n°247 le changement climatique

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N° 247
SEPTEMBRE-OCTOBRE 2015
14,00 E
R E V U E D E L’ A D M I N I S T R A T I O N T E R R I T O R I A L E D E L’ E T A T
LE CHANGEMENT
CLIMATIQUE
n Etat des lieux des connaissances
n La préparation et les objectifs
n La France en première ligne dans la lutte contre les changements climatiques
n Une préoccupation planétaire
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tat - Istanbul 2015 - Tu
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es Journées européennes de
22
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ET AUSSI…
HISTOIRE : Conséquences écologiques et économiques
induites par les dévastations faites par l’homme dans
la Lybie antique. LIBRES OPINIONS : Les principaux
enjeux du Décret 2011-1474 ; Comment écrire l’histoire
de notre métier ? LIVRES...
Une publication de l’Association du Corps Préfectoral et des Hauts Fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur
S O M M A I R E
P.44
Le débat citoyen
planétaire sur le
climat et l’énergie
P.131
Changement
climatique et santé :
OMS et OMM vers une
nouvelle collaboration
P.36
Penser le climat autrement :
la tyrannie de l’urgence ?
AVANT-PROPOS
4
36 P
enser le climat autrement : la tyrannie de l’urgence ?
par M. Michel PUECH, Philosophe, Maître de conférences à la
Sorbonne, Université Paris-Sorbonne
M
. François HOLLANDE, Président de la République
INTRODUCTION
6
8
LA PRÉPARATION ET LES OBJECTIFS
T
ous acteurs de la transition énergétique, tous mobilisés pour la
réussite du sommet Paris Climat - Mme Ségolène ROYAL, Ministre
de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie
L
es enjeux de la Conférence Paris Climat 2015, M. Laurent FABIUS,
Ministre des Affaires étrangères et du Développement international
38 L
’énergie, dossier européen par excellence, entretien avec
M. Dominique RISTORI, Directeur général de la DG Energie,
Commission européenne
42 V
ers des mesures concrètes : l’Agenda des Solutions, par Mme
Laurence TUBIANA, Ambassadrice chargée des négociations sur le
changement climatique, représentante spéciale pour la Conférence
Paris Climat 2015
44 L
e débat citoyen planétaire sur le climat et l’énergie, par M. Christian
LEYRIT, Préfet de Région (h), Président de la Commission
Nationale du Débat Public
48 C
onvaincre l’humanité de se sauver d’elle-même, par M. Nicolas
HULOT, Envoyé spécial du Président de la République pour la
protection de la planète, Président de la Fondation Nicolas Hulot
pour la Nature et l’Homme
52 L
a France va porter son effort vers la sobriété et les énergies peu
carbonées, entretien avec M. François BROTTES, Député de l’ Isère
55 L
’intégration des enjeux économiques et environnementaux de la
transition énergétique, par MM. Alain GRANDJEAN et Jean-Marc
JANCOVICI, associés de « Carbone 4 »
61 C
hangement climatique et eau…, par M. Pierre ROUSSEL,
Président de l’Office National de l’Eau
67 C
oncilier développement et lutte contre le dérèglement climatique,
Agence Française pour le Développement – AFD
ETAT DES LIEUX DES CONNAISSANCES
10 C
limat : responsabilités et esprit d’innovation, par M. Gilles
BERHAULT, Président du Comité 21 et du Club France Développement
durable, Organisateur et porte-parole de Solutions COP 21
12 L
e climat en France au 21ème siècle : les scénarios de changements
climatiques jusqu’en 2100, M. Jean JOUZEL, Climatologue et
glaciologue, Prix Nobel, Directeur de recherche au CEA
17 Q
uelles sont les dernières observations de l’OMM sur les
changements climatiques au niveau mondial ? Entretien avec
M. Michel JARRAUD, Secrétaire général de l’Organisation
Météorologique Mondiale
21 A
daptation au changement climatique et aux évènements extrêmes
sur le territoire, par M. Marc GILLET, fondateur de l’Observatoire
National sur les Effets du Réchauffement Climatique
26 L
