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NEIGE ET AVALANCHES
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TDC NO1086
PHYSIQUE
Communément, la neige apparaît comme
une matière naturelle blanche, éblouis-
sante, composée de cristaux en forme
d’étoile, froide, glissante, uniforme. Cepen-
dant, quand on s’intéresse plus en détail
à sa formation, à son évolution, elle est
d’une grande complexité. À une échelle
de quelques kilomètres carrés, le manteau nei-
geux (MN) paraît assez homogène, peu variable
spatialement, et peu évolutif. Pourtant, il n’en est
rien. Aussi, pour mieux comprendre la formation
de la neige dans l’atmosphère, son évolution
après dépôt, sa variabilité spatiale et sa stabilité,
il est indispensable de s’intéresser à sa physique.
La formation des précipitations
dans les nuages «froids»
Quand à température négative (Tair <0°C)
un volume d’air atteint la saturation en vapeur
d’eau (seuil théorique maximal dépendant de
Tair et de la pression), celle-ci ne peut se conden-
ser sous forme liquide (eau) ou solide (glace)
qu’en présence de microparticules solides: les
noyaux de congélation ou de condensation. Les
premiers sont de très petites particules, hydro-
phobes (cendres, sables et sels métalliques), dont
le système cristallin ou l’arrangement moléculaire
(hexagonal) est semblable à celui peu compact,
lui-même hexagonal, des molécules d’eau dans un
cristal de glace. Les seconds sont de plus grosses
particules, hydrophiles (sulfates, sels marins,
tensioactifs). La vapeur d’eau se condense, soit
de manière solide sur les noyaux de congélation
pour donner naissance aux germes initiaux de
glace (ainsi de géométrie hexagonale), soit de
manière liquide sur les noyaux de condensation
pour former des gouttelettes d’eau surfondues
(liquides malgré Tair <0 °C). L’arrangement des
molécules d’eau dans sa phase liquide est plus
compact que dans sa phase solide en raison de la
présence de nombreuses molécules libres (moins
de liaisons hydrogène). Cela explique la diffé-
rence des masses volumiques des deux phases
(1000kg·m–3 pour l’eau liquide contre 917kg·m–3
pour la glace pure). La surfusion existe très peu
dans les basses couches de l’atmosphère en rai-
son de la présence de très nombreux noyaux de
congélation. Mais ces mêmes noyaux étant rares
ou absents à plus haute altitude, elle y est très
commune jusqu’à –40°C. En dessous de ce seuil,
elle cesse et la congélation devient spontanée.
La neige se forme dans les nuages froids,
milieux composés d’air saturé ou proche de la
saturation en vapeur d’eau, d’hydrométéores
(cristaux de neige, gouttelettes d’eau surfondues)
ainsi que de noyaux de congélation et condensa-
tion et de germes initiaux de glace. L’air humide
(à Tair <0°C) se sature plus vite en vapeur d’eau
au contact de la glace qu’au contact de l’eau
liquide. Ce diérentiel de taux de saturation est
la première cause du développement des cristaux
de neige. Il est responsable de l’évaporation des
gouttelettes d’eau surfondues et du dépôt solide
de cet apport de vapeur supplémentaire sur les
cristaux de neige. Ce processus de croissance des
cristaux, nommé eet Bergeron, est le principal
processus du déclenchement des précipitations.
Il est complété par celui de grossissement des
cristaux par coalescence, qui exprime que ceux
de tailles et de masses diérentes ne se déplacent
pas aux mêmes vitesses, ce qui favorise leurs ren-
contres et unions.
Principalement dépendante de la température
des nuages, la croissance des germes initiaux de
glace (puis des cristaux) se fait dans trois directions
privilégiées: suivant leurs arêtes, leurs grandes
La neige, un matériau
changeant
Comprendre les phénomènes d’avalanche requiert d’étudier
les caractéristiques mécaniques et thermodynamiques de la
neige, tant à l’échelle du grain qu’à celle du manteau neigeux.
>PAR YVES LEJEUNE, CHERCHEUR AU CENTRE D’ÉTUDE DE LA NEIGE (CEN, MÉTÉO-FRANCE–CNRS)
L’air humide
se sature
plus vite
en vapeur
d’eau au
contact
de la glace
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NEIGE ET AVALANCHES
faces ou leurs faces latérales (voir le graphique ci-
dessus). Cela explique la géométrie à base hexa-
gonale des cristaux qui précipitent jusqu’au sol.
