F.-M. Gandon Appropriation et syntaxe du français écrit dans la presse de Ouagadougou (Burkina Faso) : préposition, rection, pronoms In: Langue française. N°104, 1994. pp. 70-88. Abstract Francis-Marie Gandon : « Appropriation et syntaxe du français écrit au Burkina Faso : prépositions, rection, pronoms » This paper tries to estimate syntactic distinctive features of written French in Burkinabe newspapers. The « language » thus described — at least its tendancies — appears as a combinative of conceptual undelying datas, looking, somehoww, like the classical stage of French. The use of French is the use of a new tool, not marked by historical characterizations. Citer ce document / Cite this document : Gandon F.-M. Appropriation et syntaxe du français écrit dans la presse de Ouagadougou (Burkina Faso) : préposition, rection, pronoms. In: Langue française. N°104, 1994. pp. 70-88. doi : 10.3406/lfr.1994.5740 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1994_num_104_1_5740 Francis-Marie GANDON École Normale Supérieure de Fontenay-Saint-Cloud (CREDIF) Université Cheikh Anta Diop de Dakar APPROPRIATION ET SYNTAXE DU FRANÇAIS ÉCRIT DANS LA PRESSE DE OUAGADOUGOU (BURKINA FASO) : PRÉPOSITIONS, RECTION, PRONOMS * Nous nous proposons ici de relever quelques tendances propres au français écrit du Burkina Faso. Le corpus est constitué d'un ensemble de périodiques datés de 1989 et 1990, dont les références seront données en annexe. Nous avons décidé de nous limiter à des faits syntaxiques : la syntaxe reste, comme on le sait, le parent pauvre des travaux sur le(s) français d'Afrique, sans doute parce que « les changements morphologiques ou syntaxiques sont beaucoup plus insensibles [que les changements phonologiques et lexicaux] car ils opèrent pendant de longues périodes avant que l'évolution du système s'en trouve modif iée» (S. Lafage 1977, p. 3). Au plan de l'écart synchronique, ce sont donc eux qui apparaissent les moins accessibles à la conscience du sujet parlant. Rares sont par ailleurs les études portant sur la syntaxe de l'écrit des français non centraux — à l'exception notable des travaux universitaires sur les textes littéraires et certaines analyses de presse (G. Offroy 1975). Si la grammaire constitue la « relation cognitive fondamentale » (N. Chomsky 1980, p. 70), alors elle concerne crucialement le procès d'appropriation du code : son intériorisation, son « intimisation ». L'étude de sa dimension écrite permet par surcroît d'envisager la dimension conceptuelle de la langue, face à l'inflation (relative) des études orales-linguistiques. Notre intérêt se portant sur des tendanc es, nous éviterons à la fois le point de vue normatif (« grammaire des fautes ») et l'« explication » par l'interférence : on sait que des « africanismes » identiques se retrouvent dans des zones linguistiquement disparates, ce qui « ruine d'avance toute tentative d'explication par un substrat vernaculaire » (G. Manessy 1978, p. 9). Quant au rejet du normatif, il ne va pas jusqu'à faire l'économie du duel « français central » / « français d'Afrique » — compte tenu de cette double réser ve : a) le « français central » (désormais Fc), faisceau de coutumes, recouvre ce qui — subjectivement — me paraît refléter la situation linguistique actuelle en France ; b) quant à la seconde expression (désormais FA), sa pertinence d'une part se limite ici au Burkina Faso et d'autre part n'implique aucune substance linguistique éponyme : il ne peut s'agir, au moins à ce stade, que d'une pure convention 1. Noue voudrions ici exprimer nos remerciements à D. Leeman pour ses nombreuses — et précieuses — suggestions. 70 terminologique. Seront envisagés trois ordres de phénomènes : 1) les prépositions et leur réaménagement ; 2) des faits de rection : substantifs opérateurs et verbes à contrôle ; 3) des faits d'anaphore, principalement le traitement des pronoms. 1. Prépositions : vers un réaménagement du système Ce réaménagement s'effectue de deux façons essentielles : la substitution (qui donne lieu à des déplacements sémantiques) et l'effacement. 1.1. Phénomènes de substitution On notera d'abord la fréquence des prépositions sémantiquement polyvalent es ; ainsi par rapport à équivaut indifféremment à sur, quant à, vis-à-vis de comme du reste en Fc depuis au moins une dizaine d'années : (1) Nous avons demandé à notre ambassadeur [...] de nous rejoindre pour avoir des échanges de vue, non seulement par rapport à la situation nouvelle [...] mais par rapport à leur action (S n° 1384, p. 11). Commençons par des exemples concernant pour : (2) Cette substance est indispensable pour le fonctionnement initial de la production (ÇA n° 1106, p. 26). (3) II y a à la fois Г adhésion et l'engagement réellement révolutionnaire de tous les jours pour défendre les nobles idéaux [...] (S n° 1368, p. 4). (4) Ce sont de véritables partis pris pour éviter les ministres [...] (S n° 1368, p. 12). Notons que pour remplace systématiquement à dans les formules attributives de type : « C'est à vous » selon le paradigme : Fc FA c'est à vous <-» c'est pour vous c'est pour vous <-> ce sera pour vous (Ce qui implique la perte en FA de la valeur destinative de pour puisque cette dernière est prise en charge par le tiroir verbal.) Ensuite sur : (5) Sur le premier point de l'ordre du jour le camarade Justin Kagampaga [...] a informé l'assistance sur les projets de budget de la foire (S n° 1393, p. 6). (6) [...] depuis quelques années la région se dégrade sur les effets conjugués de la pression démographique, la surexploitation des sols et des arbres (S n° 1384, p. 2). (7) Les étudiants n'ont pas assez de connaissances générales sur les autres cultures (S n° 1384, p. 9). (8) Le rêve que j'ai fait sur lui ce matin [...] (SM n° 13, p. 47). Il est toujours difficile d'établir des concordances qui ne peuvent, en tout état de cause, être qu'approximatives. Toutefois il est clair qu'en (2), (3) et (4) — 71 exemples archétypiques — , pour « se substitue » aux prépositions « incolores » (Spang-Hanssen) à et de. Cette substitution s'accompagne de nuances important es : a) À donne, comme on le sait, un accès direct à la sous-catégorisation (P. Cadiot, 1991a), introduit une dépendance entre termes (R. Bosredon-I. Tamba, 1991), détermine l'unicité de l'événement décrit, sa transitivité, l'absence de mode prédicatif (P. Cadiot, 1991b). b) DE constitue le degré zéro du système prépositionnel puisque répondant au transitif direct (je vois le château — > la vision du château). Il suppose une dépendance entre termes (« manteau de laine » vs « manteau en laine », cf. I. Tamba 1983) ; quand il suit