es conséquences du changement climatique sur la biodiversité, par
M. Philippe GERMA, Directeur général du WWF France
30 B
iodiversité et changements climatiques, entretien avec M. Bernard
CHEVASSUS-AU-LOUIS, ancien Président du Muséum national
d’Histoire naturelle, Président de l’association Humanité et
Biodiversité
33 L
a lutte contre le changement climatique : un levier pour protéger
la santé humaine, réduire les inégalités et préserver l’environnement,
par M. Jean-Claude AMEISEN, Président du Comité consultatif
national d’éthique
LA FRANCE EN PREMIÈRE LIGNE DANS LA LUTTE
CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
74 L
es énergies renouvelables doivent être au cœur de nos politiques
climatiques, entretien avec M. Jean-Louis BAL, Président du
Syndicat des énergies renouvelables
1
002-SOMMAIRE 247.indd 2
Administration • N° 247
21/09/15 21:25
S O M M A I R E
P.26
Les conséquences du
changement climatique
sur la biodiversité
P.67
Concilier
développement et lutte
contre le dérèglement
climatique, Agence
Française pour le
Développement (AFD)
P.88
Prévenir les catastrophes
naturelles et y répondre : l’exemple
du risque TSUNAMI aux Antilles
77 U
ne structure au service du développement durable, par M. Alain
VALLET, Directeur régional de la DRIEE, Ile de France
78 C
OP 21 : SNCF du côté des solutions pour une mobilité durable, par
M. Stéphane VOLANT Secrétaire général de SNCF
84 L
es TAAF, sentinelles du changement climatique, par Mme Cécile
POZZO DI BORGO, Préfète, Administrateur supérieur des Terres
Australes et Antarctiques françaises
88 P
révenir les catastrophes naturelles et y répondre : l’exemple du
risque TSUNAMI aux Antilles, par M. Fabrice RIGOULET-ROZE,
Préfet de la Martinique
90 A
griculture, forêt et bioéconomie face à COP 21, par M. Claude
ROY, Président du CLUB des Bioéconomistes, membre du Conseil
général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux
94 G
randes entreprises : les stratégies d’adaptation mises en place pour
minimiser les conséquences du dérèglement climatique, par M.
Paul-Antoine SEBBE, Directeur général de SEDE Environnement
98 U
n phénomène en voie d’élargissement : l’adaptation des entreprises
au changement climatique, Mme Claire TUTENUIT, Déléguée
générale de l’association « Les entreprises pour l’environnement »
104L’éolien, une filière dynamique qui participe à la solution dans la
lutte contre le réchauffement climatique, par M. Frédéric LANOË,
Président de la Fédération française éolienne, porte-parole des
professionnels éoliens
108Un investisseur responsable face aux enjeux climatiques, par M.
Philippe DEFOSSES, Directeur de l’Etablissement de retraite
additionnelle de la fonction publique
110Comment l’école mobilise les élèves autour de la problématique du
changement climatique, par Mme Patricia GALEAZZI, Inspectrice
d’académie, Directrice académique des services de l’Education
nationale de Seine-et-Marne
113Moustiques : la Métropole face aux nouveaux risques sanitaires,
par M. Jérôme de MAUPEOU d’ABLEIGES, Ingénieur principal,
Directeur général de l’Etablissement public interdépartemental pour
la démoustication du littoral atlantique
N° 247 • Administration
002-SOMMAIRE 247.indd 3
UNE PRÉOCCUPATION PLANÉTAIRE
118Les atolls, des territoires menacés par le changement climatique
global ? L’exemple de Kiribati – Pacifique Sud, par Mme Esméralda
LONGEPEE, Maître de conférences en géographie, Centre
universitaire de formation et de recherche de Mayotte
127Les forêts et le cycle mondial du carbone, Directive relative au
changement climatique édictée par l’Organisation des Nations unies
pour l’alimentation et l’agriculture, FAO
131Changement climatique et santé : OMS et OMM vers une nouvelle
collaboration
138Erosion du littoral, un phénomène mondial
HISTOIRE
142Conséquences écologiques et économiques induites par les
dévastations faites par l’homme dans la Lybie antique, par M.
