LA MO N D I A L I SA T I O N V U E D E L ’ I SL A M 29
[p. 27-54] M. M. SALAH Arch. phil. droit 47 (2003)
On sait que, depuis les attentats du 11!septembre 2001, cette présentation des choses
est adoptée comme grille de lecture implicite et même quelquefois explicite par certains
acteurs très puissants du processus de mondialisation, et notamment, semble-t-il, par
l’administration américaine pour laquelle le terrorisme islamique est l’ennemi unique, ce
terrorisme étant lui-même alimenté par l’Islam et son système éducatif 12.
Tout se passe donc comme si la perception simpliste de la mondialisation que l’on
est tenté d’attribuer, a priori, à l’Islam n’était que l’écho ou la réplique à la perception,
tout aussi simpliste, que les acteurs principaux de la mondialisation se font à leur tour
de l’Islam!?
L’explication de ce jeu des miroirs déformants tient, essentiellement, dans l’usage
abusif du terme Islam. Celui-ci est de plus en plus utilisé «!pour rendre compte de
toutes les situations impliquant des musulmans!» 13. Il devient un concept passe-
partout, induisant «!une surdétermination du religieux!» dans des conflits et dans des
événements souvent porteurs de significations multiples 14. Il faut donc savoir si l’on
désigne par l’Islam «!une religion particulière avec toutes ses interprétations!», une ver-
sion spécifique de cette religion, «!une histoire de près de quatorze siècles!», la civilisa-
tion islamique dans son ensemble, les multiples courants islamistes ou les États
musulmans qui sont très hétérogènes 15.
Cette précision ne vise pas à nier que le concept d’Islam puisse renvoyer à une
réalité, dans laquelle, on peut trouver un principe d’unité qui va plus loin que les cinq
piliers de la religion 16. Elle implique, seulement, le rejet d’une vision essentialiste qui
expliquerait les comportements des musulmans en dehors de toute considération de
temps et d’espace et en dehors de toute référence aux facteurs économiques, culturels et
politiques. C’est donc un Islam enraciné dans l’histoire et dans la géographie, un Islam à
la fois un et multiple que l’on mettra en perspective avec la mondialisation.
Celle-ci ne s’entend pas d’ailleurs d’un processus uniforme, homogène et linéaire.
Elle renvoie au contraire à l’articulation complexe de plusieurs phénomènes qui entre-
tiennent des relations faites à la fois de complémentarité et d’antagonisme 17. La mon-
dialisation, c’est d’abord la formation progressive d’un marché à l’échelle planétaire,
caractérisé «!par la mobilité des biens et des services, des capitaux, des forces produc-
12 Le Président G.W. Bush a ainsi évoqué, à plusieurs reprises, la nécessité de réformer
l’Islam, montrant par là qu’il n’y a pas pour lui de frontières réelles entre Islam et terrorisme
islamiste.
13 O. Roy, L’Islam médiatisé, Seuil 2002 p. 12-13.
14 Ainsi le conflit tchétchène et le conflit lié à l’implosion de l’ex-fédération de la
Yougoslavie ont été analysés selon une grille de lecture purement religieuse alors qu’il
s’agit, dans le premier cas «!d’une séquelle typique de l’impérialisme!» et dans le second
d’un problème de dissolution d’un empire avec les cristallisations ethniques et nationalistes
que cela implique. V. O.!Roy, op. cit. s p. 20-21.
15 A. Gresh in A.!Gresh et T.!Ramadan, op. cit. s p.!290.
16 Profession de foi en Allah L’Unique et en Son Prophète Muhammed, obligation de respect
de la prière, obligation du jeûne, celle de la zakat (impôt légal) et du pèlerinage à La!Mecque
pour ceux qui en ont les moyens.
17 V. sur ce point M.!Mahmoud Mohamed Salah, Les contradictions du droit mondialisé, PUF
« Droit, éthique et société!», 2002, s p. 9-13.