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Pour toute utilisation du contenu de ce texte, veuillez citer l’auteur, son organisme d’appartenance, la plateforme «
génétique et société », le module DP04 A « Enjeux éthiques généraux de la recherche » de l’école doctorale Biologie-
Santé-Biotechnologies de Toulouse, le titre du document et la date. Merci.
Introduction à l’éthique (Philippe Solal, INSA Toulouse)
1. Définition des termes
a. Que signifie le terme « morale » ?
Quand on parle de la morale, terme qui vient du latin mores (les « mœurs ») on se réfère à
un ensemble de valeurs et de principes qui permettent de différencier le bien du mal, le juste
de l’injuste, l’acceptable de l’inacceptable, et auxquels il faudrait se conformer. Ces valeurs
et ces principes peuvent devenir discipline d’enseignement (comme lorsque l’on déclare :
« je vais étudier la morale chrétienne », « je vais suivre des cours de morale »).
Mais par dérivation la morale désigne aussi l’ensemble des règles de conduite très concrètes
qui découlent de cette réflexion (comme dans : « adopter une morale sévère », « faire
preuve d’une morale rigoureuse »). L’adjectif moral désigne, quant à lui, le point de vue à
partir duquel nous jugeons les actions, les conduites, voire les intentions des hommes, selon
la distinction du bien et du mal (comme dans : « d’un point de vue moral, ce projet est
discutable »).
b. Définition du mot « éthique »
Le mot éthique vient du grec éthikos, adjectif construit sur éthos (les mœurs), et signifiant
« ce qui concerne les mœurs ». Les termes éthique et morale sont, dans le langage courant,
employés comme synonymes. Toutefois en philosophie certains auteurs font une distinction
entre les deux. Ils réservent le mot éthique à l’évaluation des valeurs morales et à la
réflexion théorique sur leur fondement rationnel, alors qu’ils utilisent le mot morale pour
désigner l’ensemble des conseils pratiques, des règles d’actions concrètes, qui découlent de
ces valeurs.
D’une manière générale, l’éthique ne désigne pas un ensemble de valeurs et de principes en
particulier. Il s’agit d’une réflexion argumentée en vue du bien agir. L’éthique propose de
s’interroger sur les valeurs morales et les principes moraux qui devraient orienter nos
actions, dans le but d’agir conformément à ceux-ci.
c. La déontologie
Enfin, lorsque la réflexion morale porte exclusivement sur la pratique professionnelle, elle
prend le nom de déontologie, mot forgé en 1825 par le philosophe anglais Jérémy Bentham
(1748-1832), à partir de déi, en grec « il faut ». Ainsi quand on parle de la « déontologie
médicale » on se réfère à l’ensemble des règles et des devoirs professionnels du médecin.
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Je vous propose ici un panorama des grandes conceptions de l’éthique qui ont
marquées l’histoire de la philosophie (et les morales concrètes qui leur
correspondent). Elles peuvent se résumer à trois grands courants :
- les morales du bonheur
- les morales du devoir
- les morales utilitaristes
2. Les morales du bonheur
Pour la philosophie grecque antique, la morale est une réflexion qui cherche à déterminer la
nature du bien, qui se définit comme ce qui est fondamentalement désirable pour l’homme,
par opposition au mal, qui est à rejeter. Mais étant donné la grande diversité des choses qui
peuvent correspondre à une détermination aussi générale, la question se pose de savoir ce
qui peut distinguer le bien moral des autres biens. Tel est le programme que se sont fixées
les grandes doctrines morales de l’Antiquité, et les réponses apportées furent diverses.
a. L’épicurisme
Pour les Épicuriens, disciples d’Épicure, ce qui est désirable pour l’homme, c’est la
satisfaction du plaisir. Toutefois, tous les plaisirs ne sont pas moraux, et certains sont même
à rejeter. Ce qui permet de définir, dans ce contexte, la « valeur morale » d’un plaisir, c’est
sa capacité à nous procurer un bonheur stable, durable, et non pas fragile et précaire. Le but
de la morale est donc le bonheur, pour ceux qui en appliquent les conseils.
Dans la Lettre à Hérodote, Épicure montre que seuls les « plaisirs naturels et nécessaires »
sont moraux au sens ils peuvent nous procurer un bonheur stable : ils sont nécessaires
car ils dérivent de la satisfaction des fonctions vitales de l’homme (boire, manger, dormir
etc.), et ils sont naturels car c’est la nature qui a fait en sorte que l’accomplissement de ces
fonctions soient accompagnée de contentement (dormir, étant fatigué, apporte autant de
contentement que manger quand on a vraiment faim). Les plaisirs naturels et non
nécessaires sont eux, d’une moindre valeur morale, car ils introduisent un élément culturel et
ne calquent plus exactement le désir sur le besoin : bien dormir (c’est-à-dire sur un lit
douillet), bien boire (un bon vin plutôt que de l’eau), etc.
