nouvelle étude
des relations existant entre droit international et éthique.
Penser de manière critique le droit international signifie
alors se confronter à des difficultés méthodologiques,
entre objectivité et neutralité requises par la connaissance
du droit international, et évaluation fondée sur des critères
moraux et politiques de la réalité du droit international. Il
y a là un dilemme auquel se confronte l’internationaliste
aussi bien que le philosophe.
Journée d’étude proposée par
B. Bourcier (Université de Rouen et Université Catholique
de Lille) et G. Champon (Université de Rennes 1)