Pour une vision systémique de la psychiatrie de liaison

L’Encéphale, 2006 ;
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MÉMOIRE ORIGINAL
Pour une vision systémique de la psychiatrie de liaison
O. COTTENCIN
(1)
, C. VERSAEVEL
(2)
, M. GOUDEMAND
(1)
(1) Université Lille II, Clinique Hospitalo-Universitaire de Psychiatrie, CHU de Lille.
(2) EPSM Lille Métropole (Armentières), Secteur 59 G 07, service du Docteur C. Lajugie, BP 10-59487 Armentières.
Travail reçu le 10 août 2004 et accepté le 29 avril 2005.
Tirés à part :
O. Cottencin (à l’adresse ci-dessus).
In favour of a systemic vision of liaison psychiatry
Summary.
One of the problems of consultation-liaison psychiatry is the absence of request of the patient. Indeed, the
patients do not recognize their disorder and prefer to go to the emergency unit in a general hospital. Thus, we meet in
the emergency unit or in medical unit (liaison psychiatry activity). This is the reason why this first meeting has to be prepared.
Consultation-liaison Psychiatry proposes to provide medical staff with the competences developed by psychiatry, and
the denomination : Consultation and Liaison Psychiatry, indicates the bipolarity of its practice according to whether the
intervention is addressed to the patient (consultation) or to the staff (liaison). However collaboration is sometimes difficult
and the psychiatrist often meets with resistance. This is the reason why psychiatrists must work on their integration in
the general hospital. Indeed, the psychiatrist works in an institution which is unfamiliar and he/she must adapt and create
new practices if it is going to work. It is now clearly established that consultation-liaison psychiatry is not limited to con-
sultations with patients, but is based on collaboration with medical staff. There are various ways of studying human
problems : psychoanalysis, cognitive therapy, behavioural therapy. It is also possible to focus interest on the communi-
cation between individuals. The systemic therapies are interested in the interactions more than with any other aspect of
reality, and this always from a pragmatic point of view. This concept is based on a series of designs. First of all, an inter-
vention by problem solving aims at a change : the question is to know how a problem is maintained,
hic et nunc
. Secondly,
humans are a sum of training by tests and errors. Finally, what we call reality is only our perception of reality : the human
conflicts emerge when two persons assign a different direction to a reality which is perceived jointly. The human relationship
can be defined as interaction circles, which we propose to use in our practice of consultation-liaison psychiatry. The ques-
tion is no longer to know why the subject has a problem but to know how to resolve it. The call for a consultation of
psychiatry is often the result of an interaction between patient and staff. We propose an assessment of the consultation-
liaison-psychiatry’s demand so as to offer a concrete response to medical teams and patients. 1. First of all, the claimant
should be known. This first question is to be asked before even meeting the patient. In the majority of cases, it is the
medical staff that suffers from the situation (and wants a change). To work only on the patient, discredits the psychiatric
intervention. 2. The definition of the problem is a concrete question, which we want based on the facts and not on the
comments. That which requires the consultation (the patient, his/her family or the medical team) awaits concrete answers
from the psychiatrist. It is important that the objectives of the intervention are defined before meeting the patient. These
preliminary exchanges facilitate the consultation-liaison intervention. 3. By knowing the solutions tried before the request
for psychiatric help, the psychiatrist will be able to know the measures already tried (whether they were effective or not).
4. By proposing minimal changes, it defines small but obtainable objectives, which will be as much as to increase thera-
peutic alliance and the tolerance of patients sometimes difficult to understand. 5. Finally, the consultation-liaison psy-
chiatrist must know the language of his/her interlocutors. Interdisciplinary alliance is a fundamental condition for the suc-
cess of the intervention : like the patients, the medical staff must feel understood to be able to cooperate. To develop
this alliance and to inhibit resistance, it is important to speak the language of the claimant. The demand will progressively
become interventions, more adapted, especially when the psychiatrist is recognized and appreciated by the team, like a
O. Cottencin
et al.
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Résumé.
