L’Encéphale, 2006 ;
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305-14, cahier 1 Pour une vision systémique de la psychiatrie de liaison
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démarche répond à un besoin d’appréhender des aspects
interactionnels et institutionnels.
Même si le patient est au centre de notre intervention,
il existe de nombreux écueils avant de pouvoir accéder
jusqu’à lui et lui rendre service. Avec près de 3 000 lits, le
CHU de Lille constitue un site hospitalier démesuré. Bien
que nous développions des liens institués avec quelques
services, les services de médecine et de chirurgie nous
demandent majoritairement une intervention rapide et
répondant à un problème concret. Ils attendent un chan-
gement (de préférence une amélioration de la situation)
et ceci ne laisse que peu de place aux interventions pro-
grammées. C’est en partie ce contexte particulier qui nous
a poussé à proposer une grille de lecture systémique.
UNE GRILLE DE LECTURE POUR LES DEMANDES
DE PSYCHIATRIE DE LIAISON
Qui demande ?
Question fréquente en psychiatrie : en effet, certains de
nos patients nous consultent, poussés par leur famille ou
la société. Nous serions vite tentés d’amener à la table de
discussion celui qui « porte le symptôme ». Mais ceci
induit, nous le savons, de nombreuses résistances chez
ces « faux clients » peu convaincus d’avoir un problème
ou d’avoir à changer. Pour qui est-ce un problème ? Qui
souffre de la situation ? Qui est en difficulté et a ressenti
la nécessité d’une aide psychiatrique ? C’est le deman-
deur que la situation embarrasse, qui souhaite voir se pro-
duire un changement et c’est avec lui que le psychiatre
peut commencer à travailler, car il est l’un des moteurs du
changement. C’est souvent le médecin somaticien ou
l’équipe soignante que la situation embarrasse, qui
demandent l’intervention ; c’est en eux que le psychiatre
peut trouver une aide pour la résolution du problème.
La question n’est plus « Qui a un problème ? », ce qui
implique l’interlocuteur médical comme souffrant, mais
« Qui veut que cela change ? », ce qui implique cette fois
l’interlocuteur médical comme demandeur d’aide et
comme partenaire thérapeutique. En signifiant au deman-
deur son implication, il s’investit davantage. Faire prendre
conscience à l’équipe qu’elle est en demande, c’est aussi
lui permettre de se réapproprier la prise en charge globale
du patient. Bien souvent, dès qu’un trouble psychique est
identifié, nous constatons que le patient ainsi étiqueté perd
sa place au sein de la filière de soins habituelle. Or, ce
patient reste sous la responsabilité de l’équipe d’accueil et
notre intervention ne doit pas se limiter à orienter ces der-
niers dans les hôpitaux psychiatriques, mais bien plus
d’aider une équipe à aider un patient qui doit être maintenu
au sein de l’hôpital général. L’intervention auprès de
l’équipe permet de lutter contre la dichotomie soma-psyché
et de faire comprendre la globalité de la prise en charge.
Une seconde raison pour laquelle il faut d’abord travailler
avec le demandeur est celle de donner cohérence à notre
intervention. Il serait illogique de ne pas informer le deman-
deur et ceci ferait perdre du sens à notre intervention.
Une modalité particulière de prescription du « psy »
assez courante s’exprime ainsi : « Vous n’avez rien, c’est
psychologique ; il faut aller voir un psy ». Chemin faisant,
l’intervention psychologique est assimilée à « s’occuper de
rien » et le clivage psyché/soma est accentué (14). L’inter-
vention du psychiatre, amené à rencontrer un patient qui
ne l’a pas demandé, met en scène des situations parfois
vides de sens pour le patient, le psychiatre ou le personnel
soignant. Le psychiatre consultant doit aider quelqu’un qui
ne le demande pas : il ne pourra recadrer une telle demande
qu’en la triangulant (6). En réunissant le patient, le psychia-
tre et le médecin demandeur, ce dernier peut déclarer être
l’instigateur du recours au psychiatre, nous présenter, expli-
quer au patient ses doutes et ses hypothèses diagnostiques
et ainsi, l’intervention du psychiatre de liaison est mieux
comprise et acceptée. Il peut également la refuser, mais ce
sera dans ce cas en toute connaissance de cause.
Toutefois, il existe un danger à vouloir à tout prix iden-
tifier le demandeur : celui de ne travailler qu’avec lui.
Même s’il n’est pas explicitement demandeur, le patient
a donné à voir un symptôme (au moins par son compor-
tement) et il nécessite de toute façon une aide personna-
lisée. L’intervention en liaison perdrait son sens si elle
oubliait que l’amélioration des soins au patient est son
principal but. Nous ne devons donc pas nous focaliser uni-
quement sur le demandeur : il est important de rencontrer
tous les patients qui ont fait l’objet d’une demande. La
vision systémique de la liaison ne se conçoit pas unique-
ment parce que les médecins demandent, mais aussi
parce que les patients ne demandent pas… alors qu’ils
souffrent. Dans un second temps, le psychiatre pourra
définir le problème avec le patient (qui n’est pas néces-
sairement celui du médecin demandeur) et le laisser se
positionner lui-même en tant que demandeur. Nous pou-
vons donc compter plusieurs « clients », avec leurs pro-
blèmes et leurs attentes respectives parfois contradictoi-
res. La position du « psy », paradoxalement mandaté pour
aider des patients qui ne le demandent pas, ne peut être
que celle d’un médiateur s’il ne veut pas être disqualifié
par l’une ou l’autre des deux parties.
Quel est le problème ?
Cette question montre toute la vision pragmatique des
thérapies brèves, fondées sur les faits (les comporte-
ments) et non sur les commentaires (les interprétations).
Le « psy » questionnera en termes concrets (Quels sont
les faits et les comportements précis ?) mais également
en termes interactionnels (Qui fait quoi à qui ? Dans quel
contexte ? Pourquoi maintenant ?). Le psychiatre doit
éloigner
ses interlocuteurs des abstractions. La descrip-
tion du problème doit être non normative. Celui qui
demande a toujours sa propre façon d’envisager le pro-
blème et nourrit souvent des attentes construites au sujet
de l’intervention à venir. Ces échanges préliminaires faci-
litent l’intervention future et permettent d’atténuer les
attentes utopiques. Par ailleurs, il n’est pas question pour
le psychiatre de s’irriter de certains énoncés du problème
par l’équipe : « M. X doit rencontrer un psychiatre car il a