Appropriation et syntaxe du français dans la presse à Ouagadougou

F.-M. Gandon
Appropriation et syntaxe du français écrit dans la presse de
Ouagadougou (Burkina Faso) : préposition, rection, pronoms
In: Langue française. N°104, 1994. pp. 70-88.
Abstract
Francis-Marie Gandon : « Appropriation et syntaxe du français écrit au Burkina Faso : prépositions, rection, pronoms »
This paper tries to estimate syntactic distinctive features of written French in Burkinabe newspapers. The « language » thus
described at least its tendancies appears as a combinative of conceptual undelying datas, looking, somehoww, like the
classical stage of French. The use of French is the use of a new tool, not marked by historical characterizations.
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Gandon F.-M. Appropriation et syntaxe du français écrit dans la presse de Ouagadougou (Burkina Faso) : préposition, rection,
pronoms. In: Langue française. N°104, 1994. pp. 70-88.
doi : 10.3406/lfr.1994.5740
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1994_num_104_1_5740
Francis-Marie
GANDON
École
Normale Supérieure
de
Fontenay-Saint-Cloud
(CREDIF)
Université
Cheikh
Anta
Diop
de
Dakar
APPROPRIATION
ET
SYNTAXE
DU
FRANÇAIS
ÉCRIT
DANS
LA
PRESSE
DE
OUAGADOUGOU
(BURKINA
FASO)
:
PRÉPOSITIONS,
RECTION, PRONOMS
*
Nous
nous
proposons
ici
de
relever
quelques
tendances
propres
au
français
écrit
du
Burkina
Faso.
Le
corpus
est
constitué
d'un
ensemble
de
périodiques
datés
de
1989
et
1990,
dont les
références
seront
données
en
annexe.
Nous
avons décidé
de
nous
limiter
à
des
faits
syntaxiques
:
la
syntaxe
reste,
comme
on
le
sait,
le
parent
pauvre
des
travaux
sur
le(s)
français
d'Afrique,
sans
doute
parce
que
«
les
changements morphologiques
ou
syntaxiques
sont
beaucoup
plus
insensibles
[que
les
changements
phonologiques
et
lexicaux]
car
ils
opèrent
pendant
de
longues
périodes
avant
que l'évolution du
système
s'en
trouve
modif
iée
»
(S.
Lafage
1977,
p.
3).
Au
plan
de
l'écart
synchronique,
ce
sont
donc
eux
qui
apparaissent
les moins
accessibles
à
la
conscience
du
sujet
parlant.
Rares
sont
par
ailleurs
les
études
portant
sur
la
syntaxe
de
l'écrit des
français
non
centraux
à
l'exception
notable des
travaux
universitaires
sur
les
textes
littéraires
et
certaines
analyses
de
presse
(G.
Offroy
1975).
Si
la
grammaire
constitue
la
«
relation
cognitive
fondamentale
»
(N.
Chomsky
1980,
p.
70),
alors
elle
concerne
crucialement
le
procès
d'appropriation
du
code
:
son intériorisation, son
«
intimisation
».
L'étude
de
sa
dimension
écrite
permet
par
surcroît
d'envisager
la
dimension
conceptuelle
de
la
langue,
face
à
l'inflation
(relative)
des
études
orales-linguistiques.
Notre
intérêt
se
portant
sur
des
tendanc
es,
nous
éviterons
à
la
fois
le
point
de vue
normatif
grammaire
des
fautes
»)
et
l'«
explication
»
par
l'interférence
:
on
sait
que
des
«
africanismes
»
identiques
se
retrouvent
dans
des zones
linguistiquement
disparates,
ce
qui
«
ruine
d'avance
toute
tentative
d'explication par
un
substrat
vernaculaire
»
(G.
Manessy
1978,
p.
9).
Quant
au
rejet
du
normatif,
il
ne
va
pas
jusqu'à
faire
l'économie
du
duel
«
français
central
»
/
«
français
d'Afrique
»
compte
tenu
de
cette
double
réser
ve
:
a)
le
«
français
central
»
(désormais
Fc),
faisceau
de
coutumes,
recouvre ce
qui
subjectivement
me
paraît
refléter
la
situation
linguistique
actuelle en
France
;
b) quant
à
la
seconde
expression
(désormais
FA),
sa
pertinence
d'une
part
se
limite
ici
au
Burkina
Faso
et
d'autre
part
n'implique
aucune
substance
linguistique
éponyme
:
il
ne
peut
s'agir,
au
moins
à
ce
stade,
que
d'une
pure
convention
1.
