Notes sur « Subjectivité et vérité » (p. 41→p. 51) I

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Notes sur « Subjectivité et vérité » (p. 41p. 51)
I - « On sait bien… plus heureuse que les autres ». Michel Foucault semble reprendre à son compte une
idée de la philosophie, singulièrement la philosophie antique, défendue en France par Pierre Hadot (1922
2010), qui fut comme M. Foucault et grâce à son soutien, professeur au Collège de France. A plusieurs
endroits P. Hadot pose la question : « Qu’est-ce que la philosophie ? ». Lorsqu’il répond, il se réfère à la
conception antique selon laquelle la philosophie est en premier lieu une « manière de vivre ».
« Depuis Socrate, la philosophie est un exercice, une expérience vécue, avant d’être discours ou
proposition » (Magazine littéraire, n° 342, av. 1996). Socrate est pris pour l’archétype du philosophe.
« Socrate n’a pas de système à enseigner. Sa philosophie est tout entière exercice spirituel, nouveau mode
de vie, réflexion active, conscience vivante » (Exercices spirituels…p. 118).
N.B. exercice spirituel : « pratique volontaire, personnelle, destinée à opérer une transformation de
l’individu, une transformation de soi » (Exercices…p. 145).
Les philosophies hellénistiques sont l’objet d’une attention particulière.
« La philosophie à l’époque helnistique et romaine, se présente… comme un mode de vie, comme un art
de vivre, comme une manière d’être » (Exercices… p. 295).
Mais cet aspect de la philosophie vaut pour toute la philosophie grecque, même pour les plus
« théoriciens » d’entre eux, Platon ou Aristote.
« Platon définit la philosophie comme l’exercice de la mort, et le philosophe comme l’homme qui ne craint
pas la mort parce qu’il contemple la totalité du temps et de l’être (Rép.474). On pense quelquefois
qu’Aristote est un pur théoricien, mais pour lui aussi, la philosophie ne se réduit pas au discours
philosophique, ou à un corpus de connaissances, mais c’est une qualité de l’esprit, le résultat d’une
transformation intérieure : la forme de vie qu’il préconise, c’est de vivre selon l’esprit Il ne faut donc pas,
comme on le fait trop souvent, se représenter que la philosophie s’est radicalement transformée à
l’époque hellénistique… La philosophie n’a pas changé d’essence au cours de son histoire dans l’Antiquité »
(Exercices…p. 296).
P. Hadot ne récuse pas la dimension théorique de la philosophie, même s’il va jusqu’à concevoir l’idée
d’une philosophie sans discours (dans sa préface au Dictionnaire des philosophes antiques, il évoque des
« philosophes Diogène, Pyrrhon, Caton d’Utique, Rutilius Rufus… qui n’ont rien écrit, le philosophe dans
l’Antiquité étant « avant tout un homme ayant un certain style de vie, qu’il a choisi volontairement, même
s’il n’a pas enseigné ou écrit » ). Mais s’il y a deux « les », le discours et le choix de vie, le mérite de la
philosophie antique est d’avoir mis l’accent sur le pôle du choix de vie tandis qu’il existe une « tentation »
de la part des philosophes à déplacer l’accent et même à ne garder de la philosophie que le discours.
« On pourrait dire qu’il y a toujours eu deux conceptions opposées de la philosophie, l’une mettant l’accent
sur le pôle du discours, l’autre sur le pôle du choix de vie (La philosophie comme manière de vivre, p. 105).
« Je crois que c’est un vice connaturel, ce danger qui guette tous les philosophes, et qui consiste à se
satisfaire du discours bien fait parce qu’il est plus facile de parler que de faire » (Id. p. 187).
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M. Foucault ne se contente pas de reprendre cette idée de la philosophie comme « manière de vivre »,
comme P. Hadot il reconnaît une analogie entre la vie philosophique et la vie monastique.
« Dès le II° siècle, chez Clément d’Alexandrie, puis surtout dans le mouvement monastique, on voit
réapparaître les exercices spirituels de l’Antiquité qui étaient liés au souci de soi » (P. Hadot, Magazine
littéraire, juil-août 1996).
« De nèque à Cassien vous voyez, en gros, le même type d’exercices qui se déplacent, qui sont repris »
(M. Foucault, herméneutique du sujet, p. 403) le monachisme s’est défini tout de suite comme la vie
philosophique. Etre moine et être philosophe, c’était la même chose… les monastères seront appelés des
écoles philosophiques et ils seront pour une grande part …organisés comme des écoles philosophiques »
(M. F., Du gouvernement des vivants, p. 254).