Enfin, pour Épicure, il existe des désirs « non naturels et non nécessaires », qui, eux, sont à
proscrire, car ils ne se calquent plus du tout sur la naturalité du besoin et nous rivent aux
objets, nous aliènent à des désirs purement artificiels dont nous devenons les esclaves ;
Épicure range dans cette catégorie les plaisirs purement culturels que nous éprouvons avec
la possession des objets inutiles, de « confort », avec les spectacles, l’art, la cosmétique, la
parure etc.
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L’Épicurisme développe donc une morale austère, et possède les traits de toute morale
antique. C’est un eudémonisme, car le but de la morale c’est le bonheur individuel (grec
eudémonia) mais par rapport à un bien jugé comme absolu, c’est un naturalisme, car c’est la
nature qui fixe les normes du bien moral, et elle est composée de préceptes et de conseils
très concrets déterminés par la raison humaine. Enfin, dans le cas de l’Épicurisme le
bonheur étant rattaché au plaisir (grec hédoné), on dit que son eudémonisme est un
hédonisme.
b. La morale stoïcienne
Le mot « stoïcisme » vient du grec « stoa » qui signifie portique. C’est en effet sous un des
portiques (galeries couvertes soutenues par des colonnes) qui entouraient la place principale
d’Athènes – l’agora – que le fondateur du Stoïcisme, Zénon de Cittium (335-264 avant J.-C.),
avait coutume d’enseigner. Zénon, jeune marchand originaire de l’île de Chypre (où se
trouvait Cittium), soudainement ruiné à la suite d’un naufrage, se serait converti à la
recherche de la sagesse en suivant l’enseignement de Cratès le Cynique, à Athènes.
D’emblée, dans la nouvelle doctrine qu’il enseigne, Zénon reprend le positionnement
philosophique d’Épicure, dont nous avons vu qu’il était largement déterminé par les
conditions de l’époque : il s’agissait de trouver des règles de comportement qui puissent
mener l’individu à une sérénité heureuse, en dépit des troubles politiques et sociaux qui
l’environnaient. Sa philosophie devint très populaire à Athènes, d’autant plus que Zénon, en
digne élève des Cyniques, ne faisait aucun compromis pour accorder sa manière de vivre
avec ses idées.
C’est dans le monde romain que le Stoïcisme se popularisera largement. La figure la plus
marquante du Stoïcisme romain est celle d’Épictète (50-130 après J.-C.). Originaire d’Asie
mineure (Turquie actuelle), il arriva à Rome en tant qu’esclave, mais son propriétaire,
quoique violent, lui permit de suivre les cours d’un maître stoïcien, car cela était valorisant
dans l’aristocratie romaine d’’afficher des esclaves lettrés. Devenu libre après la mort de son
propriétaire, il ouvrit une première école de philosophie à Rome, tout en vivant de manière
extrêmement sobre. Vers 94, chassé hors d’Italie avec les autres philosophes par
l’empereur, il fonda sa nouvelle école en Épire (Grèce) il enseigna jusqu’à sa mort. Un
des ses auditeurs, devenu à la fois philosophe stoïcien et homme politique important – Arrien
retranscrivit ses notes de cours en 8 livres donc 4 nous sont parvenus sous le titre
d’Entretiens. De ces Entretiens, Arrien a tiré un court traité, très pratique, de morale
stoïcienne : le Manuel d’Épictète.
Le but du sage stoïcien est le bonheur. Et celui-ci est apporté par la philosophie. Mais la
philosophie n’est pas seulement le savoir des maximes de comportements qui rendent
heureux. Car ces maximes en elles-mêmes qui constituent la morale ne donnent pas la
force requise pour maîtriser son comportement si elles ne sont pas comprises comme étant
en cohérence avec ce qu’est le monde ce qu’enseigne la physique et si le sage n’a pas
une connaissance des pouvoirs de sa raison c’est l’objet de la logique qui lui permettent
d’établir cette cohérence. La philosophie stoïcienne doit donc être abordée comme une
philosophie systématique, c’est-à-dire en laquelle aucun des domaines morale, physique
ou logique ne peut prendre sa valeur sans la possession des deux autres. L’historien
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Diogène Laërce (voir p. 153) écrit que, pour montrer cette unité, les premiers stoïciens « la
comparent à un œuf : la coquille, c’est la logique, le blanc, c’est la morale, et ce qui se trouve
tout à fait au centre, c’est la physique. »
3. La morale du devoir
Au XVIII° siècle, le philosophe allemand Kant remet en question les morales antiques. Pour
lui, la morale grecque antique est intéressée, polluée par l’intérêt sensible que constitue la
recherche du bonheur. Il la qualifie dans Les Fondements de la métaphysique des mœurs
(1785) de « morale hypothétique », c’est-à-dire de morale que l’on ne doit suivre qu’à la
condition de vouloir le bonheur. Cette « condition » est ce que désigne l’adjectif
« hypothétique », et c’est pourquoi aussi Kant les appelle « morales conditionnées ».
