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profit de la réussite collective? Ce sont également des thèmes importants dans l’œuvre de
l’humoriste québécois Yvon Deschamps à la fin des années 1960 et au début des années
1970. Dans ses monologues sur son « boss » ou sur les « unions », ce sont les
caractéristiques d’une société en pleine émergence qui sont décrites. Si, sans sombrer
dans la victimisation ou la révolte, Deschamps représente efficacement cet ouvrier
sympathique, plutôt soumis au patronat et à l’autorité et visiblement résigné à son sort,
c’est bien sur tout le contraire que veut exprimer l’humoriste.
Moi ça fait quinze ans que j’travaille à « shop », ça fait quinze ans qu’y a
pas d’union « quossa » donne? On n’a pas d’union pis ça empêche pas que
depuis l’année passée on a la semaine de cinquante-quatre heures. Et puis
on a notre congé à Noël « ou bedon » au Jour de l’an. Et puis l’été on a une
semaine de vacances payées. On la prend pas toujours, mais on l’a pareil7.
La question qu’il pose en filigrane demeure on ne peut plus actuelle et comporte une
véritable portée politique. Comment, en dépit de ses contraintes, de son héritage culturel,
social et politique, un peuple peut-il s’affranchir? Et on peut ultimement se poser la
question : quelle place occupe l’humour dans ce processus?
1.2 Portrait actuel de l'humour
L'humour occupe un large espace dans le paysage culturel, au Québec certainement, mais
aux États-Unis et en France également. Au Québec, les spectacles humoristiques viennent
en tête de la plupart des indicateurs en matière d'offre et de consommation de spectacles.
D'après un rapport de Claude Fortier de l'Observatoire de la culture et des
communications du Québec, l'assistance à des spectacles d'humour est en hausse
constante et les revenus de billetterie ont connu une augmentation de 41 % en 2012 par
rapport à 20118. Le rapport mentionne aussi que « la part des entrées aux spectacles
présentés en périphérie de l’île de Montréal est passée de 26 % à 38 % pour la chanson
francophone et de 30 % à 48 % pour l’humour »9. S'ajoute à ce portrait l’existence du
Festival Juste pour rire, une des activités estivales les plus courues depuis plus de trente
ans au Québec et la création, il y a 25 ans, de l'École nationale de l'humour. Depuis ses
débuts, plus de 400 humoristes et auteurs d'humour sont d'ailleurs diplômés de cette
institution reconnue par le Ministère de l'Éducation, loisirs et sports du Québec10. Dans la
province, les humoristes possèdent ainsi un véritable statut professionnel. Il s'agit ainsi
d'un métier que l'on peut apprendre à l'école, au même titre que tant d'autres professions.
Ce portrait démontre sans aucun doute que le domaine de l'humour ne peut être considéré
comme simple objet de divertissement. Du seul point de vue économique, on peut
convenir du poids substantiel que représente cette industrie, parce qu'il s'agit bien d'une
industrie, dans le marché de l'offre culturelle du Québec. Plus important encore, du moins
7Transcription du monologue d’Yvon Deschamps Les unions « quossa » donne? Le propos est rapporté
dans sa forme originale incluant le respect des expressions typiquement québécoises. Voir :
Yvon Deschamps, Les unions « quossa » donne? Disque vinyle, Étiquette Polydor, 1969.
8Claude Fortier, « La fréquentation des arts de la scène en 2012 », Optique culture, Institut de la statistique
du Québec, Observatoire de la culture et des communications du Québec, no 28 , 2013, p.1.
9Claude Fortier, « La fréquentation des arts de la scène en 2012 » , […], p.1
10École nationale de l'humour, Nos diplômés, http://www.enh.qc.ca/index.php/diplomes/, consulté le 4
juillet 2014.