un adjectif recteur, ce dernier est non autonome par rapport au régime ; il peut cimenter à un tel degré la solidarité entre termes recteur et régime que les valeurs de classe et de sens de ces derniers peuvent s'interpénétrer (par exemple dans Luc grille d'impatience, cf. D. Leeman 1991). c) POUR se caractérise inversement par le destinatif (l'intentionnalité de Searle) : la visée d'une trajectoire sans implication de cible atteinte (P. Cadiot 1991b, p. 47) ; l'argument qu'il introduit n'est pas sous-catégorisé par le verbe mais constitue une prédication supplémentaire autonome, comme dans : « Pierre admire Luc pour être chrétien. » (Cadiot, ibid.). Il se rapporte à l'intransitivité et à la discontinuité ; sa signification inhérente est d'être un « instrument de renvoi » (Cadiot 1991b, p. 193). Bref c'est la préposition par excellence du clivage : entre arguments, entre époques, entre actants. Nous avons déjà signalé que sa valeur destinative semble perdue en FA. Il apparaît donc que le syntagme introduit par pour tend à se rattacher directement au nœud majeur : à être un « complément de phrase » pour reprendre la terminologie traditionnelle, attitude qui contraste avec celle de de et à. Verbe et complément tendent à être mutuellement autonomes : à la hiérarchie se substitue une juxtaposition, une sorte de parataxe. H semble qu'une tendance analogue caractérise les compléments introduits par sur (l'exemple (6) étant particulier puisque sur y remplace plutôt sous), cette préposition permettant par ailleurs l'apparition de la formule nominalisante (8) impossible avec le à ou le de de rêver. D'autres tours illustrent cette propension au clivage, complémentaire de la désaffection déjà notée à l'encontre des prépositions « incolores » (nous soul ignons) : (9) Les interventions de la justice pour protéger les femmes face aux vicissitudes du tempérament masculin est (sic) donc l'un des aspects [...] (S n° 1394, p. 12). (10) [ . . . ] très pénible encore selon elle est le contact permanent près du feu (SM n° 13 , p. 13)2. Dans le même ordre d'idées, les tours à incidence hiérarchique seront évités. Paraît aller en ce sens l'exemple : (11) Elle préfère remettre sa moto à celle-ci au lieu de la lui donner (S n° 1366, p. 3). 2. Il s'agit d'une « dolotière », c'est-à-dire d'une fabricante de bière de mil (dolo en dioula). 72 qui permet d'obvier à « plutôt que (de) » . Les tours « renforcés » référentialisent en quelque sorte une relation qu'ils vident de contenu notionnel et dont ils autonomisent les termes. Le complément circonstanciel peut lui-même se disjoindre du verbe avec lequel il est sémantiquement apparié, comme dans : (12) L'officialisation du jumelage avec Bittou est très récente, le 29 septembre 1989 (S n° 1456, p. 3). qui donne l'impression d'un déplacement voulu du Sp. De manière analogue, le relateur aura tendance à juxtaposer les deux propos itions qu'il articule et non plus à les hiérarchiser (à les enchâsser l'une dans l'autre) : (13) [ . . . ] les premières coopératives d'épargne et de crédit [ . . . ] se sont retrouvées avec des masses d'argent dont elles ne savaient comment les gérer (S n° 1397, p. 2). Ici dont est paraphrasable par « à propos desquelles » et n'est plus pronominal dans le champ de la subordonnée du fait de la présence d'un pronom personnel 3 : comparer avec la relativisation canonique « qu'elles ne savaient comment gérer ». Citant Joinville, M. Grevisse précise que le tour « n'est pas récent » et qu'il s'est généralisé au XXe siècle « à la désapprobation d'Abel Hermant » (1936, p. 1097). La reformulation du système prépositionnel standard affecte évidemment le duel transitivité directe/indirecte. Si l'on ne tient pas compte de ce qui relève de coquilles manifestes ou de la méconnaissance des règles, l'innovation frappante vient de la substitution du tour indirect au direct dans des formules telles : (14a) « informer aux auditeurs » 4 (14b) « fréquenter aux bars » ou encore le tour participatif : (15) Nous avons voulu imprégner à cette jeunesse [...] (S n° 1395, p. 4). Ces cas nous semblent s'interpréter par une sélection, parmi les valeurs de à, de celles de direction, but, mouvement vers un destinataire, c'est-à-dire du prospectif5, avec un rejet corollaire d'autres valeurs telle la « déréférentialisation » (P. Cadiot 1991b). Cette « intentionnalité » en direction d'un interlocuteur rend compte de l'i nclusion dans le « symbole complexe » des verbes d'un nous participatif ou « conatif » . Assez fréquentes les formules de type : 3. Cette présence discrimine le tour d'avec la formule où dont « introduit une proposition relative complétée par une conjonctive » (M. Grevisse, Le Bon usage, p. 1095) formule où le rapport entre trace de QU et le relateur franchit deux nœuds P, tout en respectant le principe de sous-jacence (N. Chomsky, 1982), le français ne considérant pas le nœud P comme un « nœud barrière ». Ce principe s'énonce de la façon suivante : « Aucune règle ne peut mettre en cause a et P dans la configuration (1) si yet 5 sont de nœuds barrières : (1) a [y.. .[5.. .p...]...] a » (cf. Rouveret, 1987, p. 39). (« nœud barrière » reformule ici « catégorie cyclique »). 4. Au moins au Burkina Faso informer à est devenu la règle. 5. Notons cependant que l'opposition à/de en termes de prospection/rétrospection (D. Leeman, communication personnelle) est largement tributaire du déterminant et/ou du qualifiant du nom : « Je rêve d'un voyage (extraordinaire) au Mont Pico. » / « Je rêve à mon voyage (de l'an passé). » 73 (16) Cette revue de 240 F CFA nous fait une présentation [...] (S n° 1397, p. 3). qui témoignent du souci d'intégrer concrètement l'auditeur (ou le lecteur) à l'acte d'énonciation. Ce trait se retrouve aussi en français central, notamment parlé 6. Il faut à présent aborder le cas de la préposition de. Préposition « incolore », de pâtit comme à de sa valeur de soudure entre arguments (cf. le contraste entre « je m'inquiète de ton départ » et « je m'inquiète pour ton départ » souligné par Cadiot, 1991b). Il ne bénéficie pas, en revanche, de la valeur ďintentionnalité propre à à. Rien donc de surprenant s'il tend à la disparition pure et simple : de fait notre rubrique « phénomènes d'effacement » lui sera exclusivement consacrée. 