DISSENSUS N°6 DOSSIER : FRÉDÉRIC LORDON ET LA POLITIQUE. ENJEUX PHILOSOPHIQUES, SOCIO-ÉCONOMIQUES ET RHÉTORIQUES. Antoine Janvier (dir.) U.R. MAP sur les Matérialités de la Politique Université de Liège Présentation : Les ouvrages de Frédéric Lordon ont offert ces dernières années un éclairage nouveau de « la politique », c’est-à-dire aussi bien de la forme-Etat et de ses dérivés, que des différentes figures prises par le mode de production capitaliste en fonction desquelles elle prend sens, et des différents régimes d’affectivité qui, à un niveau micro-politique, déterminent les rapports interindividuels « moléculaires » et surdéterminent les organisations « molaires » qui les ordonne et qu’ils investissent. Cette entreprise, Lordon la mène à travers une anlyse des mécanismes de la finance et du capitalisme en régime néolibéral, en vertu de la place centrale qu’ils accordent aux affects. Depuis L’intérêt souverain (2006) jusqu’au récent La société des affects (2013) en passant par Capitalisme, désir et servitude (2010), Lordon explore les ressorts et enjeux théoriques d’une « anthropologie économique spinoziste » voire d’un « structuralisme des passions » dans le but de rendre intelligible non seulement les structures et les opérations du monde de la finance, en particulier dans le domaine bancaire, mais aussi les formes historiques adoptées par le mode de production capitaliste en tant qu’il est porteur d’organisation sociale et, plus largement encore, la structure fondamentale de la domination dans les sociétés humaines1. Les recherches de Frédéric Lordon, appuyées sur la philosophie du conatus de Spinoza, proposent ainsi simultanément un renouvellement de la critique de l’économie politique telle que Marx l’avait inaugurée dans Le capital et la construction d’un nouveau modèle d’intelligibilité de la domination sociale. Issu d’une journée de rencontre avec l’auteur autour de ses travaux, en avril 2012 à Liège, ce numéro de Dissensus propose un ensemble de problématisations des thèses et des hypothèses avancées par Frédéric Lordon sur les terrains socio-économiques et philosophiques, ainsi que des stratégies discursives qu’il mobilise dans ses différentes modalités d’intervention : problématisations, au double sens de ce que Lordon permet d’interroger et de mettre en question chez d’autres auteurs, dans les opérations matérielles du 1 Frédéric Lordon, L’intérêt souverain : essai d’anthropologie économique spinoziste, Paris, La découverte, 2006, rééd. Poche, 2011 ; Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, Paris, La fabrique, 2010 ; La société des affects : pour un structuralisme des passions, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 2013. Ce travail explore les champs ouverts par un premier usage de la conceptualité spinoziste dans le cadre de la restitution et de l’interprétation du combat à coup d’OPE que mènent entre elles trois banques françaises (Paribas, BNP, Société générale) à la fin des années 1990 (voir Frédéric Lordon, La politique du capital, Paris, Odile Jacob, 2002). 1 monde de la finance et de la politique, ou encore dans les formes d’expression et de mises en scènes qui accompagnent la domination idéologique du capitalisme néo-libéral, d’une part ; et de ce qui, d’autre part, persiste dans son travail comme impensé, voire impensable, c’est-àdire des limites qui rendent ses recherches à la fois pertinentes et, dans cette mesure, discutables. C’est au prolongement d’une telle discussion « dissensuelle » entamée oralement à Liège en 2012 que s’attachent les différents articles de ce numéro. Articles du dossier : La science sociale spinoziste de Frédéric Lordon : une intervention politique immanente ?, par Alain Loute, docteur en philosophie et chercheur associé au Centre de Philosophie du Droit de l’UCL. Spinoza contre Spinoza: l'antihumanisme de Lordon, un althussérisme ?, par Eva Mancuso, aspirante FRS-FNRS et chercheuse au MAP (ULg). Sur Capitalisme, désir et servitude. Lettre à Frédéric Lordon, par Julien Pieron, ARC/fructis (ULg) Propositions politiques et horizon communiste : remarques à propos de la reconstruction d’un monde failli chez Frédéric Lordon, par Andrea Cavazzini, chercheur au Groupe de recherches matérialistes et collaborateur du MAP (ULg). Critique du capitalisme néolibéral et travail rhétorique chez Frédéric Lordon : un discours d’affectation, par François Provenzano et Antoine Janvier, respectivement Chargé de cours en Sciences du langage et rhétorique à l’ULg et assistant chercheur au Département de philosophie de l’ULg et membre du MAP. 2