Philippe LEBLANC, Directeur de cabinet du Directeur général des
étrangers en France, ministère de l’Intérieur
AERTE
14522ème Journées européennes des représentants territoriaux de l’Etat Istanbul 2015 - Turquie
LIBRES OPINIONS
160Les principaux enjeux du Décret 2011-1474
164Comment écrire l’histoire de notre métier ?
LIVRES
165Pape François : « Loué sois-Tu ». Encyclique • Histoire du climat
depuis l’An Mil. Emmanuel Leroy Ladurie • 1177 avant J.-C., le jour
où la civilisation s’est effondrée. Eric H. Cline • L’Homme face au
climat, CNRDD- GOF • Le climat à quel prix ? Christian de Perthuis
et Raphaël Trotignon • La France au défi. Hubert Védrine
2
21/09/15 21:25
AVANT-PROPOS
M. FRANÇOIS HOLLANDE
PRÉSIDENT
DE LA RÉPUBLIQUE
D
u 30 novembre au 11 décembre
prochains, la France accueillera la
21ième conférence des Nations Unies
sur les changements climatiques,
la plus vaste conférence internationale jamais
organisée par la France. L’organisation de cet
évènement exceptionnel est déjà un défi en soi
pour l’ensemble des services de l’Etat.
Le changement climatique n’est pas une question
sectorielle, qu’il faudrait traiter à part, en aval
de tous les autres sujets jugés plus prioritaires.
Ses impacts se font déjà sentir partout dans le
monde, y compris dans notre pays, avec des
coûts croissants en termes humains, économiques
et sociaux. L’inaction aurait des conséquences
d’une extrême gravité. Sur notre propre mode
de vie. Et sur la vie même de certaines espèces.
C’est surtout une grande responsabilité pour
notre pays. Il y a en effet urgence à agir pour limiter le réchauffement climatique, dû essentiellement aux activités humaines et à la combustion des énergies fossiles, comme en attestent
les travaux des scientifiques au sein du GIEC.
Le réchauffement climatique aggrave le dénuement des populations les plus pauvres, pousse
aujourd’hui des millions de personnes à fuir
des régions devenues inhabitables, où prospèrent
alors les trafics de toutes sortes. La question
4
M. FRANÇOIS HOLLANDE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, (SUITE)
des migrations, qui interpelle si fortement aujourd’hui l’Union européenne, ne pourra être
traitée sans établir le lien entre sécurité et développement durable, partie intégrante aujourd’hui de la résolution de conflits aux causes
multiples.
gagements pris, qui répondent aux besoins
des pays les plus vulnérables.
Bref, un accord facteur de progrès et de coopération pour un monde plus humain.
Pour réussir, nous avons besoin non seulement
du savoir-faire de nos diplomates pour faire
aboutir la négociation, mais aussi de la mobilisation de tous les acteurs de la société. Nos administrations doivent être pleinement engagées
et intégrer l’enjeu écologique, dans l’ensemble
des politiques publiques qu’elles ont à mettre
en œuvre, à tous les échelons.
A tous les niveaux, la France s’engage pour le
climat. Elle met en œuvre résolument la transition énergétique et la croissance verte sur son
territoire, y compris en outremer. Elle travaille
à ce que l’Union européenne se dote d’une politique énergétique plus cohérente et plus ambitieuse. L’objectif enfin est de conclure à Paris
un accord universel à la hauteur des enjeux.