Ils l’atteignent sous forme de neige (neige fraîche)
si l’air qu’ils traversent est suffisamment froid
(généralement, il neige jusqu’à des Tair proches
du sol de l’ordre de +2°C). Enfin, les nuages
très convectifs (cumulus, cumulonimbus), siège
d’une turbulence intense, produisent des chutes
de neige d’un type particulier: la neige roulée. La
surfusion étant thermodynamiquement instable
(elle cesse en cas de chocs), les cristaux de neige
roulée résultent de la congélation immédiate des
gouttelettes d’eau surfondues sur les cristaux
qu’elles percutent.
Les propriétés du manteau neigeux
Le MN, empilement de couches aux pro-
priétés morphologiques, thermodynamiques et
mécaniques propres, résulte de la succession des
conditions météorologiques saisonnières. Il est leur
mémoire. Une couche de neige est un mélange de
glace (grains, ponts intergrains), d’air saturé ou
proche de la saturation en vapeur d’eau et éven-
tuellement d’eau liquide (lorsque Tneige =0°C).
Sa masse volumique est une de ses propriétés les
plus caractéristiques, tant elle influe sur toutes
les autres, thermodynamiques et mécaniques. La
gamme de variabilité de la masse volumique de la
neige est très étendue, comprise entre 30kg·m–3
pour la neige fraîche, tombée froide et peu ventée,
et 650kg·m–3 pour celle très évoluée de névé. Plus
elle est faible, plus la couche contient de l’air et
est isolante (conductivité et capacité thermiques
faibles). La gamme de variabilité des résistances
thermiques des couches de neige constituant le
MN est donc aussi très large.
La coupe verticale réalisée dans le MN du col
de Porte (voir p.22) met en évidence l’empile-
ment des couches, de la surface jusqu’au sol: des
couches de neige fraîche opaque et peu dense, puis
une succession de couches de neige plus évoluée,
d’opacité variable, entre lesquelles figurent des
couches de glace translucide presque pure (neige
humidifi ée puis regelée). La forme non rectiligne
de la courbe de température est due à la variabilité
des résistances thermiques des couches du MN et à
la pénétration des rayonnements atmosphériques
dans celui-ci. La température de surface (Tsurf),
plus froide d’environ 19°C que celle de l’air, est
due aux propriétés thermodynamiques de la neige
et au bilan énergétique du MN.
Les cristaux
de neige et leurs
métamorphoses.
ou
T nuage < 0 °C
Germe de glace initial hexagonal
Gouttelette surfondue
Évaporation
Neige fraîche
Métamorphose thermodynamique ou mécanique
Grains fins
Particules
reconnaissables Gobelets
Faces planes
Grains ronds
Métamorphose de neige humide
GT faible
GT faible
GT fort
GT moyen
à fort
GT moyen
à fort
Métamorphose de neige sèche
Fourchette de gradient thermique (GT)
GT faible : < 0,05 °C u cm–1
GT moyen : de 0,05 à 0,2 °C u cm–1
GT fort : > 0,2 °C u cm–1
Condensation solide
« bing »
Évolution
due au vent
Cristal de neige
●●●
© BERNARD SULLEROT
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Bilan énergétique
Le MN reçoit des flux d’énergie de l’atmos-
phère et du sol qu’il leur restitue en partie (voir le
graphique ci-contre). En fonction du bilan de ces
flux, le MN s’échaue (voire fond) ou se refroidit
(avec regel de l’eau liquide qu’il peut contenir).
Le jour, le MN reçoit un rayonnement solaire
incident Satm composé d’une part directe prove-
nant du seul globe solaire quand il n’est pas mas-
qué et d’une part diffuse (multidirectionnelle)
issue de la diusion du rayonnement solaire par
l’atmosphère et les nuages. L’éclairement en un lieu
donné varie en fonction de la date, des caractéris-
tiques topographiques du lieu (altitude, exposition,
pente, masques) et des nuages. Le MN (la neige)
réfléchit la quantité [Satm ·Alb] du rayonnement
solaire Satm et absorbe progressivement son com-
plément [Sneige = Satm ·(1–Alb)]. Le paramètre
Alb, l’albédo de la neige, égal au rapport entre
les rayonnements réfléchi et incident, exprime
son pouvoir réfléchissant. Il varie entre 0,97
pour la neige récente (très réfléchissante) et 0,5
pour la neige très évoluée de printemps. Aussi,
comparativement à ceux de printemps, les MN
d’hiver, d’albédos plus élevés et éclairés moins
intensément et moins longtemps, sont plus froids
et pérennes.