En tentant de définir le concept et les activités de
la psychiatrie de liaison, nous constatons que le psychiatre
doit s’adapter à un contexte très particulier : il opère dans une
institution qui n’est pas la sienne et rencontre des patients à
la demande d’un tiers. Sur le plan théorique, de nombreux
auteurs ont utilisé les théories systémiques afin de modéliser
différents aspects de la psychiatrie de liaison. Le plus sou-
vent, le psychiatre de liaison est sollicité par un soignant pour
donner un avis à propos d’un patient. Pour venir en aide au
patient et au soignant demandeur, le psychiatre, confronté
aux difficultés relationnelles et institutionnelles inhérentes à
cette pratique, doit tenir compte du système. Dans ce
contexte où la démarche psychiatrique n’est parfois pas bien
comprise par les acteurs des services de soins somatiques,
l’analyse systémique et l’application d’une grille de lecture de
la demande de consultation de psychiatrie de liaison ont
révélé de multiples intérêts, comme en témoignent les cas
cliniques présentés. Qui demande ? Quel est le problème du
demandeur ? En cherchant à identifier le demandeur et le
pourquoi de sa demande, nous cherchons à identifier le
« jeu » relationnel en cours, ce qui nous permet de mieux
répondre aux attentes de chacun. Stratégiquement, cette
approche aménage une alliance avec le soignant deman-
deur, permettant une expérience commune des soins. Pro-
gressivement, une influence et un apport de connaissances
réciproque s’instaurent. La démarche psychiatrique n’est
plus rejetée, mais complémentaire : un bénéfice pour le
patient !
Mots clés :
Psychiatrie de liaison ; Psychiatrie et médecine ; Thé-
rapie systémique brève.
INTRODUCTION
Un des problèmes de la psychiatrie de liaison réside
dans l’absence de demande du patient. Force est de
constater que les patients qui souffrent sur le plan psy-
chique ne se rendent pas en priorité dans les centres
médico-psychologiques ou dans les hôpitaux psychiatri-
ques dont ils dépendent. Ils consultent d’abord leurs
médecins traitants qui les adressent le plus souvent en
cabinet libéral grâce à leur réseau personnel. Par ailleurs,
ne reconnaissant pas toujours leurs troubles ou ne les
admettant que lorsqu’il est trop tard, les patients s’adres-
seront (ou seront adressés) à la psychiatrie en urgence
et se rendront à leur hôpital général de proximité. C’est
ainsi qu’ils rencontrent parfois pour la première fois un
psychiatre, soit aux urgences soit, dans un service
médico-chirurgical (en liaison). Un tel contexte justifie
donc de notre part une grande vigilance quant à la qualité
de cette première rencontre.
C’est donc parce que les patients ne se présentent pas
toujours à nous dans le contexte idéal du secret de notre
bureau, parce que les patients atteints dans leur corps
peuvent exprimer de façon directe ou indirecte une souf-
france psychique, parce que les patients présentent par-
fois une expression somatique de leur angoisse qu’il nous
faut adapter nos pratiques. Dans cet état d’esprit, nous
avons choisi de formaliser nos interventions de psychiatrie
de liaison selon le modèle de l’intervention brève au sens
de la psychiatrie d’urgence et de crise. Ceci tient en grande
partie aux conditions locales d’organisation de la psychia-
trie de liaison au sein de notre hôpital, mais également à
la vision interactionnelle et non normative que nous avons
développée dans notre pratique personnelle.
PSYCHIATRIE DE CONSULTATION-LIAISON :
DU CONCEPT À LA PRATIQUE
Billings introduit pour la première fois le terme de liaison
dans la littérature médicale en 1941 aux États-Unis.
Lipowski (9, 10) crée en 1959 un service de psychiatrie
de consultation-liaison au
Royal Victoria Hospital
de Mon-
tréal et publie les textes véritablement fondateurs de cette
discipline. La psychiatrie de liaison est un concept sou-
haitant voir l’Homme traité dans sa globalité, ce qui impli-
que que la souffrance mentale soit en constante interre-
lation avec les difficultés physiques. En France, c’est
l’implication de quelques pionniers déjà présents dans les
hôpitaux généraux et l’essor de la sectorisation qui a per-
mis son développement.