Déjà beaucoup d’initiatives innovantes ont été
prises, et les nouveaux contrats de plan Etatrégions font désormais une large place aux
projets liés à la transition énergétique élaborés
avec l’ensemble des responsables des territoires
concernés. Nos expériences en matière de ville
durable et d’aménagement du territoire sont
de plus en plus reconnues dans le monde entier.
QUEL ACCORD CHERCHONS-NOUS ?
• Un accord historique, qui marque une nouvelle
ère par son caractère universel, et par l’association
des acteurs de la société civile à cette profonde
mutation
• Un accord ambitieux, qui nous permette
vraiment de limiter le réchauffement de la
planète à 2°C par rapport à l’ère préindustrielle,
comme le recommandent les scientifiques.
La transition énergétique ne constitue pas une
contrainte. Elle est une source de formidables
opportunités à saisir pour inventer les activités
et les emplois de demain, et tracer des perspectives pour les jeunes générations tout particulièrement.
• Un accord dynamique, qui trace des trajectoires
lisibles et réalisables
• Un accord différencié selon les responsabilités
et les capacités de chaque pays
La mobilisation croissante des États, des régions,
des entreprises, de la société civile pour trouver
les solutions adéquates en mesure de relever le
défi climatique, traduit l’ardent espoir suscité
par le grand rendez-vous de décembre 2015 à
Paris d’un développement plus durable et équitable.
• Un accord crédible, qui donne le signal fort
tant attendu des acteurs économiques et financiers pour engager la transformation économique et technologique
• Un accord soutenu par des financements à
la hauteur des enjeux, conformément aux en-
Il est de notre devoir de le concrétiser.
5
INTRODUCTION
MME SÉGOLÈNE
ROYAL
MINISTRE DE L’ECOLOGIE,
DU DÉVELOPPEMENT
DURABLE ET DE L’ÉNERGIE
TOUS ACTEURS DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
TOUS MOBILISÉS POUR LA RÉUSSITE DU SOMMET
PARIS CLIMAT
P
our que la Conférence de Paris sur le climat
débouche sur des résultats à la hauteur des
enjeux de la lutte contre le dérèglement climatique, il ne faut pas seulement que les Etats prennent
ensemble des engagements ambitieux : il faut que
toutes les forces vives de la société civile, les citoyens,
les entreprises, les territoires, se mobilisent pour agir
dans la même direction.
Les grandes orientations à court et moyen terme y
sont clairement indiquées. Elles permettent à tous
les acteurs de prendre leurs décisions en connaissance
de cause et sécurisent les investissements nécessaires.
Le premier grand chantier, c’est l’efficacité énergétique
des bâtiments et des logements car l’énergie la plus
protectrice du climat et la moins chère, c’est celle
qu’on ne consomme pas. Rénover les constructions
existantes, développer l’éco-construction et les bâtiments à énergie passive ou positive, cela permet de
baisser les charges des ménages, des entreprises et
des collectivités.
Ce sont aussi plus d’activités pour le secteur du
bâtiment, des grands groupes aux PME et artisans, et
plus d’emplois (75.000 emplois supplémentaires selon
les fédérations professionnelles).
LA FRANCE A FAIT
LE CHOIX D’ÊTRE EXEMPLAIRE
Elle est le seul pays à avoir donné force de loi aux
objectifs qu’elle s’est fixés, avec l’Union européenne,
et aux moyens de les atteindre.
Avec la promulgation, le 17 août 2015, de la loi sur la
transition énergétique pour la croissance verte et avec
les plans d’action qui l’accompagnent, notre pays
engage de manière irréversible la construction de son
nouveau modèle énergétique.
C’est, à ce jour, la législation la plus complète, en
Europe et dans le monde.
Un outil pour agir, ici et maintenant.
Un atout pour convaincre et entraîner tous les pays
qui participeront en décembre au Sommet de Paris.