Le MN est aussi irradié par un rayonnement
thermique (ou infrarouge), IRatm, émis à la fois
par la couche atmosphérique et les nuages. Son
intensité est proportionnelle à la puissance qua-
trième de leurs températures respectives (en
kelvins, voir la loi de Stefan). De même, le MN
émet un rayonnement IRneige montant dépen-
dant principalement de sa température de surface
Tsurf et perd ainsi de l’énergie. Le plus souvent,
le bilan [IRatm +IRneige] est déficitaire pour le
MN, ce qui contribue à ce qu’il reste froid ou à
favoriser le regel parfois profond des couches fon-
dantes. C’est fréquemment le cas au printemps
par nuit claire.
De plus, l’air circulant au-dessus du MN échange
avec lui de l’énergie sous forme de flux turbulents
de chaleur latente et sensible. De l’air sec favorise la
sublimation de la neige de surface. Bien que limitée,
cette disparition de matière retire beaucoup d’éner-
gie au MN (sous forme de chaleur latente de subli-
mation), le refroidit et peut le plus souvent limiter
sa fonte. De la même façon, il s’établit un transfert
de chaleur entre la surface du MN et la pellicule
d’air à son contact (flux de chaleur sensible), lié
à leur diérence de température. Le vent ne cause
●●●
La structure
du MN est liée
à son histoire
H (cm)
50
25
0
0
– 10
– 20
T (°C)
T = – 27°C
T(H)
surf
+
+
+
Atmosphère
(vapeur d’eau)
Rayonnement
absorbé S
Manteau neigeux
Flux de sol
Rayonnement solaire
incident S
Sol
Rayonnement thermique
IR émis par la neige
Rayonnement
solaire rééchi
Rayonnement thermique IR
émis par l’atmosphère
et les nuages
atm
neige
atm
neige
Couches(s)
avec
cohésion
de friage
Couches(s)
fragile(s)
Sous-couches
stables
Structure de plaque « temporaire »
Structure de plaque « durable »
Grains fins
Faces planes
Givre de surface Neige roulée
Gobelets
(structure suscepble de se constuer rapidement au cours
du même épisode de chute de neige ou juste après)
Neige fraîche
Parcules reconnaissables (denses)
Parcules
reconnaissables
(peu denses)
© BERNARD SULLEROT © BERNARD SULLEROT© BERNARD SULLEROT
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pas les échanges turbulents, mais plus il renou-
velle la pellicule d’air au contact du MN, plus
il les intensifie.
La pluie réchauffe le MN, mais le fait peu
fondre. En revanche, elle l’humidifie et le tasse.
Enfin, le MN échange un flux d’énergie avec le
sol qu’il recouvre, principalement dû à la chaleur
emmagasinée durant la période estivale dans ses
50premiers centimètres. Le flux de sol, souvent
faible (sauf vers l’équateur ou à basse altitude),
fait peu fondre le MN, mais maintient vers 0°C
sa température basale.
Évolution des couches de neige
Dictée par les contraintes mécanique et ther-
modynamique auxquelles elles sont soumises,
depuis leur dépôt jusqu’à leur ultime état de strate
de neige fondante, l’évolution de l’ensemble des
couches du MN, en termes de densité, cohésion,
albédo, etc., s’accompagne du changement de
forme de leurs grains constitutifs (métamorphose
ou métamorphisme).
Contrainte mécanique, le vent arrache et brise la
neige de surface du MN (celle transportable) pour
la redéposer dans les zones de calme sous forme
de grains (de particules reconnaissables à grains
fins) plus petits et plus arrondis. Autre contrainte
mécanique, le poids des couches supérieures
compacte celles sous-jacentes, les densifie et atté-
nue le caractère dendritique de leurs grains.
L’évolution thermodynamique d’une couche
de neige, dictée par son contenu en eau liquide,
est dite de neige sèche quand elle n’en contient
pas, et de neige humide quand elle en contient.
En neige sèche, à micro-échelle, les déséqui-
libres des phases glace et vapeur, à l’interface
glace-air des éléments constitutifs d’une couche
de neige sont permanents. Quand les diérences
de température dans la couche sont infimes, ce
sont les surfaces les plus convexes qui sont siège
de sublimation, et les plus concaves de condensa-
tion solide. Quand elles sont plus marquées, les
surfaces de glace les plus chaudes sont siège de
sublimation, et les plus froides de condensation
solide. Ainsi, c’est le gradient de température de
la couche (rapport entre la diérence de ses tem-
pératures basale et sommitale et son épaisseur)
qui gouverne préférentiellement l’un ou l’autre de
ces processus antagonistes de transfert de vapeur.
