Entre médecine et sciences humaines, le praticien-chercheur en Médecine
générale au coeur d'un défi épistémologique
Jean-Paul CANEVET1
Cédric RAT2
Vanessa CAPRON3
Maud JOURDAIN4
Remy SENAND5
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Discipline universitaire émergente, la médecine générale s'affirme comme discipline pratique
et scientifique. Elle se caractérise par son objet, les soins de premier recours, et ses principes de prise
en compte de la globalité et de la complexité des situations cliniques, dans une démarche spécifique de
soin centrée sur le patient. Ces caractéristiques invitent à construire une recherche originale issue à la
fois de la recherche clinique et des méthodes des sciences humaines et sociales. L'objectif de l'exposé
sera de contribuer à la réflexion sur les collaborations possibles avec ces disciplines: dans quels
champs, pour quelles problématiques et dans quelles difficultés épistémologiques?
Les méthodes de la recherche clinique ne permettent pas de répondre aux questions et
contradictions quotidiennes rencontrées par les praticiens: médecins du premier recours ils doivent
traduire les plaintes en maladies objectivables, ou en symptôme de souffrance subjective; praticiens
aux mains nues, ils doivent décider en situation d'incertitude; médecins de la continuité et des malades
chroniques, ils sont confrontés à l'inobservance thérapeutique, aux déterminants comportementaux et
sociaux des maladies, aux patients qui n'ont pas le désir de guérison; médecins de la complexité, ils
ont besoin d'une approche réflexive et critique sur le concept de prise en charge globale; médecins de
la prévention, leur responsabilité s'étend, au delà de la demande du patient, à la notion de risque, de
modes de vie, de santé publique; rémunérés à l'acte, ils doivent assurer une mission d'éducation et
d'accompagnement; ils sont soumis à une obligation de moyens pour le patient et d'économie pour la
collectivité.
La philosophie des sciences a éclairé ces réflexions épistémologiques, avec les notions de
primauté de la clinique, de sujet placé au cœur de la démarche de soin, ou de médecin pédagogue de la
guérison, proposées par G. Canguilhem. Le modèle dominant du processus de décision médicale (dit
Evidence Based Medecine) tient compte de cette approche: il intègre, en fonction des constats
cliniques, les données scientifiques les mieux validées, les valeurs et préférences du patient, et
l'expérience du praticien. Cette approche, ainsi que la notion de décision partagée, introduit une
dimension intersubjective dans la décision médicale, ouvre la porte aux sciences humaines.
Cette ouverture suppose une forme de rupture épistémologique pour des médecins formés à
l'administration de la preuve par les méthodes expérimentales ou statistiques, et peu familiers de la
notion de construction des faits observés. Cette question épistémologique est l'objet même du débat à
mener avec les disciplines SHS, pour progresser vers la production de connaissances originales en
médecine générale: entre un empirisme intrinsèque voué à une description à plat des pratiques et une
approche extrinsèque destinée à en comprendre les déterminants sociaux et psychologiques, y a-t-il
place pour une voie originale? Elle aurait pour objectif la construction de modèles intégrant des
éléments théoriques, empiriques et contextuels pour analyser et expliquer les évolutions et les
fonctions des pratiques professionnelles, ou les écarts entre pratiques réelles et pratiques
recommandées.
A côté des techniques d'observation indirecte, l'observation directe de la consultation par les
internes en stage se développe. Elle soulève la question de l'appartenance de l'investigateur à l'objet de
la recherche, mais ouvre une porte sur la boîte noire de l'interaction médecin-patient. Elle permet la
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1 Maître de conférences associé, Département de médecine générale, Nantes.
2 Chef de clinique, Département de médecine générale, Nantes.
3 Chef de clinique, Département de médecine générale, Nantes.
4 Chef de clinique, Département de médecine générale, Nantes.
5 Professeur, Département de médecine générale, Nantes.