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D G Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48
La « troglobitude » : adaptations à la vie souterraine
Michel Dethier(1) & Jean-Marie Hubart(2)
(1) Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive, Faculté universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux, B-5030
Gembloux et Laboratoire de Biologie souterraine « Les Chercheurs de la Wallonie » B-4400 Flémalle.
(2) Laboratoire de Biologie souterraine « Les Chercheurs de la Wallonie » B-4400 Flémalle.
jeanmarie.hubart@belgacom.net
Cet article constitue une ébauche de revue bibliographique sur la faune cavernicole, principalement d’Europe occidentale. Il
s’attache plus particulièrement à cerner les adaptations des espèces troglobies, c’est-à-dire strictement liées au milieu
souterrain. Les principales théories explicatives des origines possibles de cette faune sont également passées en revue.
Mots-clefs : milieu souterrain, faune troglobie, adaptations, évolution.
This paper is an outline of a bibliographical review on the cave fauna, mainly that of Western Europe. In particular, it
attempts to determine the adaptations of troglobitic species, i.e. species strictly related to underground environment. The
principal explanatory theories of the possible origins of this fauna are also reviewed.
Keywords: underground environment, troglobitic fauna, evolution.
1. INTRODUCTION
Pour le visiteur non averti, le milieu souterrain
présente un aspect essentiellement minéral, parfois
d’ailleurs tout à fait extraordinaire. Tout au plus
connaît-il les chauves-souris, qu’il considère souvent
comme les plus typiques et seuls habitants des grottes.
Pourtant, ce monde à l’apparence parfois quelque peu
rébarbative abrite une faune riche et variée. Nos
lointains ancêtres du Paléolithique s’en sont même
aperçus, puisqu’ils ont gravé, sur un os de bison, la
silhouette très reconnaissable d’un Troglophilus, un
Orthoptère cavernicole. Le premier animal
véritablement troglobie découvert en Europe fut le
Protée (Proteus anguinus) décrit au XVIIIème siècle
par Laurenti des grottes de Slovénie. Au siècle
précédant, ce curieux Urodèle était encore considéré
comme un jeune dragon. Il fallut ensuite attendre le
XIXème siècle pour que soient jetées les bases de la
Biospéologie. Schiner, dès 1854, puis surtout
Racovitza, au début du XXème siècle, ont mis en
évidence les particularités du monde souterrain, les
relations plus ou moins étroites que les animaux
pouvaient entretenir avec lui et les adaptations que
certaines espèces avaient développées pour y vivre en
permanence.
2. RELATIONS ENTRE LA FAUNE ET LE
MILIEU SOUTERRAIN
On a, depuis longtemps, relevé les caractéristiques du
milieu souterrain : absence totale de lumière (et, de ce
fait, du cycle nycthéméral), température basse et
humidité élevée mais constante, rareté des ressources
trophiques,… C’est un milieu pauvre, difficile, mais
par contre très stable. Loin d’être uniforme, il offre au
contraire une grande variété d’habitats. Dès 1907,
Racovitza a montré que les animaux que l’on y
rencontrait n’entretenaient pas tous avec ce milieu des
relations identiques. Affinant la classification de
Schiner, il a proposé de distinguer :
Les trogloxènes, qui ne passent dans les grottes
qu’une partie de leur vie et ne s’y reproduisent pas.
Ils ne présentent donc aucune des adaptations
classiques (dépigmentation, anophthalmie,… : v.
plus loin) à ce type de milieu. Ils viennent
simplement y chercher un abri pour l’hiver ou, au
contraire, un peu de fraîcheur et d’humidité en
été ; certains y effectuent leur diapause.
Scoliopteryx libatrix (L.) est un papillon de la
famille des Noctuidae dont les chenilles vivent sur
les saules et les peupliers. A la fin de l’été (parfois
même plus tôt), les adultes entrent dans les grottes
pour hiberner (ils sont alors totalement engourdis)
et n’en ressortent qu’en mars. Il semble qu’en
réalité, ils subissent une véritable diapause
hivernale (Dethier & Depasse, 2004).
Les troglophiles sont des hôtes électifs constants
des cavités souterraines. Ils y passent toute leur vie
(ou dans des lieux comparables) et peuvent
parfaitement s’y reproduire. S’ils ne présentent
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Figure 1 : Niphargus, Amphipode troglobie (photo F.
Delhez).