Les morales religieuses sont, elles, inconditionnées, car elles imposent un devoir sans
conditions. En elles, les impératifs sont dits catégoriques. Toutefois Kant va essayer de
penser la morale judéo-chrétienne dans le contexte de la raison, en la faisant découler du
principe d’autonomie de la raison.
En effet la morale religieuse dépend d’un principe hétéronome (c’est-à-dire qui trouve sa loi,
nomos, dans quelque chose de différent, hétéro, à savoir la volonté de Dieu, extérieure à la
raison). Le pari philosophique de Kant consiste à faire en sorte que la raison trouve en elle-
même, et d’elle-même (auto) les principes universels de la loi (nomos) morale. L’idée sera
reprise dans la Critique de la raison pratique qui tente de fonder la notion de respect, au
fondement de la morale, sur de seuls critères rationnels. Aussi Kant ne va-t-il pas tenter de
fonder une morale particulière, mais les exigences générales propres à toute morale,
exigences qui doivent en mesurer la légitimité. Ces exigences ou »impératifs catégoriques »,
sont résumées par lui en trois formules célèbres :
« Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle
devienne une loi universelle ». 2°. « Agis comme si la maxime de ton action devait être
érigée par ta volonté en loi universelle de la nature ». 3°. « Agis de telle sorte que tu traites
l’humanité aussi bien dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une
fin, et jamais simplement comme un moyen ».
La première et la deuxième de ces formules indiquent qu’une morale digne de ce nom doit
pouvoir respecter un principe de réciprocité (ce que je fais à autrui, je dois pouvoir vouloir
qu’on me le fasse aussi, ce qui exclut le meurtre par exemple).
La troisième d’entre elles indique que, si nous devons parfois traiter autrui comme un moyen
(par exemple dans les relations de travail), il ne faut jamais oublier de le traiter en même
temps comme un sujet possédant une dignité (en accordant des droits au travailleur, par
exemple, ce qui le distingue de l’esclave). C’est là ce qui fonde le principe du respect d’autrui
comme de soi-même.
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4. Les morales utilitaristes
a. L’utilitarsme de Stuart Mill
Pour comprendre la pensée de John Stuart Mill, il faut rappeler la filiation d’idées qui existe
entre celui-ci et l’œuvre deJérémy Bentham (1748-1832).Le mot « utilitarisme » et la
doctrime morale à laquelle il conduit, ont été forgés par Bentham dès 1781. Ce dernier définit
alors l’utilitarisme comme une conception de la morale qui commande d’agir (ou de ne pas
agir) de manière à maximiser le bien-être global des individus. La formule la plus célèbre de
l’utilitarisme peut se formuler ainsi : (agir pour) « le plus grand bonheur du plus grand
nombre ».
Cette approche de la morale est dite utilitariste car elle évalue la valeur d’une action et pose
la pertinence d’une règle de conduite uniquement en fonction de son utilité par rapport à ce
but, donc en fonction de ses conséquences. C’est la raison pour laquelle on appelle aussi
l’utilitarisme un « conséquentialisme ». Ce qui compte ce sont les conséquences de l’action
morale, pas son principe. Pour comprendre le vrai sens de cette approche, il faut savoir à
quel type de morale elle s’oppose : elle se distingue, en particulier, de celle développée par
Emmanuel Kant. Kant, on l’a vu, a développé une conception de la morale ce qui est le
plus important c’est le principe en fonction duquel on agit. Selon Kant, ce principe c’est la
bonne volonté, c’est-à-dire une orientation de la raison à vouloir faire le bien, de manière
désintéressée, car dès qu’un intérêt personnel se mêle à la volonté, celle-ci est polluée, elle
n’est plus parfaitement « bonne ». La bonne volonté prime, chez Kant, sur le résultat de
l’action : autrement dit, il se peut que mon action n’aboutisse pas (par exemple à aider mon
prochain comme je le voudrais). L’action sera tout de même morale (même si elle entraîne
des résultats inverses de ceux escomptés) car elle prend appui sur la bonne volonté. Cette
conception de la morale est dite inconditionnée, car elle impose un devoir sans conditions de
résultat ou de bénéfice : « Tu dois » ou « Tu ne feras pas ceci…ou cela… » sont ses
maîtres-mots. Le résultat de son action morale est contingent, variable (par exemple l’aide
aux nécessiteux peut ne pas suffire à les aider) ; mais le principe de l’action est, lui, stable et
nécessaire (la bonne volonté), et c’est lui qui est le critère du jugement moral.
C’est contre cette conception de la morale, qui privilégie l’intention sur le résultat que se
bat l’utilitarisme de Bentham et, à sa suite, de Stuart Mill. Pour eux, le seul critère du
jugement moral est le résultat de l’action.
b. Une morale du bonheur collectif
Il faut maintenant comprendre quel sens les utilitaristes donnent exactement au concept
d’utilité. C’est Bentham qui en donne, le premier, la définition la plus précise, dans les termes
suivants :
« On désigne par utilité la tendance de quelque chose à engendrer bien-être, avantages,
joie, biens ou bonheur », Une introduction au principe de morale et de législation, 1789
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