1.2. Phénomènes d'effacement Nombre d'exemples vont effectivement en ce sens : (17) [0] Quelle facilité bénéficie le paysan pour écouler sa production ? (S n° 1384, p. 4). (18) Nous n'excluons pas [0] renouveler l'expérience en l'étendant à une dimension plus générale (S n° 1368, p. 6). (19) Celui-ci projette simplement [0] recouvrer une partie de son capital [...] (S n° 1384, p. 2). (20) À propos du haricot vert et particulièrement [0] la situation de mévente que ce produit subit chaque année [...] (S n° 1405, p. 3). (21) Le chef de projet a par ailleurs noté qu'une réunion des trois hauts commissaires et le secrétaire général du CAPRO a permis le déblocage de trois millions de francs (ibid.). (22) [...] les effets conjugués de la pression démographique [0] la surexploitation des sols et des arbres, des méthodes archaïques d'exploitation agro-pastorale [...] (S n° 1384, p. 2). (23) C'était en présence de quelques membres du comité exécutif du Front populaire et du gouvernement révolutionnaire, de nombreux invités ainsi qu'[0] une foule de militants (S n° 1384, p. 7). (24) Avant de commencer l'épuration de la cire et [0] la blanchir, nettoyer quelques boîtes de conserves 7 [...] (SM n° 13, p. 6). (25) Animé d'un courage hors paire (sic) [0] la verve de ceux qui veulent réussir, Emmanuel Ouedraogo montait son propre atelier en 1978 (SM n° 13, p. 50) 8. 6. Le pronom « participatif » relève surtout de la zone familière du Fc, depuis le « vous empoigne un pavé « de La Fontaine » (« L'ours et l'amateur de jardins ») jusqu'au « je vais te me le descendre » de Joe Dalton, personnage de Goscinny. Son cumul caractérise aussi un certain sytle journalistique : « [La société E.B.S. » te vous y bombardait — et continue — le polytétrafluo. etc., aux rayons gamma [ . . . ] » (Le Canard enchaîné, 21 avril 1993). Dans une langue comme le ouolof (groupe ouest-atlantique), une catégorie comme le bénéfactif englobe à la fois celui à la place et au bénéfice de qui l'action et réalisée. 7. Il s'agit de la fabrication d'objets en bronze par la technique dite de « cire perdue ». 8. Du fait de l'absence d'une conjonction, le statut du second syntagme est ambigu : s'agit-il d'un argument supplémentaire ou d'une apposition spécificatrice ? 74 (26) Pour moi la peinture peut nourrir son homme, à la condition de toujours bien faire, c'est-à-dire [0] exécuter le travail avec conscience [...] (S n° 1456, p. 7). On constate ainsi une désaffection certaine pour de : soit il lui est substitué pour ou des tournures « topologiques » (près de, face à...). La substitution s'exerce singu lièrement quand le V ou le N au symbole complexe desquels de appartient sont séparés de la préposition par un complément ou un syntagme adjectival ((9) et (10)) ; soit il s'efface, notamment entre un V et un Vinf, dans une enumeration et comme préposition — ou partie de locution — normalement répétée. Si l'on veut brièvement conclure sur les deux autres prépositions en cause : A est généralement remplacé par des prépositions « topologiques » (systéma tiquement par pour dans les tours attributifs) ; la préposition se substitue en revanche à zéro dans certaines formules — ou se trouve en coalescence avec des datifs participatifs : elle fonctionne en ceci comme indice d'une intégration des allocutaires à l'acte de parole. Pour acquiert, de façon générale, une valeur attributive, qui s'exerce au détri ment de sa valeur destinative. En tant que préposition « topologique », elle tend à instaurer une double prédication généralisée : paraphrasable par « il y a », le complément s'affirme ainsi comme opérateur existentiel. En termes syntaxiques, on dira qu'il tend à se rattacher directement au nœud majeur. 2. Faits de rection : substantifs opérateurs et verbes à contrôle Cette syntaxe des biaisons, que nous voyons s'esquisser avec le réaménagement du système prépositionnel, peut s'envisager à présent au niveau, plus large, de la rection. Dans le cas où un nom introduit une complétive ou un infinitif dépendant directement de lui — où il devient « substantif opérateur » 9 — et dans celui où un verbe régit une subordonnée, un certain nombre de tendances peuvent être rele vées. 2.1. Substantifs opérateurs A. Un nom peut gouverner de façon non standard une proposition infinitive (« complétive réduite »), comme ici par le relais d'un pronom démonstratif. (27) L'esprit du présent kiti 10 est celui, général, de gérer au mieux nos ressources (S n° 1456, p. 2). Extrêmement fréquent, ce type de rection généralise pratiquement à l'ensemble des N une possibih'té réservée à une certaine classe d'entre eux, notamment ceux qui ont un répondant verbal : ainsi Vespérance de réussir contraste avec la foi en la réussite et la charité pour son prochain (pour baliser le champ des vertus cardina9. L'étude de C. Leclère (1971) est, sur la notion, particulièrement éclairante. 10. Les autorités burkinabées émettent des zatos (fulfude, « lois »), des raboos (moore : « arrê tés»), des kitis (dioula, « décrets ») et des koegas (moore, « circulaires »). 75 les). Cette possibilité ne se confond cependant pas avec cet ensemble (cf. la joie de créer n). Voici un autre exemple : (28) L'état révolutionnaire, dans l'optique de donner à l'administration les moyens de son action [...] (SM n° 13, p. 10). B. Toujours quant aux substantifs opérateurs certains écarts s'expliquent par l'emploi des déterminants. Ainsi : (29) Maie aussi on peut comprendre par cette mesure une option claire et toujours renouvelée de la direction politique de voir nos producteurs se retrouver en groupe mentset coopératives (S n° 1383, p. 3, je souligne). Notons en effet que l'agrammaticalité ici s'estompe avec l'article défini et qu'elle disparaît entièrement avec la combinaison article défini/adjectif. Interviennent donc des contraintes idiosyncrasiques difficiles à théoriser, toujours mal connues depuis l'étude de Leclère 12. C. Le substantif opérateur peut enfin régir le verbe avec une préposition non standard — on se retrouve dans la rubrique précédente : (30) Ainsi je lance un appel aux jeunes gens qui considèrent le mariage comme un carcan, de changer d'avis [...] (S n° 13, p. 10). 2.2. Verbes à contrôle Plusieurs modèles se présentent : A. Un cas symétrique à l'exemple (28) est celui où une construction impersonn elle, qui exige en principe un V, commande une formule nominale : (31) II revient à cette commission l'installation de deux tribunes (SM n° 13, p. 8). Notons que la suppression de il rendrait la phrase acceptable 13. Ce qui se révèle est alors une nominalisation extensive (mais peut-on parler de transformation ?) comme dans : (32) Saluer la mobilisation des militants [...] (CA n° 1106, p. 10). pour : « les militants mobilisés », lecture imposée par le contexte, qui constitue une sorte d'hendiady. Ou comme : (33) Le camarade Hubert Somda, directeur de l'U.C.E.C.B., expliquera aux paysans rwandais pourquoi la création de l'Union (S n° 1405, p. 4). 