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premiers à s'y intéresser. Leurs travaux abordent cependant la construction sociale et symbolique de l'enfance,
ainsi que les rites de passage qui y sont associés, essentiellement à partir des discours tenus par les adultes
sur les enfants. Et ne considèrent d'ailleurs pas l'enfant comme un véritable acteur social et culturel - traitement
qui, à une certaine époque, était également réservé à la femme, pour des raisons similaires de domination
masculine. L'enfant est ainsi assimilé à un adulte en devenir, une sorte de réceptacle passif dans lequel on
dispose au fur et à mesure les éléments nécessaires à sa construction en tant que membre à part entière
de la société. Il faut attendre les années 1990, et l'émergence des childhood studies, issues principalement
de la sociologie, dans la foulée des études féministes, pour voir s'imposer un point de vue reconnaissant de
fait aux enfants un rôle d'acteur, point de vue qui s'imposera en filigrane de nombreux travaux en sociologie
et en anthropologie. « Ces recherches rompent avec la conception de l'enfant perçu comme un « adulte en
devenir », elles s'inscrivent dans la reconnaissance de celui-ci, en tant que sujet actif et créateur, explique
Elodie Razy, chargée de cours en anthropologie et co-éditrice d'AnthropoChildren, une revue diffusée par
l'ULg et dédiée à l'anthropologie de l'enfance. Il a fallu beaucoup de temps pour que l'on se rende compte
que les enfants, outre le fait qu'ils se construisent socialement et culturellement, participent à la construction
des adultes et de la société. Certes, les politiques portées par les adultes construisent les enfants. Mais le
mouvement n'est pas à sens unique : les reconfigurations parentales - si l'on prend cet exemple - sont autant
agies par les enfants que par les adultes et les législateurs concernés ».
Un « petit sujet »
Publier sur l'enfance et les enfants a par ailleurs, des décennies durant, été une entreprise relativement
difficile pour les chercheurs. Ceux-ci se sont longtemps heurtés aux lieux communs qui collaient à la peau de
l'enfant et de l'enfance, considérés à tort en anthropologie comme un « petit sujet », comme le disait Suzanne
Lallemand, sans grand intérêt. En 2003, dans un article publié dans la revue Terrain, l'anthropologue américain
Lawrence Hirschfeld se pose d'ailleurs la question suivante : « Pourquoi les anthropologues n'aiment-ils pas
les enfants ? » « Parce que l'enfant est souvent associé à un être immature, incapable d'avoir des pensées
propres, lance Elodie Razy. Un être dont la pensée est assimilée à une pensée prélogique comparable à celle
des sauvages, et serait de ce fait digne d'un intérêt mineur. Le fond socio-culturel de notre société adulto-
centrée et terreau de l'anthropologie n'est pas étranger à cette conception de l'enfant comme être immature
qu'elle a contribué à forger. Aussi parce que les mondes de l'enfance, les mondes intérieurs, restent une
énigme pour les adultes ; ils attirent mais effraient à la fois ».
Comment explique-t-on alors l'intérêt actuel grandissant à l'égard de ce petit être longtemps sous-estimé ?
Pour Elodie Razy, cela serait d'abord intimement lié à l'histoire des sciences dont on déroule progressivement
le fil : « On s'est intéressé aux hommes, ensuite aux femmes. Aujourd'hui, on s'intéresse aux enfants, aux
animaux et aux choses. Puis ce sera certainement le tour du quatrième et du cinquième âge pour repousser les
limites de la connaissance. Et de continuer avec d'autres hypothèses d'explication : il y a, par ailleurs, un côté
« recherche des acteurs et des thématiques oubliées » à l'œuvre actuellement dans la recherche scientifique
qui pourrait expliquer le phénomène - même s'il ne faut pas oublier que tout ce qui relève de la recherche est
lié au politique, aux financements, etc ». Et enfin, de convoquer les travaux des historiens : « L'enfant occupe
également une place prépondérante dans la société, il devient une denrée rare, et partant, un sujet de toutes
les attentions en raison des évolutions socio-démographiques qui prennent progressivement leur essor au
cours du XIXè siècle pour culminer à la fin du XXè siècle avec la problématique des droits de l'enfant et du droit
à l'enfant. Toutes ces raisons imbriquées font que, progressivement, on s'intéresse massivement à l'enfant et