Figure 2 : Cylindrochaeta, Orthoptère endogé d’Australie
(tiré de Vandel, 1964, d’après Chopard)
encore guère d’adaptations morphologiques à ce
mode de vie, leur métabolisme et leur
comportement montrent déjà certaines
prédispositions. C’est ainsi que l’Araignée Meta
menardi Latr. a un quotient respiratoire plus bas
que ses cousines épigées et qu’elle tisse ses toiles
parallèlement aux parois, afin de capturer des
proies qui se déplacent à leur surface.
Les troglobies enfin, sont les véritables
cavernicoles. Ce sont les hôtes exclusifs du monde
souterrain et leurs profondes modifications, tant
physiologiques que morphologiques cette fois, les
ont en quelque sorte rendus prisonniers des parties
profondes des grottes. Nous avons déjà signalé
l’existence du Protée (seul Vertébré troglobie
d’Europe). Parmi les Invertébrés, un exemple
classique est celui des Niphargidae (figure 1),
Crustacés Amphipodes voisins des Gammares.
Dépigmentées et anophthalmes, ces « crevettes »
cavernicoles présentent en outre des adaptations
physiologiques remarquables à leur
environnement : métabolisme très lent (durée de
vie plus longue et grande capacité de jeûne), taux
de reproduction plus faible (œufs moins nombreux
mais plus gros),…
Dans la suite de cet article, il sera essentiellement
question des espèces troglobies. On rencontre ces
dernières dans de nombreux embranchements du
règne animal. Citons, à titre d’exemple :
- Oryctopus (Inde) et Cylindrochaeta (Australie,
figure 2) sont des Orthoptères de la famille des
Stenopelmatidae profondément modifiés par leur
mode de vie souterrain. En réalité, ce sont plutôt
des endogés, vivant dans les sols profonds, que des
cavernicoles au sens strict et, dans ce sens, ils
peuvent être rapprochés de nos courtilières.
- Troglochaetus (découvert en Suisse en 1919) est
une très petite Annélide Polychète appartenant à
une famille (Nerillidae) qui compte beaucoup de
représentants dans la faune interstitielle marine.
Marifugia (découvert en Herzégovine en 1913) est
une autre Annélide Polychète, sédentaire cette fois
(famille des Serpulidae), dépigmentée, translucide
et anophthalme, dont les tubes calcifiés peuvent
s’observer parfois par millions sur les parois des
grottes inondées. Pendant l’été, ces colonies sont
parfois exondées et les vers sont alors capables
d’entrer dans une phase de vie ralentie. Ces deux
espèces sont des relictes marines anciennes.
- Siettitia est un Coléoptère Dytiscidae récolté pour
la première fois en 1904 dans un puits du Var. Il
vit dans les nappes phréatiques, est décoloré et
couvert de longues soies sur tout le corps. Si les
ocelles sont absents, les yeux sont néanmoins
présents mais ils ne sont pas pigmentés. Les
Aphaenops sont des Carabidae troglobies typiques,
bien connus des biospéologues dans le bassin
méditerranéen et les Pyrénées.
- Charonothrombium (figure 3) est un Acarien des
nappes phréatiques au corps très allongé,
translucide et complètement anophthalme.
- Parmi les Vertébrés, outre le Protée, on connaît
d’assez nombreuses espèces de Poissons
cavernicoles, comme par exemple Caecobarbus
d’Afrique.
- Dans les grottes, on trouve donc de nombreux
Insectes (en particulier des Coléoptères) et des
Araignées (surtout des Linyphiidae), de très
nombreux Crustacés (certaines familles, comme
par exemple les Niphargidae et les Stenasellidae,
n’étant connues que par des espèces cavernicoles),
mais encore des Mollusques (chez nous, deux
espèces de Gastéropodes sont cavernicoles), des
Plathelminthes (deux espèces de Dendrocoelum
sont stygobies en Belgique) et même, semble-t-il,
des Protistes. A notre connaissance, dans les
Figure 3 : Charonothrombium, Acarien des nappes
souterraines (tiré de Vandel, 1964, d’après Motas &
Tanasachi).
La troglobitude 31
« grands » embranchements, il n’y a guère que les
Porifères, les Cnidaires et les Echinodermes qui
n’ont pas de représentants vraiment cavernicoles.
Il faut cependant noter que certaines espèces
d’Hydres habitent le milieu interstitiel.