11. C. Leclère signale qu'environ 500 substantifs « acceptent la construction en de inf, mais pas les deux autres (de ce Qu P et Qu P) » (art. cit., p. 63). Il rappelle que le parallélisme entre formes de type « je crains que Paul vienne » / « ma crainte que Paul vienne », qui s'observe dans un certain nombre de nominalisations verbales, est « loin d'être général » (id., p. 64). 12. Cf. ses exemples : Luc a l'intention que ça change. *Luc a une intention que ça change. '''Luc a une faculté de s'en sortir. Luc a une faculté étonnante de s'en sortir (art. cit., p. 63). 13. Une autre interprétation verrait en (31) une extraposition d'indéfini inopportune. 76 pour : « pourquoi l'Union a été créée » , ou encore : « le pourquoi de la création de l'Union ». П faut souligner que la phrase s'achève effectivement sur « Union » (symbole # implicite). B. Un effacement peut affecter le V de la proposition enchâssée : (34) [II faut] mettre en pratique ce qu'on nous a préconisé. (S n° 1397, p. 3). (34) semble, en termes de structure sous-jacente, être de type : (34b) mettre en pratique [on | avoir préconisé [nous faire A]]. I _ 1 qu Nous n'est plus de la sorte un simple datif « participatif » mais le résultat d'une transformation de mouvement (« en avant »). Son« incorrection » apparaît comme l'effet secondaire de l'attribution à préconiser d'un rôle recteur sur une infinitive enchâssée dont le sujet est en même temps son complément (type : « je vous; demande de e£ sortir »). L'exemple se caractérise par une ellipse « acrobatique » ; l'absence d'infinitif est en même temps celle du site où le nous sujet serait récupé rablesous forme de trace. L'exigence, de la part du décodeur, d'une catalyse portant sur des éléments non ou difficilement récupérables caractérise dans une large mesure le FA comme, semble-t-il, le stade « classique » du Fc 14. D'un autre côté reste possible une interprétation sémantique selon laquelle préconiser vaudrait, le long d'un continuum, plus ou moins pour conseiller (F. Gadet, commun ication personnelle), interprétation qui met l'accent sur le discours, au détriment de la langue. Voici deux autres exemples d'ellipses de ce type : (35) Après cette émission [...] surtout sa diffusion, nous recevons du courrier, non pour faire des critiques mais [...] demander des renseignements complémentaires (S n° 1384, p. 8). (où le sujet implicite des verbes à l'infinitif est un sujet aussi « profond » que peu défini, de type : « les auteurs du courrier » : licence qui renoue avec une possibilité familière à la langue classique). (36) Si on a coutume de dire que le Burkinabé ne sait pas entreprendre, comme toute règle Ali Ouedraogo constitue l'exception (S n° 1456, p. 7). dont l'interprétation exige une catalyse complexe : plus précisément la restauration de la prémisse mineure. C. Souvent l'absence en langue d'une qualité régissante est palliée par la grande extension dont jouit que, relateur passe-partout paraphrasable par : « pré position » + « le fait que... », « en vue de... », « qui consiste à »... Une extension analogue se constate d'ailleurs en Fc. (37) Le responsable de la commission finances a attiré l'attention des responsables provinciaux qu'ils devront justifier toutes leurs dépenses (S n° 1393, p. 6, je souligne). Il y a en d'autres termes ellipse du substantif opérateur. 14. La convergence entre le FA et le stade « classique » du français central porte aussi sur les domaines lexical (« se mirer » n'est pas rare au Burkina Faso) et prépositionnel (« commencer de » est la règle : contre-exemple à ce qui a été avancé plus haut concernant de). 77 D. On constate enfin, à l'instar des substantifs, une extension du spectre recteur du verbe, comme dans l'exemple suivant où la canonicité grammaticale exigerait un complément nominal : (38) Le chef de Solidarité a entrepris un voyage de dix jours (cinq jours au Canada, cinq jours aux États-Unis) pour sensibiliser les opérateurs économiques de ces nations industrialisées à aller investir en Pologne (S n° 1397, p. 11). E. Autre cas de figure : le fait pour un relatif de renvoyer à deux QU de rang différent et de dépendre de deux verbes de propositions dont l'une domine l'autre : (39) Ainsi les eaux de ruissellement envahissent les cours et il faut négocier avec qui l'on partage un mur ou le percer nuitamment pour évacuer la flotte (SM n° 13, p. 8). Ici avec qui vaut pour avec celui avec qui ; le relatif est régi par deux verbes : négocier avec QU et partager un mur avec QU, les deux prépositions « profondes » fusionnant en surface et provoquant une coalescence analogue des deux QU ; le relatif fonctionne dès lors « en abyme » : (40a) II faut [PRO; négocier avec qUj [опа partager un mur avec qUj]]. F. Les ruptures de construction : zeugmes et anacoluthes ne sont pas rares. Assez couramment en effet le rôle recteur du verbe est « oublié » en cours de phrase, d'où l'apparition de segments autonomes. Ainsi : (40) II nous revient [...] de réfléchir et d'échanger des idées sur les voies et les moyens éventuels en vue de la résorption des différents déficits (SM n° 13, p. 8). télescope une double construction (40a et 40b) : (40a) échanger SN [des idées Sp [sur les voies et moyens COMP P[]]]. (40b) [[échanger des idées] COMP : en vue de P [ ]]. en permettant une nominalisation qui rend d'autant plus visible la rupture et recoupe la tendance générale au clivage, associée à la substitution à de d'une locution « renforcée » comme, ici, en vue de. Un phénomène voisin « oublie » le subordonnant adapté au verbe gouverneur au profit d'un tour parasynonymique. Ainsi avec le complémentiseur discontinu si... que : (41) Ou encore a-t-elle si sous-estimé l'Union Sportive de Ouagadougou au point de croire qu'elle pouvait s'imposer sans se forcer les adducteurs (S n° 1384, p. 6). Comme pour (40), le groupe final apparaît comme simultanément dépendant et indépendant du groupe verbal du fait de la substitution du tour « renforcé » au point de à la conjonction incolore que (d'ailleurs inutilisable dans le contexte). Une autre formule illustre le phénomène : (42) Cependant des difficultés subsistent quant à sa culture [du haricot, F.M.G.] du fait que la ville n'est pas électrifiée et surtout au problème d'écoulement de ce produit (S n° 1405, p. 3). La substitution de à au suboordonnant rend le Sp final indépendant du verbe sans pour autant qu'on puisse affirmer son rattachement au nœud P ; d'où une agrammaticalité de vagabondage ou de « dérive » . 