la conciliation entre vie familiale et vie profes-
sionnelle.
M. Godet et É. Sullerot se focalisent ensuite sur
les enfants défavorisés, en s’efforçant de dépasser
la question monétaire pour appréhender leur
environnement familial et leur cadre de vie. Si la
pauvreté a baissé depuis trente ans, les auteurs
constatent qu’elle concerne fortement les enfants
de familles nombreuses. La défense de ces dernières
traverse d’ailleurs l’ensemble de l’étude. À de
multiples reprises, est ainsi regretté le faible inté-
rêt qui leur est accordé, à la différence des fa-
milles monoparentales. L’économiste et la socio-
logue s’intéressent, en outre, dans cette partie, à la
reproduction sociale des inégalités, à la ségréga-
tion scolaire, ainsi qu’aux méfaits des mésententes
conjugales sur les enfants.
Le dernier constat des rapporteurs, introductif à la
synthèse de leurs propositions, est celui du carac-
tère insuffisant de la politique familiale : le surplus
de revenu qu’elle induit ne compense pas le coût
de la venue de l’enfant, entraînant ainsi une pau-
périsation de sa famille. Le niveau de vie de toutes
les catégories sociales chute de l’ordre de 10 %
avec le premier enfant, autant avec le second et à
peu près du même ordre avec le troisième. Les
auteurs mettent en regard le coût de l’enfant dans
sa cellule familiale au coût de la « non-famille »,
c’est-à-dire à la somme que les pouvoirs publics
déboursent pour confier l’enfant à une famille
d’accueil ou à un établissement en cas de défail-
lance de ses géniteurs (de 15 000 euros à 30 000
euros), et constatent que le surplus de revenu
accordé aux parents pour élever leur enfant reste
d’un montant faible. Dans cette optique, le rapport
préconise un renforcement du volet horizontal de
la politique familiale, en déplafonnant le quotient
familial à partir du troisième enfant et en ramenant
le coefficient conjugal de2à1,7.Au-delà, il pro-
pose surtout de familialiser la CSG, car elle consti-
tue un prélèvement proportionnel au revenu qui ne
tient pas compte de la capacité contributive des
ménages. Cette mesure, la plus emblématique du
rapport, est également la plus contestée. Certains
pensent, par exemple, que les familles avec enfants
profitent plus que les autres de la CSG, cette der-
nière finançant des prestations au contenu redistri-
butif fort (5).
Au chapitre des propositions, le rapport ne s’en
tient pas là. Il liste une série de douze mesures
prioritaires pour l’action publique, visant notam-
ment à clarifier les enjeux respectifs de la poli-
tique familiale et de la politique sociale. Après
avoir montré les effets pervers des différents cibla-
ges de populations, il prône une universalisation
plus importante des dispositifs existants : « En
bonne logique et sur le long terme, il faudrait élar-
gir la composante universelle de la politique fami-
liale en supprimant les conditions de ressources
mais en soumettant l’ensemble des prestations
Recherches et Prévisions n° 85 - septembre 2006
98 Comptes rendus de lectures
familiale à l’impôt sur le revenu » (p. 223).
En matière de conciliation vie professionnelle et
vie familiale, outre l’injonction à garantir l’égalité
d’accès aux services d’accueil de la petite enfance
et le libre choix du mode de garde, on retiendra
l’idée d’inclure une part familiale et une contri-
bution jeunesse dans le compte épargne temps, et
d’introduire un volet familial dans la responsa-
bilité sociale des entreprises.
Le recours à l’immigration – que M. Godet et
E. Sullerot appellent de leurs vœux – est assorti,
quant à lui, de conditions : les auteurs sont favo-
rables à une immigration choisie sur le modèle
des États-Unis (avec un système de quotas), et à
une politique d’intégration plus ambitieuse, repre-
nant en cela les critiques formulées par la Cour
des comptes. Quelques mesures avancées ont trait
au système éducatif. Parmi d’autres : modulation
du nombre d’élèves par classe suivant les établis-
sements, révision du système d’attribution des
bourses selon la taille des familles et le mérite des
élèves.
Enfin, plusieurs suggestions touchent directement
à l’enjeu de la connaissance du fait familial et
de ses contraintes économiques. Les rapporteurs
appuient notamment un rassemblement et un
développement des connaissances relatives aux
familles nombreuses et aux familles immigrées,
ainsi que la mise en place d’un dispositif annuel
d’évaluation des coûts de l’enfant et de ceux de la
« non-famille ».
Au sortir de la lecture de l’ouvrage, l’impression
qui domine est que les auteurs ont globalement
rempli leur mission. Le rapport témoigne en parti-
culier d’un travail impressionnant réalisé sur les
données statistiques. Véritable morceau d’érudi-
tion, il fourmille d’analyses et de préconisations
dont beaucoup paraissent judicieuses. Il n’est
cependant pas exempt de faiblesses.
Sur la forme d’abord, si le ton vigoureux du
rapport rend la lecture attractive, le parti pris
polémique de beaucoup de formulations paraît
étonnant dans un document de ce type.
M. Godet et É. Sullerot parlent ainsi « d’omerta
démographique »«d’apartheid urbain et scolaire »,
de « ghéttoïsation » ; dénoncent pêle-mêle les
35 heures, la dictature du « politiquement correct »,
le « refus de voir » des élites et des économistes.
Ils reprochent même aux écologistes (p. 36-37) de
ne pas se mobiliser face au non-renouvellement
de certaines « variétés culturelles » de l’espèce
humaine (en l’occurrence, les Italiens du Nord et
les Catalans !). Certaines formules particulière-
ment abruptes décrédibilisent l’analyse, qui
s’avère souvent beaucoup plus nuancée qu’il n’y
paraît au premier abord.
Sur le fond, les limites de l’ouvrage concernent à la
fois l’analyse économique et l’analyse socio-
logique. Au plan économique, M. Godet appuie
fortement la thèse selon laquelle il existerait un