En Belgique, la faune cavernicole a été d’abord
étudiée par Leruth (1939). Quelques auteurs s’y sont
également intéressés par la suite et, en 1999, Hubart
& Dethier ont proposé un bilan de la faune troglobie
de notre pays : elle comptait alors 41 espèces. Mais
des observations et des travaux ultérieurs (Bareth,
1999, 2000, Ducarme, 2003, Ducarme et al., 2003,…)
ont déjà permis de porter cette liste à une cinquantaine
d’espèces. On y trouve des Vers (Annélides,
Triclades, Nématodes), des Araignées, des Acariens,
des Crustacés (Copépodes, Ostracodes, Amphipodes,
Isopodes), des Mollusques, des Diploures, des
Collemboles et un Coléoptère Pselaphidae,
Tychobythinus belgicus (Jeannel) (figure 4). Ce
dernier, cependant, est un troglobie récent, comme le
montre la présence d’yeux (bien que réduits), son
cycle reproducteur et le comportement de sa larve
(Hubart, 2000). Cette relative pauvreté, par rapport
aux faunes cavernicoles du sud de l’Europe par
exemple, s’explique sans doute par le fait que notre
pays est situé à la limite atteinte par les glaciers et que
la (re)colonisation de nos grottes est probablement
toujours en cours.
De ce qui précède, on pourrait conclure un peu vite
que la « troglobitude » est un état clairement défini et
que sa reconnaissance chez une espèce ne pose aucun
problème. Ce n’est en réalité pas aussi simple que
cela et, dans la suite, nous allons donner un
échantillon des problèmes qui se posent souvent aux
biospéologues. D’ailleurs, dans les exemples évoqués
ci-dessus, certaines questions se posaient déjà :
différences et ressemblances entre troglobies et
endogés, distinction entre troglobies récents et
anciens, …
Outre les références citées dans le texte, le lecteur
intéressé par ces questions pourra aussi consulter des
ouvrages consacrés à la biospéologie, comme par
exemple ceux de Vandel (1964), de Ginet & Decou
(1977) ou de Wilkens, Culver & Humphreys (2000).
Il consultera aussi avec profit les trois tomes parus de
l’Encyclopaedia Biospeologica (environ 2000 pp.),
éditée par Ch. Juberthie & V. Decu et publiée par la
Société Internationale de Biospéologie (SIBIOS).
3. ASPECTS DE LA TROGLOBITUDE
Aspects morphologiques
1. La dépigmentation
Si ce caractère est souvent considéré comme
« fondamental » des troglobies et, de fait, peut être
observé chez l’immense majorité de ceux-ci, il n’en
est pas pour autant le strict apanage : bien des espèces
endogées, humicoles, myrmécophiles,… sont
également dépigmentées. D’autre part, des espèces
vivant toujours sous terre peuvent être normalement
pigmentées (l’Opilion Ischyropsalis pyrenaea Simon,
par exemple) et dépigmentation n’est pas synonyme
d’albinisme : des insectes parfaitement troglobies
comme les Aphaenops ne sont pas blancs mais
présentent la couleur ocrée de la chitine. Des
pigments peuvent en effet être trouvés chez des
espèces troglobies, comme par exemple des
caroténoïdes provenant de l’alimentation
(Stenasellus), des ptérines (chez certains Coléoptères),
etc.
Dans le cas des espèces troglobies, il serait plus juste
de parler de disparition des pigments tégumentaires
(mélanines et ommochromes) entraînant la
photophobie (ou photopathie) et la recherche des
milieux obscurs. En effet, si un excès de lumière peut
à la longue se révéler nocif pour des animaux épigés
comme les Gammares, par exemple, il peut très vite
être mortel pour des espèces troglobies, comme
certaines Planaires et les Niphargidae. Si l’œil
complètement régressé des troglobies anciens n’est
plus sensible à la lumière, ces animaux, en particulier
les espèces aquatiques, conservent néanmoins des
photorécepteurs : le diencéphale et la peau (sens
dermatoptique) restent sensibles aux faibles intensités
lumineuses.
Wilkens (1973) a étudié le degré de dépigmentation
de plusieurs poissons et écrevisses cavernicoles du
Yucatan et montré que le phénomène était extrême
chez les espèces d’origine marine, nul chez les
dulçaquicoles primaires, tandis que chez les
dulçaquicoles secondaires, on observait un état
intermédiaire. Plutôt que d’évoquer des différences de
vitesse d’évolution, cet auteur (et d’autres avec lui)
préfère envisager une différence d’ancienneté
Figure 4 : Tychobythinus belgicus (Jeannel), Coléoptère
Pselaphidae cavernicole de Belgique (photo J.-M. Hubart).
Notes fauniques de Gembloux 2005 57, 29-48 M. Dethier & J.-M. Hubart
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phylogénétique : les espèces les plus avancées dans ce
processus seraient entrées dans le milieu souterrain
longtemps avant les autres. Il distingue donc des
troglobies anciens et récents et explique ces invasions
successives par la géologie et la paléoclimatologie de
la région, lesquelles auraient joué le même rôle que
les glaciations chez nous.
