FLEISCH
Marathon de danse
Pauline Laidet
©Jeanne Garraud
« Le texte est dru, tant dans la profération du maquignon sataniquequi conduit le bal que dans les échanges hors
d’haleine des compétiteurs aux muscles las, dans ces moments de portés improbables extrêmement inventifs au
milieu des corps enchevêtrés au bord de la chute éliminatoire. Voilà du théâtre dansé avec vaillance, qui réussit avec
art, par un biais métaphorique, à toucher charnellement à la violence du politique dans les corps. »
L’Humanité, Jean-Pierre Léonardini- avril 2016
« Notre jouissance face à la destruction des autres est incommensurable. Mais l’auteure et chorégraphe retourne cette
monstrueuse pulsion scopique : le spectacle prend à la gorge les spectateurs »
I/O Gazette, Sabrina Weldman – avril 2016
« En s’appuyant sur le théâtre et la danse et plus globalement sur la représentation des corps, Pauline Laidet a créé
une œuvre audacieuse qui ne manquera pas d’interpeler le spectateur et de susciter le débat. »
Regard en coulisse, Dan Rénier- mai 2016
Contact :
©Jeanne Garraud
Il y a presque dix ans, tout juste sortie de l’école de La Comédie de St-Etienne, je regarde
pour la première fois ce film bouleversant « On achève bien les chevaux » de Sydney
Pollack. Je ne connais pas encore le versant historique de ce film ni le fait qu’il soit
adapté du roman d’Horace Mc Coy, mais j’y vois alors une allégorie assez angoissante de
ce qui semble m’attendre après l’école : les affres du monde du travail et ses rivalités.
Depuis ce film m’accompagne, comme le marqueur de chaque étape importante de mon
parcours et je le revois toujours avec autant d’émotion et lui découvre systématiquement
de nouvelles pertinences et de nouvelles interprétations.
L’idée de transposer non seulement ce film, mais plus encore sa charge émotionnelle,
sensorielle et sa dimension politique, sur une scène de théâtre s’est imposée à moi il y a
trois ans. C’était aussi l’envie d’aller plus loin dans mon désir grandissant de mettre en
scène, et de développer un travail sur la place prédominante du corps au sein d’une
dramaturgie théâtrale.
Avec FLEISCH, je ne cherche pas à adapter le roman ou le scénario du film, mais à le
raconter par le prisme de notre époque contemporaine et peut-être plus largement, à
donner à ces marathons de danse, une réelle teneur symbolique et atemporelle. Je
cherche à mettre en œuvre une traversée sensible de 3 mois de marathons le temps de
deux heures de spectacle.
Je me suis bien évidemment inspirée du roman et du film, de leurs situations et des
personnages, mais j’ai aussi collecté pour mon travail de réécriture, un certain nombre
de documents d’archives : textes, thèses, vidéos et photographies. Il n’est pas question
d’un spectacle documentaire qui se voudrait exhaustif sur ce qu’étaient ces marathons et
ce qu’ils révélaient de la société du spectacle de l’époque, mais plutôt de créer un écho,
une perspective vers notre monde contemporain.
Quelques mots sur ces marathons de danse dans leur CONTEXTE HISTORIQUE:
Ces marathons ont été inventés d’abord aux Etats-Unis à la fin des années 20, alors que
se développe la notion de « record », et que l’Amérique traverse la « Grande Dépression ».
Des organisateurs pris ont lancé des défis de plus en plus fou appelés « Dance
Marathon » et qui consistaient à danser en couple, le plus longtemps possible, avec 10
minutes de pause toutes les 50 minutes. Une prime financière était finalement
remportée par le dernier couple qui restait debout.
Ces marathons repoussent toujours plus loin les limites, ils durent plusieurs semaines,
puis plusieurs mois, jours et nuits. Le record a été atteint en 1931 par un couple qui a
dansé sept mois et demi… 5154 heures !
On peut s’interroger sur les motivations de ces concurrents qui ne ressortaient souvent
pas indemnes d’une telle épreuve. Il y avait la prime pour les gagnants bien-sûr, mais
également des récompenses à ceux qui proposaient des « numéros » pour les
spectateurs qui pouvaient « miser » sur tel ou tel couple. Les concurrents étaient logés,
nourris et blanchis, le temps qu’ils restaient dans cette compétition, ce qui, en temps de
crise, constituait aussi une raison notable. Et puis il y avait ce fantasme de célébrité, la
possibilité d’être « repéré » et potentiellement engagé par des producteurs ou
réalisateurs qui s’annonçaient… il y a là, bien évidemment un étrange effet miroir avec
nos télé-réalités d’aujourd’hui.
On peut dire en résumé, que ces marathons étaient une sorte de cruel mélange entre
Loft-story, les courses de chevaux et les spectacles de gladiateurs.
Ces marathons avaient beaucoup de succès auprès du public et bien-sûr auprès des
organisateurs qui voyaient là une réelle possibilité d’enrichissement. Ils se sont importés
en Europe et surtout en France, et on constate que certains concurrents revenaient d’un
marathon sur l’autre. On peut aussi interpréter leur participation à ces compétitions
comme la réponse à un certain désenchantement. Comme si les marathons pouvaient
recréer une micro-société, avec ses nouvelles règles, aussi dures soient-elles, mais peut-
être aussi rassurantes puisqu’elles rythmaient un quotidien totalement pris en charge.
C’est en tout cas comme cela que j’interprète ces évènements et leur succès, et c’est ce
que j’ai voulu mettre en avant avec FLEISCH. Sans savoir précisément pourquoi les
personnages se sont inscrits, on sent que c’est une nécessité, et que ce marathon
représente soit la possibilité d’un renouveau, d’une reconnaissance tant attendue, ou
d’un foyer.