78 La rupture peut porter sur la succession de deux propositions régies : l'une à l'infinitif, l'autre à un temps conjugué : (43) II reste aux différents responsables politiques et aux structures populaires de ce (sic) mettre au travail et traduira dans les faits les messages [...] (S n° 1405, p. 5). Ce type de rupture — outre qu'il relève d'une évolution propre au français parlé — n'est pas insolite au regard rhétorique : ainsi (40) et (41) apparaissent comme des anacoluthes, les autres écarts allant du côté des zeugmes, qui peuvent s'avérer parfaitement canoniques : (44) Le recyclage [ . . . ] prouve l'existence de l'épargne, mais qu'elle ne pénètre pas [ . . . ] (CA n° 1106, p. 28). Chacun des deux compléments est en effet isolément compatible avec le V tête de syntagme, l'étrangeté naissant de leur étroite association argumentative ; l'écriture de presse exploite ici une possibilité de la langue illustrée par le romantique : « J'ai dit mon retour à Combray et comment je fus accueilli par mon père » (Chateau briand),moins insolite parce que constatif. Dans certains cas, un seul élément régi est compatible avec la tête de syntagme, ainsi : (45) Des projets plus ambitieux, c'est notamment le jumelage de l'hôpital provincial avec le centre hospitalier régional de Rouen et de participer en même temps à des actions de formation (CA n° 1106, p. 10). Le zeugme se double ici d'une incompatibilité entre le syntagme extraposé et sa reprise par c'est de. G. L'ellipse du verbe dans un groupe spécifié comme subordonné (présence d'un subordonnant) peut enfin se remarquer : (46) Que dire de plus sinon que le miracle quotidien que l'équipe de techniciens, de journalistes, d'animateurs, de chauffeurs, de l'administration et des collaborateurs extérieurs ainsi que les correspondants provinciaux [...] mérite d'être louée (sic) (S n° 1384, p. 7). Il semble qu'ici la duplication de que provoque une coalescence entre la complétive et la relative. Donc à nouveau phénomène de télescopage entre structures sousjacentes, en l'occurrence : (46a) Que dire sinon que l'équipe [...] mérite d'être louée 15. (46b) Que dire [...] sinon que le miracle quotidien [...] mérite d'être loué. (46c) L'équipe [prédicat — » 0] le miracle quotidien. Plusieurs tendances se dégagent de ces données. Ce qui frappe est tout d'abord l'extension du spectre recteur (du symbole complexe) des V et N tête de syntagme. C'est ensuite l'échange des qualités entre substantifs et verbes : tout substantif aura tendance à être considéré comme le résultat d'une nominalisation. Inverse- 15. Ce qui permet d'interpréter l'accord du participe passé. 79 ment une nominalisation stricte aura tendance à être considérée comme équiva lenteau verbe : elle n'implique pas le réaménagement de la phrase. La subordination permet, quant à elle, d'importantes ellipses portant sur des entités difficilement ou pas du tout récupérables ; on aura aussi noté l'aptitude qu'a QU relateur à fonctionner « en abyme » (39) et à QU conjonction à valoir pour un tour explicatif complexe. L'ellipse, on l'a vu, pourra même porter sur le verbe (46) : en ce cas la proposition devient une sorte de formule nominale par défaut. Mais enfin la subordination — au sens étymologique — est foncièrement mise en cause : le cas (40) met en exergue le fait que l'autonomie des segments l'emporte sur la hiérarchie : tant les syntagmes nominaux que les subordonnées auront tendance à se dés-enchâsser pour se rattacher au nœud majeur, ou encore, plus simplement « flotter » . La coalescence « en abyme » du relateur va évidemment en ce sens de même que la substitution aux conjonctions incolores de tournures renforcées, tournures telles en vue de ou au point de qui rendent mutuellement opaques les entités qu'elles con joignent. Il se présente de la sorte un paradoxe : la substitution, comme en (42), d'une préposition à un tour conjonctif, la polyvalence de à et de que avec des entités rectrices au symbole complexe « enrichi ». Ce qui en résulte est une tendance à considérer de la même façon syntagmes prépositionnels et subordonnées. De la sorte, on retrouve au niveau des syntagmes complexes ce qui nous avait semblé caractériser le système prépositionnel : une tendance à l'autonomisation des catégories de l'énoncé. Il s'y ajoute toutefois une propension inverse à étendre le symbole complexe des items : favoriser la sous-catégorisation au détriment de l'argumentation. Il s'y adjoint une communication plus souple qu'en Fc entre classes syntaxiques : P et Sp par exemple, mais aussi N et V : latitude déjà signalée, laissée à la nominalisation pour qu'elle fonctionne sans entrave. 3. Faits ď anaphore : pronoms et phénomènes apparentés Au sens large, l'anaphore — le composant « liage » de Chomsky (1981) — concerne les relations à distance : antecedence, anaphore, corérérence. Notre approche ne tiendra pas compte de la distinction générativiste entre « anaphore » (au sens restreint) et « pronom » ; par ailleurs les « expressions R (référentielles) » seront considérées comme un mode particulier (lexico-sémantique) d'anaphorisation. 3.1. La réticence h Vanaphore L'un des traits saillants du composant, tel qu'exploité par le français d'Afri que,tient dans la désaffection pour la substitution (proprement anaphorique ou paraphrastique). Les exemples ici sont nombreux (c'est moi qui souligne) : (47) II conviendrait d'envisager sérieusement la mise en place d'un nouveau mécanisme de restruc[tura]tion de la dette [...]. De toute évidence, la Banque Mondiale et le Fonds 80 Monétaire International (F.M.I.) auront eux aussi un rôle actif à apporter au régime fiscal et aux réglementations en vue d'encourager la réduction de la dette. Par ailleurs on peut se demander si les problèmes économiques, sociaux, voire politiques, peuvent être réglés par d'autres institutions que les gouvernements eux-mêmes. Les gouverne ments ont une responsabilité particulière lorsqu'on en vient à la dette des pays à faible revenu, en particulier en Afrique, car c'est auprès des gouvernements que ceux-ci ont contracté une très grande partie de la dette (CA n° 1100, p. 35). (Il s'agit, bien évidemment, du même ensemble de gouvernements.) (48) [Le parent] devrait se présenter de temps en temps à l'école, connaître l'encadreur de son enfant et s'enquérir du travail fait par son enfant (S n° 1366, p. 3). (49) Les techniciens supérieurs et ingénieurs de Vhydraulique villageoise feront connaissance au cours de leurs travaux avec la situation actuelle de Y hydraulique villagoise, et les raisons du défaut de maintenance. Ils apprendront également à dépanner les principaux types de pompes utilisées en Afrique. Enfin ces techniciens de la pompe apprendront comment organiser un réseau de maintenance dans une région