On a souvent considéré la dépigmentation (ou, plus
exactement, la perte des pigments mélaniques
tégumentaires) comme un caractère dégénératif des
espèces troglobies. Ginet (1973) s’est demandé si, au
contraire, ce facteur n’avait pas favorisé la
conservation des lignées sénescentes en déclenchant
un comportement photophobe qui les a conduites à
chercher refuge dans le domaine souterrain. Là, en
effet, l’aspect négatif des autres caractères
dégénératifs des troglobies (perte des structures
oculaires, métabolisme réduit,…) est atténué. Dans
cette optique, la perte des pigments tégumentaires
pourrait être considérée comme un facteur d’évolution
plutôt positif, puisqu’elle a permis la survie de lignées
entières. Il faut vraisemblablement attribuer la perte
de ces pigments au métabolisme réduit des troglobies.
En effet, mélanines et ommochromes représentent le
plus souvent des résidus métaboliques, en particulier
chez les Arthropodes. Si le métabolisme se réduit, ces
substances sont évidemment produites en moins
grandes quantités, voire pas du tout.
La pigmentation des animaux épigés est stable,
permanente : des Asellus aquaticus (L.) soustraites à
la lumière pendant des mois ne perdent pas leurs
couleurs et leur descendance est normalement colorée
(mais nous avons observé, dans la grotte de Hotton,
des Gammarus dépigmentés !). A l’opposé, des
troglobies anciens ont perdu leurs pigments
mélaniques tégumentaires de manière définitive et les
exposer à la lumière, même de façon prudente et
progressive, ne leur a jamais rendu des couleurs. Mais
entre ces deux extrêmes, il existe un bon nombre de
cas où l’on constate un état d’instabilité de la
pigmentation : le Protée, normalement d’un rose très
clair, prend une teinte violette à noirâtre lorsqu’il est
exposé (prudemment !) à la lumière. Nous avons
nous-mêmes souvent observé des populations épigées
de l’Isopode Androniscus dentiger Verhoeff d’une
belle teinte orangée, tandis que les individus de la
grotte voisine étaient blancs.
2. L’anophthalmie
Ce caractère est aussi couramment considéré comme
typique de la faune cavernicole. Si, statistiquement, il
est plus fréquent chez les animaux des grottes, ces
derniers n’en ont pas pour autant l’exclusivité.
Comme la dépigmentation, on le rencontre chez
beaucoup de représentants de la pédofaune
(Symphyles, Géophiles, Palpigrades, Cryptops,…),
ainsi que chez les espèces abyssales, tant marines que
lacustres. Mais ici encore, il faut constater que le
parallélisme entre l’anophthalmie et l’obscurité est
loin d’être absolu. Ce phénomène semble aussi propre
à certaines lignées phylétiques : c’est ainsi que
seulement 1% des crabes abyssaux sont
anophthalmes, tandis que plus de 10% des Mysidacés
sont dépourvus d’yeux. La régression et la disparition
des structures oculaires est d’autant plus poussée
qu’elle est phylétiquement plus ancienne et elle peut
également affecter des espèces épigées, qui adoptent
alors des comportements nocturnes, comme l’a
montré Wilkens (1973), en parallèle avec la
dépigmentation.
Les modalités de la régression oculaire dépendent de
plusieurs facteurs :
- La complexité de l’œil : elle se déroule plus vite
chez les Planaires que chez les Arthropodes.
- L’âge phylogénétique : elle est plus complète chez
les troglobies anciens que chez les troglobies
récents (cf. supra). Cette constatation semble être
une règle assez générale dans l’évolution des
espèces troglobies.
La régression se déroule le plus souvent selon le
schéma suivant :
- Disparition préliminaire des structures
périphériques, c'est-à-dire de l’appareil dioptrique
(facettes cornéennes, cônes réfringents).
- Régression et disparition subséquentes des parties
profondes, sensorielles et nerveuses (cellules
rétiniennes, nerf optique), apparemment plus
stables.
Strauss (1909), étudiant les Amphipodes marins
abyssaux, a établi une série régressive, dont il a
nommé les stades à partir de noms de genres
caractéristiques (Liljeborgia, Tryphosa, Harpinia,
Andaniexis). Turquin (1973) a tenté d’établir des
corrélations entre la série régressive de Strauss et les
observations faites sur les Niphargidae, mais la
disparité des techniques histologiques, les difficultés
systématiques et les malentendus entre auteurs
rendent la tâche malaisée. Il est néanmoins évident
que tous les Niphargus (s.l.) ne sont pas au même
stade de régression oculaire.
