Cours 1 (applications + chaos)

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ESADTPM
Philosophie de l’art
2e cycle
LA PLASTICITE & L’ART
enjeux philosophiques
Florian Gaité / [email protected]
Approches contemporaines du concept de plasticité en philosophie de
l’art
Introduction
Rappels:
• Antiquité: terme esthétique (art du modelage)
• A partir de la Renaissance: Idéal de la belle forme visible
• Modernité: crise et récupérations dans les Avant-garde
• Contemporain: conceptualisation en philosophie par Catherine Malabou
Aujourd’hui, on parle de « Plasticien », « espace plastique », « dispositif plastique », « présence
plastique », « théorie plasticiste » etc. mais que dit-on lorsque nous désignons des arts comme
plastiques ?
Problématique : comment le concept de plasticité peut-il revenir à la pensée de l’art ? qu’a-t-on à
en tirer ? L’œuvre d’art ou l’art sont-ils « plastiques » au sens où l’entend Catherine Malabou ?
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Des beaux-arts aux arts plastiques : changement de paradigme esthétique
• Déclin du beau, émergence du plastique
Cf. Jérôme Stolnitz dans un article célèbre paru dans Journal of the History of Ideas : « Beauty » :
Some Stages in the History of an Idea”, XXII, avril-juin, 1961 : l’innovation artistique versus la
belle forme à partir de la modernité
Cf. Dominique Château dans Epistémologie de l’esthétique, “Déclin et avatars du beau” : « trois
grandes époques dans l’histoire du beau », dont le 3e moment, celui du post-art.
• Le pluralisme intégral des arts plastiques
— Rejet de la règle académique
— Hybridations artistiques
— Transdisciplinarité
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Le « plasticien », nouveau terme de la pensée esthétique
• Singularités du plasticien (versus « artiste »)
— Singularisation
— Le plasticien est sa propre œuvre
— Il est lui-même hybride
— Position extrême : l’Idiot ou l’imposteur (Jean-Yves Jouannais)
• Le plasticien à travers le prisme du concept de plasticité
Peut-on déduire le plasticien du concept de plasticité ? Le plasticien est-il lui-même un être
plastique ?
= Analyse à partir de la définition tripolaire du concept de Catherine Malabou (est plastique ce qui
peut à la fois donner, recevoir et détruire sa forme).
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Le « plasticien », nouveau terme de la pensée esthétique
Pôle 1: donner forme
— Le plasticien comme « producteurs de formes »
— Le plasticien et la transformation du monde (plutôt que l’esthétisation — recherche du beau —
ou reproduction — mimésis )
Pôle 2: recevoir la forme
— Transformation de soi, création de subjectivités
— Narcissisme, hypersensibilité, hyperaffectation
Pôle 3: détruirela forme
— Subversion, renversement, remise en cause
— Plasticité négative
— La promesse de la reconstruction : Catherine Malabou, « « plastique » désigne donc ce qui cède
à la forme tout en résistant à la déformation »
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Rappel: métaphore plastique: Récits cosmogonique, Epiméthée, Platon, Aristote, le Chevalier de Méran ou Pic de la Mirandole, Hegel, Nietzsche… Le cerveau
comme la première œuvre de chacun: analogie aussi directe entre le geste créateur de l’artiste et
le pouvoir autopoïétique de l’esprit.
La neuroplasticité désigne les capacités du cerveau à reconfiguer, au niveau synaptique, ses cartes,
ses réseaux, l’efficacité de ses transmissions et à créer, au niveau neuronal, de nouvelles cellules
nerveuses ou à leur faire changer de fonction. Elle répond à une triple définition, on parle ainsi de
plasticité de développement, d’adaptation ou de réparation.
Neurocentrisme: cf. en sciences, le paradigme neuronal (Jean-Gaël Barbara) ou le sujet cérébral
(Fernando Vidal)
Philosophie: penser le mental « en continuité explicative » avec les phénomènes naturels. Le
cerveau n’est pas seulement un outil physiologique de traitement de l’information, il est surtout
l’origine du don du sens, il n’est pas simplement un organe vivant qui fonctionne comme tel, mais
le seul organe capable de vouloir être vivant etc
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Exemples artistiques: Lada Dedic, Michel Houellebecq, Fabrice Hyber
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Exemples artistiques : Jan Fabre
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Le paradigme cérébral : le cerveau comme identité de l’artiste
Rappel: la force plastique selon Nietzsche: «
la force plastique (souligné par Nietzsche) de l’individu, du peuple, de
la civilisation en question, je veux parler de cette force qui permet à quelqu’un de se développer de manière originale et
indépendante [plasticité de développement], de transformer et d’assimiler les choses passées ou étrangères [plasticité d’adaptation],
de guérir ses blessures, de réparer ses pertes, de reconstituer sur son propre fonds les formes brisées [plasticité réparatrice] » .
