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La littérature met traditionnellement en avant le risque
moral ex ante induit par le fait de se savoir assuré et jus-
tifie, par ce biais, le recours à un mécanisme de fran-
chise. Mais, BARDEY ET LESUR (2004) montrent
que ce risque est annihilé dès lors que les individus
accordent suffisamment d'importance à leur état de
santé et tiennent compte du caractère de bien irrem-
plaçable du capital-santé et des coûts non monétaires
de la maladie. Lorsqu’aucune différentiation n'est faite
entre ce qui est de l'ordre du curatif et du préventif
(exemple d'une franchise par acte), l'impact d'un reste à
charge6 est en outre incertain. Il peut en effet tout
autant inciter à un comportement préventif (aller se
faire vacciner pour éviter de supporter les frais de
soins curatifs) que le limiter (éviter le coût des consul-
tations nécessaires à la vaccination).
1.3 Les leviers organisationnels
L'efficacité d'une politique de prévention dépend,
souvent de façon fondamentale, de la capacité des
acteurs-relais à promouvoir les messages préventifs
véhiculés. De fait, les incitations mises en place pour
garantir l'implication et le professionnalisme de ces
acteurs sont essentielles7. Nous prenons l'exemple de
la sensibilisation des professionnels de santé aux ques-
tions de prévention pour rendre compte du type de
leviers organisationnels potentiellement mobilisables
et étudions l'influence des modalités d'exercice de la
médecine (mode de tarification et d'exercice, notam-
ment) sur la façon dont les actes de prévention sont
valorisés auprès des patients. L'analyse économique
du comportement des offreurs de soins apporte plu-
sieurs enseignements importants.
Le premier moyen d'action concerne les règles de res-
ponsabilité (civile ou pénale) imputables aux profes-
sionnels et établissements de santé. Parce qu'elles
modifient la prise de risque des professionnels, il est
possible, par leur intermédiaire, d'inciter ceux-ci à
davantage de prudence et donc de réduire les risques
d'accidents médicaux. Le degré de responsabilité fixé
doit être incitatif sans pour autant conduire à valoriser
une logique de médecine défensive qui conduirait les
professionnels à favoriser certaines pratiques unique-
ment pour échapper aux risques de poursuite.
Le deuxième levier concerne le mode de rémunération
des professionnels (paiement à l'acte versus capitation
ou salariat, budget global versus tarification à l'acti-
vité). Parce qu'elle influence l'allocation de leur temps
disponible entre soins curatifs et soins préventifs, la
tarification des médecins et des établissements doit
être considérée comme un élément essentiel des poli-
tiques de prévention dans lesquelles leur rôle est déci-
sif. En médecine ambulatoire, FRANC ET LESUR
(2004) estiment que la capitation incite plus spontané-
ment les professionnels à faire de la prévention. La rai-
son tient au fait que les médecins internalisent les
effets à long terme des actes préventifs sur leur acti-
vité. En effet, s'ils anticipent qu'une attitude préven-
tive peut conduire à réduire le nombre d'actes curatifs
par patient, promouvoir la prévention permet de
réduire le temps consacré à chaque patient, donc
d'augmenter le nombre de patients inscrits et par suite
leur revenu. Ce schéma peut toutefois être remis en
cause dans certains cas précis (exemple de pathologies
fortement consommatrices en temps de prévention).
Dans ces cas, les auteurs préconisent le versement
d'une rémunération spécifique à l'acte, à l'instar des
mesures entreprises au Royaume-Uni ou en Norvège.
Dans un système de paiement à l'acte, les actes curatifs
entrent en concurrence avec les actes préventifs.
Aussi, pour promouvoir la médecine préventive, il est
nécessaire de la rémunérer autant, sinon mieux, que la
médecine curative. Comme le Québec et le Dane-
mark, la France s'est récemment dotée d'une "consul-
tation médicale périodique de prévention" (loi de
santé publique).
Un autre moyen d'agir en faveur de la prévention con-
siste à façonner dans le sens voulu le contenu du con-
trat signé par les professionnels de santé avec
l'assureur (exemples de contrats reposant explicite-
ment sur des contreparties en terme de qualité et de
respect de référentiels ou protocoles ou de la logique
de conventionnement sélectif). Le développement en
France des accords de bon usage des soins et des con-
trats de santé publique va dans ce sens.
Enfin, et de façon plus générale, la promotion de la
prévention passe par l'amélioration de la formation en
santé publique, par une meilleure répartition des com-
pétences entre professionnels de santé, médecins et
infirmières notamment, à l'instar de ce qui s'est fait au
Royaume-Uni, au Québec ou en Finlande, et une prise
en charge et un suivi des patients rénovés dans le
cadre d'une médecine plus coordonnée où l'activité de
prévention est organisée ou dans le cadre de program-
mes de suivi spécifique des pathologies chroniques
dans lesquels le rôle du patient dans la gestion de sa
maladie est valorisé.
2. Garantir l'intégration des considérations
d'efficacité et d'efficience dans le choix
des programmes de prévention
L'autre champ sur lequel l'analyse économique se
révèle particulièrement utile est celui de l'évaluation et
de la sélection des programmes de prévention. Tant le
poids économique de ceux-ci que leurs enjeux sanitai-
res justifient que l'on cherche à comparer les retom-
bées et que l'on s'intéresse à l'efficience avec laquelle
les ressources publiques sont utilisées dans ce
domaine.
Selon les comptes nationaux de la santé, les dépenses
de prévention s'élèvent en 2002 à 3,6Md€, soit 2,3%
de la dépense courante de santé. Cette estimation ne
recense toutefois qu'une partie des ressources consa-
crées à la prévention des risques pour la santé8. Cher-
chant à identifier au sein des consommations
6. remboursement partiel des actes.
7. Hormis la question de la mise en place d'incitations adéquates, se
pose aussi le problème de la coordination des acteurs-relais et de la
compatibilité de leurs incitations, notamment lorsque ceux-ci évo-
luent dans des sphères très différentes (cf. la pluralité des acteurs-
relais potentiellement mobilisables).