donnée. Tout ceci dans le but de réduire le nombre de pompes en panne [ . . . ] (S n° 1393 , p. 2). (50) Concernant la partie organisationnelle nous avons toujours dit que c'est dans Г organisation que nous pouvons amener notre jeunesse à accomplir les tâches qui lui sont dévolues. Nous avons essayé de travailler avec la jeunesse, il y a de petites difficultés, de petites failles, mais dans l'ensemble nous avons voulu imprégner à cette jeunesse qu'elle pense d'abord à s'organiser et que c'est dans l'organisation qu'on peut remporter plus de victoires. Dans Y inorganisation on perd des forces (S n° 1393, p. 4). (51) La lune, planète la plus proche de la Terre, à 384 000 km de celle-ci, est toujours l'objet de plusieurs théories de la part des savants quant à son origine, à savoir comment la lune avait été créée (SM, n° 13, p. 18). L'impression, ici, est que la série d'enchâssements : lunej [objet [théories [origine [hme2]]]] au terme de laquelle apparaît la seconde occurrence de « lune » , rend difficile la coïndiciation et en conséquence la coréférence entre les deux astres. Si par ailleurs la pronominalisation s'avère malaisée, rien ne s'opposait à l'emploi d'une figure ou d'un hyperonyme » (« planète », « astre »...). Noton enfin que la réticence n'est pas absolue, comme l'indique la présence de celle-ci. La non-substitution se retrouve dans des cas où l'anaphorisation — ici par un adjectif possessif — apparaît comme quasi-obligatoire pour marquer la coréférence 16 (je souligne) : (52) La population [égyptienne, F.M.G.] mène une vie tranquille jusqu'au jour où la mort soudaine de quelques vedettes du cinéma ou de la chanson provoque l'émoi de la population (SM n° 13, p. 5). Elle est typique par ailleurs des travaux universitaires à leur stade initial : (53) II faut remarquer que les élèves ont brossé tous les problèmes de l'Afrique qui sont évoquée dans la pièce. À partir de là nous avons pu mesurer le degré de compréhension de la pièce. La pièce a été vue deux fois par la majorité des élèves (Travail d'étudiant). 16. On peut de la sorte douter de la pertinence, au plan théorique, d'une structure profonde de type (52). 81 Ces quelques cas manifestent un rejet diffus de la substitution, la périphrase, le métalangage. Certes ils concernent surtout des interviews (47, 48, 49, 50, 53) et pourraient s'expliquer par les conditions d'apprentissage de la langue (la règle : « éviter les répétitions » pourrait ne pas y avoir la même force juridique qu'en France). Cependant on peut aussi penser à une interprétation de type sociolinguistique. On sait que, selon B. Bernstein, le passage du « code restreint » au « code élaboré » substitue à une grande fréquence de pronoms sans réfèrent des expres sionsréférentielles alternant avec des anaphores. Le type d'expression redondant e, tel qu'apparu dans la syntaxe de presse, se sépare maximalement du code restreint en éliminant les risques d'ambiguïté par l'ignorance du fait pronominal. Cette attitude ne distingue d'ailleurs pas nettement les valeurs déictùjue et substi tutive du pronom et méconnaît la vertu sténographique de l'anaphore et le renou vellement d'information qu'apporte la substitution lexicale. Misant sur une univocité incontestable du message, elle traduirait un sentiment d'insécurité avec, pour résultat paradoxal, de sécréter un type particulier d'ambiguïté dans les formules de type (52). On peut aussi avancer, à côté de cette interprétation, que tout se passe comme si une entité préalablement introduite n'acquérait aucune saillance et que sa classification n'était jamais assurée : l'écriture ainsi caractérisée va du côté de la référence répétitivement jouée au détriment de la capitalisation mémorielle 17. 3.2. La transgression de la contrainte de Langacker Cette dernière interdit, comme on le sait, à un anaphorique de précéder et de commander (seconde version : c-commander) son antécédent. C'est un cas parti culier du « cycle transformationnel » qui veut que les transformations opèrent à partir du nœud le plus enchâssé. En l'occurrence le Sp dans l'exemple suivant (j'ajoute les indices et le symbole d'agrammaticalité) : (54) *Dane l'intervention du president ilt a invité les délégués à dynamiser leurs organisations en surmontant les divergences (CA n° 1106, p. 13). Avec « président » et « il » coïndiciés, la phrase n'est pas conforme à la norme, qualité qu'elle partage avec celle dont elle est issue par mouvement d'adverbe : (54') *Ili a invité, dans l'intervention du président; [...] puisque la pronominalisation aurait dû d'abord porter sur le nœud le plus enchâssé pour engendrer les phrases grammaticales : « Dans son intervention, le président [...] « et » Dans son intervention, il [...]» 18. 17. Sur ces notions voir G. Kleiber, 1990. 18. Signalons toutefois qu'à la suite de Lakoff, Cilles Fauconnier (1974, p. 43) considère pour des raisons impossibles à développer ici que les phrases de type (54) ne relèvent pas de la contrainte de Langacker mais de mécanismes de surface. 82 Avec : (55) Derrière, soit parce que les autres l'ont sous-estimé, soit parce qu'ils sont éprouvés par une allure soutenue [0] tardent à réagir (S n° 1369, p. 5). un cas analogue se présente : la pronominalisation aurait dû porter sur la causale enchâssée. Cas cependant différent, doit-on préciser, puisque le pronom indéfini est carrément effacé dans la principale 19. Soit introduit une contrainte supplément aire. Est correcte une phrase de type : (56) Parce que Jean; parle espagnol ilj voyage beaucoup au Pérou. Or (56) ne peut être, contrairement à (54), la transformation par mouvement d'adverbe d'une phrase de type (56') (exclue par la contrainte de Langacker) : (56') *Ilj voyage beaucoup au Pérou parce que Jean; parle espagnol. puisque (54), contrairement à (56), est incorrect, quelle que soit la position du groupe adverbial. Une distinction se présente donc : l'anaphorisation est obligatoire si l'élément anaphorisable est enchâssé au second degré : — [dans... [du...]] — [soit... [parce que...]] quel que soit l'ordre de la phrase. Inversement, dans un cas d'enchâssement de rang 1 — comme en (56) — l'anaphorisation n'est plus obligatoire si le groupe précède la principale. Elle peut porter d'abord sur le SN de cette dernière : c'est évidemment ici le principe de sous-jacence qui est concerné. 