— Plasticité de développement et d’adaptation (formation d’une personnalité d’aritste ou d’esthète,
d’amateur)
= environnement enrichi, « périodes critiques », seuil émotionnel
— Plasticité de réparation (thérapies par l’art ou la pratique créative)
= toute guérison est transformation de soi, recréation de soi: « Le processus de
transformation en art-thérapie passe par ce mouvement de la personne qui se recrée dans une sorte
de théâtre défini par les concrétions (les productions artistiques à partir de lui-même) qu’il met, le
tout aboutissant à une correspondance plus grande entre la réalité et ce parcours relativement
plaisant dans les projections imaginaires, entre sa vie et ce qui s’en est figuré et transformé dans
l’espace symbolique mis en place par l’art-thérapie ». (JP Klein)
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Le chaos cérébral : une lecture du chapitre final de Qu’est-ce que la philosophie ? (Deleuze/Guattari), « Du chaos au cerveau »
— Paradigme de la création depuis l’Antiquité: informer une matière désorganisée (= le chaos)
— Renouvellement théorique contemporain: chaos comme désordre absolu vers « chaos déterministe », notion que
Deleuze emprunte aux neurobiologistes Benedict Delisle Burns ou Steven Rose. Deleuze se réfère aux ouvrages de
B. D. Burns, The Uncertain Nervous System (London, Arnold, 1968) et de Steven Rose, Le Cerveau conscient
(Paris, Seuil, 1975).
— Chaos déterministe et modèle probabiliste: Ne désigne pas une désorganisation hasardeuse du système nerveux
central, mais une limite de prédictibilité de ses réactions et de son fonctionnement. Il n’affirme pas que le cerveau
est indéterminé ou aléatoire, bien au contraire, mais que son extrême sensibilité aux variations de ses conditions
initiales rend ses comportements tout simplement impossibles à anticiper avec exactitude.
— Incidence sur la pensée de l’art: Ainsi replacée dans une modélisation scientifique dominée par les notions
d’incertitude, d’imprédictibilité, d’incomplétude et d’indécidabilité, la pensée de l’art s’ouvre à une pensée
rationalisée du doute, de l’accident, de l’imprévisible
Etre artiste n’est-ce pas en effet négocier avec sa propre contingence et accepter sa propre imprévisibilité ?
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Le chaos cérébral : une lecture du chapitre final de Qu’est-ce que la philosophie ? (Deleuze/Guattari), « Du chaos au cerveau »
— Qu’est-ce que la philosophie ? = dernier ouvrage co-écrit par Deleuze et Guattari, dernier chapitre
pense le cerveau comme l’organe de synthèse où se produit l’art, la science et la philosophie
— Trois manières de « lutter contre l’opinion » mais les moyens diffèrent : Deleuze différencie les
« variations », dont la philosophie tire des concepts, ou des « variables » dont la science extrait des
fonctions. L’art exploite quant à lui des « variétés » qui « dressent un être du sensible, un être de la
sensation (…) capable de redonner l’infini ». (p. 190). Tout comme la recherche intellectuelle, le
processus artistique s’envisage donc comme la mise en forme différenciée d’un continuum chaotique
— la vibration sensible de la vie, le flux d’informations cognitives dans la pensée — de manière à
produire ce que Deleuze appelle une « sensation ».
« L’art n’est pas le chaos mais une composition du chaos qui donne la vision ou sensation, (…) un
chaos composé — non pas prévu, ni préconçu (…). L’art lutte avec le chaos, mais pour le rendre
sensible, même à travers le personnage le plus charmant, le paysage le plus enchanté ».
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Le chaos cérébral : une lecture du chapitre final de Qu’est-ce que la philosophie ? (Deleuze/Guattari), « Du chaos au cerveau »
— Lutter « avec » le chaos : Le chaos cérébral est une aide à la création, elle nous permet de nous
débarrasser de nos préjugés, de nos opinions, de nos idées reçus, de nos mécanismes de pensée:
« Le peintre ne peint pas sur une toile vierge, ni l’écrivain n’écrit sur une page blanche, mais la page
ou la toile sont déjà tellement couvertes de clichés préexistants, préétablis, qu’il faut d’abord effacer,
nettoyer, laminer, même déchiqueter pour faire passer un courant d’air issu du chaos qui nous apporte
la vision ».
— De cette expérience subjective du chaos, Deleuze dit surtout la souffrance qu’elle peut engendrer :
« Rien n’est plus douloureux, plus angoissant, qu’une pensée qui s’échappe à elle-même, des idées
qui fuient, qui disparaissent à peine ébauchées, déjà rongées par l’oubli ou précipitées dans d’autres
que nous ne maîtrisons pas davantage. (…) C’est l’instant dont nous ne savons s’il est trop long ou
trop court pour le temps. Nous recevons des coups de fouet qui claquent comme des artères. Nous
perdons sans cesse nos idées ».