Un autre aspect essentiel de ces marathons que j’ai voulu retranscrire dans mon écriture,
est la place du « voyeurisme ».
Le public était non seulement très nombreux à venir voir ces évènements, mais il l’était
de plus en plus au fur et à mesure que les jours passaient. Il y a là, indéniablement, un
attrait du morbide, un attrait pour le suspens, l’accident, le spectaculaire. Mais qu’est-ce
qui « fait » le spectaculaire ? Ici, il s’agit de voir des individus diminuer, voir s’humilier,
mais qui se battent pour réussir et sur lesquels nous pouvons projeter notre empathie.
Le Maître de Cérémonie dans FLEISCH nous renvoie à cette question. Il est en lien
permanent avec le public, et loin de moi l’idée que ce spectacle mette en accusation le
spectateur de théâtre venu voir FLEISCH, il questionne la place de l’ « exhibition » et des
attentes du public.
FLEISCH , un regard sur l’exclusion :
FLEISCH transpose donc ces marathons de danse tels qu’ils existaient aux Etats-Unis
pendant les années 30, dans la société d’aujourd’hui. S’ils étaient à nouveau légalisés, qui
s’inscrirait à ces marathons et pourquoi ? Evidemment, je souhaite faire entendre les
échos qu’il peut y avoir avec la crise économique que traverse l’Europe aujourd’hui, mais
aussi, et surtout, la mise à l’épreuve d’une certaine humanité dans un contexte propre au
performatif et à l’exploitation de la détresse et de la perdition.
Ces marathons résonnent aujourd’hui pour plusieurs raisons: le rapport à la
compétition, le besoin fiévreux de reconnaissance, le spectaculaire à tout prix, le
fantasme d’une possible ascension sociale et économique.
Il y a dans ce « danse ou crève », une sorte d’allégorie de notre société occidentale où l’on
cherche à aller toujours plus loin que les autres, plus vite, être toujours plus performant,
jusqu’à en perdre parfois notre lien à autrui et à ce qui nous constitue intimement et
dignement.
Les personnages sont en proie à la perte de leur dignité dans cette course aliénante vers
la réussite. FLEISCH est le parcours de chacun face à ce processus de déshumanisation :
les corps se bestialisent, le langage se perd, se distend, chacun s’isole, s’enferme, se
replie, pour continuer et rester debout. Dans cette compétition cruelle et impitoyable qui
cherche son audimat par la destruction et l'exploitation des concurrents, les
personnages vont, chacun à leur façon, tenter de relever la tête tant qu’il est encore
temps, et résister à cet anéantissement de leur volonté propre. Mais à quel prix ?
C’est un spectacle qui nous parle essentiellement de l’exclusion, de la mise au ban injuste
et aléatoire, de ce rapport à l’autorité quelle qu’elle soit, qui nous isole, nous stigmatise,
et que nous sommes tenus d’accepter.
C’est ça aussi dont nous sommes témoins face à FLEISCH : à la capacité/volonté de
rébellion ou non de ces personnages face au pouvoir incarné ici par la figure du Maître
de Cérémonie.
Dans la représentation des concurrents, il est important pour moi de ne pas les
stigmatiser, les enfermer dans ce qui serait une caricature de ce pourquoi ils sont là, à
savoir la plupart du temps, la nécessité économique. Je voulais jouer avec ces codes
sociaux, sans les rendre « anecdotiques », et il me semble que les marqueurs de la
pauvreté aujourd’hui ne sont pas les mêmes que dans les années 30. Ainsi, je mets
davantage l’accent sur l’éclectisme de ces présences au plateau, caractérisant ainsi une
classe moyenne dans son ensemble, et non pas dans un encrage économique et social qui
pourrait être réducteur ou caricatural.
Je cherche à sortir ces marathons de leur seul contexte économique, pour les tirer vers
une lecture plus générationnelle, interrogeant ainsi notre rapport à la vacuité. Comme un
huis-clos réunissant les héritiers de cette « génération perdue » dont nous parlons à
nouveau beaucoup aujourd’hui.
Comment ne pas se laisser abattre par ce désenchantement permanent où les seuls rêves
qu'on semble nous proposer, sont ceux de la propriété matérielle et d’une notoriété
éphémère et illusoire ?
Le TITRE :
FLEISCH en allemand signifie à la fois la viande animale et la chair humaine. C’est cet
amalgame que je trouve signifiant. On passe du bal à l’abattoir, et bientôt on se
demandera ce qu’il restera d’humain à ces personnages en déliquescence.
J’aime l’ambiguïté qu’il laisse entendre par rapport au traitement des corps
qu’impliquent ces marathons.
J’aime la sonorité de ce mot aussi, qui pour moi est tout autant signifiante, même si l’on
ne comprend pas l’allemand. Il y a le son du couteau sur le billot, de la viande qu’on
tranche. Et puis, je dois bien l’avouer, il y a aussi une référence intime à mon adolescence
et aux Comédies musicales que je dévorais inlassablement, notamment le célèbre
« FLASHDANCE ».
Pour finir sur le titre, j’aime aussi que ce soit un mot allemand, même si nous ne parlons
pas cette langue, nous entendons sa spécificité. Il n’y a pas de lien direct avec la culture
allemande que je connais trop peu, par contre, il est important pour moi que ce spectacle
soit le reflet d’une Europe qui est la nôtre. Celle dans laquelle nous avons grandi et que
nous voyons évoluer avec ses polémiques, ses remises en question, ses complexités et
ses perspectives incertaines.
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