3.3. La transgression de la règle AlA Avec l'exemple suivant : (57) Décidément on ne se croirait pas au Sahel, dont on parle tant de la morosité (CA n° 1106, p. 10) dont, contrairement à la règle (voir notamment M. Grevisse, op. cit., p. 1098), dépend d'un complément introduit par une préposition. La transgression peut être décrite en termes de règle : « A sur un A ». En effet la structure : (57') [on parle tant [de la morosité [du Sahel]]] dispose bien un Sp à l'intérieur d'un autre Sp ; la pronominalisation relative du terme le plus enchâssé s'en trouve donc bloquée selon la règle qui veut qu'aucune transformation ne puisse déplacer Y dans la position X de la structure : si Y est un A contenu dans un A 20. 19. On notera que si (54) et (55) présentent des cas obligatoires de cataphorisation, cette dernière apparaît ici comme un phénomène de surface (résultat d'une transformation de mouvement). 20. Cette violation est extrêmement courante en Fc et non seulement dans sa variante ordinaire. Grevisse cite le contre-exemple littéraire suivant « La propre maison dont elle ignorait le nom des locataires » (R. Rolland, Jean-Christophe, VI, p. 214), op. cit., p. 1098. 83 3.4. Pronoms manquants ou superfétatoires 3.4.1. Dans de nombreux cas, l'absence de pronom de reprise se constate : (58) En coupe du Faso l'ASFA Yennenga a livré trois matches, [0] gagné deux et enregistré une seule défaite [...] Elle a marqué six buts et [0] encaissé un (CA n° 1100, P. 29). (59) Comme souvenirs je dirais que j'[0] ai beaucoup (S n° 1456, p. 7). (60) Par conséquent la division informe les responsables de ces établissements qu'ayant épuisé les arguments de sensibilisation six (6) 21 ans après l'institution de cette épreuve [0] œuvrera à prendre des sanctions sévères contre ceux qui ont choisi déhbérément de se mettre en travers de la population (S n° 1366, p. 6). (61) II n'est pas de ceux qui ont appris leur métier dans les grandes écoles. Mais [0] n'impose pas son savoir faire et son talent (SM n° 13, p. 6). (62) Quand on est délégué c'est pour travailler au sein de masses, les écouter, [0] comprendre et les aider à la réalisation des tâches concrètes allant dans le sens de leurs intérêts (S n° 1405, p. 9). Ces omissions vont dans le sens de la « contextualisation » du discours : ce qui est supposé connu n'a pas à être dit (G. Manessy, ici même). 3.4.2. Ainsi le en souligne) : (63) De mément On constate symétriquement la présence de pronoms superfétatoires. pléonastique n'est pas rare dans les formules disloquées ou non (je la basilique Notre-Dame-de-la-Paix la presse internationale en avait fait énor écho (SM n° 13, p. 7). (64) Les animaux s'en passent aisément de ses feuilles (SM n° 13, p. 7). П semble qu'ici le style écrit prenne modèle sur la langue parlée, dont on sait qu'elle pratique le pléonasme pronominal de façon suffisamment obstinée pour que des reprises de type : (65) Le professeur, il ne fait rien. soient tenues pour non marquées, contrairement à la structure grammaticale « neutre » (cf. F. Gadet 1989). Toutefois (63) et (64) sont relativement rares en Fc : en reprend en général une entité non précédée de de (pléonasme partiel) 22 ou, en cas de dislocation à droite, est séparé de son anaphorisé par une pause (virgule) : on voit, à l'inverse, que (64) ne constitue pas une simple reprise mais un pléonasme absolu (cf. P. Cadiot 1988). En d'autres termes, (63) et (64) gauchissent l'anaphore du côté de la reduplication pure et simple et manifestent un degré d'agrammatica- 21. Influence rémanente de l'administration coloniale ? L'indication en lettres d'un chiffre est quasi-systématiquement suivie du chiffre lui-même dans les textes burkinabés quels qu'ils soient, alors que cet usage semble réservé en France aux écrite administratifs, juridiques ou financiere. 22. Quand le pléonasme porte sur la préposition la tournure me semble marquée en Fc (mais il s'agit de mon sentiment personnel de la langue) ; cf. ce titre d'une chanson de Françoise Hardy (1963) : « C'est à l'amour auquel je pense. » 84 lité incontestablement supérieur à (65). Il faut évidemment tenir compte du carac tèretout relatif de la pertinence liée à la ponctuation : les lecteurs sont rares et les typographes ne maîtrisent pas forcément la grammaire. Autre cas de figure : on peut rencontrer un clitique sans antécédent déterminable ; ainsi : (66) II convient aussi [...] de rendre hommage à l'O.N.U. qui a réussi dans des conditions particulièrement difficiles à superviser les premières élections libres de la Namibie. Cette présence a considérablement réduit les dérapages et les manifestations qui ^'auraient été au détriment de la SWAPO (S n° 1397, p. 9). Le pronom vaut ici pour l'idée diffuse : « mettre en œuvre », « perpétrer ». Mais cette ellipse « acrobatique » ne renvoie pas à une antecedence : elle travaille « latéralement » dans le champ de l'hypothétique pur. Bien que lacunaires, les données exposées autorisent certaines inferences. A. Se constate d'abord un contraste dans le comportement du locuteur entre Yunivocité (élimination du risque d'ambiguïté) et une écriture de Y ellipse à efface ments peu ou pas (66) récupérables, écriture devenue familière puisque déjà envisagée sous 2.2.C. Une double attitude en découle concernant le décodeur : crédité d'une part d'une sorte de virginité syntaxique ; requis, de l'autre, à pratiquer des catalyses acrobatiques. L'une et l'autre attitudes ont pour effet Y isolement des éléments à occurrence multiple (lecture non coréférentielle possible) ou privés de morphèmes de reprise : les cas (58) à (62) me paraissent tout à fait originaux par rapport au Fc et au français écrit du Québec (cf. G. Offroy, art. cit.). D'autre part le cas (59) accentue la dislocation gauche par delà la thématisation (reprise par un clitique) et la topicalisation (reprise par un anaphorique quelcon que) : il « disloque » littéralement — et non plus métaphoriquement — la phrase. La pratique de l'ellipse tend par aileurs à l'autonomie des propositions, par exemple dans la seconde phrase de (66) où le pronom ne renvoie pas à un syntagme précédent mais à un hors-phrase, un ailleurs à imaginer et construire. B. Ainsi l'usage du pronom — qu'il soit « effacé » ou redondant — contribuet-il paradoxalement à une certaine parataxe : dans le premier cas en ôtant à la phrase sa transitivité par renvois et anticipations, en isolant — dans le second — des éléments mis en focus, soit qu'ils se rattachent au nœud majeur, soit qu'aucun nœud ne leur soit assignable. Les ruptures de construction vont évidemment dans le sens de la « cassure » des phrases. C. Se note enfin pour les entités coïndiciées la possibilité de franchir les « nœuds barrières » de façon plus libérale qu'en Fc. En outre la relation anaphorisant/anaphorisé peut inverser l'ordre grammatical canonique. 4. En guise de conclusion Nos remarques viseront à définir la langue ainsi décrite sous une triple qualité. 