Aucune définition de la psychiatrie de liaison n’est suf-
fisamment précise, puisqu’elle représente davantage le
concept d’une pratique psychiatrique dans un contexte
particulier et, dans ce domaine, les pratiques sont très
diversifiées. Cependant la définition de Zumbrunnen sem-
ble la plus réaliste : « la psychiatrie de liaison se propose
de mettre au service des patients et des soignants des ser-
vices de médecine et de chirurgie, les compétences déve-
loppées par la psychiatrie avec une notion d’extraterrito-
rialité, hors des murs sécurisants des structures de la
good consultant, credible and concrete. Thus, mentally distressed patients can benefit from psychiatric care (although
they do not request it). However, two phases appear essential. First, we have to define the demand and the claimant
(environment, medical staff and patient) and second, we have to support the integration of the psychiatrist in the functioning
of the medical unit. Our systemic vision of the consultation-liaison psychiatry proposes a pragmatic collaboration, centred
on the problem. This approach allows the patient to prepare to meet the psychiatrist, and does not
a priori
discredit the
intervention. Presented by the staff, who know the problem in concrete terms and are ready to answer it in a concrete
way, this mode of intervention is only the first step of subsequent psychiatric care.
Key words :
Consultation-liaison psychiatry ; Medicine, Psychiatry ; Systemic therapy.
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santé mentale » (18). La dénomination anglo-saxonne de
Consultation-liaison psychiatry
indique très clairement
une
bipolarité dans la pratique de la psychiatrie de liaison
,
selon que l’intervention psychiatrique s’adresse davan-
tage au patient (pôle consultation) ou aux soignants (pôle
liaison) (2, 4). Pour le psychiatre, les échanges et la col-
laboration avec l’équipe soignante sont indispensables.
Mais parfois sur le terrain, la collaboration est délicate et
l’incompréhension réciproque entre les protagonistes : les
bases de la relation d’aide ne sont pas assimilées par les
équipes de soins somatiques et les
a priori
négatifs sur
notre profession et sur ce qu’elle a représenté sont encore
tenaces. Le psychiatre rencontre encore parfois une
grande méfiance.
La liaison impose donc au psychiatre de prendre en
compte le contexte de la consultation, de promouvoir une
action pédagogique auprès des équipes de soins soma-
tiques, d’aider ces derniers à faire face aux situations péni-
bles et de favoriser son intégration. Le psychiatre de
liaison doit réfléchir à la façon de réussir son intégration
à l’hôpital général (5, 13). Dans le cas contraire, il prendrait
le risque d’être rejeté et donc inutile.
Quand un service de soins somatiques demande au
psychiatre d’aider un patient dans une institution qui ne
lui est pas familière, il doit s’adapter, créer de nouvelles
pratiques et de nouveaux outils s’il veut continuer à jouer
un rôle. Il est en effet maintenant clairement établi que la
psychiatrie de liaison ne se limite pas à des consultations
avec des soignés, mais s’appuie fortement sur un travail
d’amont et d’aval avec les soignants. Aussi, s’impose à
notre pratique la préparation de la rencontre avec le
« psy »*.
RENCONTRE ENTRE LE COURANT SYSTÉMIQUE
ET LA PSYCHIATRIE DE LIAISON
Il y a diverses façons d’aborder les problèmes humains.
On peut analyser les processus intrapsychiques d’un indi-
vidu, son mode cognitif, son comportement… Il est éga-
lement possible de s’intéresser particulièrement à la com-
munication entre les personnes et/ou les groupes
humains. Le sujet d’étude, de réflexion et d’action sera
alors l’interaction des différentes composantes d’un sys-
tème humain. Nous pensons que la psychiatrie de liaison
plus que tout autre activité psychiatrique doit tenir compte
du système dans lequel elle évolue. Car même si le patient
est au centre de notre intervention, il y a de nombreux
écueils avant de pouvoir lui accéder. Obnubilés par le trou-
ble du comportement ou bien la peur du patient « psychia-
trique » qui constituent souvent des motifs de demande
de consultation, l’équipe médico-chirurgicale peut com-
prendre que le patient ne s’agite pas tout seul, même s’il
est psychotique et en proie à des hallucinations. Ainsi les
équipes doivent admettre que ce comportement a de
l’importance aussi parce qu’elles sont concernées et qu’il
s’inscrit dans une boucle interactionnelle entre elles et le
patient ou entre le patient et d’autres éléments de son envi-
ronnement (l’institution, la famille, la société…) et ce,
même s’il est sous-tendu par une pathologie mentale.