Les couches siège de faibles gradients se densi-
fient, leurs grains s’arrondissent (grains fins) et
grossissent un peu; simultanément, des ponts
de glace intergrains (frittage) se développent,
accroissent la cohésion (neige à igloo). Celles
siège de gradients moyens à forts se densifient
dicilement. Leurs grains deviennent plus angu-
leux (faces planes puis gobelets). Peu de ponts
de glace intergrains se forment, et ceux existants
disparaissent petit à petit. Ces neiges ont une
faible cohésion; elles coulent entre les doigts
comme du gros sel. Quel que soit le gradient,
plus la densité de la couche est faible, plus sa
température moyenne est élevée, plus son évo-
lution est rapide. Pour cette raison, et en relation
avec son forçage énergétique, l’évolution du MN
est plus lente en face nord qu’en face sud.
En présence d’eau liquide, une couche de neige,
quel que soit l’état de son évolution, subit une méta-
morphose de fonte (transferts de matière entre les
phases solide et liquide). Ses grains s’arrondissent
et grossissent. Elle se densifie. Sa cohésion, tout
d’abord capillaire (moyenne) quand le contenu en
eau est faible, disparaît au-delà d’un certain taux
(de l’ordre de 5% de la masse totale glace +eau),
mais devient excellente en cas de regel.
Variabilité spatiale et stabilité
du manteau neigeux
En un lieu et à un instant donnés, la structure
du MN (épaisseur, stratigraphie, etc.) est intime-
ment liée à son histoire, elle-même dépendante
de sa localisation géographique de moyenne et
grande échelles. À une date donnée, l’enneigement
alpin dière du pyrénéen, tout comme dièrent
ceux de deux massifs voisins comme Belledonne
et l’Oisans. À une échelle plus réduite (quelques
dizaines de m), la variabilité du MN est aussi très
marquée.Les caractéristiques topographiques
du lieu ont un impact à la fois sur son forçage
énergétique et sur la manière dont le vent redis-
tribue la neige mobilisable des zones d’érosion
vers celles de calme.
Les MN instables, avalancheux (ceux préoccu-
pants) se classent en deux types, selon leurs struc-
tures et leurs mécanismes de déclenchement.
Les MN à structure de plaque ont un agen-
cement particulier de couches cohésives (frit-
tées), dont l’aptitude à résister à la propagation
d’une fissure initiale (ténacité) est faible, sur-
montant des couches fragiles. Ils sont mis en
mouvement (départ d’avalanche) sous l’eet de
surcharges (chutes de neige, skieurs, véhicules,
etc.) qui, transmises à travers les couches frit-
tées, cisaillent et rompent les couches fragiles
enfouies, ou d’une diminution par métamor-
phose de la cohésion des couches fragiles. Dans
la zone de départ d’une avalanche de plaque,
une cassure linéaire est identifiable.
Les MN dont les couches supérieures sont
constituées de neige facilement mobilisable (neige
fraîche, neige humide) peuvent se mettre en mou-
vement quand le rapport cohésion sur contrainte
de gravité de ces couches diminue, après une
humidification, une surcharge supplémentaire,
etc. À la différence d’une avalanche de plaque,
dont le mode de rupture est linéaire, une ava-
lanche de neige de faible cohésion présente une
zone de départ ponctuelle. C’est au cours de son
trajet que l’avalanche déstabilise la neige encore
en place (zone de transition en forme de cône).
Suivant le type de la neige mobilisée, respective-
ment froide et peu dense ou fondante, les zones
de transition et de dépôt seront peu identifiables
ou parsemées de boules.
Le manteau
neigeux du col de
Porte. Coupe verticale
(54 cm) réalisée au mois
de mars (Tair = – 8 °C, ciel
clair).
Manteaux
neigeux à structure
de plaque.
Le bilan
énergétique du
manteau neigeux.
Les signes + et –
indiquent si les flux
concernés sont
susceptibles d’apporter
un gain ou une perte
d’énergie au MN.
+ –
+
+ –
latente
sensible
Pluie
neige
T
Flux de chaleur
air
Humidité
Vent
1 / 4 100%
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