La création du crédit d’impôt de 30% (dans la limite
de 8.000 euros pour une personne seule ou de 16.000
euros pour un couple) et d’un éco-prêt à taux zéro
simplifié, la mise en place par les Régions du tiers financement (pour faire aux particuliers l’avance du
6
MME SÉGOLÈNE ROYAL MINISTRE DE L’ECOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’ÉNERGIE (SUITE)
coût des travaux), la généralisation dans tous les territoires des plateformes de la rénovation énergétique
sont autant de moyens concrets et accessibles à chacun
pour lancer sans tarder des travaux d’isolation et de
performance énergétique.
cement de la transition énergétique géré par la Caisse
des dépôts.
Nombre de dispositions de la nouvelle loi sont d’application immédiate. Présidente pendant dix ans d’une
Région qui a fait le choix de l’excellence environnementale, je sais de quel dynamisme nos territoires
sont capables quand l’élan est donné, les freins levés
et des moyens d’agir opérationnels mis en place.
Le deuxième grand chantier concerne les transports
propres, pour réduire la pollution de l’air, préparer
l’après-pétrole et accélérer le remplacement du
parc de voitures (particulières et utilitaires), de
camions, de cars, de bus par des véhicules faiblement
émetteurs.
Pour la croissance verte, les entreprises sont de plus
en plus nombreuses à s’engager, comme l’a montré le
Business Summit organisé à Paris en mai dernier
dans le cadre de la préparation de la COP 21.
Le nouveau bonus de 10.000 euros pour remplacer
un vieux diésel par une voiture électrique est en place
depuis avril 2015 et le plan de déploiement de 7
millions de points de recharge est lancé. La loi fait
également obligation aux administrations, lorsqu’elles
renouvellent leur flotte, d’acquérir au moins 50% de
véhicules propres.
En France, grands groupes et PME se mobilisent avec
l’aide des appels d’offre du Ministère de l’Ecologie, du
Programme des investissements d’avenir et de BPI France,
la banque de la transition énergétique et écologique.
Innovation technologique, développement de filières
d’avenir, création d’activités nouvelles et d’emplois
durables, gains de compétitivité et conquête de marchés
à l’international : nos entreprises, confortées par les
choix clairs de la loi, prennent activement le tournant
de la nouvelle économie climatique.
Troisième chantier : la lutte contre les gaspillages.
La loi inscrit pour la première fois dans notre droit
positif l’économie circulaire qui fait des déchets des
uns la matière première des autres et englobe tout le
cycle de vie des produits, de leur conception à leur recyclage.
L’appel à projets « Territoires zéro déchet, zéro gaspillage »,
lancé par le Ministère de l’Ecologie, a déjà suscité
l’engagement de 293 collectivités qui rassemblent,
dans toutes les régions, plus de 7,5 millions d’habitants
et cette dynamique va s’amplifier.
La clef de la réussite, c’est la mobilisation de tous les
Français, dès lors qu’ils sont conscients des enjeux du
dérèglement climatique, convaincus que chacun peut
agir à son échelle et que ce qui est bon pour le climat
l’est aussi pour eux : pour l’emploi, pour le pouvoir
d’achat, pour la santé.
C’est dire l’importance de l’éducation précoce à l’environnement, du partage de l’information, de la proximité des plateformes de conseil sur la transition énergétique, de la simplicité des aides mises à la disposition
de chacun et de l’association de tous les citoyens aux
décisions qui les concernent.
Le quatrième chantier, c’est la montée en puissance
de toutes les énergies renouvelables qui deviennent
de plus en plus compétitives : éoliennes (qui viennent
d’atteindre 10.000 MW de puissance installée), solaires
(le photovoltaïque dépasse les 6.000 MW), marines,
biomasse, géothermie, hydraulique…
Visibilité des objectifs pour les entreprises et les collectivités, implication des citoyens grâce au nouvel
investissement participatif, simplification avec le permis
unique : la loi et les appels à projets qui l’accompagnent
permettent de changer d’échelle.