Parmi les auteurs qui traitent de la consultation de psy-
chiatrie à l’hôpital général, Lipowski (9) constate trois
stratégies différentes : l’approche orientée vers le
patient, l’approche orientée vers le médecin demandeur
et l’approche orientée vers la situation. Dans ce dernier
cas de figure, les échanges interpersonnels de tous les
membres de l’équipe clinique qui soignent le patient sont
pris en considération afin de comprendre le comporte-
ment du patient et l’inquiétude du médecin demandeur
à son sujet. « Le psychiatre de liaison entre dans ce
groupe comme observateur et participant ; de sa position
relativement détachée, il applique ses connaissances
[…] pour tenter d’identifier les sources de tensions et pro-
poser des mesures pratiques pour les atténuer, ce qui
a toujours pour objectif, en définitive, de favoriser une
amélioration des soins aux patients » (9). La consultation
en psychiatrie de liaison représente un écart significatif
par rapport à la consultation médicale traditionnelle ; la
différence essentielle réside en ce que le psychiatre
consultant a conscience « qu’une consultation est
incomplète si l’on considère le patient en faisant abs-
traction du milieu dans lequel il se trouve ». En d’autres
termes, le « psy » ne peut pas ne pas tenir compte du
système. Nous proposons donc d’exposer une façon
d’aborder la pratique de la psychiatrie de liaison au
moyen d’un outil psychothérapeutique, qui loin d’exclure
tout autre mode d’approche se veut simplement prag-
matique et concret pour permettre aux intervenants de
suivre une démarche plus adaptée à leur pratique.
Les thérapies brèves systémiques s’intéressent aux
interactions plus qu’à tout autre aspect de la réalité et ceci
toujours dans une vision pragmatique (8, 17). Cette
conception se fonde sur une série de prémisses, que nous
allons exposer en quelques points.
CHANGEMENT
En 1955, Grégory Bateson publia en collaboration avec
Jürgen Ruesch un ouvrage qui établit les bases de l’appro-
che cybernétique de la communication (1). Les règles
d’une relation ne sont pas définies une fois pour toutes. Il
existe une perpétuelle adaptation réciproque, consciente
ou non : il s’agit d’un processus avec des rétrocontrôles.
Tout ce qui vit s’adapte, tout ce qui ne s’adapte pas meurt.
C’est vrai du biologique comme du relationnel. Une inter-
vention par résolution de problème vise le changement.
Cette conception peut paraître élémentaire, mais « la
connaissance d’un supposé pourquoi n’est ni nécessaire,
ni suffisante pour changer » (11). La question qui nous
intéresse est de savoir comment ce problème est entre-
tenu, ici et maintenant ? La connaissance de causes pro-
fondes du passé ne permet que rarement un changement
lors d’une intervention dans un service de médecine.
* Nous avons choisi de dénommer ainsi les intervenants de la psy-
chiatrie de liaison : psychiatre, psychologue et infirmier des ser-
vices de psychiatrie.
O. Cottencin
et al.
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APPRENTISSAGES
Nous pouvons tirer profit de nos erreurs et de nos
échecs. Procédant par essais et erreurs, le fonctionne-
ment humain peut autant apprendre de ses échecs que
de ses réussites. En matière de relations humaines, on
apprend en faisant et en faisant progressivement. Une
règle d’or sera donc de définir précisément le problème,
avant d’imaginer toutes les solutions pour faire enfin notre
choix ou pour aider l’équipe en difficulté. Ceci est un point
important qui nous impose de comprendre le problème
avant de le juger.