Mais il y a cependant une différence capitale : tout se passe comme si P. Hadot était sensible à tout ce qui
est commun aux deux traditions culturelles :
« Il y a finalement assez peu d’attitudes possibles vis-à-vis de l’existence, et, les différentes civilisations
sont amenées à avoir, à cet égard, des attitudes analogues » (La philosophie…p. 118).
D’où la conclusion qu’il en tire eu égard à une lecture aujourd’hui :
« certaines pensées épicuriennes, certains aphorismes de Marc-Aurèle, certaines pages de Sénèque
peuvent suggérer des attitudes que l’on peut prendre encore aujourd’hui » (Id., p. 139).
A l’inverse, Foucault insiste surtout sur les discontinuités et les singularités. A la question qu’on lui pose :
« Vous pensez que les Grecs offrent un autre choix, séduisant et possible ? », il répond :
« Non ! Je ne cherche pas une solution de rechange ; on ne trouve pas la solution d’un problème dans la
solution d’un autre problème posé à une autre époque par des gens différents » (Dits et écrits II, p. 1205).
Ou encore :
« on a un petit peu la tentation de tracer comme une filiation directe entre quelques grands préceptes
de la philosophie et de la philosophie morale antique et la pratique chrétienne. Du gnôthi seauton jusqu’à
l’obligation de l’examen de conscience chez Evagre le Pontique, Cassien, saint Jérôme, saint Augustin, on a
l’impression que l’on peut tirer une ligne directe. Or, ce que je voudrais vous montrer, c’est que, s’il est vrai
qu’il y a bien une filiation, s’il est vrai que c’est bien, en gros, le même type de pratiques qui va se
transmettre pendant des siècles et s’incruster au cœur même du christianisme, en fait, les formes de
verbalisation, les formes d’exploration de soi et la manière dont sont couplées verbalisation et exploration
de soi sont tout à fait différentes dans le paganisme et, à dire vrai, dans les différentes formes de religion
et de philosophies païennes, et dans le christianisme » (Du gouvernement…, p. 224).
A noter que l’un et l’autre soulignent la dimension institutionnelle de la pratique philosophique.
II « Quelle était la place… stoïciennes ». Tout en commençant à souligner la place « assez réduite » « dans
toutes les pratiques philosophiques antiques (de) « l’obligation de dire la vérité sur soi-même », M.
Foucault semble malgré tout adopter une position proche de celle de P. Hadot : « Mais… on trouve bien,
avant le christianisme, des techniques déjà élaborées pour découvrir et exprimer la vérité au sujet de soi ».
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Deux raisons expliquent cette place réduite : l’objectif étant de renforcer la maîtrise de soi, l’accent est mis
sur le discours du maître, sur la direction plus que sur l’examen de conscience. c’est le maître qui parle et
le contenu du discours a une dimension persuasive. « Le discours du maître doit dire, persuader,
expliquer ; il doit donner au disciple un code universel pour toute sa vie, de sorte que la verbalisation se
situe du côté du maître et non du côté du disciple ». En outre le lien entre le maître et le disciple est
« provisoire », destiné à prendre fin. « La direction antique vise à l’autonomie de celui qui est dirigé ».
D’une certaine manière, ceci s’apparente au « coaching ». M. Foucault parle de « pédagogie », de
« psychagogie ». Il résume ici ce qu’il développe en plusieurs endroits :
« dans l’Antiquité, la direction de conscience est volontaire… (elle) était payante. On allait voir quelqu’un
et le quelqu’un disait : je veux bien te diriger, mais tu me donneras telle somme d’argent. Les sophistes
avaient des boutiques de direction de conscience sur les places publiques… » (Sécurité, territoire,
population, p. 184).
« la direction de conscience dans l’Antiquité était circonstancielle, c’est-à-dire qu’on ne se laissait pas
diriger toute sa vie, mais quand on passait par un mauvais moment… La direction de conscience était donc
volontaire, épisodique, consolatrice et elle passait bien à certains moments par l’examen de conscience…
C’était donc une condition de la maîtrise de soi » (Id. , p. 185).
« Dans la mesure c’est du côté du maître, du conseiller, du guide, que porte l’essentiel des obligations
de vérité, je crois qu’on peut dire que le rapport de psychagogie est, dans l’Antiquité, très proche, ou
relativement proche, du rapport de pédagogie » (L’herméneutique du sujet, p. 390).
Si M. Foucault décrit ainsi les pratiques philosophiques, c’est dans la perspective d’établir une comparaison
avec les pratiques chrétiennes. Ce qui peut autoriser le rapprochement, c’est sans doute « le
développement de la vie communautaire dans les écoles philosophiques », développement qui a pu
infléchir le sens de la direction de conscience en donnant plus d’importance à l’examen de soi.