Noue
voudrions
ici
exprimer
nos
remerciements
à
D.
Leeman
pour
ses
nombreuses
et
précieuses
suggestions.
70
terminologique.
Seront
envisagés
trois
ordres de
phénomènes
:
1)
les
prépositions
et
leur
réaménagement
;
2)
des
faits
de
rection
:
substantifs
opérateurs
et
verbes
à
contrôle
;
3)
des
faits
d'anaphore,
principalement
le
traitement
des pronoms.
1.
Prépositions
:
vers
un
réaménagement du
système
Ce
réaménagement
s'effectue
de
deux
façons
essentielles
:
la
substitution
(qui
donne
lieu
à
des
déplacements
sémantiques)
et
l'effacement.
1.1.
Phénomènes
de
substitution
On
notera
d'abord
la
fréquence
des
prépositions sémantiquement
polyvalent
es
;
ainsi
par
rapport
à
équivaut
indifféremment
à
sur,
quant
à,
vis-à-vis
de
comme
du
reste
en
Fc
depuis
au
moins
une
dizaine
d'années
:
(1)
Nous
avons
demandé
à
notre
ambassadeur
[...]
de
nous
rejoindre
pour
avoir
des
échanges
de
vue,
non
seulement
par
rapport
à
la
situation
nouvelle
[...]
mais
par
rapport
à
leur
action
(S
1384,
p.
11).
Commençons
par
des
exemples
concernant
pour
:
(2)
Cette
substance
est
indispensable
pour
le
fonctionnement
initial
de
la
production
(ÇA
1106,
p.
26).
(3)
II
y
a à
la
fois
Г
adhésion
et
l'engagement
réellement
révolutionnaire
de
tous
les
jours
pour
défendre
les
nobles
idéaux
[...]
(S
1368,
p.
4).
(4)
Ce
sont
de
véritables
partis
pris
pour
éviter
les
ministres
[...]
(S
1368,
p.
12).
Notons
que pour
remplace
systématiquement
à
dans
les
formules
attributives
de
type
:
«
C'est à
vous
»
selon
le paradigme
:
Fc
FA
c'est
à
vous
<-»
c'est
pour
vous
c'est
pour
vous
<->
ce
sera
pour
vous
(Ce
qui
implique
la
perte
en
FA
de
la valeur
destinative
de
pour
puisque
cette
dernière
est
prise
en
charge
par
le
tiroir
verbal.)
Ensuite
sur
:
(5)
Sur
le
premier
point
de
l'ordre
du
jour
le
camarade
Justin
Kagampaga
[...]
a
informé
l'assistance
sur
les
projets
de
budget
de
la
foire
(S
1393,
p.
6).
(6)
[...]
depuis
quelques
années
la
région
se
dégrade
sur
les
effets
conjugués
de
la
pression
démographique,
la
surexploitation
des
sols
et
des
arbres
(S
1384,
p.
2).
(7)
Les
étudiants
n'ont
pas
assez
de
connaissances
générales
sur
les
autres
cultures
(S
1384,
p.
9).
(8)
Le
rêve
que
j'ai
fait
sur
lui
ce
matin
[...]
(SM
13,
p.
47).
Il
est
toujours
difficile
d'établir
des
concordances
qui
ne
peuvent,
en
tout
état
de
cause,
être
qu'approximatives.
Toutefois
il
est
clair
qu'en
(2),
(3)
et
(4)
71
exemples
archétypiques
,
pour
«
se
substitue
»
aux
prépositions
«
incolores
»
(Spang-Hanssen)
à
et
de.
Cette
substitution
s'accompagne
de
nuances
important
es
:
a)
À
donne,
comme
on
le
sait,
un
accès
direct
à
la
sous-catégorisation
(P.
Cadiot,
1991a),
introduit
une
dépendance
entre
termes
(R.
Bosredon-I.