La Conférence de Paris Climat 2015 mettra en valeur
le foisonnement d’initiatives de la société civile et de
solutions concrètes à portée de toutes les mains.
L’Espace Génération Climat leur sera dédié et les demandes affluent pour y tenir un stand ou animer une
rencontre. Un espace réservé aux entreprises, également
sur le site du Bourget, constituera une véritable vitrine
des technologies et de l’excellence françaises.
Plus de 300 contrats de territoires à énergie positive
ont déjà été signés par des villes et des groupements
de communes qui s’engagent à améliorer l’efficacité
énergétique des bâtiments et de l’éclairage public, à
promouvoir des modes de transports propres, à gérer
plus efficacement leurs déchets, à produire localement
des énergies vertes, à déployer des compteurs intelligents
qui permettent à chacun de maîtriser sa consommation,
à protéger et valoriser la biodiversité, à développer
l’éducation à l’environnement.
Ces territoires moteurs de la mutation écologique bénéficient de subventions du nouveau fonds de finan-
Dans tout le pays, en relation avec ce grand rendezvous mondial et avec le nouvel horizon de notre
propre mutation énergétique, des centaines de projets
économiques, technologiques, civiques, éducatifs, artistiques et même sportifs témoignent que la prise de
conscience, la créativité et le désir d’agir sont là. C’est
un bel encouragement pour réussir le Sommet que
nous accueillons et en faire un moment d’accélération,
pour la France et tous les pays du monde. å
7
INTRODUCTION
M. LAURENT
FABIUS
MINISTRE DES AFFAIRES
ÉTRANGÈRES ET DU
DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL
LES ENJEUX DE LA CONFÉRENCE PARIS CLIMAT 2015
2015 sera pour la France, et en particulier pour le Ministère des Affaires étrangères et du Développement international, une « année climat ». Nous aurons la double tâche d’accueillir la 21e Conférence des Nations Unies sur le
climat – la COP 21 – et de la présider. Elle aura lieu du 30 novembre au 11 décembre de cette année.
ACCUEILLIR : LE DÉFI N’EST PAS MINCE
Il s’agira de la plus vaste conférence internationale jamais
organisée en France – 20 000 délégués, 20 000 invités,
3 000 journalistes. En tant que pays hôte, la France devra
aménager un accueil à la hauteur de l’enjeu. Nous devrons
d’abord faire du Parc des expositions Paris-Le Bourget le
cadre adéquat pour les négociations : dans ces conférences,
les discussions sont longues, difficiles ; nous devrons permettre qu’elles aient lieu dans des conditions matérielles
favorables. Nous devrons associer largement la société
civile : c’est l’objectif du « village » que nous installerons
à proximité du centre de conférences et qui sera consacré
à la mise en valeur d’initiatives non gouvernementales,
notamment celles des entreprises, des villes, des régions
ou des associations. Nous devrons faire en sorte que la
COP 21 soit irréprochable sur le plan environnemental
et que son empreinte carbone soit compensée.
Accueillir de façon exemplaire, donc.
pour la première fois, les Etats-Unis et un certain nombre
de pays émergents ont pris des engagements chiffrés,
bien que non contraignants. En 2012 à Doha, le protocole
de Kyoto a pu être prolongé jusqu’en 2020. Mais la
réponse collective a été globalement très en-deçà de l’ampleur du défi climatique. Le niveau des émissions de gaz à
effet de serre a récemment atteint un record. Nous sommes
sur le chemin d’une hausse moyenne des températures
de trois à quatre degrés – un scénario catastrophe.
Pour autant, pour la première fois depuis Copenhague,
l’espoir d’un accord substantiel à Paris en décembre
2015 est réel. Je vois au moins trois grandes raisons.