Il convient aussi de noter que le schéma esquissé ci-
dessus ne s’applique pas aux Insectes. Chez ces
derniers, on observe un arrêt du développement des
structures oculaires au stade d’ébauches, alors que
chez d’autres animaux, le développement est d’abord
normal (bien que souvent ralenti), puis suivi d’une
La troglobitude 33
dégénérescence, comme par exemple chez le Protée et
les poissons cavernicoles.
La réduction et la disparition des structures oculaires
ont fait l’objet de nombreuses études. Nous ne
citerons ici que quelques exemples :
Les Collemboles ont été étudiés par Thibaud
(1967), Thibaud & Massoud (1973), Barra (1973),
Christiansen (1985), … De ces travaux, il ressort
que :
- La régression oculaire ne se produit pas avec la
même fréquence et la même intensité dans toutes
les familles. Les Sminthuridae sont très peu
affectés par ce phénomène, les Entomobryidae
présentent quelques cas particulièrement
démonstratifs (en particulier dans le genre
Pseudosinella), tandis que les Neelidae et les
Onychiuridae montrent les résultats d’une
évolution régressive souvent extrême.
- Si la réduction oculaire et la dépigmentation
s’observent aussi bien chez les espèces
cavernicoles que chez les espèces endogées, il n’en
va pas de même pour d’autres caractères. La furca,
par exemple, ne régresse que chez les espèces des
sols profonds.
- Conformément à la « règle générale » (cf. supra),
les structures externes régressent en premier,
suivies ensuite par les structures nerveuses
profondes. Dans le cas des premières, tous les
stades intermédiaires peuvent être observés. Ainsi,
dans le genre Schaefferia, on connaît des espèces
possédant 6+6 cornéules et d’autres parfois plus
aucune (comme, par exemple, S. coeca). En
Belgique, S. willemi (Bonet) est considéré comme
troglobie (Leruth, 1939 ; Hubart & Dethier, 1999).
Il possède encore néanmoins quatre cornéules,
d’un diamètre de 13 microns, alors que chez S.
coeca, s’il présente encore des cornéules, leur
diamètre n’est plus que de 2.5 microns.
Chez les Opilions, Juberthie & Munoz-Cuevas
(1973) ont bien mis en évidence la réduction
successive du cristallin, du corps vitré, puis des
cellules rétiniennes, pour aboutir finalement à un
massif de cellules indifférenciées (figure 5). Bien
que la plupart des Opilions cavernicoles soient des
troglophiles ou, au mieux, des troglobies récents
dans l’hémisphère nord (sauf les Travuniidae des
Pyrénées et de Dalmatie, dont les yeux peuvent
être totalement absents), on observe déjà une
réduction des yeux chez les Trogulidae
(muscicoles) et les Sironidae.
Meyer-Rochow et al. (2001) ont montré que, chez
le Décapode Atyidae cavernicole Troglocaris
anophthalmus, on trouvait encore du tissu nerveux
dans les pédoncules oculaires mais qu’il n’y avait
plus aucune trace d’ommatidies, ni de sensibilité à
la lumière. Ils signalent néanmoins que, dans une
grotte de Géorgie, sur 24 individus, un possédait
encore des cellules rétiniennes rudimentaires.
La perte de la vision entraîne des phénomènes de
compensation.
- Turquin (1973) a montré que l’allongement des
antennes chez les individus hypogés de
Gammarus minus Say se révélait efficace dans la
recherche de la nourriture et Corbière-Tichané
(1973) a émis l’hypothèse que l’« organe en
lamelle », particulièrement bien développé chez
les Coléoptères troglobies (chez les espèces du
genre Speophyes) pourrait avoir une sensibilité
aux rayons infrarouges.
- Chez les Poissons, Schemmel (1973) a montré
que, chez les espèces cavernicoles du genre
Anoptichthys, les pores gustatifs étaient bien plus
développés et plus largement répandus que chez
les espèces épigées du genre voisin Astyanax (on
les rassemble même parfois sous ce dernier nom
de genre) (figure 6a et b). Chez une espèce
possédant à la fois des populations cavernicoles et
épigées (dans et à proximité d’une même grotte),
Peters (1973) a montré que, chez les individus
Figure 5 : Régression oculaire chez diverses espèces
d’Opilions : Odiellus (épigé, a), Ischyropsalis (espèce
muscicole, b), Ischyropsalis (deux espèces cavernicoles, c
et d) (d’après Juberthie & Munoz-Cuevas, 1973).
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