Conflit et compétition politiques dans la « démocratie souveraine » L

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Conit et compétition politiques dans la « démocratie
souveraine » L’opposition vue par Russie unie
Clémentine Fauconnier
Revue d’études comparatives Est-Ouest / Volume 42 / Issue 01 / March 2011, pp 17 - 36
DOI: 10.4074/S0338059911001021, Published online: 24 May 2011
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Clémentine Fauconnier (2011). Conit et compétition politiques dans la « démocratie souveraine »
L’opposition vue par Russie unie. Revue d’études comparatives Est-Ouest, 42, pp 17-36 doi:10.4074/
S0338059911001021
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conflit et compétition politiques dans
la « démocratie souVeraine »
lopposition Vue par russie unie
CLémentine FAUCONNIER
Doctorante à l’IEP de Paris, CERI-FNSP/CNRS
(clementine.fauconnier@sciences-po.org)
Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2011,
vol. 42, n° 1, pp. 17-36
Résumé : L’opposition russe est envisagée ici à travers la perception des dirigeants
russes et les discours qu’ils formulent à son sujet. Nous examinons plus particuliè-
rement la façon dont les membres de Russie unie légitiment la domination de leur
parti à longue échéance. Pour cela nous nous pencherons sur le travail doctrinal
effectué pour justifier la polarisation de la vie politique autour du parti du pouvoir.
L’enjeu sera alors de voir comment – outre les violences et les difficultés auxquelles
sont confrontés les partis d’opposition – cette conception unanimiste, « pragma-
tique » du politique contribue à la remise en cause des notions mêmes de conflit
et de compétition entre différents projets politiques – fondements des systèmes
pluralistes.
mots-clés : Russie unie, parti du pouvoir, idéologie, conservatisme, identité partisane,
parti majoritaire.
VOLUME 42, MARS 2011
cMentine Fauconnier
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« Nous revendiquons notre pouvoir et notre droit à être le
parti dirigeant tout d’abord parce que nous sommes fermement
convaincus qu’il n’y a pas d’alternative à la modernisation telle
qu’elle est menée par les conservateurs. Ni les socialistes, ni les
libéraux ne sont en mesure, vu leur ancrage idéologique, vu
les limites de leur influence, vu leur expérience historique, de
proposer une telle modernisation, qui ne mène ni à des affronte-
ments ni à l’aggravation des conflits ethniques et sociaux»1.
introduction
Notre contribution, qui s’inscrit dans une réflexion sur le pluralisme poli-
tique en Russie, étudie plus singulièrement la façon dont les représentants
du parti du pouvoir, Russie unie (Edinaja Rossija), justifient leur domina-
tion et la marginalisation des oppositions. À cette fin, nous analysons la
dimension stratégique du discours – de plus en plus systématique à partir
de 2005 – de Russie unie qui se présente comme un parti « conservateur ».
Comment la réappropriation d’un ensemble de références et d’idées asso-
ciées au conservatisme participe-t-elle de la tentative de légitimer l’ins-
tauration, durant la décennie 2000, d’une « hiérarchie informelle »2 entre
le parti du pouvoir qui domine le jeu politique, les oppositions autorisées
mais faibles, et les autres, exclues du processus électoral ?
Dès sa première adresse à l’Assemblée, en juillet 2000, Vladimir Poutine
avait présenté la politique de recentralisation du pouvoir qu’il comptait
mener comme la première étape indispensable pour la construction d’un
État « fort » mais aussi « démocratique ». Il affirmait alors : « Un pouvoir
faible a besoin de partis faibles. Il lui est plus facile et confortable de vivre
selon les règles du marchandage politique. En revanche, un pouvoir fort a
besoin de rivaux forts. Un dialogue sérieux sur le développement de notre
État n’est possible que dans les conditions de la compétition politique. La
Russie a besoin de grands partis soutenus et respectés par la population3 ».
C’est ainsi que, parallèlement au processus de concentration de tous les
leviers de pouvoir entre les mains des dirigeants fédéraux4, mené sous le
double slogan de la « restauration de la verticale du pouvoir » et de la
1. Déclaration d’Andrej Isaev député à la Douma et adjoint du secrétaire du présidium du
conseil général de Russie unie, lors de la présentation le 1er décembre 2009 du projet du
parti « Expériences mondiales de modernisation conservatrice» (Mirovoj opyt konservati-
vnoj modernizacii) (http://www.edinros.ru/text.shtml?11/1107,110759).
2. L’expression est de Vladimir Gel’man ; elle désigne la prédominance du parti du pouvoir,
Russie unie, en même temps qu’elle souligne la différence entre les partis satellites autorisés
par le Kremlin comme, par exemple, le parti Russie juste et les autres (GelMan, 2008).
3. Discours du 8 juillet 2000, accessible en anglais à cette adresse (dernier accès le 10.01.01) :
http://www.un.int/russia/pressrel/2000/00_07_00.htm
4. Pour une présentation de ces réformes, voir GelMan (2007b).
conFlit et coMpétition politiques dans la « déMocratie souveraine » 19
« dictature de la loi », l’adoption à partir de 2001 d’une nouvelle législation
sur les partis politiques et les élections5 a contribué à transformer en pro-
fondeur les modalités du jeu politique. Si le but proclamé de ces réformes a
été, dans le prolongement du discours de Vladimir Poutine en juillet 2000,
de renforcer les partis nationaux dans un système jusque-là décrit com-
me fragmenté et faible6, elles ont avant tout bénéficié à une organisation
en particulier : Russie unie, créée le 1er décembre 2001 pour soutenir le
Président. Née de la fusion entre les blocs électoraux Unité (Edinstvo) et
Patrie- Toute la Russie (Otečestvo-Vsja Rossija) qui s’étaient affrontés aux
élections législatives de 19997, Russie unie bénéficie de la majorité absolue
des sièges à la Douma d’État la chambre basse du Parlement depuis
les élections législatives de décembre 2003. Au cours du second mandat de
Vladimir Poutine, le parti a progressivement conquis les parlements régio-
naux et locaux tandis que la très grande majorité des gouverneurs et des
maires des capitales régionales adhéraient à Russie unie. En novembre
2008, d’après les chiffres officiels fournis par le parti, parmi les 83 régions
russes, 74 avaient un gouverneur membre de Russie unie, tandis que le
parti disposait de la majorité des sièges dans 79 assemblées régionales8.