RÉALITÉ
Ce que nous appelons réalité n’est en fait que notre per-
ception de la réalité. En citant Watzlawick
et al.
(16), nous
pourrions dire que les conflits humains surgissent lorsque
deux personnes attribuent un sens différent à une réalité
qui est perçue en commun. C’est là souvent que le pro-
blème commence. Mais c’est là aussi que de grandes
opportunités peuvent s’ouvrir. Si nous acceptons l’idée
que nos réalités sont toujours des constructions et des
explications que nous donnons du monde extérieur, alors
nous pouvons commencer à comprendre qu’une bonne
intervention peut consister à changer une construction
douloureuse de la réalité en une construction moins dou-
loureuse. Ceci ne signifie en aucune manière que cette
construction soit plus « réelle » que l’autre. Elle est seu-
lement moins douloureuse. Ainsi les faits en eux-mêmes
n’ont pas de sens, mais nous pouvons donner aux mêmes
faits des sens différents. C’est ce que l’on appelle le reca-
drage qui peut être utilisé dans un but psychothérapeuti-
que (11). C’est pourquoi dans ce type d’intervention, il est
fondamental de séparer les faits des commentaires. Les
faits aideront à préciser le problème, les commentaires
nous indiquerons le sens que cette personne leur donne,
sa vision des choses, sa façon de voir la réalité. Dans notre
pratique de liaison, nous entendons souvent les faits en
même temps que les commentaires : « Il est agité parce
que c’est un psychotique ». Or l’agitation (qui est un fait)
n’est pas toujours en adéquation avec le commentaire,
dont on ne peut s’empêcher de remarquer dans sa pré-
sentation le lien de cause à effet. C’était la douleur qui était
dans ce cas la cause de l’agitation, chez ce patient sans
antécédent psychiatrique.
DEMANDE DE CONSULTATION DE LIAISON :
UNE « BOUCLE INTERACTIONNELLE »
Ainsi au regard de ces principes il semble bien que,
quelle que soit la cause de la demande, le problème n’est
plus de savoir pourquoi le sujet est (ou a) un problème,
mais plutôt de savoir comment l’aider à sortir d’une situa-
tion de souffrance. Car nous devons admettre que la souf-
france du patient prend de l’importance dans la mesure
où elle nous concerne en tant que soignant. Nous devons
admettre également que la demande qui nous est faite
s’inscrit dans une boucle interactionnelle et nous nous
retrouverons en face de relations entre deux personnes,
entre une personne et un groupe ou entre deux groupes.
Dans une boucle interactionnelle nous pouvons com-
prendre qu’il existe des relations linéaires : il y a une cause
et une conséquence (par exemple entre un agresseur et
une victime) et dans ce cas une solution adaptée serait
linéaire (il faut se protéger). Mais il existe également des
relations circulaires, au sein desquelles chacun doit com-
prendre qu’il est partie prenante dans la relation. À chaque
étape de la relation (aussi dégradée soit-elle), nous avons
la possibilité de faire un autre choix qui modifiera la boucle
suivante. C’est ainsi que l’on définit une interaction symé-
trique (plus il crie, plus je crie ; plus il ment, plus je mens)
ou une interaction complémentaire (plus il m’écrase, plus
je m’aplatis ; plus il ment, plus je continue à lui faire
confiance). Escalades complémentaire et symétrique sont
le résultat de la persévérance et de l’intensification de l’un
de ces processus jusqu’à un état de déséquilibre problé-
matique du système : il y a crise, comme le conçoit De
Clercq (6). L’appel du « psy » peut résulter d’une telle crise
au sein d’un service et, d’un point de vue systémique, pour
sortir d’une escalade symétrique, on pourra proposer
d’être complémentaire et inversement.
Parmi les théories considérant l’homme dans son envi-
ronnement social, la pensée systémique
offre des modèles
de compréhension du processus de consultation et des
modalités d’intervention en psychiatrie de liaison. Pour Mohl
(12), deux éléments ont favorisé l’application des notions de
systémique en psychiatrie de liaison : d’une part, la difficulté
d’être confronté à une écrasante somme de données qu’il
convient d’organiser et d’autre part, la difficulté d’accès au
patient, dépendant de la demande du médecin somaticien.