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Le chaos cérébral : une lecture du chapitre final de Qu’est-ce que la philosophie ? (Deleuze/Guattari), « Du chaos au cerveau »
— Le chaos est un état initial, une phase préparatoire : Le créateur ne commence pas par ses
certitudes, mais par le doute, il doit en faire l’épreuve, il est mû par des déterminismes qu’il ne
contrôle pas et qui peuvent à tout moment dévier. Loin de devoir ignorer ou éviter cette improbabilité
constitutive, le créateur doit ainsi savoir exploiter son potentiel de chaos en s’ouvrant à l’accident, et
aux bifurcations spontanées de son esprit, faire en partie confiance à l’imprévu.
— L’image de « l’ombrelle fendue » (emprunté à D.H. Lawrence): il faut canalisée l’énergie du
chaos, ne pas y succomber, s’y exposer suffisamment pour en sentir la chaleur, la puissance, mais s’en
prémunir pour ne pas s’y perdre. Pour Deleuze, cette image de l’artiste qui opère des coupes trouve sa
meilleure expression chez Fontana:
« Quand Fontana coupe la toile colorée d’un trait de rasoir, ce n’est pas la couleur qu’il fend ainsi, au
contraire, il nous fait voir l’aplat de couleur pure à travers la fente. L’art lutte effectivement avec le
chaos, mais pour y faire surgir une vision qui l’illumine un instant, une Sensation. »
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Le chaos cérébral : une lecture du chapitre final de Qu’est-ce que la philosophie ? (Deleuze/Guattari), « Du chaos au cerveau »
— Fontana parle de ses « Tagli » qu’il sous-titre « attente » dans les termes d’une fenêtre ouverte sur
l’infini, mais une fenêtre apaisante, contemplative:
« Quand je m’assois devant une de mes fentes, à la contempler, j’éprouve soudainement une grande
détente de l’esprit, je me sens un homme libéré de l’esclavage de la matière, un homme qui appartient
à l’étendue du présent et du futur ». Inscrit sur une cimaise de l’exposition rétrospective Fontana au
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris du 24 avril au 25 août 2014.
— Avec « l’ombrelle fendue » de Lawrence et la « fente » de Fontana, Deleuze semble préparer le
terrain à un glissement vers un autre type d’ouverture, d’espace ouvert, plus matériel et concret, que
l’on retrouve dans le cerveau: la fente synaptique. = L’image de la fente n’est-elle qu’une heureuse
coïncidence ou relève-t-elle d’une sensibilité, plus ou moins consciente, à l’économie cérébrale du
processus créateur ?
« Si les objets mentaux de la philosophie, de l’art et de la science (c’est-à-dire les idées vitales)
avaient un lieu, ce serait au plus profond des fentes synaptiques, dans les hiatus, les intervalles et les
entre-temps d’un cerveau inobjectivable, là où pénétrer pour les chercher serait créer »
Approches contemporaines du concept de plasticité
en philosophie de l’art
Les apports de la neuroplasticité pour la pensée de l’art
Le chaos cérébral : une lecture du chapitre final de Qu’est-ce que la philosophie ? (Deleuze/Guattari), « Du chaos au cerveau »
— Le chaos déterministe se manifeste par un comportement non-périodique lié à l’instabilité d’un
système dynamique, à sa non-linéarité, aux phénomènes de résonances, c’est-à-dire aux interactions
mutuelles qui à force d’être répétées déforment les trajectoires de l’influx nerveux. Cette instabilité
cérébrale tient à la faculté neuroplastique.
— Or la plasticité du cerveau, du corps, est une mouvement de transformation qui fait alterner
déterminismes, habitudes, et imprévus, accidents. Gilbert Simondon parle d’ailleurs de
« métastabilité » pour désigner les processus biologiques, de l’alternance de phases de stabilité et de
moments de déstabilisations. Chez le créateur, la conscience de cette balance entre déterminismes et
imprévus doit l’inciter à se rendre disponible à la bifurcation, aux nouveaux frayages, à laisser libre
cours aux mécanismes accidentels (chaotiques) de sa neuroplasticité.
— Limiter le chaos: L’artiste ne doit pas être complètement labile, liquide ou en constante
métamorphose. Prendre soin de sa plasticité, en avoir cure, cela signifie être assez malléable pour
s’ouvrir au changement, mais aussi assez solide pour être consistant. L’artiste est donc également
déterminé par les habitudes qu’il prend et qui forgent ses convictions intimes, son engagement
personnel, sa perception, sa culture mais aussi son style.
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