D’abord, beaucoup ont compris qu’il fallait agir. Aujourd’hui, presque tous les pays du monde sont conscients
de la gravité de la situation. Le climato-scepticisme
recule. Le sentiment d’urgence progresse. Les constats
des scientifiques ont leur part importante dans cette
évolution : chaque rapport du GIEC est un coup porté à
ceux qui ne veulent pas voir la réalité en face. Mais, plus
intuitivement, des phénomènes comme la pollution
croissante, la montée des océans, la déforestation sont
des aiguillons puissants pour l’action. Les pays émergents
prennent conscience de leur vulnérabilité.
IL NOUS FAUDRA AUSSI PRÉSIDER LA COP 21
La tâche s’annonce exaltante, car l’urgence n’a jamais
été aussi forte, et l’espoir de parvenir à un accord
historique pour la préservation de notre planète jamais
aussi grand. Mais cette tâche est aussi très complexe car
il s’agit de mettre d’accord 195 pays, sur un sujet très
ardu : les obstacles ne manqueront pas.
Ensuite, nous savons que nous disposons de moyens
pour agir. Les solutions technologiques sont là et elles
sont de plus en plus abordables. Produire propre ne sera
bientôt pas plus cher que de produire polluant. Là
encore, il s’agit d’une évolution très nette.
D’abord, sur le diagnostic, soyons lucides : si l’on dresse
le bilan de la négociation internationale sur le dérèglement
climatique, l’échec a été malheureusement la règle, le
succès l’exception. A l’exception du protocole de Kyoto,
la négociation internationale sur le climat a été une suite
d’espoirs déçus. Copenhague en 2009 a déçu, même si
Enfin, la volonté politique s’est renforcée. Les derniers
mois de 2014 ont été, dans ce domaine, positives. En
septembre, le sommet sur le climat organisé à New York
8
LAURENT FABIUS, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL (SUITE)
par le Secrétaire général des Nations Unies a été une
réussite. En octobre, l’Union européenne a été la première
à présenter son objectif de réduction des émissions de
gaz à effet de serre après 2020 : réduction d’au moins
40 % d’ici à 2030 par rapport à 1990, ce qui constitue
l’engagement climatique le plus ambitieux au monde à
ce stade. La France, pays de la loi sur la transition énergétique, a joué un rôle important pour pousser à cet
accord, qui n’a pas été facile à atteindre. En novembre
l’accord entre la Chine et les Etats-Unis a marqué un
tournant : les deux pays les plus pollueurs – qui
représentent à eux deux plus de 40 % du total mondial
des émissions de gaz à effet de serre – ont annoncé leur
intention de réduire leurs émissions, la Chine fixant un
pic autour de 2030, et « si possible avant ». Enfin, le
Fonds vert pour le climat a été capitalisé à hauteur de
10,2 milliards de dollars, ce qui était l’objectif. La France
avait lancé le mouvement en septembre à New York, en
annonçant une contribution d’un milliard de dollars.
maintien d’un environnement vivable pour les autres,
et de vie ou de disparition pour des dizaines de millions
d’habitants sur notre planète.
La France devra aussi porter un discours positif sur le
climat : tous les acteurs – Etats, mais aussi régions, villes,
entreprises – doivent mesurer que la lutte contre le dérèglement climatique constitue non seulement une nécessité,
mais aussi une opportunité. C’est l’occasion, pour la
planète tout entière, de définir de nouveaux modèles de
développement, porteurs de croissance et d’emplois. Il
s’agit d’un point majeur : la négociation se jouera pour
partie sur le terrain des valeurs – la solidarité à l’égard des
générations futures, la préservation nécessaire de notre
planète –, mais elle se gagnera aussi sur le terrain économique.