Il cite différentes applications du courant systémique s’y
appliquant. Miller par exemple, applique la théorie générale
des systèmes pour le traitement des données et l’aide à la
prise de décision en psychiatrie de liaison. Il argumente que
le psychiatre consultant peut organiser et interpréter les don-
nées à chacun des trois niveaux suivants : biologique, psy-
chologique et sociologique. Chaque niveau comporte de
multiples systèmes conceptuels. Un exemple serait celui
d’un patient mutique dans un service de cancérologie : l’uti-
lisation d’un niveau biologique peut mener au diagnostic de
syndrome cérébral organique et au traitement pharmacolo-
gique. L’utilisation du niveau psychologique peut mener à
un diagnostic de dépression, rendant nécessaire une psy-
chothérapie de soutien. Si l’on considère le niveau social,
le diagnostic de crise familiale peut aboutir à des réunions
de groupe. Aucun diagnostic ne serait faux et toutes les inter-
ventions seraient probablement utiles. Guggenheim (7),
quant à lui, s’intéresse principalement à la satisfaction du
médecin demandeur et examine les éléments qui permet-
tent une meilleure utilisation du service de psychiatrie de
liaison. Il perçoit le psychiatre de liaison comme un « ambas-
sadeur » et un « vendeur » : son produit est la consultation
de psychiatrie, le médecin demandeur est le consommateur
(le client) du produit. L’application de ce plan et l’évaluation
du devenir sont comparées à la phase de « marketing »
(terme également proposé par Silla M. Consoli). Cette
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démarche répond à un besoin d’appréhender des aspects
interactionnels et institutionnels.
Même si le patient est au centre de notre intervention,
il existe de nombreux écueils avant de pouvoir accéder
jusqu’à lui et lui rendre service. Avec près de 3 000 lits, le
CHU de Lille constitue un site hospitalier démesuré. Bien
que nous développions des liens institués avec quelques
services, les services de médecine et de chirurgie nous
demandent majoritairement une intervention rapide et
répondant à un problème concret. Ils attendent un chan-
gement (de préférence une amélioration de la situation)
et ceci ne laisse que peu de place aux interventions pro-
grammées. C’est en partie ce contexte particulier qui nous
a poussé à proposer une grille de lecture systémique.
UNE GRILLE DE LECTURE POUR LES DEMANDES
DE PSYCHIATRIE DE LIAISON
Qui demande ?
Question fréquente en psychiatrie : en effet, certains de
nos patients nous consultent, poussés par leur famille ou
la société. Nous serions vite tentés d’amener à la table de
discussion celui qui « porte le symptôme ». Mais ceci
induit, nous le savons, de nombreuses résistances chez
ces « faux clients » peu convaincus d’avoir un problème
ou d’avoir à changer. Pour qui est-ce un problème ? Qui
souffre de la situation ? Qui est en difficulté et a ressenti
la nécessité d’une aide psychiatrique ? C’est le deman-
deur que la situation embarrasse, qui souhaite voir se pro-
duire un changement et c’est avec lui que le psychiatre
peut commencer à travailler, car il est l’un des moteurs du
changement. C’est souvent le médecin somaticien ou
l’équipe soignante que la situation embarrasse, qui
demandent l’intervention ; c’est en eux que le psychiatre
peut trouver une aide pour la résolution du problème.
La question n’est plus « Qui a un problème ? », ce qui
implique l’interlocuteur médical comme souffrant, mais
« Qui veut que cela change ? », ce qui implique cette fois
l’interlocuteur médical comme demandeur d’aide et
comme partenaire thérapeutique. En signifiant au deman-
deur son implication, il s’investit davantage. Faire prendre
conscience à l’équipe qu’elle est en demande, c’est aussi
lui permettre de se réapproprier la prise en charge globale
du patient. Bien souvent, dès qu’un trouble psychique est
identifié, nous constatons que le patient ainsi étiqueté perd
sa place au sein de la filière de soins habituelle. Or, ce
patient reste sous la responsabilité de l’équipe d’accueil et
notre intervention ne doit pas se limiter à orienter ces der-
niers dans les hôpitaux psychiatriques, mais bien plus
d’aider une équipe à aider un patient qui doit être maintenu
au sein de l’hôpital général. L’intervention auprès de
l’équipe permet de lutter contre la dichotomie soma-psyché
et de faire comprendre la globalité de la prise en charge.