Tamba,
1991),
détermine
l'unicité
de
l'événement
décrit,
sa
transitivité,
l'absence
de
mode
prédicatif
(P.
Cadiot,
1991b).
b)
DE
constitue
le
degré
zéro
du
système
prépositionnel
puisque
répondant
au
transitif
direct
(je
vois
le
château
>
la
vision
du
château).
Il
suppose
une
dépendance
entre
termes
manteau
de
laine
»
vs
«
manteau
en
laine
»,
cf.
I.
Tamba
1983)
;
quand
il
suit
un
adjectif
recteur,
ce
dernier
est
non
autonome
par
rapport
au
régime
;
il
peut
cimenter
à
un
tel
degré
la
solidarité
entre
termes
recteur
et
régime
que
les
valeurs
de
classe
et
de
sens
de
ces
derniers
peuvent
s'interpénétrer
(par
exemple
dans
Luc
grille
d'impatience,
cf.
D.
Leeman
1991).
c)
POUR
se
caractérise
inversement
par
le
destinatif
(l'intentionnalité
de
Searle)
:
la
visée
d'une
trajectoire
sans
implication
de
cible
atteinte
(P.
Cadiot
1991b,
p.
47)
;
l'argument
qu'il
introduit
n'est
pas
sous-catégorisé
par
le
verbe
mais
constitue
une
prédication
supplémentaire
autonome,
comme
dans
:
«
Pierre
admire
Luc
pour
être
chrétien.
»
(Cadiot,
ibid.).
Il
se
rapporte
à
l'intransitivité
et
à
la
discontinuité
;
sa
signification
inhérente
est
d'être
un
«
instrument
de renvoi
»
(Cadiot
1991b,
p.
193).
Bref
c'est
la
préposition
par
excellence
du
clivage
:
entre
arguments,
entre
époques,
entre
actants.
Nous
avons
déjà
signalé
que
sa
valeur
destinative
semble
perdue
en
FA.
Il
apparaît
donc
que
le
syntagme
introduit
par
pour
tend
à
se
rattacher
directement
au
nœud
majeur
:
à
être
un
«
complément
de
phrase
»
pour
reprendre
la
terminologie traditionnelle,
attitude
qui
contraste
avec
celle
de
de
et
à.
Verbe
et
complément
tendent
à
être
mutuellement
autonomes
:
à
la
hiérarchie
se
substitue
une
juxtaposition,
une
sorte
de
parataxe.
H
semble
qu'une
tendance
analogue
caractérise
les
compléments
introduits
par
sur
(l'exemple
(6)
étant
particulier
puisque
sur
y
remplace
plutôt
sous),
cette
préposition
permettant
par
ailleurs
l'apparition
de
la
formule
nominalisante
(8)
impossible avec
le
à
ou
le
de
de
rêver.
D'autres
tours illustrent
cette
propension au
clivage, complémentaire
de
la
désaffection
déjà
notée
à
l'encontre
des
prépositions
«
incolores
»
(nous
soul
ignons)
:
(9)
Les
interventions
de
la
justice
pour
protéger
les
femmes
face
aux
vicissitudes
du
tempérament
masculin
est
(sic)
donc
l'un
des
aspects
[...]
(S
1394,
p.
12).
(10)
[
. .
.
]
très
pénible
encore
selon
elle
est
le
contact
permanent
près
du
feu
(SM
13
,
p.
13)2.
Dans
le
même
ordre
d'idées,
les tours
à
incidence
hiérarchique
seront
évités.
Paraît
aller
en ce
sens
l'exemple
:
(11)
Elle
préfère
remettre
sa
moto
à
celle-ci
au
lieu
de
la
lui
donner
(S
1366,
p.
3).
2.
Il
s'agit
d'une
«
dolotière
»,
c'est-à-dire
d'une
fabricante
de
bière
de
mil
(dolo
en
dioula).
72
qui
permet
d'obvier
à
«
plutôt
que
(de)
»
.
Les
tours
«
renforcés
»
référentialisent
en
quelque
sorte
une
relation
qu'ils
vident
de
contenu
notionnel
et
dont
ils
autono-
misent
les
termes.