« Vous aviez aussi (il a évoqué auparavant Sénèque) des formes de direction continues, denses,
hautement institutionnalisées : celles, bien sûr, que l’on trouvait dans les écoles de philosophie. L’individu
s’y trouvait engagé pour une période relativement longue et, quelquefois, jusqu’à la fin de sa vie. Et c’était,
non plus simplement une crise ou tel aspect de son existence qui faisait problème et à propos de quoi il
demandait l’aide d’une direction, c’étaient tous les aspects de la vie qui étaient pris en compte à l’intérieur
de l’existence même de l’école philosophique : son alimentation, ses vêtements, ses rapports sexuels, s’il
devait se marier ou pas, ses passions, son attitude politique, tout ceci relevait de conseils ou de
prescription de direction » (Du gouvernement des vivants, p. 229).
Cette dimension totalisante encourage une inflexion de la direction qui doit solliciter des pratiques
d’examen et d’aveu de la part du disciple.
« le directeur ne pouvait pas diriger si le dirigé n’examinait pas sa conscience et n’étalait pas devant les
yeux du directeur sa conscience » (Id., p. 231).
Malgré cette présence de l’examen de conscience dans un contexte païen, M. Foucault maintient
cependant l’idée d’une différence avec le contexte chrétien :
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« Mais je crois qu’il ne suffit pas de situer ainsi l’examen de conscience, parce que, à dire vrai, il y a bien
des façons de le pratiquer. Et il serait, je crois, tout à fait erroné de dire que, puisque l’examen de
conscience existait dans la direction grecque et romaine, c’est cet examen de conscience- que l’on va
retrouver dans le christianisme. La subjectivation de l’homme occidental, elle est chrétienne, elle n’est
pas gréco-romaine, de ce point de vue- » (Id. p. 231).
On peut s’étonner que M. Foucault, dans cette conférence, s’attarde sur l’exemple de Sénèque lors même
qu’il vient de souligner l’importance de la dimension institutionnelle pour comprendre le développement
de la pratique d’une première forme de l’examen de conscience.
III - Les deux exemples tirés du De ira et du De tranquillitate animi de Sénèque lui servent à préciser la
forme que prend « l’aveu à soi-même » (« examen de soi », « examen de conscience ») et « l’aveu aux
autres » dans un contexte païen. le registre langagier, prétend-il, est plus administratif que judiciaire il
s’agit de relever des « erreurs » plutôt que des « fautes ». « Sénèque est un administrateur permanent de
lui-même plus qu’un juge de son propre passé » (cf., Du gouvernement des vivants, p. 238).
Exercice stoïcien Aveu chrétien
mémoriser ses actes mémoriser la loi
pour réactiver les règles fondamentales pour découvrir ses propres péchés
découvrir la vérité oubliée par le sujet découvrir la vérité cachée dans le sujet
s’agissant de « l’aveu aux autres », il s’agit de « donner une place à la vérité en tant que force ». « Serenus
ne cherche pas à révéler quels sont ses désirs profonds… Pour lui,…il s’agit d’ajouter quelque chose à la
connaissance des préceptes moraux. Cette addition à ce qui est déjà connu est une force, la force qui serait
capable de transformer la pure connaissance en un véritable mode de vie ». Ce qu’il désigne comme « la
subjectivation du discours vrai » (notes, p. 62). coaching.
Dans ses cours, M. Foucault développe ce qui est ici simplement évoqué.