Par ailleurs, depuis 2007, quatre partis sont représentés à la Douma d’État,
ils étaient 43 à l’issue des élections de décembre 1995.
À rebours d’une approche socio-historique qui fait du conflit et de la
compétition entre les partis – « agent du conflit et instrument de son inté-
gration »9les vecteurs de la construction de l’État et d’un système démo-
cratique, les dirigeants russes affirment qu’un affrontement non maîtrisé
des forces politiques ne peut mener qu’au chaos. C’est en particulier à par-
tir du cas russe, qu’en 2007 le politiste américain Thomas Carothers a mon-
tré de quelle façon certains dirigeants utilisaient de façon sélective l’enjeu
de la construction de l’État contre les opposants politiques pour justifier la
mise en place de systèmes autocratiques et consolider leur propre position
au pouvoir. Il soulignait alors le caractère illusoire de cette argumentation
qu’il qualifie de « séquentialiste » (Carothers, 2007, pp. 13-18) et qui, diffé-
rant constamment la pluralisation du système, ne serait réalisable qu’une
fois la stabilité des institutions acquise ; or T. Carothers fait ressortir qu’un
tel atermoiement sape les bases de la mise en place d’un système politique
5. Les textes de ces lois sont accessible en anglais sur le site Internet de la Commission élec-
torale centrale : http://www.cikrf.ru/eng/law/. Pour une présentation détaillée, voir wilson
(2006).
6. Sur le système de partis russes dans les années 1990 et ses transformations depuis 2000,
voir GelMan (2006).
7. Créés respectivement en décembre 1998 et avril 1999, les mouvements Patrie et Toute la
Russie ont fusionné en août 1999 en un unique bloc électoral.
8. Les chiffres proviennent du site officiel du parti : http://edinros.er.ru/er/rubr.shtml?110112
(dernier accès le 31.01.10).
9. L’expression est de Stein Rokkan et Seymour Martin Lipset (lipset & roKKan, 2008, p. 11).
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compétitif (Carothers, 2007, pp. 13-18). Comme l’indique la déclaration du
député, membre de Russie unie, Andrej Isaev, citée en exergue, la défini-
tion de Russie unie comme un parti « conservateur » est étroitement liée
à ce processus de légitimation du pouvoir et de disqualification des oppo-
sitions.
Alors que, de 2001 à 2005, les représentants de Russie unie se définis-
saient comme des centristes mettant en avant leur manque d’intérêt pour
les questions idéologiques, de quelle façon, le thème de l’idéologie du parti
est-il devenu un argument central dans les processus de légitimation et de
distinction vis-à-vis des oppositions ? Comment les revendications de filia-
tion avec d’autres partis conservateurs étrangers, effectuées à cette occa-
sion, constituent-elles pour les dirigeants russes une réponse aux critiques
formulées à l’encontre de la domination du parti du pouvoir ?
Comme le souligne Alexandre Dézé, l’approche par l’idéologie permet
« d’investiguer au moins au moins trois dimensions majeures du phéno-
mène partisan l’identité, l’organisation et les stratégies » (Dézé, 2007,
p. 258). Elle réclame, pour cela d’être mise en relation avec les pratiques
des acteurs, et les usages pluriels qu’ils en font (Ibid., p. 284). Dans le
contexte de la Russie actuelle, l’enjeu du travail doctrinal effectué par
Russie unie n’est pas seulement de se différencier des autres partis mais
plus généralement de justifier un système les oppositions ne peuvent
pas gagner. C’est dans cette perspective que nous nous concentrerons ici
sur l’analyse des enjeux stratégiques qui sous-tendent le processus d’auto-
définition de Russie unie comme un parti conservateur. Il est nécessaire
pour cela d’envisager tout d’abord dans quel contexte ce tournant a eu lieu
et la façon dont il s’inscrit dans la stratégie des dirigeants russes à partir du
second mandat de Vladimir Poutine. Nous nous intéresserons ensuite aux
modalités d’appropriation sélective des références associées au conserva-
tisme afin de voir comment la définition produite par les représentants de
Russie unie permet de légitimer la limitation du conflit et de la compéti-
tion politique.
1. de la souVeraineté au conserVatisme : lenjeu de la modernisation
Après le cycle d’élections législative et présidentielle des années 2003
et 2004 qui consacrent le triomphe du Président et du parti du pouvoir, les
dirigeants russes traversent une période de difficulté caractérisée par des
tensions qui se font jour aussi bien sur le plan international – avec l’étran-
ger proche notamment – que dans les relations entre le pouvoir et la popu-
lation russe elle-même. Face à cette situation, le parti du pouvoir connaît
d’importants changements internes tandis que Vladislav Surkov – premier
adjoint du chef de l’administration présidentielle et considéré comme
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