Une seconde raison pour laquelle il faut d’abord travailler
avec le demandeur est celle de donner cohérence à notre
intervention. Il serait illogique de ne pas informer le deman-
deur et ceci ferait perdre du sens à notre intervention.
Une modalité particulière de prescription du « psy »
assez courante s’exprime ainsi : « Vous n’avez rien, c’est
psychologique ; il faut aller voir un psy ». Chemin faisant,
l’intervention psychologique est assimilée à « s’occuper de
rien » et le clivage psyché/soma est accentué (14). L’inter-
vention du psychiatre, amené à rencontrer un patient qui
ne l’a pas demandé, met en scène des situations parfois
vides de sens pour le patient, le psychiatre ou le personnel
soignant. Le psychiatre consultant doit aider quelqu’un qui
ne le demande pas : il ne pourra recadrer une telle demande
qu’en la triangulant (6). En réunissant le patient, le psychia-
tre et le médecin demandeur, ce dernier peut déclarer être
l’instigateur du recours au psychiatre, nous présenter, expli-
quer au patient ses doutes et ses hypothèses diagnostiques
et ainsi, l’intervention du psychiatre de liaison est mieux
comprise et acceptée. Il peut également la refuser, mais ce
sera dans ce cas en toute connaissance de cause.
Toutefois, il existe un danger à vouloir à tout prix iden-
tifier le demandeur : celui de ne travailler qu’avec lui.
Même s’il n’est pas explicitement demandeur, le patient
a donné à voir un symptôme (au moins par son compor-
tement) et il nécessite de toute façon une aide personna-
lisée. L’intervention en liaison perdrait son sens si elle
oubliait que l’amélioration des soins au patient est son
principal but. Nous ne devons donc pas nous focaliser uni-
quement sur le demandeur : il est important de rencontrer
tous les patients qui ont fait l’objet d’une demande. La
vision systémique de la liaison ne se conçoit pas unique-
ment parce que les médecins demandent, mais aussi
parce que les patients ne demandent pas… alors qu’ils
souffrent. Dans un second temps, le psychiatre pourra
définir le problème avec le patient (qui n’est pas néces-
sairement celui du médecin demandeur) et le laisser se
positionner lui-même en tant que demandeur. Nous pou-
vons donc compter plusieurs « clients », avec leurs pro-
blèmes et leurs attentes respectives parfois contradictoi-
res. La position du « psy », paradoxalement mandaté pour
aider des patients qui ne le demandent pas, ne peut être
que celle d’un médiateur s’il ne veut pas être disqualifié
par l’une ou l’autre des deux parties.
Quel est le problème ?
Cette question montre toute la vision pragmatique des
thérapies brèves, fondées sur les faits (les comporte-
ments) et non sur les commentaires (les interprétations).
Le « psy » questionnera en termes concrets (Quels sont
les faits et les comportements précis ?) mais également
en termes interactionnels (Qui fait quoi à qui ? Dans quel
contexte ? Pourquoi maintenant ?). Le psychiatre doit
éloigner
ses interlocuteurs des abstractions. La descrip-
tion du problème doit être non normative. Celui qui
demande a toujours sa propre façon d’envisager le pro-
blème et nourrit souvent des attentes construites au sujet
de l’intervention à venir. Ces échanges préliminaires faci-
litent l’intervention future et permettent d’atténuer les
attentes utopiques. Par ailleurs, il n’est pas question pour
le psychiatre de s’irriter de certains énoncés du problème
par l’équipe : « M. X doit rencontrer un psychiatre car il a
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