Le
complément
circonstanciel
peut
lui-même se
disjoindre du verbe
avec
lequel
il
est
sémantiquement
apparié,
comme
dans
:
(12)
L'officialisation
du
jumelage
avec
Bittou
est
très
récente,
le
29
septembre
1989
(S
1456,
p.
3).
qui
donne
l'impression
d'un
déplacement
voulu
du
Sp.
De
manière
analogue,
le
relateur
aura
tendance
à
juxtaposer
les
deux
propos
itions
qu'il
articule
et
non
plus
à
les
hiérarchiser
les
enchâsser
l'une
dans
l'autre)
:
(13)
[
. .
.
]
les
premières
coopératives
d'épargne
et
de
crédit
[
. . .
]
se
sont
retrouvées
avec
des
masses
d'argent
dont
elles
ne
savaient
comment
les
gérer
(S
1397,
p.
2).
Ici
dont
est
paraphrasable
par
«
à
propos
desquelles
»
et
n'est
plus
pronominal
dans
le
champ
de
la
subordonnée
du
fait
de
la
présence
d'un
pronom
personnel
3
:
comparer
avec
la
relativisation
canonique
«
qu'elles
ne
savaient
comment
gérer
».
Citant
Joinville,
M.
Grevisse
précise
que
le
tour
«
n'est
pas
récent
»
et
qu'il
s'est
généralisé
au
XXe
siècle
«
à
la
désapprobation
d'Abel
Hermant
»
(1936,
p.
1097).
La
reformulation
du
système
prépositionnel
standard
affecte
évidemment le
duel
transitivité
directe/indirecte.
Si
l'on
ne
tient
pas
compte
de
ce
qui
relève
de
coquilles
manifestes
ou
de
la méconnaissance
des
règles,
l'innovation
frappante
vient
de
la
substitution
du
tour
indirect
au
direct
dans
des
formules
telles
:
(14a)
«
informer
aux
auditeurs
»
4
(14b)
«
fréquenter
aux
bars
»
ou
encore
le
tour participatif
:
(15)
Nous
avons
voulu
imprégner
à
cette
jeunesse
[...]
(S
1395,
p.
4).
Ces
cas
nous
semblent
s'interpréter
par
une
sélection,
parmi
les
valeurs
de
à,
de
celles
de direction,
but,
mouvement
vers
un
destinataire,
c'est-à-dire
du
prospectif5,
avec
un
rejet
corollaire
d'autres
valeurs
telle
la
«
déréférentialisa-
tion
»
(P.
Cadiot
1991b).
Cette
«
intentionnalité
»
en
direction
d'un
interlocuteur rend
compte
de
l'i
nclusion
dans
le
«
symbole
complexe
»
des
verbes
d'un
nous
participatif
ou
«
conatif
»
.
Assez
fréquentes
les
formules
de
type
:
3.
Cette
présence
discrimine
le
tour
d'avec
la
formule
dont
«
introduit
une
proposition
relative
complétée
par
une
conjonctive
»
(M.
Grevisse,
Le
Bon
usage,
p.
1095)
formule
le
rapport
entre
trace
de
QU
et
le
relateur
franchit
deux
nœuds
P,
tout
en
respectant
le
principe
de
sous-jacence
(N.
Chomsky,
1982),
le
français
ne
considérant
pas
le
nœud
P
comme
un
«
nœud
barrière
».
Ce
principe
s'énonce
de
la
façon
suivante
:
«
Aucune
règle
ne
peut
mettre
en
cause
a
et
P
dans
la
configuration
(1)
si
yet
5
sont
de
nœuds
barrières
:
(1)
a
[y..
.[5..
.p...]...]
a
»
(cf.
Rouveret,
1987,
p.
39).
nœud
barrière
»
reformule
ici
«
catégorie
cyclique
»).
4.
Au
moins
au
Burkina
Faso
informer
à
est
devenu
la
règle.
5.
Notons
cependant
que
l'opposition
à/de
en
termes
de
prospection/rétrospection
(D.
Leeman,
communication
personnelle)
est
largement
tributaire
du
déterminant
et/ou
du
qualifiant
du
nom
:
«
Je
rêve
d'un
voyage
(extraordinaire)
au
Mont
Pico.
»
/
«
Je
rêve
à
mon
voyage
(de
l'an
passé).
»
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