Ce que l’on demande aux différents pays, c’est de repenser
leur modèle de développement pour les prochaines décennies, ce qui implique qu’on apporte également à ces
pays des solutions. Pour ne prendre qu’un exemple, on ne
convaincra pas l’Inde, dont 40 % de la population n’a pas
accès à l’électricité, de ralentir sa production électrique ou
de ne pas construire de centrale à charbon si elle n’a pas
d’autre solution crédible. Face à une réalité si brute, les
postures stigmatisantes sont de peu d’effet – voire contreproductives. Et reconnaissons que, sur la question climatique,
l’Occident industrialisé a pu parfois céder à cette facilité.
L’Union européenne a raison de viser l’idéal ; mais elle
doit aussi comprendre la réalité de ceux qui n’ont pas
connu la même trajectoire de développement qu’elle.
Lors de la COP 20 à Lima, en décembre, les discussions
ont été difficiles, même si nous avons réussi l’essentiel :
éviter un blocage ; obtenir une décision qui constitue
une base de travail pour l’année qui s’ouvre ; définir le
contenu et le processus d’évaluation des contributions
nationales. Nous devons faire preuve, en ce début 2015,
d’un optimisme mobilisateur, qui incite à l’action.
Dans notre esprit, l’accord de Paris en décembre prochain
pourrait être constitué de quatre piliers : l’accord intergouvernemental, portant sur les objectifs communs, les
droits et les devoirs de chacun, les règles de suivi ; les engagements nationaux, notamment de réduction des
émissions ; un accompagnement financier et technologique, notamment en faveur des pays les plus vulnérables
– l’Afrique, les petites îles du groupe AOSIS, sans exclure
des pays émergents comme l’Inde –, que nous devons
aider à relever le défi de la transition vers une économie
sobre en carbone ; des engagements et des actions complémentaires, émanant notamment d’acteurs non gouvernementaux : villes, régions, entreprises, société civile
– ce que nous appelons « l’agenda des solutions ».
C’est pourquoi j’entamerai dès janvier un « tour du
monde du climat », qui me conduira notamment en
Inde, en Chine, et dans plusieurs autres pays émergents,
afin d’identifier avec eux comment nous pouvons collectivement, par des solutions concrètes et crédibles, les
accompagner dans leur transition écologique. Nous
devons associer pour réussir.
Associer les Etats, mais aussi les acteurs du secteur privé,
qui auront à se mobiliser pour prendre des engagements
volontaires – c’est tout l’esprit de l’agenda des solutions.
Les entreprises doivent nous aider à identifier les leviers
permettant d’accélérer la décarbonation des économies
des pays émergents. Chacun doit saisir l’occasion de
contribuer à la solution d’ensemble.
Pour parvenir à cet accord, beaucoup reste évidemment
à faire. Nous allons travailler précisément sur les points
qui restent en suspens. Personnellement, je consacrerai
au moins la moitié de mon temps à ce sujet en 2015,
avec plusieurs mots d’ordre. L’écoute, parce que l’une
des clés du succès réside dans la prise en compte des différences de situation entre les pays. L’esprit de compromis,
parce que parvenir à un accord universel implique de
rassembler 196 parties avec l’Union européenne sur des
sujets lourds, qui nous engagent pour des décennies.
L’ambition, enfin, parce que sans accord ambitieux, nous
ne serons pas à la hauteur de l’enjeu, qui est de limiter la
hausse des températures à 2°C par rapport au niveau
pré-industriel : ce sera très difficile, mais c’est un enjeu
de survie pour de nombreuses régions du globe, de
La France, en tant que présidente de la COP 21, ne ménagera pas ses efforts tout au long de l’année 2015. Le
Ministère des Affaires étrangères et du Développement
sera à la pointe de ce combat pour le climat. Mais seule
une mobilisation collective peut nous conduire au succès.
Le travail qui nous attend constitue sans doute le défi le
plus important, le plus grave aussi, auquel ait à faire face
notre génération. D’ici à décembre 2015, en cette année
décisive pour l’avenir de notre planète, il nous faudra
nous montrer à la hauteur des enjeux. å
Sources : Reproduit avec l’aimable autorisation de la Revue « L’ENA
hors les murs ».
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