« On a là, en un sens, le contraire de ce que sera par la suite la casuistique. La casuistique qui a pour
problème ceci : soit des lois générales données par la tradition, par l’autorité ; comment pouvoir les
appliquer à un cas précis et particulier ? Ici, on a le contraire. On a une situation particulière au cours de
laquelle on ne s’est pas conduit comme il fallait (…ne pas atteindre la fin qu’on se proposait). Et à partir de
cette situation particulière, l’examen de conscience va faire quoi ? Il va permettre de formuler une règle
générale, ou une règle plus générale, pour toutes la série des événements ou des situations de même type
qui pourront se présentercet examen…fondamentalement axé sur le futur n’est pas tellement centré sur
des actes qu’il faudrait juger en termes de code, permis/interdit, bien/mal. Il est centré sur l’organisation
de nouveaux schémas de conduite plus rationnels, plus adaptés et plus sûrs. Il s’agit donc, au sens strict du
terme, de ce que, précisément, les Grecs appellent l’ascèse, exercice grâce auquel on pourra désormais
être plus fort, être mieux adapté, mieux ajusté dans ses comportements aux circonstances qui se
présenteront. Il s’agit, à l’exemple de l’athlète, de pouvoir désormais atteindre les buts qu’on se fixe. Et on
pourra atteindre les buts que l’on se fixe si l’examen de conscience découvre quoi ? Non pas, encore une
fois, des secrets intérieurs qui seraient déposés dans les replis du cœur et qu’il faudrait faire émerger parce
qu’ils donneraient une explication de la conduite mauvaise, par exemple, qu’on a eue. Pas du tout. Si on
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examine ainsi ce qu’on a fait et si on s’examine au cours de la journée passée, c’est pour découvrir,
dégager des principes rationnels de conduite qui sont bien dans notre âme à titre de semences, à titre de
germes de tous les principes rationnels qui sont déposés, selon les stoïciens, dans l’âme… ces germes de
rationalité qui vont permettre de se conduire de façon autonome. L’examen stoïcien a donc une fin
essentielle qui est la fin d’autonomie…. Vous voyez, donc, rien à voir enfin, peu de choses à voir avec un
examen de conscience qui aurait pour fonction l’exploration des secrets du cœur, l’exploration des arcanes
du cœur où se trouveraient les racines de la faute » (du gouvernement…, p. 240).
« L’askësis est en réalité une pratique de la vérité. L’ascèse n’est pas une manière de soumettre le sujet à
la loi : l’ascèse est une manière de lier le sujet à la vérité… il ne s’agissait évidemment pas d’arriver, au
terme de l’ascèse comme à son point de mire, à la renonciation à soi. Il s’agissait au contraire, par l’askêsis,
de la constitution de soi-même. Ou disons, plus exactement : il s’agissait de parvenir à la formation d’un
certain rapport de soi à soi qui soit plein, achevé, complet, autosuffisant, et susceptible de produire cette
transfiguration à soi qui est le bonheur que l’on prend de soi à soi. Tel était l’objectif de l’ascèse…. La
paraskeuê, ça ne sera rien d’autre que l’ensemble des mouvements nécessaires et suffisants, l’ensemble
des pratiques nécessaires et suffisantes pour nous permettre d’être plus forts que tout ce qui peut arriver
tout au cours de notre existence. C’est cela la formation athlétique du sage La paraskeuê encore, c’est
l’élément de transformation du logos en ethos… l’askêsis fait du dire-vrai un mode d’être du sujet. Quoi
de plus éloigné de ce que nous entendons maintenant dans notre tradition historique par une « ascèse »,
ascèse qui renonce à soi en fonction d’une Parole vraie qui a été dite par un Autre ? (L’herméneutique du
sujet, p. 303 312).
« le but final de l’askêsis n’est pas de préparer l’individu à une autre réalité, mais de lui permettre
d’accéder à la réalité de ce monde-ci. En grec, le mot qui décrit cette attitude est paraskeuazo se
préparer »)… l’alêtheia devient l’êthos. C’est un processus d’intensification de la subjectivité (Les
techniques de soi, Dits et écrits, II, p. 1619).
Sur pédagogie/psychagogie :
« Appelons si vous voulez « pédagogique » la transmission d’une vérité qui a pour fonction de doter un
sujet quelconque d’aptitudes, de capacités, de savoirs, etc., qu’il ne possédait pas auparavant et qu’il devra
posséder à la fin de ce rapport pédagogique… on peut, je crois, appeler « psychagogique » la transmission
d’une vérité qui n’a pas pour fonction de doter un sujet quelconque d’aptitudes, etc., mais qui a pour
fonction de modifier le mode d’être de ce sujet auquel on s’adresse… La psychagogie gréco-romaine était
encore toute proche de la pédagogie. Elle obéissait à cette même structure générale qui est que c’est le
maître qui tient le discours de vérité. Le christianisme, lui, va décrocher psychagogie et pédagogie en
demandant à l’âme qui est psychagogisée, l’âme qui est conduite, de dire une vérité ; vérité que seule elle
peut dire, que seule elle tient et qui est non pas le seul, mais un des éléments fondamentaux de cette
opération par laquelle son mode d’être va être changé. Et c’est en cela que consistera l’aveu chrétien »
(L’herméneutique…p. 390).
Sur le « marché des vies », à propos du texte de Lucien (Philosophes à vendre) :
« …c’est très amusant, il faut lire ça un peu comme on voit les films de Woody Allen sur la psychanalyse en
milieu new-yorkais : c’est un peu comme ça que Lucien présente le rapport des gens à leur maître en
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