85 4.1. Une langue-constellation Comme nous l'avons vu, le composant prépositionnel tend à privilégier la perception et la participation au détriment du notionnel. Sa pratique tend à l'autonomie, vis-à-vis du verbe, d'un complément qui est aussi « assertion d'exis tence ». De façon analogue, la pratique de la rection tend à l'autonomie de la phraserégime par rapport à la tête. Tant dans cette pratique que dans le module préposi tionnel se constate donc une pluralisation des arguments au détriment de la sous-catégorisation lexicale et de l'enchâssement hiérarchique (Sp et P tendant à se rattacher au nœud majeur). La redondance anaphorique va également dans ce sens 23. Ce qui est retiré à la structure phrastique 24 est donné aux classes : d'où l'élargissement du spectre recteur du V et N tête de syntagme, qui indexe la possibilité pour ces catégories de s'agréger plus d'éléments qu'en français central, élargissement extensifet non hiérarchique. On dira donc que la tendance est à la constellation hjelmsle vienne. 4.2. Une langue « classique » Relateurs « en abyme » 25, ellipses portant sur des éléments peu ou pas récu pérables, franchissement désinvolte des « nœuds-barrières » canoniques : autant de traits qui renvoient à l'état classique du Fc. Ainsi pour l'ellipse : (67) Où commence le mal à votre avis ? dans les lieux où on le projette ou dans ceux où on l'accomplit ? (J.-J. Rousseau, Confessions IV). Il en va de même pour l'« accord selon l'idée » avec la figure bien connue de la syllepse et les problèmes d'accord en nombre avec un lexeme de /pluralité/. On pourrait — prudemment — évoquer la thèse de R. Chaudenson concer nant les créoles (1978) et selon laquelle « des tendances analogues se manifestent dans les grammaires successives que se constitue l'enfant dans la période qui précède l'acquisition « définitive » du système grammatical (ontogenèse) et dans la formation, à partir d'une langue européenne, d'un parler créole (phylogenèse) » (pp. 76-77). Dans cette optique la constitution d'un français régional se ferait par le biais de son histoire, d'où le choix de structures diachroniquement obsolètes, parce que moins spécialisées, avec des frontières moins tranchées entre classes (cf. nos remarques sur le rapport entre verbe et substantif), des contraintes moins rigides 23. Ainsi (64) comporte deux arguments : « les animaux font quelque chose », « il y a dee feuilles » . 24. Il faudrait se demander si la cohérence n'est pas, au plan phrastique, d'un autre type : énonciatif, phatique, rythmique. Ce qui expliquerait par exemple l'engouement des français d'Afrique pour donc, dont le propre est de pouvoir se situer à plusieurs sites de la principale et de la subordonnée sans que soient modifiées les relations logico-sémantiques entre les propositions. 25. À distinguer de ce que F. Gadet désignait en 1989 comme « télescopage-amalgame » (cf. F. Gadet, 1989, pp. 89 sq.). 86 en matière de coïndiciation et de récupérabilité des éléments effacés (fût-ce une « idée » diffuse ou hypothétique), une Uberté plus grande accordée au symbole complexe des classes, des ruptures rhétoriques... En matière d'appropriation, ce classicisme considère donc la langue moins comme une hiérarchie de structures que comme une combinatoire de possibles. 4.3. Une langue « conceptuelle » Ce caractère « possible » d'une langue-jeu dont on exige une plasticité apte à formuler toute expérience, me paraît lui-même aller du côté du concept. Si l'on accorde quelque crédit à l'hypothèse présentée par Chomsky (1980) selon laquelle « il se pourrait que le système des structures conceptuelles [...] fût distinct de la faculté de langage quoique lié à elle » (p. 59), on pourrait voir à l'œuvre dans les quelques faits décrits une prégnance de ces structures, reflétant un univers sémant iqueparticulier, dans le procès d'appropriation. Si « langue écrite et pensée abstraite sont étroitement associées » (Oison 1977, cité par Painchaud 1992) il n'est pas surprenant que ces structures s'exercent de façon privilégiée dans les corpus écrits. Le nôtre révèle, de fait, des penchants contradictoires : l'un reflète une situation orale en état d'insécurité ; l'autre vise un code élaboré qui associe, sans discontinuité ni déchirement, des structures sémant iques spécifiques aux structures grammaticales sous-jacentes de la langue central e. La stratégie d'appropriation qui en découle met en œuvre des processus subtils, peu visibles, dont l'étude réservera encore bien des surprises. í Annexe. Référence des périodiques consultés СA : Carrefour africain, « Hebdomadaire burkinabé d'informations ». №" HOU (13 oct. 1989), 1106 (24 nov. 1989). S : Sidwaya (« La vérité est venue » en moore), « Quotidien burkinabé d'information et de mobilisation du peuple ». №" 1366 (27 sept. 1989), 1368 (29 sept.), 1369 (2 oct.), 1383 (23 oct.), 1384 (24 oct.), 1393(7 nov.), 1394(8 nov.), 1395(9 nov.), 1397(13 nov.), 1405(23 nov.), 1458(8 févr. 1990). SM : Sidwaya-Magazine, « Magazine burkinabé de culture et de loisirs ». № 13 (sept. 1989). Y : Yeelen («La Lumière » en dioula), « Organe mensuel de l'Organisation pour la démocratie populaire / Mouvement du travail ». № (spécial) 4, oct. 1989. Effective à partir de 1991, la liberté de la presse a permis la renaissance du quotidien d'opposition au régime sankariste L'Observateur et la parution de deux nouveaux quotidiens : Le Pays et Kibare (« Les Nouvelles » en moore). Un nouvel hebdomadaire, Le Journal du Jeudi, renoue avec une tradition satyrique qu'avait interrompue l'occultation du très sankariste Intrus. Ce dernier titre a lui-même été autorisé à reparaître, en même temps que surgissait le troisième mousquetaire de la presse satyrique : Le Tam-Tam. L' Intrus et le Journal du Jeudi comportent des chroniques en « petit français » sur le modèle de la Chronique de Moussa ď Ivoire-Dimanche (Côte-d'Ivoire). Tel était, en y ajoutant un périodique sportif Big Z (pour Zoungrana, chroniqueur sportif) le panorama de la presse burkinabée en juin 1992. Panorama très différent de celui qui avait servi de cadre à notre enquête (sept. 1989-fév. 1990) puisque seuls quelques titres, évidemment régimistes, étaient disponibles à cette époque. Ajoutons que l'intégralité du contenu est en français, les langues « national e » ne servant guère, comme on a pu le constater, qu'à fournir des titres. 87 Bibliographie * BOSREDON, Bernard et TAMBA, Irène, 1991 : « Verre à pied, moule à gaufres : prépositions et noms composés de sous-classes ». Langue française n° 91, Larousse, Paris. 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